Chapitre 17
Je partis à l'aube le lendemain matin. Yaël n'était pas ravi à l'idée que je fasse une telle chevauchée, qui plus est seule, et je ne fus pas étonnée quand il m'apprit qu'il avait décidé de faire réveiller Misha pour que celui-ci m'accompagne.
Il ne devait rien y comprendre le pauvre, mais je devais voir Kamilla avant mon départ de la Grand'Astrée. J'étais prête à présent à entendre ce qu'elle avait à me révéler. C'était sa magie qui m'avait caché les huit premières années de mon existence et je doutais fort que cela ne soit pas lié aux visions de Yorï. Je devais en savoir plus. Son aide me serait en outre précieuse pour me cacher jusqu'à la naissance de notre fils.
Je n'avais toutefois pas pris conscience que la Grand'Astrée était aussi grande. Il nous fallut plus de sept heures de cheval pour rejoindre l'habitation de Kamilla. Nous avons traversé des paysages tous plus magiques les uns que les autres. Ici, tout était incroyablement harmonieux : les animaux sauvages, la végétation, les roches, les cours d'eau... Leur mariage était juste parfait, composé de multiples décors, et indéniablement, plus on avançait sur le territoire de la Grand'Astrée, plus je m'époustouflais. Je me demandai si cet univers était ce qu'on considérait être le paradis. Il en avait en tout cas à bien des égards l'image que j'avais pu m'en faire. Je comprenais aisément qu'on choisisse de vivre ici de manière définitive, même si ce n'était pas mon choix.
Misha n'était pas très bavard et nous échangions peu durant le trajet. Il attendit qu'on arrive à proximité de chez Kamilla pour me demander.
- Est-ce qu'il y a quelque chose que je devrais savoir ?
- Non Misha, ne t'inquiète pas, tentai-je de le rassurer.
- Mouai.
Il n'insista pas, mais je le sentais embêté. J'aurais aimé lui parler, mais je ne savais pas très bien quoi lui dire. Qu'est-ce que je pouvais vraiment lui révéler ? Que j'attendais un enfant et que j'allais fuir pour le sauver ? Non. Que j'étais promise à un autre destin et que je comptais renverser la monarchie de Hululy ? Non plus. Quoique je m'étais demandée plusieurs fois quelle position il prendrait. Après tout, je devrais peut-être lui dire. Il me serait plus qu'utile s'il acceptait de défendre ma cause. Je ne voulais toutefois pas qu'il se sente obligé vis-à-vis de Yaël.
- Est-ce que tu peux m'attendre ici un moment ? lui demandai-je, contrite.
- Pourquoi est-ce que ça ne m'étonne même pas !? dit-il sarcastique.
- Merci. Je ne serai pas longue, promis !
Je me dirigeai d'un pas décidé vers la demeure de Kamilla. Je devais dire qu'elle ne manquait pas de charme. Au flan d'une montagne rocheuse, elle s'était bâtie une véritable chaumière où elle faisait pousser toutes sortes d'herbes médicinales et autres plantes dans un jardin des plus atypiques. Il y avait un peu de tout, mais encore une fois l'harmonie était parfaite.
Sa porte était ouverte et j'eus à peine le temps de m'approcher pour toquer que Kamilla me coupa dans mon élan.
- Je ne t'attendais pas aussi tôt, rouspéta-t-elle.
- Je dois savoir, affirmai-je.
Je restai volontairement évasive, car je ne doutais pas qu'elle en savait bien plus que les questions que je pouvais poser.
- Tu n'es pas prête.
- Pourquoi est-ce que vous m'avez dissimulé aux astréiens ? demandai-je finalement de peur qu'elle ne me ferme tout simplement la porte au nez.
Il était hors de question que je reparte sans réponse. Je n'avais pas fait tout ce chemin pour rien. Cependant, elle ne me répondit pas. Je décidai d'entrer et de déposer sur la table le collier de ma mère, avec un air de défi. Elle allait parler. Elle devait parler.
- Ce collier n'est pas à toi, s'écria-t-elle en s'en emparant violemment.
- Il était à ma mère, expliquai-je.
- Non, il était à Yorï. Je l'ai fait pour lui. Je les ai tous faits pour lui.
- Comment ça tous ?
Elle ne répondit pas et se mura dans son silence. Elle caressait de son pouce la pierre qui ornait le collier. Elle semblait aspirer dans un de ses souvenirs.
- Vous saviez qu'il me reviendrait.
Je ne savais pas moi-même si c'était une question ou une affirmation.
- Pas de la manière que tu crois. Les pierres te sont toutes destinées à présent, ajouta-t-elle.
- Je ne comprends pas.
- Tu n'es pas prête, je te l'ai dit, cria-t-elle. Que viens-tu faire ici ? Où est Yaël ? s'énerva-telle soudainement.
- Yaël n'est pas ici. Il s'occupe de me trouver un refuge. Je vais quitter la Grand'Astrée, annonçai-je.
- Ça va trop vite, ça va trop vite ! Ce n'est pas normal. Tu n'es pas prête !
Elle s'affola et marcha en rond dans la pièce en répétant que je n'étais pas prête. Je me demandai si ces années de solitude n'avaient pas affecté son état mental.
- Tu dois partir, finit-elle par dire.
- Je ne reviendrai plus, lui précisai-je. Si vous avez des choses à me dire, vous devez le faire maintenant. Après, il sera trop tard.
Elle me regarda avec douceur, s'approcha de moi et me caressa la joue avec tendresse.
- Tu es si jeune, dit-elle.
Une larme franchit la barrière de ses cils. Cette femme était vraiment déstabilisante et je ne comprenais rien à ces changements d'humeur.
- La vie est parfois cruelle. J'aurais aimé pouvoir t'aider davantage, dit-elle, mélancolique.
- Qu'est-ce qui vous en empêche ? lui demandai-je.
- Les choix que tu t'apprêtes à faire.
- Si vous me disiez ce qui m'attend, je pourrai peut-être faire les bons.
- Tu n'as pas besoin de moi pour ça, c'est toi qui as le don de prémonition. Je peux simplement mettre à ta disposition mon pouvoir. Crois-moi tu en auras besoin.
- Pourquoi avez-vous fait ce collier à Yöri ? La pierre s'est fêlée et ne renferme plus vos pouvoirs, pourtant je n'arrive à avoir aucune vision en la touchant. Elle m'est totalement inaccessible.
- Et elle le restera ! Cria-t-elle.
Sa mauvaise humeur était vite revenue.
- Tu n'auras jamais aucune vision en touchant les pierres. Elles ont reçu mon pouvoir, elles deviennent pour toujours illisibles.
- Alors, éclairez-moi ! l'implorai-je presque.
Je pensais qu'elle allait se braquer encore une fois ou hurler que je n'étais pas prête, mais elle n'en fit rien.
- Yorï était devenu dépendant des pierres. Il en avait besoin. Tu as dû entendre dire que Yöri était fou, non ?
J'acquiesçai. Yöri passait effectivement pour quelqu'un de singulier, c'était du moins l'image qu'en avaient retenue les autres astréiens. On le disait dérangé et on remettait en cause certaine de ses prémonitions. « Il ne savait plus ce qu'il disait » était sans doute la phrase que j'avais la plus entendue à son sujet.
- Ce n'est pas totalement faux, me confia Kamilla. Au fil du temps, Yöri a rencontré quelques... difficultés. Les astréiens l'ont rapidement jugé fou, sans comprendre réellement ce qu'il était en train de vivre.
Je n'osai pas la couper. Je pris ce qu'elle m'offrait, je sentais qu'il ne fallait pas la brusquer.
- Yöri avait plus de 200 ans lorsque ses capacités ont commencé à totalement le dépasser. Mon pouvoir lui a permis de gagner des années supplémentaires, mais ce n'était pas une solution viable pour lui. Il ne pouvait plus rester dans l'obscurité. Il avait la sensation qu'il détenait les clés de l'univers. À la fin, il n'était plus réellement là, il n'était plus vraiment lui. Il était devenu un puits de connaissances. Passé, présent, futur, il savait tout. Il fut tout pour ne devenir rien. Et tu finiras comme lui.
Elle marqua un temps d'arrêt. Elle m'observa et son regard se remplit soudain d'inquiétude.
- Tu es si jeune, répéta-t-elle. Il est trop tôt, bien trop tôt.
Je ne comprenais pas où elle voulait en venir. Elle se mit à répéter que ce n'était pas le moment, qu'il était trop tôt. Je la laissai divaguer, sans l'interrompre.
- Comment fonctionne ton pouvoir ? me demanda-t-elle alors.
- Je vois essentiellement des scènes passées liées aux objets que je touche, dévoilai-je.
- Et le futur ?
- Les prémonitions s'imposent à moi. J'arrive parfois à les provoquer si je puise dans la magie d'un autre astréien.
- Yaël ?
- Oui. Ma jument également.
- Et les autres prémonitions. Quand viennent-elles ?
- Yaël pense que c'est quand j'ai peur, avouai-je.
- Alors il est temps d'avoir peur Isabelle. Et quand les ténèbres t'envahiront, je t'aiderai, comme j'ai aidé Yöri.
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