Chapitre 47

Si on parle souvent du mal de mer, il faudrait en dire davantage sur le manque de terre. Elle m'avait désespérément manquée. À part, l' « épisode » avec Yaël, nous avions eu un temps radieux pendant toute la traversée. Je n'en pouvais plus de l'intensité du soleil, je voulais pouvoir respirer à l'ombrage des arbres et sentir la légère brise dans mes cheveux et non plus ce vent marin, salé et asséchant.

Le voyage avait été également éprouvant pour nos chevaux. Ils avaient envie de se dégourdir les jambes, je les comprenais, mais nous devions avant tout prendre des vivres à Emery, notre ville d'arrivée, pour la route qu'il nous restait à accomplir. Nous n'y restâmes toutefois que très peu de temps. À peine débarqués au port, nous nous rendîmes à la place du marché pour acheter ce dont nous avions besoin et repartir au plus vite.

Il ne faisait aucun doute que nous n'étions plus dans le royaume de Hululy. J'entendais des dialectes dans toutes les langues, dont de nombreuses m'étaient étrangères. Le brassage des cultures était incroyable. Je vis une belle gitane, aux cheveux de jais et aux yeux émeraude, et derrière elle, un homme barbu, torse nu, arborant des peintures ancrées sous sa peau, sans que cela ne gêne personne. Toutes les cultures étaient représentées sans aucun tabou, chacun manifestant par des signes extérieurs une identité qui lui était propre. Mes yeux s'émerveillaient en même temps qu'ils appréhendaient cette nouveauté.

Les rues de la ville étaient plutôt larges et c'était tant mieux, car il y avait une forte affluence. Nous avions du mal à nous frayer un chemin, d'autant plus avec les chevaux. Le marché rassemblait beaucoup de monde. Il y avait des étals en tout genre. On vendait les produits de la pêche, des fruits et des légumes, du miel, du fromage et encore toutes sortes de production locale. Il y avait des sculptures, des meubles, des tapis, des étoffes et des bijoux. On y trouvait de tout. À cela, s'ajoutait de longues tables recouvertes de luxuriantes épices qui égayaient encore davantage ce marché, déjà haut en couleur.

Le décor était indéniablement très éloigné de celui des rues d'Azadjan. J'avais toujours particulièrement aimé ma ville, mais je me rendais compte que je ne connaissais qu'elle. Il y avait mille et une merveilles à découvrir aux quatre coins de notre terre. J'en prenais conscience en regardant toutes ces notes hétéroclites qui s'offraient à moi. Ce n'était finalement pas que cela soit si beau, c'était juste différent, dépaysant, voire rafraîchissant. Cela en devenait fascinant simplement parce que je n'avais jamais rien vu de similaire. Je n'avais jamais observé tant de diversité dans un même lieu, si bien que je ne savais plus où regarder et me retrouvais partagée entre l'envie d'observer et de comprendre ces différentes cultures et la gêne de fixer un étranger simplement parce qu'il était différent de moi.

J'étais prise dans cette cohue lorsque mon regard se fit happer par une amulette, suspendue à l'un des étals. Sa pierre devint translucide sous l'éclat du soleil et l'ambre se teinta soudainement de sa lumière, comme pour m'interpeller. Je m'arrêtai instinctivement et la regardai.

Le collier m'apparut alors clairement autour du cou d'une femme aux longs cheveux bruns, la peau légèrement hâlée et de grands yeux noirs. Elle devait avoir 28 ans environ. Je ne vis pas ce qu'elle faisait et ne parvins pas non plus à deviner ses pensées. Je la voyais juste elle.

Je demandai sans attendre au marchand.

- Combien pour ce collier ?

- Trois pièces.

- Je t'en donne deux, répondit Yaël avant moi.

Le vendeur y consentit, prit l'argent de Yaël et me remit le collier.

- Pourquoi l'as-tu voulu ? me demanda Yaël.

- J'ai ressenti le besoin de l'avoir en ma possession. Ce collier... il est différent, dis-je en l'admirant dans la paume de ma main.

Et c'était vrai, il m'attirait incontestablement. Pourtant, je ne lui confiai pas ma vision et m'abstins de lui parler du portrait de la femme que je venais de voir. Je ne savais pas vraiment pourquoi.

Stan alla chercher plusieurs gourdes d'eau pendant que Yaël et moi nous nous chargions de la nourriture. La prochaine ville dans laquelle nous devions nous arrêter était celle d'Astrée. Nous n'étions plus très loin de notre destination finale. La route qui nous attendait serait toutefois bien moins accueillante que celles de Hululy. Yaël m'avait décrit un paysage aride et austère. Il n'y aurait pas d'arbres sous lesquels s'abriter ou dormir, il n'y aurait que la sécheresse.

Et effectivement dès que nous quittâmes les murailles de la ville, une terre rouge et désertique nous fit face. La chaleur était suffocante. Les garçons ne m'avaient pas vraiment dit combien de temps nous allions mettre pour rejoindre la Grand'Astrée. D'ailleurs, la façon même de s'y rendre restait pour moi énigmatique. Je ne savais pas à quoi m'attendre pour franchir cet étrange portail.

Les garçons n'étaient pas très loquaces sur le sujet et pour être honnête depuis que nous étions dans le Conflent, ils n'étaient pas bavards du tout. J'avais même l'impression que le regard de Yaël me fuyait. Avaient-ils finalement peur que je ne sois pas capable de rejoindre leurs terres ?

Nous nous arrêtâmes à la nuit tombée. Le climat changea rapidement, le vent devint plus mordant et se refroidit vite. Yaël alluma un feu autour duquel on s'installa. Nous étions au milieu de nulle part. Aucun recoin pour nous dissimuler. Il n'y avait rien que cette terre rouge et craquelée où rien ne poussait, si ce n'est quelques rares arbustes, eux aussi desséchés.

J'étais fatiguée et mangeais peu. Étrangement, je me sentais un peu barbouillée depuis que nous avions remis les pieds sur la terre ferme. Je mettais ça sur le compte de l'angoisse de l'inconnu, dont la découverte était imminente.

Je me glissai contre Yaël pour m'endormir, mais ne trouvais pas le sommeil. J'observai les flammes danser au sein du foyer encore actif. Stan ronflait en face de moi et Yaël s'était lui aussi assoupi. Il dormait à poings fermés, son visage enfoui dans ma nuque. Je n'osais pas bouger, de peur de le réveiller, et je restai prisonnière de ses bras.

Je n'arrêtais toutefois pas de repenser à ma vision. Les traits du visage de la jeune gitane ne cessaient d'apparaître dans mon esprit.

Les minutes passèrent et le sommeil ne vint toujours pas. Je n'y tins plus. Je passai ma main le long du bras de Yaël en le soulevant légèrement pour me dérober de son étreinte. Je déplaçai ma besace, pour lui servir d'appui, et me relevai en direction des sacoches, qui étaient restées près des chevaux. Je m'emparai de l'amulette prise au marché. Elya m'observait et je ne sais pas pourquoi cela me mit mal à l'aise. Je glissai le collier dans ma poche et m'éloignai de notre campement.

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