5 Souvenir d'Ena
Trois semaines s'étaient écoulées et Clèves n'avait plus reçu un seul signe venant de Donovan. Les froides journées s'étaient peu à peu réchauffées, les oiseaux avaient migré et étaient revenus, le temps passait tel qu'il l'avait toujours fait sans attendre ceux qui s'absentaient. Déjà, Tiredaile avait entreprit les préparatifs pour la fête du retour de la lune. Avec son retour tant attendu, les ombres avaient cessé de venir roder sur le territoire des hommes. Mais pour les membre de la famille royale l'heure n'était pas aux réjouissances. Le souverain semblait s'être fait à l'idée de la mort de son fils. Deux mages réunis n'avaient pu le lui ramener, alors rien ne le pourrait. Il avait demandé à ce que des obsèques digne d'un Roi, lui soit préparé. Faute de corps, seul l'épée de son fils serait emmenée à la citadelle de Tire d'aile, où une stèle à son nom avait était érigée parmi celles des plus grands Rois Idemréens, et gravée par les plus grands maîtres graveurs des régions centre. Gavrielle avait du mal à accepter l'abondon de son père, pour lui Donovan n'était pas mort, mais il avait peur quand il constatait que sa foi avait elle aussi vacillé. Le blond avait trouvé refuge chez Clèves, chez qui il avait trouvé une oreille attentive à ses doutes et son chagrin.
-Je n'ai jamais vu père aussi malheureux. Souffla Gavrielle.
-Il l'est tout autant que nous. Murmura Clèves en retour.
Les deux adolescents se trouvaient dans les écuries, pansant leur monture respectif. Une même passion pour les équidés avait toujours réuni les deux frères, le plus jeune était heureux de retrouver Clèves durant le temps libre de ce dernier. Il ne voulait pas s'éloigner de son frère, du moins pas plus qu'il ne l'était déjà.
-Le Duc de Whitenight vient d'arriver en ville. Déclara soudainement le plus âgé.
-Vraiment ? Comment tu peux en être sûr? Demanda Gavrielle en fronçant les sourcils.
-Je le sais c'est tout.
-Que-ce qu'il y a ? fit Gavi en remarquant l'air inquiet de son aîné.
-Rien... c'est juste qu'il se passe quelque chose...Je ne sais pas...
Devant l'absence de réponse de son frère, le plus jeune se retourna pour voir que celui-ci s'était arrêté de panser sa jument baie, le regard perdu dans le vide.
- Cette chose est toujours là, quelque part, reprit Clèves.
-Cette chose ?
Clèves hocha la tête. Il entreprit de ramener sa jument dans son boxe.
-Je dois rejoindre le maître des auras. Dit-il avant de quitter les écuries.
Gavi resta un moment pensif, les paroles de Clèves ne cessant de lui torturer l'esprit. Il resta là, jusqu'à ce qu'un garde fut envoyé pour lui rappeler qu'il devait se rendre à son cours d'escrime. Il retrouva donc Faylon et Ejea dans une salle du château réservée à cet effet. La salle était grande, toute en longueur, avec des voûtes hautes, et jouxtait la salle d'armes, où étaient entreposés lances et épées, couteaux et haches de guerre. Le long du mur Ouest s'alignaient une trentaine d'armures de fer noir. Quand Gavi pénétra dans dans la salle, Faylon et Ejea l'attendaient déjà. Il se saluèrent et se mirent en position. Faylon, dont la maîtrise était admirable, leva sa lame, tenant fermement la garde, prêt à en découdre. Gavrielle lui fit face, un peu moins sûr de lui. Puis le cadet s'avança en premier. Le maréchal Ejea surveillait attentivement les moindres gestes des deux adolescents, faisant quelques remarques, si nécessaire. L'épée de Fay était surement la plus active, fondant l'air dans des attaques répétées, prenant quelque peu au dépourvu le cadet qui se contentait de parer les coups. Si Gavrielle était bon dans le maniement de l'épée, son niveau n'était pas comparable à celui de Faylon. Dans un dernier sifflement de la lame, l'aîné parvint à désarmer son adversaire. Gavrielle leva les mains, et un sourire triomphal vint étirer les lèvres pleines de son aîné.
-J'ai encore gagné. S'exclama le jeune homme avec un air de fausse modestie.
Ignorant l'attitude agaçante de son aîné, Gavi alla chercher son épée, qui avait été propulsée dans un coin de la salle d'escrime. En se baissant pour la ramasser, il remarqua qu'une écaille bleu métallique traînait sur le carrelage. D'abord intrigué il la ramassa, la portant au niveau de son visage pour la détailler. La magnifique écaille reflétait la lumière environnante prenant selon sa position des reflets violet ou vert émeraudes. D'où pouvait-elle provenir ?
-Gavrielle, tu viens ? La voix de Faylon le tira de ses réflexions et le prince se releva pour toiser son frère, mettant l'écaille dans l'une de ses poches. Les deux frères se firent à nouveaux face, perfectionnant leur position respective.
Alors que le combat reprenait de plus belle, ils furent interrompus par une fillette aux courtes boucles brunes et au sourire amusé. Elle entra dans la salle sans aucune discrétion, sautillant sur les dalles de pierre. Elle ne devait pas avoir plus de neuf ans.
-ça alors ! S'exclama-t-elle, avec un enthousiasme mal dissimulé. Vous vous entraînez ? Je peux me joindre à vous ?
Faylon lui lança un regard dédaigneux, il avait certainement été contrarié par la visite peu sollicitée d'une parfaite inconnue. Face à l'agacement des deux princes, ce fut Ejea qui prit la parole.
- Puis je vous être d'une quelconque utilité Mademoiselle? Je crains que votre venue ne m'est en aucun cas été annoncée.
-Tu perturbes ma séance ! Qui es tu pour oser venir importuner les princes de la famille royale ! Lança Faylon, ce qui lui valu un regard assassin de la part de son cadet.
La fillette se contenta de hausser les épaules, avec désinvolture.
-J'aurais bien répondu mais je ne veux avoir de problème vis à vis de mon père. Déclara-t-elle en foudroyant Fay du regard. Celui-ci s'apprêtait à dire quelque chose quand l'entrée d'Aleksey le prit de court. Son aîné lui lança un regard interrogateur.
-Je vois que Faylon a fait connaissance avec notre invitée. Soupira-t-il. Et laisse-moi deviner tu ne l'aime pas...En tout cas laissez-moi vous présenter de façon plus concrète, Miss Eleanor De Whitenight, fille unique du duc.
***
-D'où viens tu ?
La voix de Donovan avait résonné dans le vide environnent.
-Tu n'es pas comme les autres, c'est évident !
Il n'avait pas dit comme les autres ombres, mais Ena le savait. La petite ombre partit d'un rire cristallin.
-ça je le sais ! S'exclama-t-elle. Mais je le serai un jour.
-Comment ça ?
Ena partit d'un autre rire, avant de se taire subitement, et Donovan pouvait jurer qu'elle le fixait malgré l'épais manteau d'ombre qui entourait sa silhouette fantomatique.
-Je le serai quand ce monde aura finit par se nourrir de tout ce qui faisait de moi un humain. Ça ne fait pas longtemps que tu es là mais tu verras, il te fera oublier tout ce qui fait de toi la personne que tu es. Jusqu'à ce que tu oublies qu'avant tu étais un humain. C'est comme ça que naissent les ombres.
Donovan jeta un coup d'œil aux ombres qui passaient devant les fenêtres, maintenant qu'il savait qu'il s'agissait d'âmes condamnées, il les voyait différemment. Tel serait son sort s'il restait prisonnier de cet endroit.
-Et toi ? De quoi te souviens-tu ? Demanda-t-il à Ena.
La petite fille qui était maintenant plus une ombre qu'une fillette, le regarda, surprise.
-Eh bien, murmura-t-elle presque honteuse, je ne me rappelle plus de mon nom en entier, mais je crois que je me rappelle légèrement d'un endroit...
-Essaie de me le décrire, peut-être que ton souvenir te reviendra !
-Je ne sais pas, j'ai du mal, c'est de plus en plus flou chaque jour...Mais je devais y être heureuse...je crois...
-Continue, l'encouragea Donovan.
-Il y avait de la lumière, oui beaucoup. Et pourtant c'était le soir. Des lumières de toutes les couleurs...
Elle réfléchit un moment et Donovan eu peur qu'elle ne s'arrête là, heureusement elle reprit :
-J'aimais beaucoup les lumières de couleurs, et le bruit...Il y avait beaucoup de bruit...
-C'était une ville, il avait des rues, des gens ?
-Oui ! C'est ça, une ville avec beaucoup de monde, donc j'avais peur de me perdre. Alors mon papa a pris ma main et il m'a dit que...Maintenant nous étions à New York, et que nous pouvions tout recommencer !
-New York ? Répéta Donovan totalement hébété
***
Le Duc de Whitenight était homme de taille moyenne, néanmoins sa carrure robuste et hautaine imposait le respect. Toujours fier de lui-même, il avait l'habitude de se tenir droit comme un piquet, ses cheveux, semblable à ceux de sa fille, quoi que plus courts, formaient de petites boucles brunes descendant en une barbe épaisse. Du haut de sa cinquantaine le duc restait un combattant hors pair, et c'était dans cette optique qu'il avait élevé sa chère et unique fille. Lui qui avait pourtant tant prié la naissance d'un héritier, il avait compris qu'il n'en n'aurait jamais au décès de sa femme. Il avait tout de même fini par se prendre d'affection pour la fillette et l'avait élevé comme le garçon qu'elle n'était pas. De Whitenight imbu de lui-même n'avait cessé de venter l'admirable personne qu'était sa fille.
***
Ena s'était presque offusquée, quand Donovan lui avait dit qu'il ne connaissait aucune ville correspondant au nom de New York. Selon elle tout le monde devait connaitre cette ville mais le prince était catégorique. Pourtant il connaissait par cœur les cartes des cinq royaumes, bien que ces cartes commençaient à se faire floues dans son esprit embué. Il avait donc écouté Ena lui parler de rues et de ruelles formant de véritable labyrinthes, des chemins comme des impasses, des tours de verre immenses reflétant l'azur du ciel le jour et les feux de la ville le soir. Donovan lui était pensif, jamais il n'avait entendu parler d'une ville semblable. Brûlante de vie à tout instant...
Comme la fillette s'était arrêtée de raconter , Donovan avait peur qu'elle ne se mure de nouveau dans un silence de glace, alors qu'une question lui brûlait encore les lèvres.
-Ena ! Dit-il, Sais tu pourquoi les ombres avaient décidé de nous attaquer durant la période du renouveau ? Pourquoi s'en étaient elles prises a mon frère cadet en premier ?
-Je ne sais pas, je ne sais pas.... murmura la fillette en tournant, flottant légèrement, autour du jeune homme. Des fois je leur dit quoi faire et c'est comme si elles m'écoutaient, des fois elles écoutent quelqu'un d'autre, là-bas en haut...et moi aussi je l'écoute...
Puis elle s'immobilisa soudainement en face de Donovan et dit :
-Mais ne t'en fais pas, maintenant que la période sans lune est finie de toute façon les ombres ne pourront plus sortir de Tsel. Il faudra attendre...attendre...comme c'est ennuyeux d'attendre.
-Ena, dit moi, sais tu qui les ombres écoutent quand ce n'est pas toi ?
-Celui qui prétend être charmeur d'ombres, mais ce n'est pas vrai, il ne peut y avoir qu'un charmeur d'ombre, celui qui comprend leur nature. L'autre se contente d'ouvrir la porte qui sépare les mondes, en libérant les ombres, il fait d'elles des créatures avides, aussi s'en étaient-elles prises aux vivants qui avaient le malheur de marcher hors de la lumière. Pourtant, une ombre n'est jamais rien de plus qu'une ombre.
Puis Ena se tut, Donovan ne tenta pas de relancer la discussion sachant qu'elle ne dirait pas plus. La fillette semblait tout d'un coup exténuée et lasse, mais aussi emplie d'une grande tristesse.
***
Malgré le deuil qui s'était emparé de la ville de Tiredaile, quelques jours plutôt, quand l'annonce du décès du prince héritier avait été officiellement proclamée par les crieurs public; la cité rayonnait d'un bonheur coupable, due a l'approche de la fête du retour de la lune. Plus que quelques jours et tout Idemré festoierait la fin d'une saison du renouveau particulièrement sombre. Bien sûr, pour eux, l'héritier du trône était mort d'une maladie incurable, ce qui étonna bon nombre de personnes, qui se souvenaient d'un jeune homme des plus robustes. Les Idemréens culpabilisaient de pouvoir encore se réjouir en des temps si funestes, une mort durant une des nuits sans lune n'était jamais de bon augure, car l'esprit du défunt ne pouvait s'élever vers l'astre.
Mais il ne fallait pas leur en vouloir, qui ne pouvait pas être heureux a l'idée de voir le retour des saisons chaudes ? De plus, ils ne se sentaient pas perdus, ils savaient que le deuxième fils du Roi, prendrait la relève. Et bien que l'on ne le connaissait que vaguement, personne ne doutait de sa vaillance et de sa force. « Il vaudra bien son aîné » entendait-on à travers les quatre coins du royaume d'Idemré. C'est d'ailleurs, ce qui se disait en ce moment même, dans une des tavernes de la capitale, où un tavernier malodorant conversait avec un vieux voyageur Ymérinien. Il était encore assez tôt dans la journée, et la taverne était presque vide, les hommes s'étaient donc installés à une table, celle qui se trouvait le près de la cheminée, pour profiter des dernières chaleurs du feu mourant. Près de l'âtre rougeoyant une chatte grise, s'était étendue sur les dalles de pierre chaude qui servaient de sol à la bâtisse. Elle semblait endormie, personne ne lui prêta donc attention. L'animal non plus, ne prêtait pas une réelle attention a ce qui se passait autour d'elle. Cela jusqu'à ce que des mots venant du voyageur ne la poussa à tendre l'oreille.
-Qu'est-ce qui vous amène par ici, demandait le tavernier avec un accent rauque et gras.
-J'viens assister a la fête de la lune, votre capitale est populaire pour cet évènement. Les étrangers qui y assistent, disent que c'est une fête des plus spectaculaire.
-Ah çà, certainement le plus spectaculaire que le monde n'ait jamais connu! Sinon quelles sont les nouvelles de votre pays ? Yméra... ymére...
-Ymérine. Corrigea ne voyageur de sa voix rocailleuse. Oh vous savez rien ne va plus nulle part, vous avez perdu votre prince et nous notre Reine, la grande n'est plus, sa fille n'est âgée que de trois ans. Pauvre enfant.
-ça alors, qui l'aurait cru !
-Oh et vous savez pour l'instant son plus proche conseiller tiens la régence, on ne veut pas nous dire pourquoi elle est morte, mais moi je vous l'dis mon ami. Et je vous l'dis bien parce que c'est vous, hein ! Puis en se rapprochant il dit : moi j'dis qu'il l'ont bien eu notre reine. Avant sa mort, les pécheurs on dit qu'ils avaient vu une flottille héllienne dans l'port. Puis dans la nuit de s'mort, plus rien ! partie !
La chatte attendit encore un peu, elle n'avait pas bougé, mais les deux hommes semblaient être partis sur des sujets de conversation plus légers. Puis finalement le voyageur se leva, alors que d'autres clients pénétraient dans la taverne. Le félin partit comme il était arrivé, sans que l'on ne releva le regard vers cette petite créature aussi insignifiante. C'est ainsi qu'elle quitta la taverne devenue bruyante, pour se diriger vers la demeure de la famille royal. Le petit animal, au pelage reluisant et aux yeux d'un jaune persan, hâta le pas à travers les rues de Tiredaile. Il traversa la Rue des marchés où les commerçants, petits artisans, et autres vendeurs ambulants se mêlaient aux acheteurs, mères de famille, voyous, petits pickpockets et bien d'autres encore; gravit quelques toits et traversa bien des cours. Enfin, la chatte arriva aux abords du palais dans lequel elle pénétra en passant par les écuries puis par les cuisines, où elle ne manqua pas de chaparder un des harengs qui avait été mis a sécher sur le rebord d'une grande fenêtre. L'un des commis de cuisine, qui l'avait aperçu, fit de grands gestes en jurant, pour faire fuir la sale bestiole. Peu perturbée par cette interaction, l'animal poursuivit son chemin à travers les dédales du château, trouva un endroit où engloutir la moitié de son poisson puis finit par se diriger vers la salle du trône au pas de course.
Dans la salle du trône, Aleksey avait passé la matinée à observer les conseillers et les maréchaux du roi défiler, apportant soit une nouvelle quelconque, soit leurs condoléances. En soit, rien d'intéressant. Alors que lui et son père s'apprêtaient à quitter les lieux pour aller déjeuner, un garde vint les prévenir qu'une femme demandait à parler au roi et que cela était impératif qu'elle le fasse sans tarder. On laissa donc entrer la femme, elle avait la même peau hâlée que Eugène, et ses cheveux noirs descendaient en cascade jusqu'au début de ses reins.
-Lyne, pour vous servir mon Roi, dit-elle en s'agenouillant en face de son souverain.
-Dis moi ce qui t'amène ici. Répondit Aumaric en lui faisant signe de se relever.
Et elle lui raconta ce qu'elle savait, ce qu'elle avait appris dans la Taverne ce matin même. Le Roi écouta le récit de la femme sans broncher. A ses côtés son fils se faisait de plus en plus pale, bien qu'il essayait de garder contenance. Quand elle eu finit, le Roi la remercia et la congédia. Non sans lui promettre que son travail serait récompensé comme il se devait, proportionnellement à la valeur des informations qu'elle lui avait apporté.
Car un nekothrope ne travaille jamais gratuitement, et n'est jamais réellement soumis ou esclave, mais ils connaissent la valeur de l'honnêteté et de la fidélité. Elle s'en alla donc, ses bottes de cuir martelant les dalles de pierre de la salle de trône, dans un rythme régulier. A son départ le Roi et son fils délaissèrent à leur tour la grande salle, se retirant dans un salon plus étroit. Là, était disposée une table ronde, entourée de massifs sièges de bois finement ornés. La pièce était sobre et les murs de pierres blanches étaient dégarnies, outre quelques lances accrochées de part et d'autre d'une grande cheminé. Dans l'âtre, le feu s'était depuis longtemps éteint. Cette après-midi-là, le souverain fit venir ses conseillers les plus proches, ainsi que le Duc de Whitenight. Ils parlèrent des heures durant du funeste présage qu'apportait ce voyageur.
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