Chapitre 12

Nous sommes restés là un certain temps, les mains autour de mon ventre comme si celui-ci était déjà une troisième personne. Au bout d'un moment, Yaël brisa la bulle dans laquelle nous savions si bien nous couper du monde extérieur.

- Je vais devoir en parler à Stan. Il y a des personnes de confiance à la Grand'Astrée Izi et nous devons les mettre dans la confidence si nous voulons protéger notre fils.

J'acquiesçai de la tête. Je savais qu'il aurait besoin d'en parler à quelqu'un. Et puis, je ne doutais pas une seule seconde de l'amitié de Stan, même si ces derniers temps, je le voyais moins. Il faut dire que lui aussi m'en voulait de mon silence.

- Tu devrais également en parler à Anya, me suggéra-t-il.

J'acquiesçai une nouvelle fois ; après tout l'un n'allait pas sans l'autre.

- Je les ferai venir ce soir, conclut Yaël.

- Yaël, je vais devoir quitter la Grand'Astrée, dis-je à demi-mot.

- Je sais, dit-il dans un soupir. Laisse-moi quelques jours pour organiser ton départ. Pour l'instant, ta grossesse passe inaperçue. Nous avons encore un peu de temps pour nous y préparer.

- Est-ce que... est-ce que tu partiras avec moi ?

J'avais peur de sa réponse. Je savais qu'il était lié à la Grand'Astrée, que c'était ici sa place. Son statut imposait sa présence. Il venait déjà de s'absenter plusieurs mois. Je doutais qu'il puisse aisément le refaire. Et que dirions-nous aux gens ?

- Tu ne vas nulle part sans moi, m'affirma-t-il.

J'eus l'impression qu'un poids venait de disparaître de ma poitrine.

- Laisse-moi juste le temps de réfléchir à tout ça. Tu n'es pas sans savoir que cette situation est inédite chez nous !

Il parvint à m'arracher un sourire.

- Je ne sais même pas comment cela peut être possible ! s'exclama-t-il.

Moi, de mon côté, j'avais eu le temps de réfléchir à la question.

- À mon avis, les femmes deviennent stériles à leur arrivée à la Grand'Astrée. Je pense d'ailleurs que je ne pourrais pas en avoir d'autres à présent. Mon arrivée tardive en ces terres, et notre voyage prolongé dans les miennes ont permis à l'impossible de se produire au moins une fois.

- C'est une théorie intéressante, me répondit-il, songeur.

- Si elle se confirme, j'ai peur que notre enfant ne puisse pas naître à terme et qu'il ne nous échappe avant même qu'on puisse le connaître. Yaël, nous n'aurons pas de deuxième chance, j'en suis convaincue. Nous devons le protéger. Je dois partir au plus vite. Fais ce que tu as à faire, mais fais-le vite, d'accord ?

Je pensais à cela depuis des jours. J'avais parfois peur que notre enfant soit en train de mourir, voire déjà mort, mais je ne lui dis pas.

- Je vais trouver un endroit où nous mettre à l'abri dès aujourd'hui, m'assura-t-il.

- Je veux rejoindre les bohémiennes.

Celle-ci, il ne s'y attendait pas.

- Elles ont encore beaucoup de choses à m'apprendre, j'en suis certaine, tentai-je de me justifier.

- Il est hors de question que tu ailles là-bas !

- Et pourquoi cela ?

- Dois-je te rappeler que tu es recherchée dans l'Autre monde ? Dois-je te rappeler qu'on a voulu ta mort uniquement parce qu'un jour tu pourrais avoir un fils ?

- Le Prince de Hululy me croit morte ! contrai-je.

- Je t'avais pourtant dit de ne jamais sous-estimer ton adversaire. N'avais-tu pas appris cette leçon ? Qu'est-ce que tu sais exactement du Prince ? Tu ne sais que ce qu'a bien voulu te révéler une traîtresse de bohémienne, qui plus est amoureuse de lui ! Tu n'as qu'une partie des données Izi. Tu ne peux pas parier la sécurité de notre fils là-dessus.

- Il est hors de question que je me terre dans un endroit et que j'oublie ce qu'a fait le Prince, tu m'entends !? Ma grossesse ne remet pas en question notre discussion précédente.

C'est d'ailleurs bien pour cette raison que je voulais commencer par cela ! Maintenant qu'il s'était officiellement déclaré de mon côté, il n'avait pas le droit de revenir en arrière.

- Pourquoi es-tu si pressée de te venger ? Tu auras tout le temps pour ça, ce n'est vraiment pas le plus urgent.

Il n'avait sans doute pas tort, mais j'étais bien trop absorbée par ma quête pour la laisser de côté. Il prit mon menton dans sa main et releva mon visage vers lui.

- Est-ce que sa mort te ferait plaisir ? Est-ce ça dont tu as besoin ?

Je le regardai, captivée par le bleu de ses yeux. Je n'y avais pas réfléchi en ces termes. Pouvait-on se réjouir d'une mort ? Peut-être... Est-ce de cela dont j'avais besoin ? Non.

- Je peux t'offrir sa vie si c'est ce que tu désires, me proposa Yaël on ne peut plus sérieusement.

Je pris alors conscience que je voulais bien plus que la vie de Storm. Je voulais son honneur, son âme, je voulais salir son nom, montrer à tous l'ignoble personne qu'il était. Je voulais qu'il souffre, qu'il se repente et qu'il sache que j'étais la cause de sa ruine.

Yaël n'aurait sans doute pas de mal à s'introduire de nouveau dans le Palais. Il le tuerait, je n'en doutais pas. Mais ce serait une mort rapide, tapie dans l'ombre. Le Prince deviendrait un martyr, une victime innocente.

- Non, je veux lui prendre ce qu'il a de plus cher. Son trône.

- Tu ne peux pas revendiquer le pouvoir Izi.

- Je le ferai pour notre fils.

- Et tu crois lui faire un cadeau ? Tu penses vraiment que c'est une bonne idée de le faire devenir une cible pour tous ceux qui auraient envie de renverser la monarchie ? Avoir des responsabilités ce n'est pas un cadeau, c'est une charge que l'on a tous les jours, à laquelle on ne peut jamais échapper. Avoir un peuple, cela signifie en prendre soin constamment, c'est une vie d'abnégation. Je ne souhaite pas ça pour notre enfant.

Était-ce ce qu'il pensait pour lui-même ? Sans doute, mais il ne voyait qu'avec son propre regard. Le mien était tout autre.

- Et que souhaites-tu pour lui ? Une vie de labeur, des journées entières à travailler pour seulement subsister ? Craindre les autres, une vie de peur dans l'attente qu'un cavalier rouge vienne un jour et détruise tout ce qu'il a construit ?

- Tu sais très bien qu'il n'aura pas cette vie.

- Et où crois-tu qu'il va vivre ? Dans quel monde ? Je compte bien à ce qu'il ne devienne jamais un astréien. Je ne pense pas que tu aies envie de mourir et moi non plus ! Cet enfant ne sera pas orphelin, on le sait tous les deux. Il ne verra jamais la lumière Yaël. Il vivra normalement, sans aptitude, sans magie.

- Tu n'en sais rien.

- Je préfère mille fois qu'il ait du pouvoir plutôt qu'il subisse celui des autres. Je préfère qu'il devienne un roi fou plutôt qu'il subisse la folie d'un autre.

- Et que comptes-tu faire exactement ? Renverser la dynastie des Weysar ? Devenir la reine régente ? Tu ne vis plus là-bas ! Ton peuple est ici, avec moi.

- Je croyais que j'avais le choix ! protestai-je.

- Moi je ne l'ai pas ! Je ne peux pas tout quitter et vivre au Mont d'Or. Est-ce que tu réalises seulement que tu vas vieillir, pour finalement mourir en vivant là-bas ? s'énerva-t-il.

- Yaël, dis-je d'une voix douce, je l'ai toujours su.

- Je t'offre la vie éternelle.

- Je n'en veux pas.

- Izi... Tu vas me rendre dingue. Et nous alors, qu'est-ce que tu en fais ?

- Je ne sais pas. Je ne sais pas ce que je veux. Je ne sais absolument plus où j'en suis. J'ai peur Yaël.

- Je pensai être plus important pour toi que ça, conclut-il. Habille-toi, nous devons partir.

La discussion était close. J'avais envie de lui crier que moi aussi je pensais être plus importante. Ne pouvait-il pas tout quitter pour moi et notre enfant ? Si moi je devais l'accepter, pourquoi lui n'y arrivait pas ?

Je ne dis toutefois rien et je m'habillai rapidement. Une fois prête, je le prévins.

- Je vais rejoindre Misha.

- Tu ne vas pas à l'école et les entraînements, c'est fini pour toi, me répondit-il froidement. Tu aurais déjà dû y mettre un terme, tu ne peux pas te battre dans ton état.

- Je ne suis pas malade, râlai-je.

Yaël commença à s'agacer.

- Tu es prête ?

- Oui.

- Alors, allons-y.

- Et où allons-nous ? m'énervai-je à mon tour.

- Une vieille amie à moi fait le chemin tous les ans pour l'Équinoxe. Il faut que tu la rencontres avant son départ.

- Maintenant ! m'exclamai-je. Pourquoi ?

- C'est la femme de Yorï.

***

Chers vous tous ! Sachez que j'ai adoré écrire ce chapitre ! 😃

J'espère que vous, vous avez pris plaisir à le lire ! 😊

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