Chapitre 28

Je le vois courir vers moi. C'est une si belle journée. Il me serre fort contre lui et me soulève en me faisant tournoyer. Je l'aime tellement fort. Il attise tous mes sens. Le vent balaye mes cheveux, le parfum des fleurs m'enivre, son contact m'électrise, je sens son aura m'envelopper. Il n'y a rien de plus doux que le parfum de ses lèvres. Il est tout en tendresse. Indéniablement, je me sens reine quand je suis dans ses bras.

Faites que ce ne soit pas un rêve... Faites que ce soit une prémonition. Je veux le retrouver. Je ne veux pas mourir ici. Yaël...

Je me vois allongée dans les herbes. Je suis enfant. Je sais exactement de quel moment il s'agit. Je viens de perdre mon père. Ma tante m'a expliqué qu'il était mort. Ce mot n'a toutefois pas la portée qu'il devrait avoir. Je ne comprends pas. Je n'arrive pas à saisir le caractère définitif de ce que cela signifie, d'autant que je sais que mon père ne m'abandonnerait jamais.

J'ai tout renversé dans ma chambre et je suis partie, j'ai couru dans la forêt, pas tant de tristesse que de peur. Tout le monde me considérait différemment. J'ai bien vu à leurs yeux qu'un drame s'est produit, mais je refuse d'y être confrontée. Et je cours, je cours dans cette forêt pour échapper à la triste réalité.

Une fois au niveau de la rivière, je hurle cette douleur qui comprime ma poitrine et que je n'avais jamais ressentie avant. Je finis par m'accroupir au sol, les yeux pleins de larmes, et je reste immobile, tentant de ne faire qu'un avec la nature.

C'est à partir de ce jour que ces moments sont devenus des rituels pour moi. Dès que la situation commençait à m'échapper, je m'y rendais. Seule, au contact de la terre, j'avais l'impression de m'y enraciner et ne devenir qu'un élément parmi le reste de la nature. Je saisissais plus intensément chaque détail. J'observais les nuages qui avançaient dans le ciel, je ressentais la caresse du vent dans mes cheveux, j'écoutais le coulis de l'eau et je humais le parfum de la forêt. Dans ces moments, il n'y avait plus que moi et la végétation. Je me sentais libre, détachée de toute obligation humaine. Je pouvais rester là, immobile, des heures entières. Ici, le temps n'avait pas d'importance, il se figeait pour former un véritable havre de paix.

Pourtant, ce jour-là, je n'étais pas aussi seule que je le pensais. Je sentis une présence et relevai la tête pour constater qu'il y avait un jeune garçon, assis de l'autre côté de la rivière, qui regardait le courant emporter les quelques feuilles mortes qui s'étaient déjà mises à tomber à cette époque de l'année. Je ne l'avais pas remarqué en arrivant. Il ne dit rien et fit comme si je n'étais pas là.

Je me mis à l'observer silencieusement, séchant mes larmes et oubliant ma peine l'espace d'un temps. Je ne savais pas pourquoi, mais sa présence ne me dérangeait pas, peut-être parce que ses yeux bleus semblaient aussi tristes que les miens. J'eus aussitôt envie de lui parler.

Je ne l'avais jamais vu auparavant et j'ignorais encore, à ce moment-là, que j'allais souvent revenir ici pour l'apercevoir de nouveau.


J'étais déshydratée et confuse. J'avais des images qui me venaient sans cesse. Des flashs incessants habitaient mon esprit. Je ne saisissais pas tout ce que je voyais, tout était confus. Pourquoi cette vision de mon passé ? Où était Yaël ?

J'avais peur, je tremblais. J'avais perdu la notion du temps. Seule l'humidité de la pièce me ramenait vers la triste réalité. J'étais enfermée ici, sans espoir d'en sortir. Reverrais-je seulement la lumière du jour ? Allait-on me laisser mourir ici seule ? Est-ce que mon unique issue pour abréger mes souffrances était de manger les plats que l'on m'avait apportés ? J'avais tellement soif... Est-ce qu'une seule gorgée me serait fatale ? Combien de temps pouvait-on vivre sans boire ? Depuis combien de temps étais-je ici ? J'avais l'impression que cela faisait une éternité bien qu'au fond de moi je savais que ma capture était récente. Mais dans cet espace confiné, tout me semblait altéré.

Je restai allongée sur la paille, à moitié consciente. J'avais du mal à discerner mes songes de la réalité et je crois que je préférais me laisser aller à mes visions plutôt que de vivre dans ce cachot. Je n'en avais jamais eu autant. Les images s'enchaînaient de façon violente et vive. Mes sentiments étaient décuplés et je les subissais bien plus que je ne les maîtrisais. Je n'étais en réalité plus maître de rien, mon corps décidait pour moi, mon esprit était ailleurs et j'étais submergée par bien trop de sentiments contradictoires.

J'avais conscience du drame qui se jouait autour de moi. L'empoisonnement de mon oncle et de ma tante qui se préparait, la chasse contre Yaël, ma mort imminente. Je n'avais malheureusement aucune arme pour lutter contre cela et fermai les yeux pour me laisser aller à des souvenirs meilleurs.

La lumière qui me saisit alors fut vive. Je distinguais de moins en moins la réalité des songes. Pourtant, j'entendis nettement sa voix qui m'appelait.

- Izi. Izi, réveille-toi, c'est moi.

Yaël... J'ouvris difficilement les yeux et murmurai son prénom.

- On doit partir, Izi. Tu peux marcher ?

Je hochai la tête positivement pour répondre à sa question. Il m'aida à me relever et me soutint en passant son bras autour de ma hanche. L'adrénaline fit son effet et me ramena progressivement dans la réalité.

- Où sont les soldats ? lui demandai-je en alerte.

- Ne t'inquiète pas pour ça.

Nous longions le couloir de pierre afin d'emprunter les escaliers qui menaient au cloitre.

- Mon oncle ? Ma tante ?

Il hésita avant de me répondre.

- Je suis sincèrement désolé, Izi. Je suis arrivé trop tard.

Je m'arrêtai net dans ma course. Mes craintes étaient confirmées, mon univers s'écroulait. Yaël accentua son étreinte et tenta ainsi de me maintenir debout. Je savais que je ne pouvais pas m'effondrer maintenant. On devait sortir d'ici.

Je ravalai les larmes qui tentaient de franchir mes barrières. Je ne dis rien, ne posai pas de questions et me remis à marcher. Je devais rester concentrée, si je mettais des mots maintenant sur ce qui s'était passé, alors je n'y arriverais pas.

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