Chapitre 16

La nuit était tombée, mais je me repérais facilement. Je ne pensais pas être en retard, mais Luka était déjà là, adossé contre un chêne, une torche à la main. Il avait toujours une attitude nonchalante qui me déstabilisait.

- Est-ce que tu as l'objet ? demandai-je sans détour.

- Je ne serai pas là sinon, répondit-il comme si cela était une évidence.

- C'était ma façon de te demander de me le donner, précisai-je. Je suppose que tu veux t'assurer que j'ai une vision avant de me révéler ce que tu sais ?

Il m'étudia un instant. Son regard était perçant, à chaque fois j'avais l'impression qu'il m'analysait. Il devait sans doute lui aussi me considérer comme une bizarrerie.

Il me tendit finalement un gobelet en pierre ollaire avec un socle métallique. Je le regardai circonspecte.

- Un gobelet !?

- Pourquoi ? Cela a une importance ?

- Non, dis-je en haussant les épaules.

Je pris le gobelet et fermai les yeux pour me concentrer. Je ne mis pas longtemps avant d'avoir une vision. Une femme aux cheveux d'or était dans un atelier. Elle tenait l'objet en question. Il avait une forme atypique, le pied était particulièrement élancé. Je compris pourquoi ensuite. Elle y glissa dans le creux un petit rouleau de parchemin qu'elle prit soin de dissimuler dans le socle. Je ne vis pas ce qu'il y avait d'écrit, c'était peut-être mieux ainsi. Je ne serai pas trop impliquée dans le secret de Luka.

- J'ai l'information que tu cherches, lui assurai-je en lui rendant l'objet.

- Bien, je t'écoute, me répondit-il.

J'hésitai. J'avais envie qu'il me livre en premier ce qu'il savait. J'avais peur qu'il ne tienne pas parole une fois qu'il aurait ce qu'il souhaite. Il dut saisir mon hésitation. Il se redressa et fit mine de s'en aller.

- Je ne suis pas pressé de l'obtenir. Tu me feras signe quand tu te seras décidée.

Il savait que moi en revanche je voulais en apprendre plus sur ma mère...

- Il y a un double fond, déclarai-je pour qu'il cesse de s'éloigner. Tu trouveras un message dissimulé à l'intérieur.

Il s'arrêta et sourit.

- Ta mère connaissait l'existence de la Grand'Astrée, me confia-t-il alors. Elle savait qu'il y avait une pierre capable de te dissimuler aux yeux de tous. Il la lui fallait pour te protéger. Elle m'a demandé de la voler pour elle. J'ai accepté et je lui ai remis. Je n'ai plus vu ce collier depuis. Enfin jusqu'à hier soir. J'ignorai que son enfant était amenée à devenir une astréienne, encore moins la promise de Yaël. Je ne me doutais pas qu'en faisant cela, je venais de te priver de ta lumière. À cause de ce collier, personne ne t'a vu. Les pouvoirs de Kamilla t'ont complètement dissimulé et ont annihilé tes dons. Ce collier a finalement parfaitement répondu aux attentes de ta mère.

Mille questions se bousculaient dans ma tête : comment ma mère avait-elle pu savoir pour la Grand'Astrée ? Connaissait-elle d'autres astréiens ? Que savait-elle exactement ? Et de quoi voulait-elle me protéger ou plutôt de qui ? Du prince ou des astréiens ? Avait-elle voulu me dissimuler auprès de la royauté et ainsi agi sans le vouloir par ricochet auprès des astréiens ou avait-elle sciemment voulue me cacher d'eux ? Finalement, je lui posai une tout autre question.

- Pourquoi est-ce qu'il a cessé de fonctionner à la mort de mon père ?

- C'est à moi que tu le demandes ? ricana-t-il.

Je le regardai sans comprendre.

- C'est toi qui l'as cassé, non ? fit Luka.

- Cassé ? Heu... non.

- Si !

Il ouvrit la main et le collier apparu dans sa paume. Je ne l'avais même pas sur moi à ce moment-là Luka l'avait fait directement venir de chez moi. Je me demandai si son pouvoir avait une limite spatiale.

- Regarde, la pierre est fendue, me montra-t-il.

Effectivement, à la lumière du flambeau, la fissure de la pierre apparaissait de façon nette. J'essayai de me rappeler quand cela été arrivé. Puis, je me souvins du jour où on m'avait appris la mort de mon père.

J'avais jeté à travers ma chambre ce qui me passait sous la main, dont la boite qui contenait le collier de ma mère. J'avais ensuite couru à la rivière pour évacuer toute cette tristesse qui m'inondait. Et c'est à cet endroit, ce jour-là, que j'avais aperçu Yaël pour la première fois. C'était donc pour ça, c'était à cause de ça. La mort de mon père n'y était pour rien. J'avais simplement brisé le sort de Kamilla.

Kamilla. C'était elle qui avait confectionné ce collier. Cela ne pouvait pas être une coïncidence. Elle aussi avait des secrets et elle allait devoir me les révéler.

- Pourquoi ma mère s'est-elle adressée à toi ? demandai-je à Luka.

- Je suis le dieu des voleurs.

- Comment savait-elle ?

- Tu l'ignores ?

- Oui, affirmai-je déconcertée.

- Alors la bohémienne ne t'a pas offert tous ses souvenirs.

J'allais le couper, mais il me devança.

- Oui, je suis au courant pour tes visions. Mais ce que tu ignores, c'est que c'est Elija qui a prévenu ta mère. Elle l'a mise en garde d'un danger imminent et elle lui a dit que seul un objet présent à la Grand'Astrée pourrait l'aider. Ta mère m'a alors prié avec ferveur. Mes fidèles ne me sollicitent pas de cette façon et il chuchote encore moins le nom de la Grand'Astrée. Délila savait attirer l'attention.

Cela faisait tellement longtemps que je n'avais pas entendu le prénom de ma mère. J'avais du mal à cacher mon émotion.

- Est-ce que tu l'as bien connue ? lui demandai-je.

- On ne peut pas dire cela.

Je fus un bref instant déçue, j'avais envie de la connaître.

- Pour être honnête, reprit Luka, j'ai mieux connu ton père.

- Alaric ?

- Non, ton vrai père Jonas Weysar.

- Vraiment ! m'étonnai-je.

La haine qui m'unissait à la famille Weysar me faisait oublier qu'elle était la mienne et je pensais très peu à mon père biologique. Je ne pus m'empêcher d'être curieuse.

- Comment était-il ?

- C'était un rêveur. Il croyait en la nature humaine ; ça lui a couté la vie, trancha-t-il sèchement.

J'hésitai, mais finis par dire.

- Le Prince Storm Weysar l'a assassiné.

- Je sais.

Il me dit cela naturellement, guettant la moindre de mes réactions. Décidément, Luka était un personnage étrange.

- Comment l'as-tu su ? demandai-je étonnée.

- Je connaissais ses soupçons quant à la mort de son frère. C'était un homme intelligent, très observateur. Il aurait fait un bon roi. S'il n'était pas né pour ça, il avait tout pour l'être, contrairement à Storm. Une fois mort, il n'a pas été difficile d'en conclure que cela n'avait rien d'un accident.

- Tu n'as jamais rien dit ?

- Ce n'est pas mon combat. Et il faut bien un Prince à Hululy. C'est le seul continent à être devenu un royaume unifié. Cela a mis des siècles, tu sais. C'est presque un exploit. Dans le Conflent, les territoires sont divisés, les clans multiples. Remettre en cause l'autorité de Storm, c'était donner le champ libre aux opportunistes. Le territoire aurait été de nouveau divisé. Il n'y avait personne capable de maintenir la paix dans le royaume. Enfin... jusqu'à ce jour.

Son regard était perçant. Malgré l'obscurité, je sentais tout le poids qu'il faisait peser sur mes épaules. J'étais légitime au trône, il le savait. J'étais la seule de la lignée encore vivante. Est-ce qu'il me demandait de prendre part là où Yaël me conseillait de m'abstenir ?

- Je suis une astréienne, finis-je par dire.

C'était d'ailleurs assez étonnant que je dise ces mots alors que je ne me sentais toujours pas une des leurs.

- Les deux ne sont pas incompatibles, me répondit-il.

- Est-ce qu'elle pense la même chose ?

Il me regarda avec incompréhension.

- Qui ça ?

- Ta femme. N'était-elle pas là à nous écouter ? ajoutai-je pour le provoquer.

Une forme humaine se matérialisa aussitôt de l'autre côté de l'arbre. Si j'avais conscience de sa présence grâce à Yaël, je ne m'étais pas préparé à cela. La femme de Luka était grande, blonde, longiligne, et surtout, je venais de la voir dans ma vision. C'était elle qui avait glissé le message dans le gobelet.

J'étais un peu déroutée et je regardai Luka pour chercher des réponses. Pourquoi m'avait-il fait toucher cet objet ? Pourquoi me faire voir sa femme ? J'étais à présent convaincu qu'il avait déjà l'information que je lui avais donnée. Ce message caché, ce n'était qu'un leurre.

- Qu'est-ce que... Je ne comprends pas, lui dis-je.

- Nous avions besoin de savoir si on pouvait te faire confiance, m'expliqua Luka.

- Et c'est le cas, approuva Sara.

- Comment ça ? la questionnai-je.

- Cet objet ne pouvait te révéler que peu de visions, nous y avons veillé. On devait savoir si tu nous dirais la vérité.

- Et tu as tenu ta parole, ajouta Luka.

- Donc il n'y a pas de message secret ?

- Non, me confia-t-il.

- N'y vois rien de mal, s'empressa d'ajouter Sara. Sache que je suis très heureuse de te rencontrer Isabelle de Valdéria. Ou devrais-je dire... Princesse Weysar.

Elle s'inclina légèrement avec respect. Je l'observai incrédule et déplaçai mon regard vers Luka. Il continuait de me scruter avec intérêt. Un large sourire vint emplir son visage. Il semblait satisfait de la situation.

Moi, j'étais un peu perdue, mais étrangement leur subterfuge ne me dérangeait pas. J'étais au contraire rassurée de savoir qu'ils ne préparaient pas quelque chose de suspect auquel je participais malgré moi. Et surtout, je pris conscience que je venais de me faire deux alliés dans la guerre qui m'attendait.

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