Chapitre 14
Dès que je revins au bois millénaire, je remarquai Misha. Il m'attendait et guettait mon arrivée. Je descendis d'Elya et la laissai repartir à sa liberté avant de le rejoindre. Je lui demandai alors sans détour.
- Misha, tu sais où est Yaël ?
- Il y a un petit changement de programme, m'informa-t-il. Yaël a dû s'absenter. Tu vas devoir te contenter de moi. Tu veux qu'on s'entraîne ?
En temps normal j'aurai dit oui, mais...
- Pas aujourd'hui. Je crois que j'ai un peu trop fait la fête hier.
- Tu t'es encore disputé avec Yaël ? me questionna-t-il.
- Non, pourquoi dis-tu cela ?
- Pour rien. C'est juste qu'il est parti au Lac avec Stan et il avait l'air contrarié.
- Ne t'inquiète pas, il a dû avoir un truc de dernière minute à régler, assurai-je ne sachant pas vraiment quoi dire d'autre.
- Il quitte rarement la Grand'Astrée, précisa Misha. C'est étrange d'ailleurs parce qu'il connaît très bien l'Autre monde. Il m'a confié qu'avec Stan, ils ont franchi la totalité des passages qui relient nos deux mondes. Ils en ont dressé une carte. Yaël sait exactement où se trouvent toutes les portes d'accès. C'est lui qui a demandé à ce qu'on nous enseigne le nom de tous les lacs et points d'eau important, au cas où on aurait besoin de revenir en urgence à la Grand'Astrée.
- Je l'ignorai.
- Il connaît ton monde parfaitement, m'assura-t-il.
- Tu le considères toujours comme le mien, constatai-je.
- Pas toi ?
Indéniablement. Je ne répondis rien cependant. Il prit sans doute mon silence comme un aveu.
- Dans quelques semaines, je pourrai enfin le découvrir, se réjouit Misha.
- Tu vas fêter tes quinze ans, compris-je.
Il acquiesça. Les enfants n'avaient pas le droit de franchir le portail avant cet âge. Il fallait d'abord qu'ils sachent se défendre et qu'ils apprennent les coutumes des différents peuples. Les astréiens avaient une meilleure connaissance que moi de mon fameux monde ! Ils en connaissaient les frontières, les territoires, les royaumes et les coutumes de leurs habitants. Je n'avais d'ailleurs jamais réalisé qu'il y avait autant de gouvernements différents. Entre les monarchies, les cités libres, les républiques, les épistocraties, les ploutocraties et les principautés, c'était un vrai casse-tête. Il y avait tant de petits territoires dans le Conflent.
Je me demandai où Yaël allait nous trouver un refuge. Sûrement pas dans le royaume de Hululy et apparemment ni chez les bohémiennes. Et je lui déconseillais fortement de me parler de Madame Otto et de la cité d'Astrée.
- Où est-ce que tu comptes te rendre ? interrogeai-je Misha.
- Tu as un endroit particulier à me conseiller ?
- Je ne connais pas le Conflent et je n'avais jamais quitté Azadjan avant mon mariage, je ne pense pas être de très bons conseils.
- C'est comment Azadjan ?
- Très vert, j'aime énormément, dis-je enthousiaste de lui parler de mes terres. Il y a beaucoup de champs de culture, mais ce que j'aime le plus c'est la forêt qui entoure les murailles de la ville. Ce n'est pas tant qu'elle est incroyablement belle comme celle-ci – m'exclamai-je en montrant l'environnement autour de nous – mais je ne sais pas, j'ai toujours eu l'impression qu'elle avait une âme. Ça restera à jamais pour moi un endroit magique.
- Je m'y rendrai un jour et je repenserai à notre discussion.
Je lui souris tendrement. Misha était quelqu'un d'attachant.
- Si jamais tu t'y rends prochainement, est-ce que tu pourrais t'assurer que mon cousin va bien ?
- Théo, c'est ça ?
- Oui.
J'étais heureuse qu'il se souvienne de son prénom. Je savais que s'il irait à Azadjan, il penserait à prendre de ses nouvelles.
- Tu n'arrives toujours pas à avoir de visions de lui ?
- Toujours pas, dis-je un peu désespérée.
J'arrivais à provoquer mes visions sans personne à présent, mais j'avais uniquement des visions de ce que je touchais. J'avais appris l'histoire de la bohémienne grâce au collier, je n'avais rien qui me rappelle mon cousin. J'avais bien essayé de prendre la peinture que mon oncle m'avait offerte, mais j'avais eu la vision du moment où il l'avait faite réaliser. Je n'avais décidément pas les visions que je souhaitais et j'en étais encore totalement tributaire. J'aurais aimé en parler avec Kamilla. Je pensais en plus qu'elle allait m'aider pour que je découvre qui a tué Yorï, mais cette femme n'était pas vraiment commode.
- Laisse-toi du temps, me dit Misha.
Toujours cette histoire de temps, que je n'avais pas. Je n'avais même pas eu de nouvelles visions de cet être qui grandissait en moi. Est-ce que ça faisait de moi une mauvaise mère ? Est-ce que la Grand'Astrée avait mis sa croissance en pause comme elle le faisait pour tous les autres astréiens ? Était-ce pour ça que je n'avais pas eu de nouvelles prémonitions le concernant ?
- Elle n'en a plus à t'en consacrer Misha, fit une voix derrière nous. C'est mon tour, barre-toi.
- Luka, dit Misha ennuyé. Pas possible, navré. Je reste avec elle.
- Laisse-nous Misha, lui dis-je également.
- Mais Izi, Yaël m'a dit de... commença Misha.
- Je sais, le coupai-je, je ne serai pas longue. On se rejoint chez moi, d'accord ?
Il hésita un instant, mais accepta finalement de nous laisser seuls. Luka continua de maintenir une certaine distance entre nous. Je me demandai s'il faisait cela avec tous les astréiens du fait de son don.
- Luka, je peux t'aider ? lui demandai-je avec un sourire feint.
- Je pense plutôt que c'est le contraire. Comment se passe ton installation à la Grand'Astrée ?
- Très bien.
- Ce n'est pas ce que j'ai entendu. Mademoiselle serait plutôt sauvage.
- En quoi cela t'intéresse ? ripostai-je.
- Tu es une nouveauté bien étrange.
C'est vrai que beaucoup d'astréiens, notamment les plus âgés, me regardaient comme une anomalie. Je décidai de couper court et d'être directe moi aussi.
- Bref ! Donc tu connaissais ma mère ?
- En effet, confirma-t-il sans esquiver la question. Une femme charmante, les mêmes yeux verts que les tiens, tout aussi perçants. Des yeux auxquels on peut difficilement dire non.
- Comment l'as-tu rencontré ? m'enquis-je, curieuse d'en savoir plus.
- Elle m'a invoqué. Elle voulait que je vole quelque chose pour elle.
- Pourquoi voudrait-elle voler un collier ? Il n'a pas excessivement de valeur. La pierre est fine, pas précieuse.
- Elle est plus précieuse que tu ne le crois. Elle vient de la Grand'Astrée.
- Tu as volé un astréien.
- Apparemment.
- Pourquoi ?
Il se rapprocha de moi, pas assez pour me toucher. Il pencha la tête comme pour mieux m'observer.
- Une information contre une information.
- Donc tu as besoin de quelque chose finalement, lui fis-je remarquer.
- Peut-être, dit-il avec un sourire carnassier.
- Que veux-tu savoir ?
- J'ai besoin d'une prémonition.
- Désolée de te décevoir, mais ça ne fonctionne pas comme ça.
- Et si je te donne un objet ?
Il semblait bien informé.
- Je te révèlerai ce que j'ai vu en le touchant si l'information que tu me donnes me satisfait.
- Non, je n'ai aucune garantie que tu aies la vision que je désire, tu ne peux donc pas non plus avoir la certitude que j'ai l'information que tu cherches.
Je réfléchis un instant.
- Avons-nous un accord ? me demanda-t-il.
- Nous l'avons. Que sais-tu sur ma mère ?
- Rejoins-moi ce soir à l'orée du bois qui donne sur le plateau accidenté. Tu vois où c'est ?
- Oui.
- À 21 heures. Ne sois pas en retard.
Il disparut une nouvelle fois comme il était venu, mais j'étais satisfaite. Les choses se mettaient en place. Pour une fois, j'avais confiance en l'avenir. Yaël était à mes côtés, j'allais en savoir plus sur ma mère. J'étais prête à affronter mon destin.
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