Promenons-nous dans les bois 2
Arrivé au lieu indiqué, il se subjugua de la beauté chimérique de l'étang bouillant. Entre les immenses bambous aux frondaisons verdoyantes et les buissons touffus, une source fumante s'étendait en largeur et disparaissait au loin, coincée par deux gros rochers. Un bassin délimité par de la pierre rugueuse encombrée de mousse. L'eau scintillait d'un bleu idyllique et des feuilles se couchaient sur elle, dansant à la surface.
— Pourquoi diable Jiǎo huá cache-t-elle ces lieux idéals derrière de vastes forêts de bambous sèches ? On se croirait presque à la Cour Céleste.
Il se déshabilla promptement, observant autour de lui au cas où une Dame passerait par là. Il n'ôta pas son pantalon et sauta à pieds joints dans le bassin, s'éclaboussa d'une eau bienfaitrice. Tout de suite, son corps se détendit et un gémissement de confort s'évada d'entre ses lèvres. Alors que le soleil effectuait longuement son ascension jusqu'au zénith et que la température ne grimpait pas trop, il se sentait bien, apaisé. Hiwang souhaitait rester ici pour l'éternité. À choisir, il ne quitterait jamais cet endroit de toute la semaine, disant volontiers adieu aux festivités.
Il nagea un peu, allongeant son corps relaxé, soupirant régulièrement de bien-être.
Au bout d'un certain temps, il entendit un flottement qui ne provenait pas de lui. Puisqu'il s'agissait d'un bain ouvert à tous, le Seigneur ne pouvait pas revendiquer toute la place. Tout de même désappointé de discerner une présence intruse, il continua à se prélasser, priant pour que ce ne soit pas une femme ; les rumeurs exploseraient s'ils étaient vus. Il n'ouvrit pas les yeux, sur le dos, paresseux, quand son crâne rencontra la roche. Il se redressa et s'assit, l'eau lui arrivant à la naissance de la nuque. Ses yeux sondèrent de façon circulaire la source et il croisa un regard perçant qui le scrutait avec une once d'agacement.
— J-Jeune Maître ?
— Que dois-je faire pour me retrouver plus de cinq minutes sans quelqu'un dans mes jambes ? s'enquit Xian, visiblement courroucé. Soit les servantes me pistent de bout en bout de la capitale, soit les gens de Jiǎo huá refusent de m'octroyer un instant de répit. Et lorsque, finalement, je déniche un endroit calme, Monseigneur du Piaillement Inutile est encore là ! Je vais finir par penser que vous m'espionnez, toujours à traîner autour de moi.
— Euh, c'est que..., hésita-t-il, je n'ai même pas encore commencé à piailler, d'abord. Ne vous défoulez pas sur moi. Je n'ai rien fait de mal. Ce n'est pas ma faute, si vous peinez à vous reposer.
Le Seigneur boudait vraiment, froissé par les paroles du Jeune Maître. Celui-ci était recroquevillé dans un renforcement, adossé à la pierre, et il le scrutait avec un air irrité. Qu'avait-il fait, hormis venir se baigner ? Hiwang claqua sa langue contre son palais, piqué au vif. Mais, puisqu'il saisissait les raisons de la contrariété de Xian, il décida de ne pas s'en formaliser. Silencieux, pour ne pas déranger cet héritier exigeant, il se posta à l'écart de lui et pataugea dans sa parcelle d'eau, renfrogné.
Lorgnant sur le grognon, il comprit alors.
Il distinguait son visage naturellement élégant, ses joues qui s'arrondissaient au fil des années, son cou gracieux, ses épaules carrées, ses jugulaires apparentes et le début de son torse légèrement musclé ; une beauté qu'il ne mettrait jamais en doute ; mais une beauté sur laquelle la poudre avait coulé : l'illusion n'opérait plus.
L'intégralité de ses cicatrices se présentait à sa vue et il ne s'était pas imaginé l'étendue des dégâts.
Il les contemplait pour la première fois.
À sa place, il ne les dissimulerait pas. Grâce au temps, les plaies s'étaient estompées en des lignes blanches boursouflées et elles se fondaient sur sa peau. Rien d'alarmant, de répugnant ou qui n'entachait son charme.
Voilà pourquoi il s'était réellement mis en colère !
En toute hâte, Hiwang détourna son regard, ses pommettes chauffées, il était devenu cramoisi. Pourquoi se scandaliser pour ces cicatrices ? Ce n'était pas grave. Ce n'était pas déshonorant. Ce n'était pas dégoûtant. Les rumeurs exagéraient tout, elles pourrissaient son image. Maintenant qu'il jugeait de ses propres yeux, bien sûr qu'il réfutait toutes les sottises dites au sujet du Jeune Maître.
Il était beau, et rien ne pouvait changer cela. Quoi que...il y avait des jours où la beauté intérieure faisait défaut..., mais Hiwang ne commenta pas là-dessus.
— Approchez. Le bassin ne m'appartient pas.
Le Seigneur pivota, incertain. Xian-Jun lui ordonnait-il de bouger vers lui ? Ne redoutait-il plus son regard posé sur ses cicatrices ? Hiwang obtempéra et repoussa l'eau pour se positionner à proximité, s'enfonçant jusqu'au haut de son buste, et il patienta sagement que l'héritier parle. Ils paraissaient tous deux embarrassés.
— Je m'excuse, grinça Xian. Il n'est point convenable pour un Jeune Maître de s'adresser ainsi à un compagnon d'armes.
— Je comprends, sourit le Seigneur, soulagé que la tension s'amenuise. Après tout, je connais le sentiment d'étouffement. Ne plus savoir qui l'on est. Croulez sous les regards insistants. Je suis moi-même la proie des demoiselles aux intentions ardentes !
— Vous n'en manquez pas une pour vous vanter !
Pour toute réponse, et avec la plus grande maturité, il lui tira la langue. L'héritier fit mine de s'en offusquer, pinçant les lèvres pour retenir un gloussement. Hiwang pouffa, conscient de sa bêtise, mais ravi d'avoir détendu son ami.
À cette pensée, il tiqua, haussant imperceptiblement un sourcil. Au final, Xian-Jun le référait toujours comme son compagnon d'armes, mais avec les épreuves de vie et de mort qu'ils avaient combattues ensemble, ils avaient atteint le palier de l'amitié. Non ?
Le Seigneur voulut le questionner ; cependant, il se tourna si vite que l'eau se souleva à son mouvement. Son vis-à-vis laissait dépasser son menton seulement, alors la vaguelette l'ensevelit.
— Pour information, brailla Hiwang, je ne souhaitais absolument pas vous envoyer cette eau à la figure, une simple maladresse ! Haha !
Pour sûr, il allait mourir.
Le temps stagna pour le Seigneur qui débuta des prières simultanées. Le Jeune Maître se leva, l'eau ruisselant donc à ses pectoraux, et il s'essuya le visage, en particulier les yeux, et souffla, des gouttelettes étant propulsées hors de sa bouche. Hiwang attendit sa réaction, les dents serrées. Elle ne tarda pas. Brutalement, il reçut une masse liquide en plein visage et en fut désorienté une seconde. Il perdit l'équilibre en arrière et se secoua vivement pour s'en remettre. Stupéfait.
Lorsqu'il put voir, il assista à un spectacle déroutant. L'héritier s'était simplement rassis, de la sorte qu'il ne semblait s'être rien produit. Xian avait l'ait tranquille et serein, alors que Hiwang toussait et s'épongeait le visage. Pour désamorcer le tout, il lâche un énième rire stupide. Jamais il n'aurait présumé que cet homme se vengerait en lui retournant sa maladresse. Ce comportement était contraire à son éthique de base.
Hiwang songea qu'il ne l'avait pas côtoyé autant qu'il l'aurait espéré. Ce Jeune Maître savait-il s'amuser aussi ?
— Une bataille aquatique ? proposa-t-il d'une moue mignonne.
— Certainement pas. Essayez et je vous maintiens sous l'eau jusqu'à ce que vous ne respiriez plus !
— En d'autres termes, vous me tuer... Rabat-joie, asséna le Seigneur, néanmoins égayé. Qui aurait prédit qu'un Jeune Maître pouvait être si mesquin ? Attenter à la vie de son ami !
Le cadet ricana, mais son rire se tarit peu à peu. Similaire à ses questionnements, Xian-Jun s'interrogea. Étaient-ils amis ? Peut-être. Ils avaient vécu et ressenti tellement, tous les deux ; ils s'étaient protégés ; ils partageaient des secrets communs ; ils s'appréciaient, bien que le Jeune Maître ne l'avouerait pas.
À sa mine sérieuse, Hiwang déduisit avoir prononcé la phrase de trop et il ne réprima pas sa tristesse. Si son aîné refusait de le traiter en ami, alors il attendrait de le sauver une nouvelle fois pour escalader le mont relationnel qui séparait un noble de Hù lǐ et un héritier de Zhī dào.
Il s'apprêta à s'éclipser, le sourire envolé, mais il se figea.
— Xian-Jun, dit-il sur un ton morne, tuez-moi maintenant car je ne puis supporter la vue qui s'impose à moi. Est-ce que je rêve ou...un serpent nage-t-il tout près de mon visage ?
Dans la source, en face de lui, un serpent rivait ses yeux jaunes dans les siens.
Son souvenir d'enfance le traumatisa derechef et il inspira avec frénésie, prêt à s'évanouir, ne parvenant plus à faire en sorte à ce que l'air s'engouffre dans ses poumons. Il se revoyait dans ce lac, encerclé par ces vils reptiles, et il trembla tellement que les vibrations interpellèrent le Jeune Maître. Il regarda le Seigneur avec distraction et perçut à son tour l'animal. Xian se remémora ses crises de panique au Comptoir des Neuf Dragons et il amorça un geste dans sa direction, sûrement pour l'écarter.
Toutefois, il constata trop tard la larme rouler sur ses joues creuses. Hiwang tolérait plus ou moins les serpents sur la terre ferme, même s'il ne s'empêchait jamais de fuir en hurlant à la façon d'une fillette ; dans l'eau, tout changeait. Sa phobie empirait.
Violemment, il fit volte-face et se heurta au corps du Jeune Maître qui l'attrapa à la volée. Xian se crispa, mais ne rejeta pas cette étreinte désespérée. Son cadet sanglota, le prenant de court. Il lui chuchota plusieurs mots gentils pour le rassurer, mais l'apeuré ne répondait plus. Le Seigneur s'était plongé dans son esprit torturé et il ressassait péniblement sa peur. Il grelottait contre lui, on aurait dit qu'il était soudainement malade, transpirant, sueurs froides et geignements plaintifs.
— Aidez-moi, supplia-t-il en un murmure fragile. S'il vous plaît, aidez-moi.
Sa voix ressemblait à celle d'un enfant et il répétait ces mots dans cet ordre précis, en boucle. Doucement, Xian glissa ses mains autour de ses hanches, il le souleva et le posa en hauteur, à l'extérieur du bassin. Sur-le-champ, Hiwang ramena ses jambes à son torse pour ne plus toucher l'eau. Le Jeune Maître se concentra sur le reptile qui n'avait pas bougé. Au loin, une personne appelait le serpent et il roula des yeux.
D'une agilité incroyable, le Jeune Maître de Zhī dào agrippa la tête du serpent et le propulsa dans les herbes.
— Jolie ! s'époumona Yichen qui se rapprochait d'eux. Quel est le malotru qui t'a maltraitée ?! Venge-toi ! Attaque !
Seulement, quand le guerrier de Jiǎo huá arriva au bain et qu'il prit conscience de la situation, ses yeux s'écarquillèrent. Il interdit promptement à son serpent d'avancer et lui commanda de déguerpir. Il n'osa pas rejoindre le Seigneur, alors il se contenta de mimer des excuses muettes auprès du Jeune Maître qui l'obligea à partir d'un regard furieux. De nouveau seuls, Xian récupéra au bord de la source leurs habits et emprunta les draps disposés pour se sécher. Il en déposa deux sur l'être frêle qui grelottait et frotta son dos avec vigueur, afin de le réchauffer et le réconforter.
— Cette bête recherche votre affection. Elle ne vous veut aucun mal. Ce serpent suit partout son maître et obéit à ses ordres. Cette jolie, vous la croiserez souvent cette semaine. Il vous faudrait vous en accommoder. Yichen la contrôle et il ne vous blessera pas. Il a saisi aujourd'hui combien vous avez peur des serpents... Bon sang, que vous est-il arrivé pour que vous trembliez autant ?
Le Seigneur pouvait supporter le serpent, là n'était pas le problème. Techniquement, sa mémoire incarnait son ennemi principal. Tant qu'il associerait les reptiles à son horrible souvenir, il ne réussirait pas à calmer son épouvante. Conciliant, Xian-Jun veilla sur lui jusqu'à ce que le soleil tape impitoyablement au-dessus de leurs têtes. Midi venant, ils devaient rentrer. D'interminables minutes s'étaient écoulées, et Hiwang ne tremblotait plus. Sa respiration se stabilisait. Ils s'habillèrent et l'héritier guida les pas de son compagnon qui chancelait.
Si le silence perdurait, cela ne contrariait pas le Seigneur qui n'avait pas envie de parler. Son trouble diminuant, il se rendait compte de l'absurdité de ses actes. Il avait enlacé un Jeune Maître, l'avait supplié tel qu'il l'avait fait à l'époque avec sa mère, il se sentait pitoyable et ne se risquait plus à s'exprimer, la tête baissée. Sur le chemin, il ne souriait plus aux femmes qui s'en inquiétèrent.
Une s'arrêta devant eux. Hiwang ne tenait pas à la renvoyer, sa réputation en pâtirait, mais il ne possédait plus la force de faire preuve d'attraits. Il leva ses yeux fatigués et s'étonna ; cette Dame admirait l'héritier sous toutes ses coutures. Une noble assurément, bien portante, à la robe noire de malice et violacée de séduction. Elle était engloutie sous des bijoux et une coiffe souple, mais imposante.
— Jeune Maître, je vous cherchais justement, les dieux m'ont conduite à vous.
Sa voix enchanta le Seigneur, mais il reconnut un tintement de fausseté. Fronçant les sourcils, il s'attarda un moment sur cette femme. Elle était splendide, toute en courbes et en sourires élégants. Puis, il put aisément anticiper la réplique de l'héritier, fidèle à lui-même : un son guttural, un simple grognement. Il ne s'ennuya pas à formuler le moindre mot, ce n'était pas utile. La Dame répliqua par un haussement de sourcil confus et elle observa le bref signe de main de Xian : cela signifiait que, si elle ne se dépêchait pas, il devrait la décaler pour poursuivre sa route. Quelque peu déboussolée par cette apathie, dont Hiwang voulut rire mais il n'en avait plus la force, elle se pressa de lui faire son petit discours :
— Je suis la Septième Jeune Maîtresse de Jiǎo huá , Huafang ; je suis terriblement enchantée de vous rencontrer. Les rumeurs ne tarissent pas d'éloges sur vous et...
Avant qu'elle n'ait l'opportunité de continuer, Xian se courba, en bonne tradition ; ensuite, il empoigna le bras du Seigneur et le tira à sa suite. Ils marchèrent à vive allure et ralentirent à l'intérieur du Talion Infernal, ils retournèrent au pavillon, abandonnant une Huafang au bord de la crise de nerfs.
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