Chapitre 1
Tout le monde s'agitait et cela me donnait le tournis. Ça y est, nous y étions, la mascarade pouvait commencer ! Ma tante semblait encore plus nerveuse que moi et s'affairait dans tous les sens, sans que je comprenne vraiment ce qu'elle était en train de faire. Je crois qu'elle avait simplement besoin de s'occuper l'esprit, ce qui nous valut d'avoir une petite tornade avec nous.
Je cherchai du soutien dans le regard de mon cousin Théo, mais lui, à l'inverse, semblait impassible. Il s'alluma une tige de feuilles de pétun, adossé contre le mur, et je n'en eus jamais autant envie que ce jour. Je ne savais pas quel goût cela avait, pourtant j'avais la conviction que cela m'apaiserait un peu.
J'essayai toutefois de ne rien montrer de mon angoisse. À part Mejä, tout le monde ignorait mes ressentiments. J'avais appris qu'il valait mieux dissimuler ses pensées, même au sein de son foyer. Leur dire que je ne voulais pas me marier n'aurait rien apporté.
Mon oncle Hector et ma tante Clotilde m'avaient recueillie après le décès de mon père. Je n'avais pas connu ma mère, elle était morte en couche. Mon père était quelqu'un de bien. Il ne parlait pas beaucoup, mais nous étions proches à notre façon.
Enfant, j'éprouvais un besoin irrépressible d'être avec lui, je voulais l'accompagner partout. Je voulais faire comme lui et je l'aidais journellement. Certes, il n'était pas très bavard, mais il me montrait son quotidien, notamment la culture des champs. Je participais à tout ce que je pouvais faire pour mon jeune âge.
Ce fut lui également qui m'apprit à chasser, ou du moins à me fondre dans la forêt sans faire de bruits. J'avais été si fière lorsqu'il m'avait offert ma première lame. Un petit pugio avec un manche tressé de cuir. Il m'avait dit que tout homme devait en avoir un sur soi, que cela était toujours utile. Dans notre culture, on l'offrait généralement au premier fils. Je m'étais souvent demandé s'il regrettait de ne pas avoir eu un garçon.
Sa mort a été la plus grande douleur de ma vie. J'avais huit ans. J'avais cru perdre une partie de mon âme. J'étais inconsolable. Or, si mon monde s'arrêtait, il ne s'agissait que du mien. J'avais rapidement compris qu'il y avait un temps pour la compassion, mais qu'il était, en réalité, assez bref. Les gens n'ont pas vraiment envie d'entendre la vérité quand ils demandent si on va bien.
Mon oncle et ma tante avaient ainsi continué à parfaire mon éducation, de façon toutefois différente de celle de mon père. On m'apprit des choses plus dignes d'une dame. La couture, la cuisine, la cueillette... J'avais malgré tout toujours pu continuer à chasser à l'arc avec mon cousin Théo. Il faut dire que j'étais une bonne chasseresse.
Ma famille avait toujours été bonne pour moi. Je lui en étais reconnaissante et je savais qu'elle pensait faire au mieux en me mariant à Yaël.
- Prête ? me demanda Théo.
- Je crois !
- T'inquiète pas, c'est normal d'être nerveuse. C'est quand même le jour où tu rencontres l'homme de ta vie.
- Dit comme ça, c'est sûr que...
- Tu es magnifique, me coupa ma tante.
- Merci, lui souris-je timidement.
- Cette robe te va à merveille. Ton père aurait été tellement fier.
Mon cœur se craquela à ses mots, mais je ne lui montrai pas et continuai à sourire. Elle dut néanmoins s'en apercevoir et changea d'elle-même de sujet.
- Il faut se mettre en route, il ne faudrait pas que tu sois en retard, cela ferait mauvais effet, m'avertit ma tante.
- Je prends une dernière chose et j'arrive, la prévins-je.
- Entendu, je t'attends dehors.
Je me rendis dans ma chambre et me regardai rapidement dans la psyché. J'avais du mal à me reconnaître, j'étais rarement aussi féminine. Je portais mes cheveux en un chignon assez haut auquel j'avais délibérément relâché quelques mèches, venues souligner les formes de mon visage. J'avais glissé derrière mon oreille gauche quelques fleurs des prairies et je portais une pierre qui appartenait jadis à ma mère.
C'était une des rares choses que je possédais d'elle. J'étais heureuse de la porter aujourd'hui. Elle tombait dans un décolleté en V qui mettait en valeur ma poitrine. Ma robe de mariée était celle qu'avait porté ma tante. La couleur avait un peu vieilli, mais elle gardait cet aspect ivoirin qui la rendait propre à l'occasion. Sa dentelle aux motifs floraux était très élégante et j'étais satisfaite du rendu.
Je me demandai un instant ce qu'il en penserait. Me trouverait-il à son goût ? Serait-il au mien ?
Je ne m'attardai pas plus et relevai la mousseline couvrant mes jambes. Je me saisis de la dague que mon père m'avait offerte et l'attachai à ma cuisse.
Quoi ? Je ne comptais pas m'en servir, j'étais sentimentale... et je n'avais pas oublié les leçons de mon père. Cet objet me rassurait en quelque sorte et s'il me fallait du courage c'était bien aujourd'hui.
Un dernier regard dans le miroir, un dernier regard sur ma vie d'avant. Il était temps.
Je rejoignis ma tante à l'extérieur. Elle me sourit tendrement, puis répondit à ma question silencieuse.
- Ton oncle est en train de régler les derniers détails et ton cousin vient de prendre son cheval pour le rejoindre.
J'acquiesçai de la tête.
- C'est l'occasion de nous retrouver un peu toutes les deux, continua ma tante. Tu sais, tu seras toujours la bienvenue ici. Ce n'est pas parce que les terres de Yaël sont éloignées que tu ne peux pas revenir.
Elle se mentait à elle-même. En avait-elle conscience ? Je montai dans la carriole et décidai de faire abstraction de cette réalité.
- Tu me manqueras ma tante, et je saisirais chaque occasion pour venir vous saluer.
Sa mine se réjouit immédiatement.
- Le Conflent est réputé pour son climat chaud, déclara-t-elle alors. Il paraît que les jours de pluie y sont rares.
Mais j'aimais la pluie et l'odeur boisée qu'elle faisait ressortir de la forêt...
- Les journées sont chaudes, reprit-elle. Les saisons clémentes. Il paraît qu'aucun habitant n'a de manteaux ! Tu t'imagines ? J'aimerais avoir l'occasion de voir cela de mes yeux. Les tenues des femmes sont en revanche parfois légères. Tu y prendras garde, il ne faut pas que tu sois indécente. Yaël n'aimerait pas ça, sois-en certaine.
- Comment est-il ? la coupai-je.
- Ton oncle m'a assuré que c'est un homme de valeur.
Ce n'était pas tout à fait la réponse que j'attendais. Je posai alors la question qui me brûlait les lèvres depuis des jours. C'était maintenant ou jamais.
- Pourquoi moi ?
Elle me regarda rapidement, ennuyée, puis se ressaisit en se concentrant sur les rênes et la trajectoire des chevaux.
- Je ne sais pas, murmura-t-elle dans un souffle si léger que j'aurais pu croire qu'elle n'avait jamais prononcé ces mots...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top