Chapitre 4


Le prêtre saisit ma main et me fit prendre conscience de mes tremblements. Il me l'enlaça de nouveau à celle de Yaël comme si de rien n'était. Je ne m'étais même pas rendu compte que je l'avais lâché.

Il prononça alors les phrases rituelles, cette fois-ci dans le langage courant.

- Ma fille, mon garçon, enfants de la terre de notre sainte Gaïa, vous qui venez de l'Ancien et du Nouveau monde, c'est en ce lieu saint que nous sommes tous réunis aujourd'hui pour vous unir.

Il prit entre ses mains un large ruban de soie dans les tons violines et poursuivit sur un ton solennel.

- Hector de Valdéria, consens-tu à donner ta nièce à cet homme ?

- Oui, j'y consens, proclama mon oncle en se levant.

- René Evinton, consens-tu à donner ton nom à cette fille ?

- Oui, j'y consens, affirma à son tour le père de Yaël.

- Les accords sont donnés devant Aljiyà, gardienne des secrets et des accords scellés en sa sainte demeure.

Le prêtre passa alors le ruban autour de nos poignets, mais n'en fit pas le nœud.

- Nous sommes à la moitié du chemin mes enfants. Il est temps de vous donner l'un à l'autre pour épouse et pour époux. Yaël Evinton, ton père ici présent souhaite perpétuer son nom en te donnant une femme avec qui tu créeras ta famille. Honoreras-tu ta lignée en te comportant en un homme digne et honorable ? Sauras-tu prendre soin de ton épouse ?

- Je m'y engage, assura-t-il, auprès de mon père... et de mon épouse, finit-il en me regardant droit dans les yeux.

Mon cœur rata un battement. Je ne savais plus quoi faire, j'avais envie de crier.

- Isabelle de Valdéria, continua le prêtre, ton oncle ici présent souhaite que tu te rendes digne de l'éducation qu'il t'a transmise. Est-ce que tu montreras la valeur des Valdéria au nom de la mémoire de ton père ?

Je tiquais à ses paroles. En moi, c'était le vide abyssal. Que s'était-il passé ? Qu'est-ce qui était en train de se produire ?

Il ajouta.

- Seras-tu une épouse aimante ?

C'était à mon tour, c'était à moi de parler. Je sentais tous les regards braqués sur moi. J'avais envie de bondir et de disparaître comme la sauterelle que j'avais aperçu la veille.

Qu'est-ce que c'était que cette scène avec le prêtre il y a une minute ?? Pourquoi personne ne réagissait-il ? Je n'avais pas assisté à beaucoup de mariages, mais j'étais certaine que ce n'était pas la coutume que le démon s'y invite et s'adresse à la fiancée avant le prononcé des consentements. Surtout pour lui dire de fuir !

Qu'est-ce que je devais faire ? Ressaisis-toi ! Respire. Mais vite parce que le prêtre attend ta réponse ainsi que la moitié du village !

Je savais ce que je devais faire. Je l'avais toujours su.

- Je m'y engage, dis-je clairement. Auprès de mon oncle et de mon époux.

Le visage de Yaël s'illumina. Ses yeux brillèrent intensément. Le prêtre poursuivit alors son tissage autour de nos poignets. Il s'apprêta à réaliser le dernier nœud lorsqu'un enfant entra en hurlant dans la chapelle.

- Sauvez-vous ! Les... les cavaliers rouges...

Sa voix mourut à ces mots. La chapelle fut prise d'un brouhaha sans nom. Tout le monde se précipita pour en sortir. Je restais pourtant tétanisée, observant la foule, jusqu'à ce que la voix de Yaël me sorte de ma léthargie.

- Viens !

Sa main se fit plus pressante sur la mienne et il m'emmena vers l'abside. Il releva le tapis d'ocre et révéla un passage dont je ne soupçonnai pas l'existence. Il s'y précipita et m'aida à descendre. L'endroit était humide et froid.

Nous longeâmes un mur de pierre avant de tomber sur un feuillage de lierre qui devint de plus en plus dense. Yaël nous y façonna un chemin, écarta les branches de sa main libre et arracha le reste comme il put, à l'aide de ses pieds. Je réalisais alors seulement maintenant que nos poignets étaient toujours liés.

La lueur du jour transparaissait de plus en plus. Je commençais à apercevoir l'enceinte de la ville. La porte sud n'était plus qu'à quelques mètres. Yaël franchit les derniers pas et s'engagea dans cette direction, mais je l'arrêtai.

- Par-là, lui dis-je en désignant la forêt.

Devant son incompréhension, je lui précisai.

- Ils trouveront ce qu'ils cherchent dans la ville, pas dans la forêt. Nous y serons plus en sécurité. Crois-moi.

- Mais que cherchent-ils ?

- À se divertir, répondis-je en haussant les épaules.

Ma réponse ne l'aida pas vraiment à comprendre la situation dans laquelle nous étions, je m'en rendais bien compte, mais nous n'avions pas le temps d'en discuter. Il fallait partir. Il dut en convenir puisque c'est d'un pas commun que nous nous engagions dans les profondeurs de la forêt.

Au bout d'un moment, les arbres étaient si luxuriants que les rayons du soleil n'arrivaient pas à franchir l'opacité des feuillages. Cela donnait à ce lieu quelque chose de mystérieux, d'autres auraient dit de maléfique. Personne n'aimait venir ici, si bien qu'on surnommât ce bois, la « forêt maudite ».

Pourtant, je savais que nous y serions en sécurité. Ces ténèbres étaient depuis longtemps mon refuge. La peur irrationnelle des gens pouvait parfois avoir du bon, j'y étais tranquille.

Je guettais du coin de l'œil les réactions de Yaël. Je n'avais jamais emmené personne ici. Il ne semblait pas déstabilisé, plutôt contrarié. Ce ne devait pas être le mariage dont il rêvait.

- Qui sont les cavaliers rouges ? me questionna-t-il.

Il était étranger de nos coutumes. Le Conflent n'avait pas de royauté. Les rouages de la monarchie Hululienne étaient nombreux et leurs dérives aussi. Les cavaliers rouges n'en étaient qu'un exemple.

- Les cavaliers rouges sont les bras armés de la couronne, dis-je calmement. Ils font respecter la volonté du Prince.

- Mais qu'est-ce que le Prince cherche donc à Azadjan ?

- Rien.

Devant son regard incrédule, j'anticipais sa prochaine question.

- Ils sont là pour rappeler qui détient le pouvoir. Les cavaliers rouges vont et viennent à travers le royaume dans une parfaite violence légalisée. Ils pillent, violent les femmes, instaurent un climat de terreur autour de leur personne. Ils rappellent ainsi constamment que nul ne peut leur résister. La légende raconte même qu'ils sont les fils de Yärl le grand.

- Rien que ça, dit-il, étonné.

Il ne semblait pas s'en formaliser.

- Et personne n'a jamais essayé de les combattre ? osa-t-il me demander.

- Ils seront partis ce soir, il suffit d'attendre, précisai-je.

- Et ces hommes et femmes qui sont en train de se faire violenter, leur faut-il également attendre et ne jamais réclamer justice ?

Son ton hautain m'énerva instantanément. Comme si les hommes du Conflent étaient mieux que ceux de Hululy. Comme si j'étais heureuse de cette situation. Et qui pouvais-je, moi, si le monde était ainsi fait ? Je lui répondis aussitôt.

- C'est la justice du Prince à laquelle tu assistes. Toute rébellion conduit à l'écartèlement. Veux-tu être condamné pour lèse-majesté à tenir de tels propos ? Ne t'y méprends pas, leur acte, leur fidélité n'appartient qu'à la couronne.

Ses yeux me lancèrent des éclairs. Je ne savais pas pourquoi il était si énervé. Le monde ne pouvait pas être si différent dans le Conflent ! Le pouvoir, c'est le pouvoir, il était toujours accompagné d'effets néfastes.

Je m'attendais à ce qu'il s'insurge, mais après un long soupir, il dit simplement.

- La couronne n'est pas ce qu'elle devrait être.

À cela, j'acquiesçai. Puis, le silence s'installa entre nous. Je ne savais pas quoi lui dire et je réalisais soudain ce que nous étions à présent l'un pour l'autre. Mari et femme.

Le ruban à mon poignet m'en rappelait tout le sens. Je ne connaissais pourtant rien de lui. J'aurais dû avoir mille questions à lui poser, j'en avais tellement en tête, pourtant aucune ne me vint.

Ce silence ne semblait pas le déranger, du moins il ne le rompit pas. Je sentis son regard se poser sur moi. Les battements de mon cœur s'intensifièrent lorsque je pris conscience que nous étions seuls dans cette forêt et qu'il avait tous les droits sur moi.

J'avais fui un prédateur pour me cacher avec un autre.


***

Voici le début de mon histoire, n'hésitez pas à commenter et voter pour me dire ce que vous en pensez :)

Je publierai un chapitre tous les deux jours. A très vite !

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