Les Champions des Sectes 5
Une fois qu'ils eurent tous pris la parole, la cérémonie monta d'un cran. En tant que Champions, l'organisation du Comptoir leur avait réclamé une performance de leurs talents. Ils devraient donc se battre entre eux, divertir la foule. C'est pourquoi ils s'affronteraient sur différentes épreuves. L'épée, l'arc et la magie. Un bref tournoi.
— Quelle perte de temps, marmonna Xian.
— Pour une fois que je suis d'accord avec vous, répliqua aussitôt Hiwang.
— Ces enfants n'ont point besoin de nous voir nous battre. À quoi cette cérémonie rime-t-elle ?
— Ils se doivent de suivre l'exemple montré par les Grands de ce monde et blablabla... Je suis un Grand et pourtant, regardez comme leurs parents me jugent. Pourquoi leur servir d'exemple, alors qu'ils se fichent de moi, dès que l'occasion se présente ? Et puis, des héros ? Franchement ? Sommes-nous réellement des héros ? Je n'en reviens toujours pas que nous ayons combattu le Bashe à quatre ; nous aurions dû être une vingtaine, au moins ! Que des froussards ! Votre Petit Sage a monté une équipe à la hauteur de la difficulté ou parce qu'il n'y avait pas de volontaires ?
— Sans nul doute parce qu'il a dû désigner les volontaires, acquiesça le Jeune Maître. Je pense que ces froussards ne se tairont jamais à propos de vous. Ils ont besoin d'une cible à abattre.
Tout comme il s'était servi du Seigneur Hiwang pour se défouler avec ses préjugés sur Hù lǐ.
— Excusez-moi, Jeune Maître, ronchonna-t-il, mais n'étiez-vous pas celui qui me traitait de poltron et qui accusait mon peuple de la pire couardise, hier ?
— Certes, certes. Si j'ai changé d'avis, ils le doivent aussi. Offrez-leur un beau spectacle, Seigneur Hiwang.
Le Seigneur opina du chef, mais il redoutait déjà de sa défaite. À côté des trois autres, il serait humilié. Il traîna tout de même des pieds et se positionna face à Jiali. Pour ouvrir le bal, il la combattrait à l'épée. À armes égales. Il essayait de contrôler son anxiété, mais connaissait très bien les talents de la mercenaire. Un coup de gong et le combat débuta. Agressive, elle l'attaqua sans répit. Mais, il esquivait et parait ses assauts. Il sentait qu'elle se contenait et il ne manquerait pas de la gratifier plus tard de ses remerciements. Pour le moment, il se contenta de ne pas mourir ! Tel qu'ils le présageaient tous, elle le vainquit. Avec habilité, elle toucha ses mollets et affaibli par son ancienne blessure, il s'écroula. Elle trouvait cet affrontement déloyal et l'aida donc à se redresser. Ils s'inclinèrent et les deux autres se défièrent. Yichen remporta la manche, sauvage dans ses coups.
Ensuite, Xian le rejoignit devant les cibles. Elles devaient être à cinquante mètres d'eux. Pour cette épreuve, ils étaient tous deux confiants. Le Jeune Maître visa le centre, mais toucha uniquement les quatre-vingts points, tandis que la flèche du Seigneur se logea dans le cent. Heureux et soulagé, son sourire éclaira toute l'arène et il fut rapidement applaudi.
Le disciple de Jiǎo huá démontra une fragile aptitude en arc, puisqu'il n'obtint que vingt points. Et le public le hua et il leur adressa des gestes obscènes en retour. Jiali reçut le même score que leur aîné. Hiwang ressentit une vive réjouissance, cette épreuve était la seule où il triompherait.
Toutefois, celle qu'il redoutait était désormais inévitable. La magie. Il l'utilisait en cas majeur et ne la pratiquait pas comme eux. Il avait tendance à fuir ses pouvoirs, ne pas être tenté de développer une essence trop puissante, ne pas attirer l'attention de sa Secte sur lui.
Le Jeune Maître battit de justesse la bâtarde grâce à une stratégie efficace.
Son sourire s'évanouit, il confronterait Yichen. Contrairement à Jiali, ce petit diable serait impitoyable. Déglutissant avec peine, il rassembla son courage et pria très fort. Pour faire grimper son désarroi, le sadique de Jiǎo huá sifflota à la manière du serpent. Hiwang refusa de succomber à l'intimidation. Il ne répondit pas à sa piètre tentative, bien qu'il pleurait intérieurement pour sa survie.
Sans tarder, le jeune créa un orbe d'énergie et le projeta sur le Seigneur. Il se propulsa sur le côté et s'efforça de se relever, mais une nouvelle secousse le catapulta douloureusement contre le sol. Hiwang rampa tout en reculant et contra avec un jet de flammes qui occupa brièvement Yichen. Debout, sa jambe le démangeait de plus en plus. Jiali et Xian le déduisaient à sa grimace et ils espéraient que leur cadet se calmerait, quitte à négliger sa victoire.
Mais, en bon adepte de la magie noire, Yichen déploya toutes ses forces. En quelques créations ténébreuses, le Seigneur croula sous un nuage de noirceurs. Broyé à terre, un faible bouclier le repoussait. Il faiblissait, son épuisement le rattrapa. Il roula, mais ne se redressa plus.
— Yichen, conquérant de Jiǎo huá, l'emporte ! hurla le Jeune Maître.
Ce ton sans appel indiqua au jeunot de s'abstenir d'en faire plus. Même s'il aurait aimé persister et gagner son duel jusqu'au bout, Yichen remarqua l'effroi des spectateurs. S'il attaquait, soit il briserait le Seigneur, soit il achèverait de l'humilier. Déçu, il se fit pardonner en détournant l'attention de Hiwang, le temps qu'il s'en remette, en effectuant quelques courbettes et pirouettes magiques.
Hiwang chancelait et menaçait de s'effondrer. Jiali amorça un geste pour aller l'aider et Xian ne réprimait plus sa contrariété. Il était dans un sale état. Ses lèvres se pigmentaient d'un rouge vif à force de les mordiller, ses yeux étaient embrumés et des hématomes étaient apparus sur sa peau parfaite. Malgré sa posture, il rejeta poliment la main de la femme et il se releva avec toute sa fierté restante. Il préférait mourir plutôt que de prouver son impuissance.
— Vous n'avez pas cédé et vous vous êtes bien défendu, affirma Xian.
— Je ne voulais pas vous faire plaisir en baissant les bras trop tôt, souligna Hiwang, en reprenant son souffle.
— Non, cela ne m'aurait pas plu, au contraire. Votre corps est fort, votre essence aussi, mais votre détermination laisse à désirer. Un coup suffit pour vous mettre hors-jeu. Je ne comprends pas pourquoi vous ne vous servez pas de vos talents. Vous en avez. C'est juste que vous ne les exploitez pas.
La nuque du Seigneur était coincée par les contractions et ses yeux se dirigèrent sur le Jeune Maître. Celui-ci avait fourni un certain effort pour bredouiller ces mots. Il s'agissait en fait d'une volonté feinte de s'assurer qu'il allait bien. Hiwang sourit, n'étant dupe. Bien qu'il se conduise avec insensibilité et nonchalance la plupart du temps, Xian ne restait de marbre face à ses contusions et à la honte – d'avoir été ainsi rossé par le disciple de Jiǎo huá. Une mélodie les interrompit, résonnant dans l'arène. Trois femmes jouaient un air de guzheng. Les premières notes apaisèrent tout le monde.
— Si cela peut vous réconforter, Yichen m'a également vaincu. À l'épée. Ce gamin dénote un talent rare pour les arts guerriers, et mystiques aussi. Il ira loin, je suppose.
— Je ne doute pas que son essence d'or est invincible. Avec son génie actuel, il pourrait surpasser tous les disciples de sa Sectes, et de toutes les autres. Un prodige effectivement, confirma Hiwang, amer. Mais quel enfant enquiquinant ! Oser s'en prendre à ses aînés ! Qu'allons-nous faire de lui ?
Puisque le Seigneur pouvait railler, alors Xian en conclut qu'il se portait bien. Il s'en réjouissait avec sincérité. Il ressentit même un soulagement identique à celui de l'an passé, quand il l'avait vu reprendre des couleurs après sa blessure.
Au guzheng, se rajouta un thème de xiāo, une flûte en bambou. Un homme montait en notes, transperçant les graves et aigus, en un rythme doucereux. Toute une troupe de demoiselles pénétra dans l'arène, dévalant les tribunes jusqu'à eux. Elles se postèrent en rond, masquées et vêtues de tissus légers. Il s'agissait du grand final, une petite démonstration avant que les parents ne saluent les enfants.
— Que j'y pense... Vous vantez vos capacités, vous le fils d'un Patriarche, un brin imbu de lui-même et très fier de sa Secte... Je trouve amusant qu'un disciple de Jiǎo huá à peine sorti du lit de la jeunesse vous ait battu.
— Vous êtes pareils tous les deux. Il n'y en a pas un pour m'adresser le respect que vous me devez. Souvenez-vous que votre vie était entre mes mains. Ne me faites pas regretter.
— Si cela vous importune autant, pourquoi souriez-vous comme un Idiot ? murmura-t-il pour lui-même.
Exaspéré par son impudence, l'héritier le jeta une œillade courroucée, pour la forme. Oui, les convenances et le respect lui importaient, mais, à lui, il tolérait son insolence. En fait, il cherchait à percer à jour le mystère de ce Seigneur ; il débordait d'insouciance et de vulnérabilités, mais abondait de nombreux talents. Pourquoi ne pas s'entraîner ? Pourquoi ne pas les cultiver ainsi qu'ils devraient l'être ? Il aspirait à le comprendre.
Un tambour fut frappé, la peau tirée était battue en cadence, s'accordant avec les deux précédents instruments. Les femmes se murent avec grâce ; de leur corset, elles sortirent des éventails et tournoyèrent. Elles s'accrochèrent à cette danse brutale, soumises à la musique.
— Je vous déteste un peu, lui promit Xian.
— Oui, mais vous m'appréciez un peu, aussi, contra-t-il.
— Il me tarde de ne plus supporter votre insolence.
— Mais non ! Je vais vous manquer.
Ils s'extasièrent devant cette valse effrénée et lorsque l'harmonie se tut peu à peu, les mouvements ralentirent et s'estompèrent pour être remplacés par une cacophonie d'applaudissements. Tandis que les parents rejoignaient une ultime fois leurs fils, les gradins se vidèrent. Jusqu'à la dernière seconde, Hiwang ne vacilla pas, maintenant sa posture noble. Les hommes du Comptoir les félicitèrent pour leurs performances et à la seconde où il fut libre, le Seigneur se précipita à l'extérieur, désireux de s'asseoir. Il s'écroula sur un banc quelconque, non loin de son cheval, et il respira profondément tout en se massant le mollet. Ses doigts glissèrent sur sa blessure, il en souffrait tellement.
— Adieu, petit Seigneur ! fit Yichen, en passant.
— Nous nous reverrons sûrement, jeune effronté. Malheureusement.
Jiali les salua de sa courtoisie monotone et prit congé. Yichen rit un moment et aperçut le Jeune Maître. Il marchait lentement, ne paraissant pas vouloir rentrer à Zhī dào, et cela se comprenait très bien. Profitant de l'opportunité de semer une graine supplémentaire, le jeune disciple de Jiǎo huá sifflota et une silhouette visqueuse rampa jusqu'à lui. Hiwang leva son regard à cet instant et discerna l'animal. Il pouffa et ne tomberait pas dans le piège une seconde fois ! Il ne lui donnerait pas satisfaction. Cependant, le jouet – car il présumait une farce – ressemblait vraiment à un original.
— Je vous en supplie, dit-il, blême, ne me dites pas que vous possédez un serpent, pour de vrai... Ne me dites pas que...
— Joli, c'est son nom ! certifia Yichen. N'est-il pas splendide ? Et il m'obéit au doigt et à l'œil. Ne vous inquiétez pas, il ne vous mangera pas... Sauf si je le lui demande, cela va de soi !
Son visage ne pouvait davantage pâlir. Hiwang se tenait au bord du coma et il priait pour s'évanouir afin de ne plus voir la créature. Cette fois, il affrontait un véritable reptile, plus réel que jamais. Son beuglement de fillette épouvanta les marchands aux alentours et fit exploser d'un rire tonitruant le jeunot. Xian s'intéressa aux deux quand le noble de Hù lǐ retrouva l'usage de sa jambe, s'agita dans tous les sens et courut se dissimuler derrière lui, saisissant ses épaules avec vigueur.
— Faites-le partir ! Par pitié, Xian-Jun, tuez-le tout de suite ! Misérable gamin ! brailla-t-il à l'égard du maître du serpent. Je promets sur les dieux que si vous n'écartez pas cette chose immonde de moi, je vous éviscère !
Mais, le benjamin s'amusait trop pour arrêter son animal de compagnie. D'un sifflement, il lui ordonna de glisser vers eux et le Seigneur de Hù lǐ se crispa dans le dos de l'héritier. Hiwang tremblotait et contractait tous les muscles de son corps, ce qui devait affaiblir sa jambe. Les sourcils froncés, l'aîné signifia à Yichen de reprendre son reptile et de partir.
— Xian-Jun ! implora le Seigneur, effrayé au possible.
— Par tous les dieux, vous affrontez un Bashe, mais vous ne soutenez pas la vue d'un simple reptile.
— Eh ! s'insurgea Yichen. Simple reptile ? Figurez-vous que Joli n'est peut-être pas très grand, mais il vous paralyse d'un coup de croc si je le lui ordonne. Ne le sous-estimez pas !
— Contrôlez-vous, voyons ! cingla Xian à l'attention du Seigneur.
L'héritier, en ayant assez que le peureux se cramponne à ses bras, fit volte-face et le tira à sa monture. Le corps immobilisé par son appréhension, le Seigneur ne se souvint plus comment monter. Avec l'aide du Jeune Maître qui le souleva d'un coup, il réussit à grimper sur la selle et, les yeux clos, il tira sur les rênes. S'enfuyant à vive allure, Yichen n'arriva plus à respirer correctement, riant aux éclats, alors que Xian le fixait, plein de lassitude. Comment ces quatre-là pouvaient-ils former les nouveaux Champions des Sectes ? Un psychopathe qui venait de quitter plus ou moins l'adolescence, un héritier dédaigné par son peuple, une bâtarde assassine et un brave lâche. Quelle sacrée équipe ! Mieux valait qu'ils ne se revoient plus, car chaque rencontre finissait toujours par l'épuiser.
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