Chapitre 2

Le reste du trajet fut silencieux. De toute façon, tout avait déjà été dit. Mon oncle négociait depuis des semaines avec la famille de Yaël. Il les avait rencontrés à plusieurs reprises et s'était entretenu avec mon futur époux.

Il n'y avait rien d'étonnant à ce qu'il m'ait mariée. J'étais bien en âge, les femmes se mariaient souvent bien plus jeunes que je ne l'étais. Il était en revanche beaucoup moins habituel d'être promise à un homme de terres si lointaines.

En général, les mariages se faisaient au sein de la cité ou entre celles voisines. Jamais je n'avais vu quelqu'un quitter Hululy pour partir dans le Conflent. La dot était correcte certes, mais rien de bien merveilleux. Et soyons honnêtes, je n'étais personne ! Mon activité principale consistait à aider à la ferme. Comment ce prétendant était-il apparu ? Cette question, je me la posais en boucle depuis des semaines.

Jusque-là, je pensais que mon oncle essayait de me marier au fils du forgeron. Un garçon qui n'avait pas peur de la tâche et qui reprendrait sans aucun doute l'établissement de son père. Hector, mon oncle, devait penser que cela m'assurerait une sécurité financière.

Il avait néanmoins fait le choix de repousser ce moment autant qu'il avait pu et je lui en étais reconnaissante. Je savais qu'ils étaient heureux de m'avoir au sein de leur foyer bien que cela fasse une bouche de plus à nourrir.

Et soudainement, ce dénommé Yaël avait fait son apparition. Impossible d'en savoir plus. Hector m'affirmait que cela concernait uniquement les adultes. Quelle ironie alors que j'étais à plus d'un titre la principale concernée !

J'avais confiance en son jugement, bien sûr, toutefois il y avait bien trop de secrets derrière ce mariage. Qu'est-ce que cela leur apportait ? Qu'est-ce qui se jouait à travers cette alliance ? Autant pour ma famille que la leur. Quelqu'un devait forcément avoir quelque chose à y gagner, mais je ne comprenais pas quoi.

Pire encore, j'ignorais tout de cette famille du Conflent et comment ils avaient pu être en relation avec la mienne. Je savais pertinemment qu'on n'y avait jamais mis les pieds ; le Conflent était bien trop éloigné. Il faisait partie de ces lieux que l'on connaissait sans vraiment connaître et qui devenaient rapidement entourés de mystères, car personne ne savait si ce que l'on en disait était vrai ou faux.

J'avais entendu que la terre était si sèche là-bas qu'elle s'était transformée en grain et qu'à perte de vue il n'y avait que des étendues de dunes sans que jamais rien ne pousse dessus. Aucune verdure. Aucune vie. Rien que le soleil et le sable. On m'avait même dit un jour que le soleil ne s'y couchait jamais. La population se regroupait dans des maisons sans fenêtres, sans portes. La ville d'Astrée se disait cité libre. Elle accueillait quiconque cherchait un abri. Les fêtes y étaient légendaires et on racontait que les puits de la ville ruisselaient de vin, si l'on savait dire les bonnes paroles.

J'avais entendu tant de choses sur cette cité que j'avais l'impression de la connaître. Si elle éveillait la convoitise dans bien des regards, je ne comprenais pas cet intérêt. Il me semblait que nos plaines verdoyantes et nos immenses forêts étaient nettement préférables à une terre aride. J'allais bientôt être fixée avec certitude.

Nous étions arrivés à la chapelle des fleurs. Les cérémonies se déroulaient d'habitude dans la grande église, au cœur de la cité, et non pas dans cette chapelle hors des murailles d'Azadjan. Placée à la lisière de la forêt, elle était plus petite, plus archaïque aussi, pourtant je l'avais toujours préférée.

Ses grosses pierres abruptes et ce mélange de bois lui donnaient quelque chose de plus authentique. Elle n'avait certes pas autant de détails et de sculptures que la nouvelle église – à croire que les anciens dieux ne s'intéressaient pas à ce qui pouvait paraître superficiel – elle possédait en revanche une aura qui m'assurait que le temps n'aurait aucun impact sur elle.

De nombreuses personnes nous attendaient devant l'entrée. Je n'étais pas étonnée de voir autant de monde. Ils étaient là pour Yaël, ils voulaient apercevoir cet homme venu de l'Est. Et je devais bien admettre que moi aussi, j'en éprouvais de plus en plus l'envie. Je voulais savoir. Je voulais comprendre.

Mes amis étaient également présents. Ils me saluèrent rapidement. Je vis la tristesse dans les yeux de Mejä, mais je ne pris pas le temps de m'y attarder, de peur qu'elle fasse écho à la mienne. Mon oncle était ému lui aussi. Il indiqua à la foule d'entrer et de s'installer sur les bancs, pendant qu'il me retenait auprès de lui.

- Je suis content que cette robe t'aille aussi bien, me complimenta-t-il.

- Est-il à l'intérieur ? lui demandai-je, soudainement angoissée.

- Oui. Il t'attend.

- Bien.

- Ça va aller, Izi ?

- Oui.

- Il est impatient de te connaître. Je suis certain que ce sera un beau mariage et je ne parle pas que d'aujourd'hui.

- S'il remplit tes critères, il remplira les miens.

Il me sourit, pas convaincu de mes propos. Qu'importe !

- J'ai un cadeau pour toi, me dit-il. Ce n'est pas grand-chose, mais ça pourra t'aider à ne pas oublier d'où tu viens.

Il me tendit un petit cadre et je reconnus tout de suite la peinture de notre demeure, bordée de ses grands chênes et laissant entrevoir la plaine et les champs qui s'étendaient derrière elle. Cela m'émut plus que je ne l'aurais voulu.

- Je n'oublierai jamais, lui assurai-je.

- Je sais.

Puis, il reprit sur un ton plus désinvolte.

- Mademoiselle de Valdéria, me feriez-vous l'honneur de vous conduire jusqu'à l'autel ?

- Tu as plutôt intérêt à ne pas me lâcher si tu veux que j'aille jusqu'au bout ! plaisantai-je.

- Alors qu'il en soit ainsi ! déclara-t-il sur un ton solennel.

Il me tendit son bras et je l'enlaçai sans y réfléchir à deux fois. Ça y est nous y étions, ce moment tant redouté était en train de se produire et je me dirigeais droit vers l'inconnu.

Mon oncle me serra contre lui et nous nous mîmes à marcher en direction de la chapelle. J'allais dans quelques instants franchir les portes qui me séparaient de lui...

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