10 Les éternels ignorants

Il se tenait devant lui, une silhouette indistincte et lointaine, parcourant tantôt les landes désertiques d'une contrée ensevelie sous la cendre d'un volcan, tantôt escaladant l' escalier d'une tour sans sommet, perdue entre ciel et terre dans l'immensité d'un désert de glace. Clèves en était sûr, cette silhouette qu'il voyait, s'éloignant toujours plus, devenant de plus en plus floue, n'était autre de Donovan. L'Apprenti mage aurait voulu crier, mais il en fut incapable, ses lèvres semblaient nouées l'une à l'autre. Entre-temps il ne restait de la silhouette qu'un vague point à l'horizon. Alors, une vague de rage et de désespoir traversa l'apprenti et enfin il pu crier, sa voix se répandit dans l'atmosphère trouble, comme l'air se répand dans les poumons de la première inspiration de celui qui vient au monde. Douloureuse et puissante à la fois. Mais cela fut insuffisant, Donovan n'eut pas un regard en arrière.

-Donovan! réitéra Clèves. Mais son aîné resta sourd à ses appels. La vision de Clèves se fit de plus en plus floue tandis qu'une brûlure insoutenable montait au sein de ses entrailles. Le blond se recroquevilla sur lui-même. Il eut soudainement chaud, trop chaud...

-Clèves, Clèves, réveille-toi ! Maintenant !

Le prince releva la tête, il s'agissait de la voix du maître des auras, une voix si familière, qu'il avait terriblement besoin d'entendre. Il aurait aimé se réveiller, sortir de ce désert de glace où son corps se consumait, mais il n'y arrivait pas.

-Maître ! Appela-t-il, alors que chaque mot prononcé lui soutirait une grimace.

-Clèves ! répondit la voix du vieil homme.

Cette fois il ouvrit les yeux, sortant brutalement de sa torpeur, la luminosité éblouissante du désert de glaces fut remplacée par la pénombre ambiante d'un cachot humide. Le prince voulu se redresser, mais ses membres étaient ankylosés et douloureux. Une fine couche de sueur froide couvrait son front et sa respiration était erratique . Il jeta un coup d'œil autour de lui, il se trouvait dans une cellule dont les mûrs semblaient avoir été taillés dans la pierre brut. Dans un coin, un rat reniflait le sol à la recherche de miettes, passant de temps en temps dans un rayon de soleil, lequel s'infiltrait à travers les barreaux d'une étroite fenêtre. Une forte odeur de brûlé envahissait les cellules , irritant les poumons et la gorge de leurs occupants.
Alarmé par cette odeur, le blond tenta de se lever, se raccrochant tant bien que mal aux parois de la cellule.

- Calme-toi mon garçon.

Depuis la cellule d'en face, le maître des auras avait parlé. Son regard, d'un bleu apaisant, croisa les iris dorés de son apprenti. Celui-ci se calma instantanément.

-Dis-moi, qu'as-tu vu ? fut la première question que Théophraste posa à son apprenti.

-Comment ça ? Je ne comprends pas. Balbutia Clèves.

- Dans ton rêve qu'as-tu vu , jeune apprenti. Cette fois c'était le maître des éléments qui avait parlé. Alors seulement Clèves remarqua sa présence dans une cellule jouxtant celle de son maître.

Clèves prit une profonde inspiration avant de répondre aux deux mages. Il savait que sa réponse ne leur plairait pas, mais sans qu'il ne sache pourquoi il se sentait incapable de révéler le contenu de sa vision aux mages.

-Je ne sais pas...Murmura-t-il. Nous ferions peut-être mieux de trouver un moyen de sortir d'ici.

A peine l'apprenti eut le temps de terminer sa phrase qu'un bruit de pas martelant les dalles de pierre se fit entendre. Bientôt, le bruit fut accompagné du son rauque des voix de deux soldats en pleine discussion.

-J'espère que le château ne brûlera pas avec le reste. Disait le premier.

-Voyons, notre seigneur sait ce qu'il fait. S'il dit que le feu n'atteindra pas le château, ça veux dire que le feu ne l'atteindra pas.

-Oui c'est vrai comment puis-je remettre en cause la parole du tout puissant. J'espère que cela ne lui parviendra jamais.

Quand les soldats arrivèrent devant la cellule de Clèves, l'un deux sorti un trousseau de clés, tandis que l'autre se pencha pour observer le jeune mage. Le prince lui rendit un regard dédaigneux.

-Tu vas venir avec nous petit. Susurrât-il.

-Où l'emmenez-vous ? Intervint Théophraste.

-Toi t'as rien à dire, le vieux. Rétorqua le soldat, en frappant les barreaux de la cellule du maître des auras. L'homme commit l'erreur de croiser le regard du mage, dont le bleu intense prit instantanément une teinte grise.

-Je veux que tu me dises ce que vous cherchez. Fit le mage d'une voix claire et calme.

- Nous avons reçu l'ordre de venir chercher l'apprenti mage, notre seigneur souhaite s'entretenir avec lui pour... Répondit le soldat, il fut interrompu par la violente claque que son compagnon lui asséna à l'arrière de la tête.

-ça va pas de tout dire comme ça ! déclara l'autre.

-Oui...euh...je ne sais pas ce qui s'est passé. Balbutia le soldat. Allons ne tardons pas, je n'aime pas trop cet endroit.

Le premier soldat s'occupa de tirer leur otage hors de sa cellule. On lui attacha les mains dans le dos, les liens étaient si serrés, que Clèves aurait pu jurer que son sang ne parviendrait plus à atteindre ses doigts. Il fut traîné sans ménagement à travers les couloirs du château. Et cela jusqu'aux appartements de feu son père. Voir qu'un inconnu s'y était déjà installé révoltait le prince. Il fut conduit sur le balcon, d'où un jeune homme à la longue chevelure blonde observait le feu qui avait pris possession de la ville de Tiredaile.

-N'est-ce pas magnifique ? Demanda le jeune homme en se tournant vers le prince. Le feu est si puissant, il détruit tout, purifie tout...

-Dis-moi pourquoi fais-tu cela. Murmura Clèves sans quitter les flammes du regard, il ne pouvait pas se résoudre à croiser le regard sombre de son vis-à-vis.

-Pourquoi ? Ricana le jeune homme, tu ne poses pas les bonnes questions, mais c'est normal, tu es bien jeune.

Il se tue un instant, profitant de la vue imprenable que le balcon offrait, puis reprit, occultant la question de Clèves :

-Au faite, me suis-je présenté ? Déclarât-il soudainement, sur un ton presque jovial. Quel ingrat je fais ! Je me nomme Aloys Périphas, fils de la prêtresse Aed, mais je t'en prie appelle-moi Al. Ma mère m'a toujours appris à respecter les mages, je propose donc de vous libérer, pense à tout ce que l'on pourrait faire ensemble, nous serions si puissant. Nous pourrions empêcher les hommes et leur cupidité, de faire subir à ces terres ce qu'ils ont fait subir au vieux continent. Nous pourrions bâtir un monde nouveau !

Clèves connaissait l'histoire du vieux continent pour l'avoir ressasser plus d'une fois dans ses manuels d'histoire, ce que l'on appelait aujourd'hui « les terres perdues » ou les « terres de la guerre sans fin » . Un continent immense, au-delà des océans, où l'homme n'avait plus remis les pieds depuis des millénaires. Après avoir complètement détruit ces terres d'abondance et de richesse, par cause de sa cupidité et de sa soif de pouvoir, les différents peuples avaient été contraints de fuir vers les terres du milieu, où leurs descendants vivaient encore aujourd'hui.

-Les hommes ont appris de leur erreurs... murmura Clèves dont l'assurance vacillait.

-Les hommes n'apprennent jamais, lui répondit Aloys dans un souffle. Ils sont les éternels ignorants, condamnés à répéter leur erreurs.

***

Cela faisait plus d'une heure que Faylon, Aleksey et Corvidae avançaient à travers les stalactites et les stalagmites. Seul Faylon qui pestait à chaque fois que son pied venait heurter un rocher, rompait le silence de plomb.
-Je ne remettrai plus jamais les pieds dehors, une fois que l'on sera rentrés au château. Déclara le brun. Pour me remettre de tout ça, je demanderai à Berte de me préparer un bain aromatisé...

-Faylon, ça t'arrives de te taire ? Le rabroua Aleksey, tu sembles oublier qu'il y a à peine une heure on entendait tes dents qui claquaient tellement tu tremblais de peur.

-Pardon ! S'offusqua le plus jeune en élevant un peu trop la voix. Il se reprit bien vite, se retournant pour s'assurer que rien ne les suivaient.

-Rien ne sert de se battre mes seigneurs, regardez nous sommes arrivés. Corvidae avait parlé de sa voix chevrotante, pointant du doigt un fin rayon de lumière qui perçait à travers l'obscurité de la grotte.

En s'approchant, les frères découvrirent une étroite fissure dans la roche. Tout juste ce qu'il fallait pour qu'un homme puisse s'y faufiler.

-Alek tu es sûr que tu arriveras à passer par là ? ricana Faylon en tapotant le ventre de son aîné.

-Mais qu'est ce que tu racontes ? Je n'ai pas de ventre ! répondit ce dernier.

Fay jeta un dernier regard à son aîné avant de s'engouffrer dans la fissure, suivit de près par Alek. Corvidae ne tarda pas à les rejoindre. Il émergèrent dans ce qui semblait être un épais bosquet. De dehors, la fissure était inapercevable, dissimulée par un épais feuillage.

-Ça pique ! Déclara Fay. Alek, passe devant, rend-toi utile un peu.

Le roux se contenta de soupirer, excédé par les plaintes de son cadet.
Bientôt les épais branchages laissèrent place aux pâturages des montagnes de l'Est. Les grandes étendues verdoyantes étaient baignées dans la lumière éclatante du soleil de midi.
Sur une branche d'un pin isolé, un chat gris semblait somnoler, il fixa les nouveaux venus de son regard d'un jaune persan.
Corvidae leva un regard inquisiteur vers l'animal qui sembla le lui rendre, avant de descendre de l'arbre. Il disparut dans les herbes folles, et une jeune fille en ressortie aussitôt.

-Nous avons de la compagnie, annonça le vieil homme.

- je vous ai déjà vu au château. Que faîtes vous ici ? Fit Faylon en observant la nekothrope se débarrasser des quelques brindilles qui s'étaient logées dans sa longue chevelure.

-Lyne pour vous servir, mon seigneur. J'ai laissé l'apprenti mage dans les tunnels, je me demande s'il a survécu. Dit-elle.

-L'apprenti mage ? s'exclama Faylon. Vous parlez de mon jumeau?

- Non l'autre. Répondit Lyne.

-Ah l'autre...

-Mais voyons, dit Corvidae, il n'arrivera jamais à sortir seul ! Je retourne le chercher.

-Ou on peu aussi le laisser là-bas... Suggéra Fay.

A peine l'Erudit eut-il disparu dans les profondeurs de la grotte, qu'une odeur acre de fumée vint se mélanger aux brises des montagnes. Aleksey fronça les sourcils en relevant le regard. Dans le ciel d'un bleu azur profond, d'opaques veloutes de fumée s'élevaient, larges et effrayants.
-ça vient de la ville...murmura Faylon. Nous devons y retourner, Clèves et Gavi...ils...

-Toi tu restes ici au cas où Ly et Corvidae sortent, je vais aller voir. Je ne veux pas avoir de mal à te trouver quand je reviendrai. Compris ? Rétorqua Aleksey, puis s'adressant à Lyne il ajouta :
-Je compte sur toi pour le surveiller.

-Très bien, je reste ici, bougonna Faylon, mais si les deux guignols sortent de là avant ton retour, on te rejoint.

***
Aleksey avait délaissé Faylon et son humeur massacrante, pour longer les verts pâturages et les sentiers de terre battue en direction de Tiredaile. En atteignant l'orée de la ville, la scène qui s'offrit à lui le frappa de plein fouet : de hautes flammes grignotaient les toits de chaque maison. La ville entière était en feu. À l'odeur de bois brûlé, s'était mêlée celle de la chair calcinée. Le roux croisa quelques rescapés qui tentaient de fuir dans les montagnes, pour la plupart, des marchands et des voyageurs venus d'autres contrées qui n'avaient pas participé à la fête de la lune. L'un deux, un homme ayant atteint la quarantaine, à la peau tanné et au nez déformé, attrapa le jeune prince par les épaules.
-Mais où allez-vous, pauvre fou, nous devons fuir ! Partez vers les montagnes ! Hurla l'homme en fixant Alek de ses yeux exorbités.

-Laissez-moi ! S'exclama Aleksey en se dégageant de la poigne de l'homme.

-Il a raison, votre majesté ne peut retourner en ville.
Le prince se retourna en entendant cette voix familière.

-Eugène ! S'enthousiasma le roux. Sa joie de retrouver son ami, retomba bien vite quand il vit l'état de ce dernier.

Le nekothrope, d'habitude toujours soigné, avait les cheveux en batailles, de multiple coupures et hématomes peuplaient son visage et ses membres, signe d'une lutte acharnée. Dans ses mèches d'un noir de jais, le sang avait séché, formant une masse informe. Ses yeux bleus fuyaient le regard émeraude du prince.
-Le roi est mort ... et je ne sais ce qui est advenu des autres princes. Annonça Eugène d'une petite voix.

Aleksey fixa son ami avant de répondre, atterré :
-Ce n'est pas possible ! Je rêve. Balbutiât-il. Je dois au moins aller chercher Clèves, on ne peut pas le laisser là-bas.

Malgré des efforts considérable pour se contrôler, le roux sentait les larmes lui monter aux yeux. Il se retourna plusieurs fois, comme ayant perdu le sens de l'orientation. Autour de lui, le feu se répandait, n'épargnant rien. La fumée de plus en plus opaque obscurcissait le tableau. Et soudainement, les ruelles et les places qui avaient bordées l'enfance du prince, lui semblèrent inconnues, hostiles. La mort était partout.

-Aleksey ! Hurla Eugène, sortant le prince de sa léthargie.

Le prince se retourna pour voir que des soldats Hélliens s'approchaient. Eugène ne savait pas réellement se battre, il devait lui porter secours. Mais que pouvait-il faire seul ? En restant ici, il mettait son ami en danger.

- On se replie ! Hurla le prince en saisissant le bras du nekothrope.
Il n'avait pas le choix, il devait fuir. « Clèves, Gavi, je reviendrai vous chercher, je vous le promets » pensât-il avant d'entraîner Eugène à sa suite dans les ruelles enflammées.

***

Donovan releva la tête lorsqu'une désagréable odeur de brûlé lui parvint.
-Dis-moi Ena, est-ce que les ombres craignent le feu ? Dit-il en fixant le soupirail de la cave à vin, qu'il n'avait pas quitté.

- Les ombres craignent tout type de lumière, et surtout le feu des mages. Frissonna la fillette.

-j'aurais dû m'en douter. Marmonna Donovan, nous ne pouvons pas rester ici, je dois retrouver mes frères. Suis-moi.

-Mais tout brûle là-haut ! Objecta Ena.

Donovan n'en avait cure, il ne pensait plus qu'à une chose, retrouver ses cadets. Il n'avait pas réussi à sauver son père, il ne voulait plus perdre d'être cher.

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