6 Sic Itur Ad Astra

      Le jour de la fête de la lune, cet évènement que tous attendaient avec une frénésie grandissante était enfin arrivé. Comme on fêtait habituellement cette fête a la tombée de la nuit, lorsque la première lune éclaire de sa bienveillante lumière le ciel des hommes, la journée qui précédait cette nuit était vouée aux préparatifs. Dans tous les foyers on préparait des repas et des mets dignes des plus grands princes. Dans les rues de Tiredaile, comme dans celles des autres cités et villages d'Idemré flottait la douce odeur du miel et des marrons chauds.

Clèves avait toujours apprécié cette époque de l'année, c'était bien l'une des seule fête capable de réunir les habitants de Tiredaile, pauvres et riches, nobles et Taverniers, partageaient un seul et même festin et chacun offrait ce qu'il avait a offrir. Mais cette année, le prince n'était pas d'humeur a la réjouissance. Il avait l'impression d'avoir échouer, car il n'avait pas réussi à retrouver Donovan. Il avait aussi l'impression qu'un autre échec se profilait, comme il l'avait dit à Gavrielle, quelque chose lui échappait. Cela le mettait en rogne, il se haïssait de ne jamais pouvoir atteindre ce qui pourtant était si proche. Ces troubles qui animaient l'esprit de son apprenti, le maître des auras les avaient senti. Les deux se trouvaient en ce moment même dans la demeure du mage, dans laquelle il était revenu après le départ définitif des ombres . Lysandre et son maître, le mage des éléments, celui que l'on appelait Hassim-Boula, y logeaient eux aussi.
Hassim-Boula était un grand mage craint et respecté par les peuples, comme par les Rois et seigneurs des contrées étrangères. Il avait beau n'être âgé que d'une soixantaine d'années, il était fort d'une expérience difficilement égalable. Il avait vu et chassé des dragons venue de l'au-delà, des contrées où la lune n'arrive jamais. Etant le maître des éléments, il était le seul à qui feu, air et eau obéissaient. Là où le maître des auras protégeait les gens de la folie et de la force des ténèbres, lui les protégeait en calmant la fureur de la nature, en parlant à la terre pour qu'elle soit de nouveau fertile...Mais cette terre, il avait aussi appris à l'écouter et à lire en elle la douleur et les bouleversements qu'elle subissait. C'est ainsi qu'à sa manière, bien différente de celle des autres mages, il avait appris a prévoir le danger. Pour Clèves, voir le maître des éléments s'attarder à Tiredaile n'était pas bon signe, il ne restait jamais nulle part par attachement ; même s'il fut un grand ami du maître des auras.

Les deux mages parlaient beaucoup, mais ne partageaient pas toujours leurs sombres pensées à leur apprenti respectif. Qui se trouvaient actuellement dans la petite bibliothèque de la propriété, ils y parcouraient des livres écrits dans un alphabet runique difficilement déchiffrable.
Lysandre, lasse de se retrouver mis à l'écart, referma brutalement l'épais volume qu'il parcourait.

- Comment veulent-ils que l'on apprenne quoi que ce soit si quand il y a de vrais problèmes on nous cache tout ? pesta-t-il. Qu'est-ce qu'on est sensé voir au juste dans ces bouquins qu'on aura lu une centaine de fois !

- Soit patient. Répondit Clèves sans relever les yeux de la page couverte de Runes qu'il lisait.

- Arrête de jouer les apprenti parfait, tu te demandes tout aussi bien ce qui se passe ici.

Cette fois Clèves releva les yeux vers Ly, et croisa son regard sombre. Aux yeux du prince, le jeune homme qui lui faisait face avait beau cumuler des défauts, qui le faisaient penser à Faylon, il savait qu'il avait l'étoffe des plus grand mages. Et c'est ce que l'adolescent aux cheveux et aux yeux de jais serait un jour.

Clèves soupira et dit :
-Tu as raison, allons les voir.
  
Ly eu un sourire triomphal.

- C'est la première fois que je te vois prendre une bonne décision. Raillât-il.
Clèves ne répondit pas et les deux apprentis s'en furent rejoindre leurs maîtres. Ils les trouvèrent, discutant sur la véranda de la maison, assis sur des chaises de bois grossières, disposées autour d'une table basse.
Hassim-Boula fut le premier à relever son regard couleur miel vers les deux jeunes hommes qui approchaient.
- Mais qui voilà ! Dit-il.

- Nous sentions votre agitation. Dit Théophraste. Cela tombe bien que vous ayez décidé de nous rejoindre, nous avons des directives importantes à vous donner.

- Est-ce en rapport avec la situation actuelle ? S'exclama Ly.

-Ce soir, à la tombée de la nuit, quand les habitants aurons commencé à festoyer pour la première Lune nous voulons que vous restiez particulièrement vigilants. Expliqua Hassim-Boula dont le sérieux avait calmé les ardeurs de son jeune apprenti.

-Devons nous surveiller quelque chose en particulier ? Demanda Clèves.

Le maître des auras leva vers lui un regard inquiétant. Ses pupilles normalement d'un bleu apaisant avaient virés au gris ombrageux, signe qu'il usait en ce moment même de ses pouvoirs ; et que cela lui demandait un effort de concentration intense. Il dit au blond :
-Clèves surveille de près ta famille, à nous quatre nous ne pouvons malheureusement pas surveiller une foule de 50 000 habitants, soupira-t-il.

-Vous craignez le pire maître ?

- Je ressens, et je pense que toi aussi, une aura étrangère à ces contrées, tapis quelque part mais il nous est impossible de savoir ce qu'elle cherche. J'ai parlé à Aumaric de mes craintes et il m'a parlé de la tragédie d'Ymérine. Maintenant il ne reste plus qu'a faire en sorte qu'elle ne se reproduise pas ici.

Après un silence pesant, le maître des éléments, reprit la parole :
-Lysandre, je veux que tu te rendes en forêt, essaye de savoir ce qu'elle a à nous dire. Reviens avant les dernières lueurs du jours pour me retrouver avant le début des festivités.
-Oui maître.

Lysandre se mit donc en route, marchant les longs des chemins de terre battue en direction des bois. Le soleil de midi frappait déjà, de son fort éclat, la cime des arbres bourgeonnants. Le jeune homme avait l'impression que le temps lui manquait. Ecouter la voix des arbres était toujours quelque chose qui prenait du temps, pourtant il devait être de retour avant la tombée de la nuit, alors quelque chose se produirait et Ly le redoutait. C'est en charriant tous ses doutes et appréhensions, qu'il se hâta sur les chemins irréguliers de la périphérie de Tiredaile. Bien plus loin, au centre de la cité, Aleksey s'éveillait dans une chambre qui n'était pas la sienne.
La veille, son père lui avait enfin laissé quartier libre, il en avait donc profité pour quitter discrètement le palais et se rendre en ville. C'était une escapade qu'il avait l'habitude d'effectuer dans le dos de son père depuis ses 16 ans, mais depuis le début de la saison sans lune, il n'y était plus retourné. Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas échappé de ses obligations princières, pour se perde dans le quartier West de la citée qu'il connaissait bien. Les fins de semaine, et la veille des jours de fête n'y faisait pas exception, c'était le rendez-vous des fêtards de Tiredaile. Des tavernes, pleines à craquer, s'échappait la musique rythmée des flûtes, des tambourins et des luths. Par intermittence les danseurs, dans les rues et dans les grandes salles des tavernes, criaient en cœurs tandis que les couples s'élançaient, hésitants et maladroits, dans une danse joyeuse et vivante. Malgré les forts relent d'alcool, les ivrognes qui finissaient par s'endormir sur le sol puant des rues, Aleksey aimait venir ici. On l'y connaissait comme un riche marchand, et il n'avait jamais eu à s'inquiéter de sa véritable identité, les Idemréens ne connaissaient pas vraiment les cinq fils du Roi. Mis à part l'héritier au trône, et peut être Faylon, qui ne manquait aucune occasion pour rappeler son statut à quiconque voulait l'entendre. Bien sûr maintenant qu'Aleksey était devenu le prince héritier, les choses allaient changer. Il allait devoir faire des apparitions publiques auprès de son père, rien que pour la fête de la lune ; son visage serait donc connu de tous. Le roux s'était demandé si le tavernier et les fêtards qu'il croisait souvent ici ne le reconnaîtraient pas. Il avait refusé de penser à ce qui se passerait ensuite, et avait préféré profiter de sa dernière soirée en ville. Aussi avait-il bu, ri et danser, énormément ; il s'était battu avec un ivrogne qui avait tenté de lui dérober sa bourse; enfin il n'avait pas fini sa nuit seul.

La nuit avait été mouvementé et le contrecoup était terrible, en se levant le lendemain, Alek avait l'impression que sa tête était sur le point d'exploser. Il se redressa dans ses draps blancs, passa une main tremblante dans ses cheveux châtains-roux.
- Misère...murmura-t-il en jetant un regard circulaire à la modeste chambre dans laquelle il se trouvait.

Il grogna en voyant que le soleil était déjà haut dans le ciel, il devait se lever pour rentrer au palais, avant que son père ne le cherche pour les préparatifs de la fête de la lune.
  
- Monsieur souhaiterait-il que je lui rapporte son déjeuner ici ?

Aleksey sursauta et se tourna vivement vers le jeune homme qui venait de se glisser par l'embrassure de la porte.

- Ou préfère-t-il que je lui prépare son bain d'abord? Continua le nouvel arrivant avec un sourire mielleux

- On ne t'as donc jamais appris à frapper Viktor?

- Monsieur était de bien meilleur compagnie hier soir. Fit l'interpellé en gardant son sourire enjôleur.

Viktor n'avait jamais eu une vie facile, il faisait partie de ces orphelins sans logis fixe et entraient tour a tour aux services de différents aubergiste et Taverniers ; ils n'avaient que leur force de travail à échanger contre le gite et la nourriture. C'est pourquoi comme Viktor, s'ils ne se prenaient pas de jalousie pour les riches et la noblesses, ils en étaient fascinés.
Viktor admirait beaucoup le commerçant à qui le succès avait souri, qu'était Taj (nom sous lequel Aleksey s'était fait connaitre ici). Pas seulement parce qu'il avait tout ce que le jeune homme n'avait pas, mais aussi car c'était un homme de mystère, modeste et chaleureux. Il en disait très peu sur sa vie, ou sur la façon dont il avait acquis tant de richesse. Viktor s'était dit que c'était peut-être un secret jalousement gardé.
-Je ne vais pas rester longtemps. Fit Taj en tentant de se lever, un mal de crâne insoutenable l'obligeât à se rassoire.

-Oh monsieur, vous ne devriez par autant vous hâtez, restez plutôt avec nous pour la fête de la lune.

L'évocation de l'événement acheva de faire reprendre ses esprits à Taj, il demanda à Viktor de lui préparer un bain et se leva, tant bien que mal, une fois que le jeune homme eu quitté la chambre. Il se rapprocha de la fenêtre, pensant aérée la chambre mais sur le rebord de celle-ci un chat bruns aux yeux d'un bleu profond, était venue gratter les carreaux pour qu'on le laisse entrer. Taj se contenta de soupirer en le voyant et de fermer les rideaux d'un coup sec. Aleksey n'était pas d'humeur à recevoir les serments d'Eugène. Puis ayant peur que celui-ci n'aille tout raconter à son père, il finit par rouvrir les rideaux mais l'animal avait disparu.

- j'espère que « sa majesté » s'est bien amusé, j'aimerais lui rappeler que le devoir le rappelle au palais.

Aleksey sursauta en entendant la voix de Eugène dans son dos.

- Comme d'habitude Eugène je peux compter sur toi c'est notre petit secret...

Bien plus tard dans l'après-midi, Eugène et le jeune prince étaient de retour au palais. Ce dernier se sentait mieux, quoi que légèrement nauséeux. Il paniqua quand un écuyer vint lui dire que son père l'avait cherché. Le prince le retrouva dans la cours centrale, le roi observait d'un air songeur, les allers-retours des femmes d'ouvrages qui préparaient la fête de la lune. C'est toujours avec cet air songeur, que le souverain s'adressa à son fils, quand celui-ci l'eu rejoins.

- Il était temps que cette saison du renouveau arrive à son terme. Dit le Souverain. Les gens semblent heureux des festivités qui arrivent.

Pour toute réponse, le prince se contenta d'hocher la tête. Son père continua donc :
- Tu aura beaucoup de nouvelles responsabilités maintenant Aleksey. J'espère que tu en est conscient et que tu te comporteras comme ton rang le veux.

Le Prince se tendit un instant mais son père se tut, il n'y avait pas eu dans sa voix une once de colère, juste de la fatigue et de la lassitude. Puis le Roi se dirigeât vers le pommier qui se dressait, fin mais fière, au centre de la cours pavées. Les branches étaient parsemées de bourgeons, et de rare fleurs avaient déjà écloses à la cime de l'arbre. Par-delà la muraille du palais, le soleil avait commencé à décliner, lentement, comme voulant prolonger cet instant passé dans l'azur du ciel.

- C'est le moment. Fit Aumaric, et il posa, sur l'épaule de son héritier, une main réconfortante. J'espère que tu connais ton rôle.

                                                          ***

La grande citadelle de Tiredaile était, outre le palais royale, sans nul doute l'une des plus belles et imposantes structures de la Capitale. Elle se dressait sur une colline à l'Est de la cité, et sur le versant de cette colline aucune maison, ferme ou construction, ne venait entaché le vert des près. Seul un chemin de terre qui s'était formé dans la foulé des Érudits qui y vivaient, reliait la citadelle à la ville. Les citadins n'y allaient jamais ou alors a de très rares occasions. Tel que la fête de la lune ou les funérailles d'une personnalité importante.
A ce moment même, à quelque heures de la fête de l'astre d'argent, les Érudits de la Citadelle étaient descendus de leur demeure pour mener les Tiredailiens vers le sommet de la colline sacrée. Les citadins s'étaient déjà réunis dans les rues et ruelles pour attendre la lente ascension, ils s'étaient armés de chandelles pour s'éclairer dans la pénombre de la nuit naissante ; tous étaient vêtus de longues capes bleu nuit. Les Érudits, guidant le peuple, avaient revêtu de grandes capes blanches. Parmi eux, Corvidae, dont le stress était venu à bout des derniers cheveux sur son crâne reluisant, mais dont la barbe était toujours aussi fournie,  guettait le ciel sombre comme s'il craignait de ne jamais voir la lune se lever. Personne dans la cité n'osait bouger, ni émettre le moindre son, pas même les enfants accrochés aux capes de leur mère, le silence était de plomb. Puis après une attente qui sembla durer une éternité, l'astre blanc apparue enfin au-dessus de la colline. Nimbant de sa lumière froide les pâturages et les toits. Alors la silencieuse procession se mit en route, à travers les dédales de Tiredaile, vers la citadelles, comme une traînée de poussière. Cela pouvait sembler étrange pour les quelques étrangers qui observaient la scène depuis les balcons des auberges, ils s'étaient attendus à voir des hommes dansant et chantant sous le claire de lune, or il n'y avait là que des visages graves. La seule source de lumière provenait des chandelles que les citadins tenaient, dans aucun foyer un âtre ne rougeoyait, dans aucune chambre une bougie ne brûlait.
La procession avait maintenant entamé la monté de la colline aux herbes bleutées, soudain les voix claires des Érudits déchirèrent le silence. Ils récitaient les vers par lesquels, la lune offre sa bénédiction aux homme ; et après eux ; hommes, femmes et enfants, fussent-ils en âge de parler, récitaient les vers si bien connus.

« sic itur ad astra
in articulo mortis
Caelitus mihi vires
Fluctuat nec mergitur in perpetuum...»

« C'est ainsi que l'on s'élève vers les étoiles
à l'instant de la mort
ma force viens des cieux
Elle tangue mais ne sombre pas
à jamais ...»

Quand la colline de Tiredaile fut enfin noire de monde, et que cette foule immense et oppressante se pressa au pas des portes de la bâtisse, tous se turent. Un à un les citadins s'écartèrent pour former un passage étroit traversant la foule. Par ce passage le Roi et son héritier s'engagèrent, parmi les gens du peuple, qui ployaient le genou au fur et à mesure que leur souverain s'avançait. Aleksey qui suivait son père de près, tenait de deux mains l'épée du sacrifice, avec laquelle le Roi devrait abattre l'agneau né le premier jour de la saison du renouveau. La première âme qui monterait vers l'astre, et devait ainsi guider celles qui avaient péri durant les nuits sans lune, et n'avaient donc pu trouver le chemin vers elle. Le jeune homme n'aimait pas cette situation, il avait l'impression de sentir les regards de la ville entière peser sur lui, getter le moindre erreur, le moindre faux pas. Pourtant il avait vu Donovan le faire plus d'une fois, et en soit cela n'avait rien de compliqué ; néanmoins Aleksey avait l'impression que cette fois quelque chose était différent. L'air était trop oppressant et comme chargé d'une moiteur malsaine. L'héritier observa un instant les habitants de Tiredaile, la ville de son enfance, des gens qu'il voyait tout les jours, et peina à les reconnaître sous leurs larges capuchons qui couvraient leurs visages et les plongeaient dans les ténèbres. Il prit peur, et se trouva stupide de prendre peur, devant lui son père restait de marbre. Alek aurait voulu crier, de toute ses forces, mais il ne le fit pas ; il se contenta d'ouvrir la bouche avant de la refermer...Au loin dans la foule un cri bestiale retentit et le jeune Prince ferma les yeux,  serrant le pommeau de l'épée. La dernière chose qu'il vit fut une multitude de silhouettes qui se massèrent autour de lui. 

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