Chapitre 32

Yaël se mit alors à me raconter l'histoire de mes parents.

- Il y a 17 ans, ta mère Delila est venue rejoindre son frère à Azadjan. Elle n'y était plus venue depuis des années. Elle y avait rencontré ton père lorsqu'elle était jeune alors qu'il visitait les différentes provinces du royaume. Elle s'en était éperdument éprise, mais il n'était que de passage et surtout, il n'appartenait pas au même milieu. Ses charmes opérèrent néanmoins sur lui, sans doute les jolis yeux émeraudes dont tu as hérité l'avaient hypnotisé. Elle a choisi de devenir sa domestique pour rester auprès de lui et elle a ainsi quitté Azadjan pour le Mont d'Or. Ils n'ont jamais pu vivre leur amour au grand jour, je ne sais pas trop ce qu'était leur relation, mais, après quelques années, ton père s'est inquiété pour sa sécurité au château. Lorsqu'il a appris qu'elle était enceinte, il lui a ordonné de partir, de peur qu'elle ne soit une victime par ricochet des jeux de la cour. Elle est retournée auprès de son frère aîné dans le plus grand secret. Cinq mois après, ton père Jonas décédait lors d'une chasse à courre et quelques semaines après, tu naissais. L'accouchement ne s'est toutefois pas bien passé. Delila perdait trop de sang, ce n'était pas normal. Elle a fait promettre à son frère d'élever cet enfant comme si c'était le sien, elle lui a fait jurer de ne jamais dire à quiconque qui étaient ses parents. C'est ce qu'il fit, ta mère mourant en couche. Seul ton oncle Hector fut informé de la situation.

- Tu es en train de me dire que mon père n'est pas mon père biologique ?

Il acquiesça de la tête.

- C'est exact. Tu es la fille de Jonas Weysar, décédant légitime du feu Roi Ollard le Grand. Tu es de sang royal.

- Je ne suis qu'une bâtarde, rien de plus ! m'emportai-je sans vraiment savoir pourquoi.

La colère montait en moi sans que je ne l'explique.

- Je me doute que ça doit faire beaucoup d'informations à digérer, dit calmement Yaël.

- Tu ne comprends pas, ce n'est pas tout. Dans ma cellule, j'ai eu plusieurs visions. J'ai vu très clairement le Prince confesser l'empoissonnement de son frère aîné, Henry, et aussi... je l'ai vu assassiner Jonas... mon père.

Poser ces mots m'était difficile et l'appeler mon père encore plus. Il n'était qu'un étranger pour moi, mais je devais faire face et affronter cette réalité, bien que je me sentais totalement dépassée par les évènements.

- On dirait bien que votre Prince est prêt à tout pour le pouvoir, constata Yaël.

- Mais pourquoi s'en prendre à moi ? Je n'ai aucune légitimité, je suis une bâtarde et qui plus est une femme !

- Oui, mais tu n'es pas que ça, Izi. Tu ne connais pas encore la Grand'Astrée, mais crois-moi, tu es plus que cette banale description. Le fait que tu sois à moitié princesse le confirme.

- Ma mort ne lui apporterait rien ! m'exclamai-je.

- Ta mort le priverait de la naissance d'un héritier, déjà souverain sur un autre continent, et ayant des droits légitimes sur le trône, face à un tyran qui n'en a aucun puisqu'il a éliminé sa famille.

Je serrai machinalement mes bras sur mon ventre. Je n'avais encore jamais pensé avoir un enfant avec Yaël. Il semblait que lui oui.

La cruauté du Prince pourrait-elle aller jusque-là ? Je n'avais qu'à repenser à son sourire lorsqu'il avait enfoncé sa lame dans le ventre de son frère pour savoir que oui.

J'avais vu le meurtre de mon père. J'avais du mal à le réaliser. Cela ne changeait pour autant en rien l'affection que j'avais pour celui qui m'avait élevée. Mon oncle. Mon véritable père de cœur. Il était ma famille. Il était celui qui avait été là pour moi quand j'en avais besoin. Cela n'y changerait jamais rien.

- Il faut qu'on le dise, Yaël. Il faut prévenir les Hululiens. Le Prince est détesté, il sera renversé si la population apprend ce qu'il a fait.

- Izi, nous n'avons aucune preuve et ce n'est pas notre combat, temporisa-t-il.

- Comment ça pas notre combat ?

- Tu m'as très bien comprise. On nous attend à la Grand'Astrée. On ne peut pas se permettre de rester plus longtemps.

- Et Théo ? Que va-t-il devenir ?

- Il vaut mieux pour ton cousin qu'on le laisse en dehors de ces histoires. Nous ne pouvons pas prendre le risque de le contacter. Ils nous croient morts à présent, mais si quelqu'un nous voit et ébruite notre passage, crois bien que tous les chasseurs du Prince seront à nos trousses.

Je ne répondis pas. Je ne savais pas bien en réalité ce que je souhaitais. Face à mon silence, il me caressa la joue et me susurra.

- Rien n'a changé, Izi. Ta nouvelle vie t'attend dans le Conflent.

Entre le déchirement de la perte de ma famille et ma destinée incertaine, j'étais totalement perdue. Je n'avais pas la force de protester. En avais-je seulement envie ? J'avais confiance en Yaël et désormais, je n'avais plus que lui.

J'avais imaginé nos retrouvailles passionnées, mais tous ces évènements m'avaient anéantie. Je me sentais vide de l'intérieur. Je me demandai pourquoi mon père m'avait caché la vérité. Est-ce qu'il me l'aurait avoué s'il n'était pas mort avant ? Peut-être attendait-il que je sois plus grande.

Et puis après tout, qu'est-ce que cela aurait changé ? J'étais auprès des miens à Azadjan et, à l'inverse, j'avais détesté le Mont d'Or. Je ne savais pas que ma mère y avait vécu. Mon père m'avait déjà parlé d'elle, mais s'était apparemment contenté de me raconter sa jeunesse, auprès de lui. C'est étrange comme subitement quelque chose qui semblait jusqu'à alors insignifiant peut prendre une importance considérable. Je n'avais jamais vraiment questionné ma famille sur ma mère et maintenant je mourrais d'envie d'en savoir plus. Malheureusement, ils n'étaient plus là. Je venais de perdre les seules personnes qui auraient pu me renseigner.

Après quelques minutes à méditer sur ces révélations, nous faisions le constat avec Yaël que nous n'avions aucune idée de l'endroit où nous étions. Nul doute que ce passage était peu fréquenté, les broussailles étaient denses et il était difficile de nous frayer un chemin dans cet environnement hostile. Yaël défricha le terrain avec sa falcata comme il put, mais les ronces me lacéraient les avant-bras et ne cessaient de s'accrocher à mes vêtements. J'avais l'impression d'avoir des épines dans les pieds et mes muscles étaient vraiment douloureux.

Nous avancions doucement, je ne voyais pas le bout du chemin et je commençais à fatiguer. Je n'avais rien mangé depuis deux jours, j'étais exténuée et je ne savais pas si je pourrais encore avancer longtemps. La douleur physique était pourtant salvatrice, elle me permettait d'oublier celle qui s'ancrait à l'intérieur de moi.

Yaël m'assura qu'en continuant de marcher vers l'Est, nous allions rejoindre la voie royale et tomber sur Stan. Je lui faisais confiance. J'avançais et le suivais sans vraiment m'en rendre compte, mes pieds se mouvaient tout seuls.

Au fur et à mesure, le chemin commença à se dégager et à être plus praticable. Nous marchions néanmoins encore plusieurs heures. Yaël me lançait des regards inquiets, mais je n'avais pas envie de parler. Ma blessure à la tête continuait de me lancer, souvenir d'une bataille que je n'avais pas su mener.

Je revoyais le visage du Prince de Hululy et la haine que j'éprouvais à son égard ne cessait de grandir. Si je n'avais pas su gagner cette bataille, il ne faisait nul doute dans mon esprit que je gagnerai la guerre. Le meurtre de ma famille ne pouvait, et n'allait pas rester impuni.

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