Chapitre 29
Je constatai quelques cadavres qui jonchaient le sol, mais je ne m'y attardai guère. Ma seule envie était de quitter cet endroit au plus vite. Yaël et moi empruntions les escaliers et, une fois remonté au rez-de-chaussée, il me fit signe d'attendre. Il ouvrit en douceur la porte qui nous séparait des galeries à colonnes et jeta un coup d'œil avec prudence.
J'entendis beaucoup de mouvements, trop de mouvements. Il y avait des gens qui couraient en tous les sens, ce n'était pas habituel. Une odeur de fumée me parvint alors. Il y avait incontestablement un problème au Palais. Yaël referma la porte de façon précipitée et on entendit le pas de plusieurs troupes passées juste à côté de nous.
- Que se passe-t-il, Yaël ? Comment va-t-on sortir d'ici ? lui demandai-je.
- Il est possible que j'aie mis le feu au château, me dit-il avec un sourire. Une partie des gardes est mobilisée pour éteindre l'incendie, ils seront moins nombreux à garder la muraille. Il faut simplement qu'on atteigne la petite cour intérieure, à quelques mètres de là. Il y a une porte qui nous mènera à l'extérieur et on pourra rejoindre la ville, s'enfuir et retrouver Stan.
Il tenait toujours sa facalta à la main, de manière assurée. Sa voix ne tremblait pas et il ne semblait pas troublé, ni inquiet, par le nombre de gardes alors que je voyais difficilement comment on allait pouvoir sortir d'ici.
- Comment va-t-on échapper à la vigilance des derniers gardes ? le questionnai-je.
- Je m'en occupe. Toi, tu restes derrière moi. Tiens, j'ai récupéré ceci auprès d'un mercenaire. N'hésite pas à t'en servir.
Il me tendit la dague que mon père m'avait offerte. J'étais si heureuse de l'avoir de nouveau entre les mains, je pensais ne jamais la revoir. Je la serrai contre mon cœur comme si elle pouvait me donner tout le courage dont j'avais besoin.
- Je suis prête, l'informai-je.
Il ouvrit de nouveau la porte et inspecta les alentours. Il semblait n'y avoir personne. Il vérifia à droite et à gauche. Ce corridor comportait de nombreuses ouvertures, quelqu'un pouvait arriver à tout moment. Nous nous précipitions au plus vite vers la porte du fond. Avant de l'ouvrir, Yaël me regarda d'un air entendu.
Il ouvrit brusquement la porte, brandit sa falcata et asséna un coup mortel au soldat qui se trouvait juste derrière. Sans attendre, il se retourna, tout en se baissant, et blessa un second soldat à la jambe. Il lui sectionna l'artère fémorale, l'homme s'effondra sous la douleur et se vida rapidement de son sang.
Les autres gardes de la cour furent immédiatement alertés. Il en restait encore trois. Ils brandissaient leurs armes en avançant vers Yaël, d'un pas menaçant. Ils essayaient de l'encercler.
De mon côté, je vérifiai que personne d'autre ne puisse arriver par-derrière et refermai précipitamment la porte pour plus de sécurité. Je tenais toujours fermement mon pugio, bien que j'étais consciente que je ne ferai pas le poids face à un garde royal. Yaël se plaça entre eux et moi, de manière à me protéger.
L'un des soldats tenta d'éviter le conflit et nous demanda de baisser nos armes. Étonnamment, Yaël s'exécuta. Il posa sa falcata au sol et se redressa, les mains levées. Je le regardai, désemparée. À quoi jouait-il ? Il devait mener ce combat, il était hors de question de retourner dans cette cellule.
Il dut sentir les doutes qui m'assaillaient, mais il ne semblait pas le moins du monde déstabilisé par la situation. Il garda les mains en l'air, signe de reddition, jusqu'à ce qu'il tourne légèrement sa main droite pour la mettre à plat. Il souffla alors légèrement dessus. L'air qui en jaillit se matérialisa en une réelle bourrasque. Les soldats se retrouvèrent violemment projetés contre le mur, soulevés à plusieurs mètres de haut, et retombèrent dans un bruyant fracas. Pas besoin de plus, nos adversaires étaient complètement sonnés et ne se relèveraient pas de sitôt. Je devais bien admettre que sa technique était pour le moins efficace.
- Viens, me dit Yaël en me tirant par la main.
On se dirigea droit sur la petite porte, la même que par laquelle j'étais arrivée. Yaël ne s'arrêta pas pour l'ouvrir et décocha le verrou à la force du vent. Je n'avais jusque-là jamais perçu tous les avantages que cela signifiait de maîtriser le vent.
Nous nous engouffrions à toute vitesse vers la sortie et nous nous retrouvions dans le dédale des murailles du château.
- Une carriole peut venir jusqu'ici, lui assurai-je, il faut suivre le chemin pour retrouver la ville.
- Non, nous perdrions trop de temps et ils se rendraient compte que cet incendie n'est qu'une diversion. En plus, les portes basses sont bien gardées. Il faut descendre dans la fosse.
La fosse était justement prévue pour que personne ne puisse en sortir. Une fois dedans, nous serions prisonniers à nouveau.
- Mais comment en sortirons-nous ?
- Fais-moi confiance et arrête de discuter.
Je m'exécutai, enjambai le muret et me laissai tomber à l'étage inférieur, dans le labyrinthe des murailles du Palais. Nous prenions à droite et longions le plus discrètement possible les murs, en essayant de ne pas nous faire repérer. Je ne voyais pas bien comment on allait sortir de là à présent, mais je suivais Yaël, sans poser de questions.
Je perdis toutefois tout espoir quand j'aperçus la fin de notre parcours. Il n'y avait que le vide sidéral. La paroi s'effritait dans un précipice sans fond, nous n'avions aucun moyen d'y réchapper. Nous étions totalement bloqués et pris au piège. Nous l'avions pourtant repéré avec Stan, nous savions que cette forteresse était imprenable.
Je regardai Yaël totalement perdue.
- Il va falloir que tu continues de me faire confiance, m'assura-t-il.
- Que veux-tu que l'on fasse Yaël ? Nous n'avons aucune échappatoire. Il n'y a aucun passage par ici, nous devons faire demi-tour.
- Nous ne pouvons pas faire demi-tour, ils sont trop nombreux, Izi, tu pourrais être blessée. Il faut qu'on s'échappe et qu'on s'éloigne le plus vite possible d'ici. Pour ça, je ne connais qu'un moyen.
Je le dévisageai sans comprendre où il voulait en venir. Il me désigna des yeux le vide au-dessus duquel nous étions. À peine je suivis son regard que je me sentis prise de vertige. Je reculai instinctivement, j'avais l'impression que le sol risquait de s'effriter à tout moment pour me précipiter dans le vide. Voulait-il vraiment que l'on escalade cette paroi en rappel ?
- Yaël, j'ai le vertige, je n'y arriverai pas.
- Tu vas y arriver. Je maîtrise parfaitement le vent, ce sera comme voler. Tu n'as qu'à imaginer que tu as des ailes, que tu es un oiseau.
Je comprenais alors qu'il n'était pas question d'escalade.
- Je ne vais pas me jeter dans le vide !
- Je crois que tu n'as pas le choix. Écoute, ils arrivent.
Je tendis l'oreille. Des bruits de troupes. Une ronde. Ils allaient nous trouver. Ce n'était qu'une question de temps. Pourtant, je n'étais pas prête à me résoudre à sauter dans ce précipice. L'idée même du cachot me semblait une meilleure idée à l'instant présent.
- Je ne vais pas tuer tous les hommes de ce Palais, Izi, dit-il pour me décider. Ils sont trop nombreux. Saute !
- J'ai peur, Yaël ! Je n'y arriverai pas.
- Donne-moi la main.
Je tremblai, je ne contrôlai pas la peur qui m'envahissait. Elle me figeait sur place, je me sentais incapable d'approcher du bord, alors l'idée même de sauter... Je tendis néanmoins mon bras vers Yaël. Il se rapprocha et me guida doucement vers le précipice. Je me laissai faire comme une marionnette. J'essayai d'éteindre les alertes que m'envoyaient mon cerveau et tous mes réflexes de survie, car il était évident que sinon, je ne sauterais jamais.
- Regarde-moi, Izi. Ça va bien se passer, m'assura-t-il.
Je vis alors cette lumière propre à nous, à ce que nous sommes, qui nous enveloppa d'une aura protectrice. Je me retrouvai dans une bulle dorée et me sentis soudain apaisée. Je m'accrochai aux mains de Yaël et ne le quittai plus des yeux. Ce que j'y lus me fit tout oublier.
J'entendais pourtant les soldats qui approchaient de nous. Ils étaient là, juste à côté. Je compris qu'ils nous avaient repérés et que nous étions désormais à leur portée, quand Yaël me demanda.
- Prête ?
- Oui, lui affirmai-je sans détacher mon regard du sien.
Et il m'entraîna avec lui dans les profondeurs du vide.
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