Chapitre 17

Stan ne réagit pas plus que ça au propos de Yaël et répliqua.

- Je faisais plutôt allusion aux cadavres.

- Oh ça, ce n'est rien, déclara Yaël, quelques brigands de bas étage.

- Et il t'était impossible de les maîtriser ?

- Ils s'en sont pris à Izi, grogna Yaël.

Stan me regarda pour vérifier que j'allais bien et ajouta néanmoins.

- Semer des cadavres, excuse-moi, mais ce n'est pas très discret ! Même si tu en as eu envie !

- Nous brûlerons leur corps, ils ne manqueront à personne, répondit froidement Yaël.

Cette oscillation entre tendresse et férocité était indescriptible chez lui. Je n'avais à la fois jamais vu un homme aussi doux et aussi dangereux.

Stan était contrarié, mais n'insista pas. De toute façon, on ne pouvait plus rien y changer.

Yaël réunit les corps et s'occupa de les faire disparaître dans les flammes qu'il s'évertua à créer. Pendant ce temps, j'enlevai mes vêtements souillés et en remis des propres.

Nous ne nous attardions pas. Stan était inquiet de la fumée qui pourrait attirer les curieux. On prépara les chevaux afin de rejoindre la route royale qui n'était à présent qu'à quelques lieux. Je montai sur Elya sans me faire prier, je voulais quitter cet endroit sordide et l'effacer de ma mémoire. Je n'avais qu'une hâte, me retrouver loin d'ici.

En à peine vingt minutes, on était au croisement de Spycrick et de Grand-Pont. On emprunta le chemin tracé en direction de la cité portuaire. On croisa rapidement les premiers marchands et je commençai à comprendre pourquoi nous avions évité la voie royale jusqu'à présent. Elle était très empruntée et, indéniablement, les tenues de l'est de Yaël et de Stan dénotaient. Je leur fis remarquer et proposai d'effectuer quelques achats lorsque nous serions à Grand-Pont. Ils acquiescèrent et acceptèrent même que je m'en charge. Je profitai d'être dans leur bonne grâce pour leur demander d'un air badin.

- Alors, le don de prémonition, qu'est-ce que je dois en savoir ?

- Il semble que ta curiosité est telle que tu as trouvé le moyen de savoir avant même que l'on t'informe, me taquina Stan.

- Raison de plus pour ne plus rien me cacher !

- C'est pas faux, mais on a encore un petit temps d'avance avant que tu apprennes à maîtriser ton pouvoir.

- Le maîtriser ?

- Oui, tu ne vas pas toutes les nuits faire des cauchemars, ce n'est pas une malédiction.

J'en fus l'espace d'un instant soulagée et ma curiosité fut multipliée par mille.

- Comment dois-je m'y prendre ?

- Il n'y a pas de manuel d'emploi, me répondit Yaël. Tes visions vont devenir plus fréquentes. Elles pourront avoir lieu en pleine journée comme durant la nuit. Tu les distingueras de tes rêves ordinaires, tu t'habitueras à elles pour finalement de mieux en mieux les lire. Une fois cela fait, tu auras une longueur d'avance sur tout le monde. Il faut cependant que tu réalises que ce don te confie, que tu le veuilles ou non, une responsabilité. Tu es informée du futur et tu peux décider ou non de le changer, de partager ou non ces informations, tu comprends ?

- Je comprends, dis-je tout en y réfléchissant.

Il est vrai que dans l'action ou l'inaction, je restais responsable, car j'étais la seule à détenir cette information.

- Ne le laisse pas te déprimer, argua Stan. Vois ça plutôt comme une partie de cartes où tu connaîtrais le jeu de tous tes concurrents. C'est un avantage considérable.

- Je ne la déprime pas, le contredit Yaël. Est-ce qu'elle a l'air déprimée ? Je la préviens, c'est tout. Les responsabilités lui iront à ravir, finit-il avec un regard de braise.

- Tu veux dire qu'elle va devenir encore plus chiante, oui.

- Hey, je suis là, rappelai-je.

- Qu'est-ce que je disais...

- Est-ce que tu en as eu d'autres ? s'informa Yaël.

- Non, je ne pense pas. C'est la première fois que je faisais un rêve aussi réel.

- Est-ce que je perçois uniquement l'avenir immédiat ?

- Ça ne durera qu'un temps. Ton don va s'amplifier. Au départ, je ne pouvais faire bouger que quelques brindilles et maintenant je peux déclencher une tempête si je le souhaite. Tu apprendras, laisse-toi du temps.

Du temps... mais je n'en avais pas. Je devais rapidement maîtriser ce don pour pouvoir aider ma famille.

- Je n'en ai pas, rétorquai-je. Cela pourrait nous être utile pour connaître la situation de mon oncle et de ma tante.

- Tu ne contrôleras pas tes prémonitions en un jour. Tu viens à peine d'avoir ta première. Nous les aiderons sans ça, ce n'est pas la peine de te mettre la pression là-dessus.

Je soupirai, insatisfaite de sa réponse. J'avais le sentiment que si je me concentrais très fort sur eux, peut-être juste avant de m'endormir, j'aurais les réponses qui nous permettraient d'agir au mieux.

- Izi, n'en fais pas ton sacerdoce. Aucune de tes prémonitions ne doit le devenir et tu dois garder à l'esprit qu'il y a des visions qui ne peuvent être changées. Ne me regarde pas avec ce regard. Un jour peut-être tu auras une vision de quelque chose qui se passera à des kilomètres de toi et qui arrivera dans les secondes où tu reviendras à toi. Tu n'y pourras rien. Cette vision avait alors pour unique but de t'informer de la situation. Il y a des évènements qui ne se changent pas, Izi.

- Comment les distinguer ? Comment savoir si ma vision se passe dans un avenir proche ou lointain ? Comment savoir si je dois intervenir ou m'abstenir ?

- Tu ne le peux pas. Tu ne peux que supposer. Peut-être qu'avec le temps ton ressenti évoluera et tu sauras ces choses, mais je ne peux pas te le garantir.

- Est-ce qu'il y a quelqu'un à la Grand'Astrée qui a ce don et avec qui je pourrai échanger ?

Yaël se tourna vers Stan et, hésitant, me confia.

- Non. La Grand'Astrée n'a pas connu de devineresse depuis plusieurs siècles. Tu es la seule.

Je pris conscience que ces mots avaient de l'importance pour eux. Je repensai à la métaphore de Stan, j'étais une carte à jouer. Ce pouvoir n'avait rien d'anodin. J'essayais de savoir ce que cela cachait.

- Quels sont les pouvoirs des vôtres exactement ?

- Nous avons tous des domaines de prédilection différents, m'expliqua Yaël. Nos capacités émergent en fonction de qui nous sommes. Certains sont mieux dotés que d'autres.

- Quel est le tien exactement ?

Il me répondit fièrement.

- Je contrôle les quatre éléments. Tu m'as vu manier l'air et faire naître le feu. Je peux faire de même avec la terre et l'eau. Je te montrerai.

- Cela m'a l'air d'être un pouvoir encore plus considérable.

- Je ne suis pas n'importe qui.

- Qui es-tu ?

Mon cœur tambourina dans ma poitrine. Je savais le moment important et je sentais qu'il allait enfin se confier, car à présent j'étais l'une des leurs.

- Je suis Yaël, l'Élu du peuple astréien, l'équivalent du prince de ton royaume.

Je pris toute l'ampleur de sa révélation. Je ne m'attendais pas à ça.

- Ce qui fait de toi ma reine, acheva-t-il.

Sa reine !? Ça faisait beaucoup d'informations.

- Pourquoi me le confier maintenant ? demandai-je, abasourdie.

- Tu risques de le comprendre toute seule très vite, me rappela-t-il.

- Je reformule : pourquoi me l'avoir caché ?

- Sans doute parce que je ne suis pas encore prêt à répondre à ta question suivante.

- Pourquoi moi ? répliquai-je, certaine qu'il s'agissait de cette question.

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