Chapitre 18

Les mots de Kamilla s'ancrèrent en moi tout en me hérissant le poil.

- Pourquoi m'aider ? lui demandai-je.

- Parce que je l'ai promis à Yöri. Si je suis encore ici aujourd'hui c'est pour toi. Je t'attendais. Une fois que je t'aurai aidé, je rejoindrai Yöri dans le royaume des morts.

Cela faisait donc 800 années qu'elle m'attendait.

- Alors il n'est pas vraiment trop tôt, lui fis-je remarquer. Dites-moi ce que vous savez. Yöri l'aurait voulu.

Elle me dévisagea. Je pensai qu'elle allait se jeter sur moi et me hurler dessus. Elle n'en fit rien. Elle ramassa un petit caillou qui était posé sur un de ses meubles. Elle s'assit et coinça la pierre à l'intérieur de ses paumes. Elle ferma les yeux et une lumière jaillit d'entre ses mains. Elle resta concentrée sur sa méditation quelques secondes.

Lorsqu'elle rouvrit les yeux, la lumière s'éteignit. Elle reposa alors le caillou sur la table. Il était totalement poli. Il avait pris une teinte verte tachetée, que je reconnus immédiatement. C'était la même que la pierre que celui du collier de ma mère. C'était également celle des pierres que Yaël disposait aux coins d'une pièce pour se protéger des astréiens.

- Prends-la et cache-la. Tu en auras besoin. Il faut que tu l'aies quand tu retourneras en Hululy.

- Mais je ne pourrais pas avoir de visions.

- Il y aura des jours où tu souhaiteras n'en avoir aucune.

Que voulait-elle dire ? Par tous les dieux, elle y comprise, qu'est-ce qui allait m'arriver ?

- Qu'est-il arrivé à Yöri ? criai-je brusquement.

Je n'en pouvais plus de tous ces demi-mots. Je voulais savoir. Je voulais qu'on m'explique pour une fois clairement les choses.

Kamilla se renfrogna mais cette fois-ci, elle ne garda pas le silence.

- Son pouvoir n'a cessé de grandir. Rapidement, il est devenu incontrôlable. Yöri s'est mis à avoir des visions de plus en plus fréquemment et au fur et à mesure, elles sont presque devenues constantes. Sans mon pouvoir, il serait devenu fou bien plus tôt et il se serait sûrement donné la mort. Les images défilaient constamment devant lui, mélangeant le passé avec le présent ou le futur avec le présent. Il devenait difficile pour lui de s'ancrer dans la réalité. Il ressentait toutes ces visions de façon si intense. Mais tu dois savoir de quoi je parle. Une prémonition, ce n'est pas simplement une information sur le futur, c'est vivre le futur, être présent, ressentir toutes les émotions et toutes les interactions physiques, y compris la mort. Imagine-toi vivre cela constamment et tu auras un aperçu de ce qu'a enduré Yöri. Cela l'a totalement déphasé, il ne savait parfois plus à quelle époque il vivait et ce qui était déjà ou allait arriver. Forcément la conversation avec les astréiens est devenue compliquée. Il n'y avait qu'avec moi qu'il pouvait être lui. Il aurait dû tout quitter et rester avec moi ici. Malheureusement, il en était incapable. Il avait un rôle à jouer et il n'était pas du genre à se détourner de son destin. Yöri était ainsi.

- Je... je vais devenir... balbutiai-je.

- Folle, me coupa-t-elle. Aux yeux de tous. Pourtant, je sais que toi aussi tu ne te détourneras pas de ton chemin.

Ses mots se répétèrent en boucle dans mon esprit. Voilà à quoi j'étais destinée, à la folie. Ces visions que je désirais tant allaient m'anéantir.

- Combien de temps ai-je avant de sombrer ?demandai-je au bout d'un moment.

- Je l'ignore. Le pouvoir de Yorï s'est développé plus lentement que le tien, sans doute du fait de ma présence. Mais tu as eu conscience de ton pouvoir plus tardivement, je ne sais pas quel effet cela peut engendrer.

- Et si je vis au sein des pierres que vous façonnez ?

- Tu n'auras plus de pouvoir, tu pourras te reposer.

- Je pourrais vivre éternellement entourée de ces pierres ?

- Tu le pourrais, mais tu ne le feras pas. Les visions deviennent une drogue, tu ne sauras bientôt plus t'en passer. Qu'est-ce qui t'a poussée à aller voir les bohémiennes ?

L'obsession que j'avais de mes visions, pensai-je, mais je n'avais pas besoin de lui dire, elle le savait déjà.

Je ne dis plus rien et encaissai la nouvelle comme je le pouvais. Puis, je finis par lui demander.

- Est-ce que Yaël le sait ?

- Je ne lui en ai jamais parlé si c'est ta question. Mais Yaël est intelligent, je ne doute pas qu'il s'interroge.

- Vous l'appréciez, constatai-je à haute voix. Vous saviez qu'il m'était destiné ?

- Je connais sa destinée, mais j'ignorai que vos chemins étaient liés.

- Quelle est-elle ?

- Voyons, il est l'Élu.

- Mais qu'est-ce que cela signifie ? Que dois-je faire ? m'angoissai-je. Je ne veux pas le perdre. Je... je ne veux pas qu'il devienne... comme vous, lui confiai-je à demi-mot. Qu'aurait dû faire Yorï selon vous ?

- Il a toujours su ce que j'aurai aimé qu'il fasse et tu sais parfaitement ce que Yaël aimerait que tu fasses. Je suis désolée petite colombe que tu aies à faire ce choix.

- Je ne ferai pas celui de Yorï, dis-je les larmes aux yeux.

- Je le souhaite à Yaël, conclut-elle.

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