Chapitre 44
Je regardai Yaël comme si je le voyais pour la première fois.
- Tu es un dieu ? le questionnai-je en réalisant ce qu'il était.
- Les dieux, ça n'existe pas, affirma-t-il. Réfléchis-y l'espace d'un instant. C'est vous qui avez fait de nous des dieux, mais nous en sommes bien loin, crois-moi. Est-ce que tes souhaits ont toujours été exaucés ? Est-ce que ces dieux t'apportent concrètement quelque chose ? La réponse est non, même si vous vous convainquez du contraire. Ce n'est qu'un divertissement, Izi. Tes divinités s'amusent simplement avec vos vies, certaines de façon bienveillante je te l'accorde, mais tu dois bien reconnaître qu'elles agissent parfois avec cruauté. Pourquoi ? Simplement parce qu'elles le peuvent. Vous cherchez des causes, des explications à tout pour vous rassurer et continuer à vivre et bien désolé de te décevoir, mais il n'y en a pas.
- Les dieux existent, proclamai-je à voix haute sans vraiment que cela lui soit adressé.
Il m'envoya un regard courroucé.
- Je veux dire physiquement. Tu les connais, tu les côtoies, tu appartiens à leur cercle. Ce sont des astréiens, finis-je par conclure.
- Oui, Izi... mais c'est vous qui avez fait de nous des dieux.
- Et comment aurait-il pu en être autrement ? m'agaçai-je. Yaël, regarde à travers ce hublot ce que tu es en train de faire ! Qu'est-ce que vous êtes si vous n'êtes pas des dieux ?
- Je ne veux pas que tu nous voies ainsi.
- Et à quoi est-ce que tu t'attendais, bon sang !? Te rends-tu simplement compte de ce que tu es en train de me dire ?
Je ne savais plus quoi penser, je ne m'arrêtais pourtant plus de parler.
- Même si tu ne souhaites pas le reconnaître, tu es un dieu. Tu vis avec eux, tu joues avec les forces naturelles à ta guise. Tu l'as dit, tu peux ravager des forêts, détruire des villes, tu as le pouvoir de vie ou de mort sur nous. Comment peux-tu dire que les dieux n'existent pas !? Peut-être que de là d'où tu viens, vous ne vous nommez pas ainsi, peut-être que vous riez de nos croyances, peut-être que vous ne considérez pas l'importance et l'impact que vous avez sur le cours de nos vies, mais Yaël, peu importe le mot, peu importe le nom que tu lui donnes, tu es un dieu ! Des milliers de personnes vous implorent nuits et jours et même si tu choisis de ne pas les écouter, de ne pas être ce qu'ils veulent que tu sois, tu es là, aujourd'hui devant moi, à deux doigts de couler ce navire.
Mais qu'est-ce que tu attends de moi ? continuai-je sans pouvoir m'arrêter. Comment croyais-tu que j'allais réagir à une telle annonce Yaël ? À un moment, je crois te connaître et la seconde d'après je réalise que j'ignore tout de toi ! Et c'est ta faute ! Tu ne me dis jamais rien ! Tu parles toujours avec des sous-entendus, pleins de mystères. Il y a un temps pour tout avec toi. Et quand tu te décides à me donner des miettes d'informations, il faut que je les devine la plupart du temps. Rien n'est jamais simple avec toi. Regarde cette discussion. On aurait pu se retrouver tous les deux ici à en parler calmement. Tu as eu des dizaines d'opportunités, mais non, tu as dû alarmer tout le navire et déchaîner une véritable tempête au lieu de me dire les choses simplement. Je n'en peux plus Yaël ! Cette terre que tu aimes tant, je ne la connais pas et tu ne me donnes pas envie de la découvrir. La Grand'Astrée me terrifie. Les dieux sont cruels, personne ne l'ignore, on ne demande qu'un peu de miséricorde et tu t'en scandalises. Tu devrais avoir honte de ton attitude.
Je m'arrêtai à bout de souffle et le considérai, furieuse.
- Tu as fini ? me demanda-t-il alors.
- Et toi ? lui lançai-je avec défi en lui désignant le hublot.
Je n'attendis pas sa réponse et claquai la porte en sortant. Je tremblai de partout, il fallait que je me ressaisisse. L'adrénaline coulait dans mes veines, mon cœur battait à toute vitesse, j'avais du mal à réfléchir et je me dirigeai instinctivement vers les écuries. Je descendis à la cale et constatai avec soulagement que le vent se tarissait.
J'entrai dans la stalle d'Elya et instantanément les images de moi et de Yaël à ce même endroit me revinrent en mémoire. C'en était trop. Je m'effondrai au sol et me mis à pleurer. Je libérai toutes les tensions que cette dispute avait occasionnées. Tous mes repères avaient volé en miettes en moins de quelques semaines. J'avais tout perdu.
Elya colla son museau chaud contre moi. Je la repoussai, mais elle insista. J'ouvris machinalement les bras pour lui caresser le chanfrein.
- Finalement, il avait raison, murmurai-je. Tu es la seule qui me reste.
Comme en réponse, quelqu'un toqua contre la porte de la stalle.
- Izi, c'est moi, s'annonça Stan. Je peux entrer ?
- Viens, dis-je.
Il entra et s'assit à mes côtés.
- Yaël m'a dit que tu serais là. Il n'a pas osé venir, m'expliqua-t-il.
- Il n'a pas osé ou il n'a pas voulu ?
- Il m'a demandé de venir te parler.
- Pour me dire quoi ? Tu sais déjà tout, non ? Qu'il y a-t-il à ajouter ?
- Mademoiselle curieuse aurait-elle disparu ? me demanda-t-il, narquois. Tu dois avoir des milliers de questions. Je suis là pour y répondre.
- Pourquoi ? Tu es le dieu de la connaissance ? Tu m'as menti, Stan. Vous m'avez caché la vérité et vous attendez une phrase de ma part pour m'annoncer une telle chose à travers une tempête. Sérieusement, à quoi t'attendais-tu ?
J'étais furieuse, je leur faisais confiance. Je pensais que nous avions dépassé ce stade et qu'eux aussi me faisaient confiance. Mais ils ne m'avaient pas tout dit...
- Je sais, Yaël a été excessif et je suis certain qu'il s'en mord les doigts. Tu sais, pour lui aussi ce n'est pas facile.
Je le fusillai du regard.
- Inutile de me jeter ce regard-là, c'est une vérité ! Cette relation, elle est nouvelle pour lui aussi.
- Si tu es là pour me dire ce genre de chose, je préfère que tu t'en ailles, annonçai-je.
Il me considéra un instant et hésita à partir.
- Izi, je suis désolé, finit-il par dire. Je ne mesure sans doute pas l'impact que cette nouvelle a sur ta vie. C'est vrai, je dois bien le reconnaître. J'ai grandi avec ces gens que tu respectes et à plus d'un titre, ils méritent d'être adorés. Mais, ils sont comme toi et moi. Leurs pouvoirs ont fait d'eux des dieux au sein de votre civilisation, mais hormis ce détail près, ils sont humains. Ce que Yaël a essayé très maladroitement de te dire, c'est que tu ne dois pas t'attendre à des gens exceptionnels, tu ne dois en aucun cas être impressionnée en arrivant à la Grand'Astrée. Ce sont des personnes avec leurs qualités et leurs défauts, rien de plus.
Il ne comprenait pas.
- J'ai grandi en respectant ces personnes, je connais leurs histoires et leurs légendes, j'ai appris à vivre dans le respect et la crainte de ce qu'ils représentent, lui précisai-je. Je ne peux pas simplement effacer cela de ma mémoire. Comment crois-tu que va se passer cette rencontre ?! Je n'en reviens toujours pas qu'ils existent réellement si tu veux tout savoir. C'est vrai, je les ai toujours imaginés comme une âme dépourvue de corps, allant à leur guise à travers monts et marais. Je savais bien sûr qu'ils pouvaient prendre apparence humaine, plus d'un témoignage le confirme, mais jamais je n'avais pensé qu'ils seraient...
- Comme nous ?
- Plus ou moins, lui répondis-je en faisant la grimace.
Je restai un moment à réfléchir à ses paroles. Il respecta mon silence et me laissa à mes pensées. Est-ce que mes croyances étaient vraiment obsolètes ou est-ce eux qui ne se rendaient pas compte du rôle qu'ils jouaient dans nos vies ? Je me posai réellement la question quand soudain, je réalisai l'ancienneté de notre religion.
- Vous êtes immortels ? le questionnai-je de façon empressée.
- Nous pouvons mourir, mais pas de vieillesse ni de maladies. Nous sommes éternels, mais pas immortels.
- Vous pouvez être tués. Un homicide ?
- Oui.
- Vous ne pouvez pas guérir les plaies ?
- Que si Éléanore est là.
Éléanore était réputée pour sa connaissance des plantes et ses capacités de guérison.
- La grande guérisseuse.
- Oui et je dois te dire qu'elle est plutôt fière de ce titre.
- Elle peut, elle accomplit des miracles ! Mais je ne comprends pas, si comme le prétend Yaël nous ne sommes là que pour vous divertir, comment cela fonctionne ? Pourquoi Éléanore intervient-elle dans nos terres ? Pourquoi est-ce que vous faites ce que vous faites ?
Stan n'hésita pas un instant avant de me répondre. Il tint parole et il se mit à me raconter l'histoire de son peuple...
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