Chapitre 37
J'avais très envie de lui, mais j'étais très anxieuse de la suite. C'est étrange, je ne l'aurais pas aimé, je l'aurais fait sans me poser de questions, m'y étant préparé psychologiquement depuis des années, mais maintenant que je l'aimais, je dois avouer que j'avais peur de le décevoir. Je n'avais aucune expérience. Nous n'en avions jamais parlé, toutefois lui, il devait en avoir. On ne reste pas 21 ans sans rien faire, surtout pour un homme, qui plus est Yaël qui est beau comme un dieu et qui maîtrise les quatre éléments... Quelle fille ne succomberait pas ?
Il devait donc avoir des attentes particulières, mais lesquelles ? J'étais tellement nerveuse. J'avais peur d'être maladroite.
- Merci beaucoup pour le tableau. C'est tout ce qu'il me reste de ma famille. Je suis vraiment heureuse que tu l'aies retrouvé, lui dis-je, sincère.
Je me détachai alors de lui et me relevai pour me diriger vers le petit salon.
- On va le mettre là. Qu'en penses-tu ? lui demandai-je en déposant le cadre sur la petite table à droite de l'entrée.
- Oui, ça me semble très bien, dit-il un peu surpris du changement d'ambiance.
Je me rendais compte du ridicule de la situation et j'essayais de me ressaisir, mais à la place je m'enfonçais dans des banalités affligeantes qui n'avaient pas lieu d'être à ce moment précis.
- Oui, je pense que l'on devrait aménager autant que possible cet espace. Après tout, nous allons y rester un certain temps.
- Oui, c'est une bonne idée, quoique nous n'ayons pas vraiment beaucoup d'affaires, me rappela-t-il.
- C'est vrai... mais je me disais que l'on pourrait réunir quelques objets et dresser un autel en l'honneur de Keysia, la déesse du foyer.
- Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, dit-il d'une voix blanche.
- Oui, tu as raison, il vaut peut-être mieux attendre d'être dans notre véritable foyer. On en fera un pour honorer Aequor. Nous aurons bien besoin de sa protection pour traverser cette mer sans encombre.
C'est vrai, tous les pécheurs priaient fervemment le dieu de la mer. Il était le seul à pouvoir nous protéger lorsque nous chevauchions les océans.
- Non, il est hors de question de personnifier son culte dans cette chambre, Izi.
Son ton fut froid et sans appel.
- Mais, c'est le dieu de tous les océans, m'exaspérai-je, s'il y a bien un dieu à prier en ce moment, c'est lui !
- Nous n'avons nullement besoin de sa protection. Je suis là, je te rappelle. Je maîtrise le vent et je contrôle l'eau. Il n'y aura aucune tempête, tout se passera bien, il est inutile de prier ton dieu, dit-il avec dédain.
- Pourquoi est-ce que tu dis ça comme ça ? Ton dieu, c'est notre dieu à tous. Tu ne crois pas aux anciens dieux ?
- Ni aux anciens, ni aux nouveaux, Izi. C'est n'importe quoi tout ça et je m'oppose formellement à ce que tu fasses de notre sanctuaire le leur.
J'en restai bouche bée.
- Comment est-ce que tu peux dire ça ? Nous nous sommes mariés devant ces mêmes dieux. Ils rythment nos vies et notre quotidien. De telles paroles vont entraîner leur courroux, tu n'es pas fou de dire des absurdités comme celle-ci. Bien sûr que nous allons les prier et oui, il y aura un autel en leur mémoire !
- Non, il n'y en aura pas. Izi, je suis catégorique là-dessus. Nous n'en ferons pas.
- Mais... Je ne te comprends pas. Est-ce que tu es un de ces partisans du Dieu unique ?
J'avais déjà entendu dire qu'une prophétie annonçait l'arrivée d'un dieu, plus puissant que n'importe quel autre et qu'il viendrait vivre sur terre, devenant dès lors le dieu unique de tous les peuples. Il y avait déjà quelques fervents croyants à cette nouvelle religion, mais ils habitaient au sud du Conflent, je n'en avais jamais rencontré et, pour ma part, il me semblait bien déraisonnable de croire qu'un seul dieu pouvait faire ce que tous les autres dieux réunis faisaient déjà ! Il était bien plus simple et efficace de s'adresser à un dieu spécialisé dans un domaine particulier.
- Je ne crois pas en tes dieux si c'est ta question.
- Tu nies leur existence ?
- Non, bien sûr que non. Je ne les considère pas comme des dieux, c'est tout.
- Pas comme des dieux... Je ne comprends rien à ton charabia, Yaël. Les dieux sont les dieux, c'est tout. Il n'y a pas à les considérer ou non ! Seulement à les respecter et à ne pas les profaner comme tu le fais à présent. Tu veux jeter l'opprobre sur nous ou quoi ?
Il se leva brusquement.
- C'est ridicule. Je ne vois même pas pourquoi nous avons cette discussion, s'énerva-t-il. Depuis quand es-tu devenue si pieuse ?
- Mais je l'ai toujours été, affirmai-je. Certes, je ne suis pas une fervente croyante, je ne prie pas tous les jours, je ne me rends pas aussi souvent au sanctuaire que je devrais le faire, mais je crois en eux, bien sûr, c'est évident ! Je remercie Sylvia à chaque fois que ma flèche atteint sa cible et que je peux savourer le résultat de ma chasse, je remercie Tritya pour le blé qu'elle a bien voulu nous donner, je remercie Éléanore de m'avoir rétablie après de fortes fièvres, je remercie Lilas de m'avoir permis de rencontrer l'amour à tes côtés, je remercie Aliénor de...
- Arrête ! cria soudain Yaël. J'ai compris ! Mais est-ce que tu crois vraiment que ton destin à un quelconque lien avec ces prétendus dieux ? Qu'ils veillent sur toi ? Sérieusement ? Eh bien soit, à ta guise, crois ce que tu veux, mais il est hors de question que nous célébrions un quelconque culte à leur personne, tu peux me croire sur parole. Tu feras ça toute seule et dans ta tête ! scanda-t-il.
- Je te demande pardon ?! Tu es en train de m'interdire de croire en mes dieux ?
- Si je le pouvais oui, c'est ridicule, Izi. Je te croyais plus sensée.
Ce fut la phrase de trop.
- Quoi !? Non, mais tu rigoles là. Je te dis que je veux aménager cet endroit pour nous en faire un petit nid douillet le temps de la traversée et ça se finit en « mes croyances sont fausses et je suis une personne stupide ». Va-t'en, Yaël ! Je n'ai plus du tout envie de te parler pour le moment.
Il ne s'attendait pas à cette réaction et lui aussi dut être déçu par le tournant qu'avait pris cette soirée. Nous étions loin d'imaginer ça.
- Izi, je n'ai jamais dit que tu étais stupide.
Peut-être, mais ses mots avaient résonné de cette façon dans ma tête !
- Izi...
C'était trop tard, je n'avais plus envie d'évoquer le sujet avec lui. Sa position était parfaitement claire et la mienne aussi. Qui demande de renoncer aux dieux ? Le monde entier s'évertue à obtenir leur faveur et moi je devrais y renoncer, sans aucune cause logique, aucun argument, si ce n'est que ce n'est pas censé ! Qu'il aille au diable !
- Je n'ai plus rien à te dire, Yaël.
Et c'est comme ça qu'il était parti en claquant la porte derrière lui.
J'étais vraiment fâchée après lui de m'avoir parlé ainsi. Pourtant, son absence me pesa immédiatement et n'eut pas le moins du monde le réconfort que j'espérais. Nous ne nous étions jamais vraiment disputés avant ce soir, du moins pas comme ça. S'il ne faisait aucun doute qu'il avait tort, il me manquait quand même... J'aurais aimé que cette discussion n'ait jamais eu lieu et que nous continuions comme si de rien n'était, mais ce n'était pas possible et ce n'est pas ce qui se produisit.
Après plusieurs heures, je m'attendais à le voir rentrer pour se coucher auprès de moi, mais les minutes passèrent inlassablement sans me donner de signes de vie de Yaël. La nuit était déjà bien avancée et j'étais désormais couchée depuis longtemps, or impossible pour moi de trouver le sommeil. Je me demandais où il était et ce qu'il faisait. Est-ce qu'il regrettait notre dispute ? Était-il dans le même état que moi ?
S'il était rentré, j'aurais pourtant fait semblant de dormir. Je ne savais pas vraiment quoi lui dire après ce dernier échange, mais j'avais besoin de sentir sa présence, savoir qu'il était là, à côté de moi, surement aussi fâché que je l'étais, mais au moins il serait avec moi.
Ce n'est que lorsque les premières lueurs de l'aurore commencèrent à apparaître que je me résolus à dormir. Il ne rentrerait pas cette nuit. Mon sommeil fut cependant de courte durée.
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