Les tintements de cloche 1
— Pourquoi ne pas retourner à Hù lǐ ? Pacifistes, votre peuple doit bien avoir à disposition des cachettes secrètes. Non ?
— Absolument pas ! répliqua Wulong. Nos régents ont toujours eu pour habitude de nier la guerre. Puisqu'ils n'y participent pas, elle ne les touche pas. Raisonnement sans queue ni tête, mais ils nous apportent aujourd'hui malheur et destruction. Même si les autres Sectes, malgré leur entraînement et leur utilisation fréquente de la magie, ne parviennent pas non plus à vaincre les Ombres, ils peuvent au moins se défendre un minimum. Les gens de Hù lǐ se contentent de supplier les dieux !... Non, nous nous rendons à Zhī dào ! Le Jeune Maître, s'il vit encore, est l'unique personne sur cette terre en qui je voue ma totale confiance pour trouver une solution.
Petit Fielleux et l'alchimiste avaient dérobé trois montures dans l'écurie abandonnée du Talion Infernal. Ils avaient prêté attention à ce que les Ombres ne les poursuivent pas. Apparemment, elles s'occupaient à tourmenter d'autres pauvres gens. Ils avaient attaché Yichen sur le troisième cheval à l'aide de cordages, et les voilà désormais en route vers la Sagesse Altruiste. Quelques journées de galop. Ils devaient se dépêcher et s'arrêtaient le moins possible. L'armée de Jiǎo huá patrouillait partout, sur toutes les terres, et ils pouvaient également croiser des convertis. De plus, geler la blessure de son amant ne suffirait pas à le maintenir en vie. Il lui fallait des soins conséquents.
Alors, ils ne s'arrêtèrent pas une heure entière. Une poignée de minutes pour boire et se dégourdir les jambes, et ils repartaient rapidement. Wulong ne remercierait jamais assez ce Petit Fielleux. Grâce à lui, il se sentait moins solitaire, il désespérait moins. Sans lui, peut-être n'aurait-il pas été capable de passer les frontières de Jiǎo huá.
Ils évitèrent avec soin le Comptoir des Neuf Dragons, chaotique depuis le retour des Ombres. Ce détour leur fit perdre un temps considérable, une journée quasiment, mais il était nécessaire. Bientôt, ils distinguèrent les bordures de la Sagesse Altruiste. Leurs forêts de hauts arbres brûlaient encore à quelques endroits, mais le feu s'éteignait peu à peu, n'ayant plus rien à consumer. Ils foncèrent là où ils pensaient localiser le Jeune Maître. Mais, à leur arrivée à la Claire Prévoyance, ils contemplèrent une cité fantôme. Brouillard et fumée se mêlaient pour créer une épaisse barrière visuelle, le bruit du vent résonnait, aucun habitant ne se montrait. Comment les survivants avaient-ils pu déserter ? Où étaient-ils ?
— Croyez-vous qu'ils soient tous morts ? s'enquit Petit Fielleux, resserrant sa prise sur les rênes.
— Impossible, affirma l'alchimiste. Premièrement, les Ombres s'en seraient vanté. Deuxièmement, dois-je vous rappeler que Zhī dào contient les plus puissants intellects ? Ils se sont cachés. Reste à découvrir où.
En effet, cela prenait sens. Petit Fielleux ne négligea pas l'espoir insufflé par Wulong et ouvrait grand les yeux à la recherche d'un terrier, quelque part où ils y joindraient les gens de Zhī dào. Forcément, il s'agissait d'une zone immense pour accueillir tous les survivants. L'alchimiste hésita un instant. Possiblement avaient-ils délaissé la cité et s'étaient-ils concentrés dans les bois. Mais, les Ombres et l'armée de Jiǎo huá ne leur permettraient pas de longs mouvements. Sans aucun doute, ils se situaient aux alentours. Mais où exactement ?
Soudain, provenant de leur droite, ils perçurent des pas. Quelqu'un courrait. Une personne qui se voulait légère et discrète, mais le vide sidéral de la cité faisait écho. Wulong ordonna au Petit Fielleux de ne pas bouger, de veiller sur son amant et de fuir si un ennemi approchait. Il descendit de son cheval et suivait les sons qui se rapprochaient, signe que l'individu allait plus vite. L'alchimiste devina un piège, mais il s'y jeta corps et âme. Après tout, bien que les Ombres aiment jouer avec lui, elles ne prenaient pas leur temps pour s'amuser ainsi. Il espérait tomber sur un survivant.
La personne tourna dans une ruelle, il en aperçut le bout d'une robe froissée. Pour le devancer, l'alchimiste emprunta l'allée précédente et se hâta. Par chance, il se heurta douloureusement à un corps. Son vis-à-vis manqua de s'embroncher, mais se rattrapa de justesse. Un déséquilibre dont Wulong profita. Il empoigna le bras de cet homme et le força à ne plus fuir. Ils s'analysèrent mutuellement et notèrent leur essence de cultivateurs, non convertis.
— Écoutez-moi, Xiansheng, commanda l'alchimiste, redoutant d'être vu par l'ennemi. Un compagnon, mon homme et moi nous sommes échappés du Talion Infernal. Nous détenons des informations de la plus haute importance. Conduisez-nous immédiatement aux survivants, et à votre héritier surtout !
L'homme de Zhī dào se figea un moment, assez longtemps pour que Wulong s'impatiente et durcisse son regard. Convaincu par ses traits qui ne ressemblaient pas à ceux des convertis, celui-ci daigna lui indiquer un chemin. L'alchimiste le gratifia de son sourire le plus sincère et rejoignit vivement Petit Fielleux pour l'aider à porter Yichen. Les chevaux restèrent sur place, tandis qu'ils suivaient leur guide. Ce dernier s'appropriait la noirceur de la cité pour se faufiler à travers les dangers. Ils entendaient non loin des cris aigus, les Ombres parcouraient toujours la Claire Prévoyance à la recherche du peuple disparu. Ils se hâtèrent donc.
L'homme les mena jusqu'à une large demeure, pratiquement à l'écart de la capitale, mais encore à l'intérieur des remparts. Il était question d'un habitat très basique, un immense pavillon fait de bambous et de bois, parfaitement décoré, sûrement un endroit très plaisant pour les fortunés. D'ailleurs, il appartenait à un bourgeois, un riche marchand à n'en point douter. Wulong se demanda pourquoi ils venaient ici. Au premier coup d'œil, il n'y avait rien pour se dissimuler.
Puis, ils posèrent leurs pieds sur la terrasse et l'alchimiste ressentit un bouleversement dans l'air. Il se retourna brièvement, confiant son amant à Petit Fielleux.
— Un sortilège d'invisibilité ! s'exclama Wulong, souriant bêtement. Mais, les Ombres ne sont pas dupes. Si elles suspectent ce stratagème, elles essaieront de vous dévoiler !
— La barrière est maintenue par le plus fort d'entre nous, répliqua leur guide. Elle ne cédera pas si facilement, et elle est doublée d'une protection en cas d'assaut. Il n'existe pas plus sûr qu'ici !
— Qui posséderait assez de puissance pour tenir bon ? interrogea Wulong, dubitatif.
— La puissance est inutile, objecta une voix assagie par les récentes épreuves. La détermination, en revanche, forme notre meilleure et unique chance de vaincre. Ainsi que, je dois l'admettre, une profonde envie de vengeance !
L'alchimiste virevolta et se détendit instantanément en discernant enfin la mine bienveillante de Xian-Jun. Il semblait cependant plus ravagé que son territoire. Sa robe habituellement blanche était devenue d'un bleu nuit qui contrastait avec la pâleur de sa peau et ses orbes profonds se teintaient à présent d'une constante humidité, comme s'il se tenait sur le bord d'un précipice. Un homme fragilisé par la guerre, mais qui résistait pour son peuple. Wulong l'admirait. Il ne savait pourtant pas à quel point le Jeune Maître haïssait les Ombres, il ignorait son désir dévastateur de les annihiler pour de bon. Parce qu'il n'était toujours pas au courant pour Hiwang.
Ils se seraient salués avec joie, si Petit Fielleux ne faiblissait pas ; Xian-Jun constata la blessure de Yichen et les invita à entrer dans l'immense demeure. Wulong se stupéfia. Dans cette celle-ci, une centaine, voire bien plus, de gens de Zhī dào se pressaient les uns contre les autres, se réchauffant avec des tissus arrachés. Ils observaient les trois nouveaux arrivants d'yeux méfiants, en particulier le conseiller qui arborait toujours le blason de Jiǎo huá.
Ne leur accordant pas d'importance, le Jeune Maître les dirigea dans une pièce plus tranquille, une sorte de bureau au premier abord. Ils y déposèrent l'inconscient et l'alchimiste examina sa plaie. Sa magie diminuait lentement, il devrait sous peu la geler de nouveau.
— Nous ne détenions nulle autre solution durable, exposa Xian-Jun en notant le regard insistant de Wulong sur les gens de Zhī dào, il ferma la porte pour les isoler. Pour notre survie, ce lieu représentait une aubaine. Peu importe que les Ombres le découvrent, nous le défendrons bec et ongles... Il nous accueille tous et le possesseur de cette terre nous fournit également ses ressources. Nous bénéficions d'une semaine environ de nourriture.
— Une semaine ? répéta l'alchimiste, défait. Si peu... Que ferons-nous au bout de ces sept jours ? Qui sortira pour le ravitaillement ?
— Je ne compte pas rester ici pour voir la fin de ces provisions, rétorqua l'héritier, certain de lui. Je compte bien mettre un plan en marche. Soit nous triomphons des Ombres, soit les vivres deviendront nos dernières priorités.
Avant de discuter des diverses éventualités, Yichen nécessitait des soins. Le Jeune Maître fit taire la conversation en se focalisant sur le jeune homme. En soi, ils pouvaient le guérir, mais cela impliquerait de le remettre sur pied rapidement. Or, tous les deux connaissaient les risques. Dès que leur benjamin en aurait l'occasion, il irait affronter les Ombres. Xian-Jun médita sur un moyen de le maintenir dans un état d'inconscience. Le plus simple était de barricader son âme dans un coin pour l'empêcher de s'éveiller.
— Comment avez-vous eu l'idée de le geler ? s'enquit le Jeune Maître, impressionné.
— J'ignore encore s'il s'agissait de la bonne décision... Tant qu'il ne se sera pas réveillé, nous ne saurons pas. Je sauve son corps, mais son âme est peut-être perdue depuis longtemps.
Petit à petit, la magie de l'alchimiste disparut, laissant une plaie béante qui recommencerait à saigner. L'héritier suggéra à Wulong de refermer lentement la plaie, quitte à ce que plusieurs heures ne s'écoulent, afin de ne pas dilapider trop d'énergie. En face d'une telle blessure et en offrant trop de sa vitalité, l'alchimiste pouvait ne pas s'en sortir.
L'opération dura et l'épuisa, mais la peau cicatrisait peu à peu. Il sacrifiait beaucoup de ses forces, papillonnait des yeux et était avachi sur le sol à côté de son amant, sa main projetait une onde violacée qui s'affaiblissait au fil des minutes. Il faut dire, qu'en plus de cette entaille qui le transperçait presque de bout en bout, les Ombres avaient infligé d'autres dégâts physiques à son corps.
L'héritier ne quittait pas le couple des yeux une seule seconde ; Yichen ne devait pas se réveiller pendant le don d'énergie et Wulong menaçait de s'écrouler à tout moment. Il les surveilla jusqu'à ce que le pouvoir de l'alchimiste ne se dégage plus de lui. Son aura se rétracta sur elle-même et il s'évanouit sur le corps de son amant. Xian-Jun se pencha et vérifia la plaie, elle avait totalement cicatrisé.
— Un miracle, murmura-t-il. Ces deux-là possèdent pour sûr le soutien de l'Empereur de Jade, ils vivront longtemps ensemble.
Petit Fielleux, qui les regardait depuis une chaise, silencieux, et craignant d'être jeté dehors à la merci des Ombres à cause du blason de Jiǎo huá, décida de montrer une certaine utilité. Il porta Wulong sur un lit de fortune, trois tissus collés ensemble. Xian-Jun le gratifia d'un prompt remerciement. À lui d'agir maintenant !
Plonger Yichen dans un sommeil à temps défini lui paraissait être une idée possible. Il lèverait le sort lorsque les Ombres auraient été anéanties et que le danger ne planerait plus sur lui. Elles voudraient probablement le récupérer, qui plus est. Mieux valait que le benjamin demeure dans un monde régi par ses songes.
Par contre, il subsistait un énorme inconvénient : qu'arriverait-t-il s'il trépassait ? Yichen ne se réveillerait jamais.
Sa magie se répandit à travers ses veines, ralentit son rythme cardiaque et endormit son être. Présentement, il était englouti dans un flou nébuleux et il ne parviendrait pas à s'en dépêtrer. L'héritier espérait vivre pour l'en tirer un jour.
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