Les Champions des Sectes 4
— En quoi suis-je responsable de la dégringolade de votre réputation, hum ? maugréa Xian. Vous vous débrouillez très bien sans moi.
— Vous êtes-vous battu avec des Dragons affamés sur la route ? poursuivit Jiali, désespérée par son apparence négligée.
— Si vous voulez mon avis, j'adore ! rit Yichen. Moins formel, mais plus séduisant ; vous devriez prendre exemple sur ce petit homme ! Lui sait ce qui plaît aux femmes.
Xian et Jiali en doutaient. En particulier cette dernière. Ils avouaient néanmoins que ce noble conservait des qualités physiques indéniables. Sa beauté resplendissait, même dans cet état de semi-réveil. Ses souples cheveux lisses cascadaient dans son dos, atteignaient pratiquement ses côtes, une taille fine jalousée des demoiselles ; ce corps élancé masquait une musculature enviable. Les traits de son visage s'affinaient au fil des années. Au rassemblement, à la Crête des Colères Démesurées, au temps qui s'écoulait, il apparaissait toujours plus magnifique. Son élégance n'était égalée par aucun noble de Hù lǐ. Ses joues creuses adoucissaient sa mine illuminée de son sourire irréprochable, elles le sculptaient, strictes mais attrayantes. Et ses lèvres... Constamment étirées par son espièglerie, un peu bombées et rosées. À Mó fǎ, la jeune femme ne débusquait pas ce type de spécimen. Hiwang était une perle rare, une délicate splendeur.
— Je n'essaie pas de plaire aux femmes, bougonna-t-il, se ratatinant sur place. Du moins, pas maintenant. J'ai bu et je me suis réveillé tard. Par chance, je suis arrivé à temps.
Yichen pouffa. En effet, ce petit Seigneur, il l'admirait beaucoup. Il repensait à lui, quelquefois, depuis leur rencontre. Parce qu'il était grâce, parce qu'il était bonté, parce qu'il était son contraire. Parce que son duo avec le Jeune Maître le divertissait grandement ! D'ailleurs, le disciple de Jiǎo huá prit note de la direction des orbes de l'héritier : braqués sur lui. Il détaillait Hiwang... Non, il ne le qualifiait pas de beau, mais de possiblement...captivant à examiner. Ses courbes suscitaient en lui des questionnements irrationnels. Comment un homme pouvait-il être né avec de telles lignes ? Il n'était pas né pour la guerre, en fin de compte. Mieux valait qu'il se pavane et se prélasse à sa capitale, auprès de jolies femmes, plutôt qu'il ne s'abîme sur un champ de bataille. Il ne ressemblait à personne d'autre, unique en son genre. Il ne parvenait à le décrire, à mettre des mots sur lui et cela le dérangeait.
À bien le regarder, Xian remarqua son agitation. Le Seigneur de Hù lǐ gesticulait et tournait farouchement sa tête dans tous les sens, cherchant quelque chose. On aurait dit qu'il s'attendait à ce que le faux serpent de la veille lui bondisse dessus.
— Oh ! par tous les dieux ! brailla Hiwang. Suis-je le seul à entendre ce terrible son ? Qu'est-ce ? Où est-ce ?
Le Seigneur se contorsionna pour observer le sol. En y prêtant attention, Xian perçut le bruit distinct d'un serpent. À nouveau, ses sourcils se haussèrent et il se tourna vers le sadique de Jiǎo huá. Le jeunot reproduisait à merveille ce sifflement qui perturbait Hiwang de sa bouche narquoise. Il paniquait, en plein milieu d'une arène, tandis que des centaines de regards se posaient sur lui. D'un mouvement brutal, l'héritier frappa le torse de Yichen qui toussa à s'en écorcher la gorge, coupé dans son imitation parfaite. Jiali les ignora. L'apeuré arrêta de bouger, mais il se rapprocha du premier corps à sa disposition, celui du Jeune Maître, et il attrapa sa main pour se rassurer, tout en analysant la terre sèche.
— Cet idiot de Yichen vous joue un tour, exposa-t-il. Ressaisissez-vous, tous les yeux sont rivés sur vous.
— Toi ! cria le Seigneur, oubliant les formalités. Attends un peu que je ne me venge !
Il se dégagea férocement du Jeune Maître et se précipita sur le jeune de Jiǎo huá. Qui s'étouffait encore. Et qui n'avait pas anticipé cette réaction. Il présumait que le Seigneur serait paralysé par sa peur tordante des reptiles. Déglutissant, les mains devant lui pour se protéger, il fit mine de supplier Hiwang de l'épargner. Ce dernier proliféra tout un tas de menaces sans prononcer le moindre mot, se contentant de les mimer. Il se chargerait de son cas après la cérémonie. Yichen n'avait jamais rencontré un noble de Hù lǐ aussi énervé, il apprendrait de son erreur.
Puisqu'ils étaient en public, Hiwang abandonna pour l'instant et se rangea à sa place, à l'opposé de Yichen en lui jetant des regards noirs que le jeunot feignit d'ignorer toute la cérémonie. Une voix le tira d'affaire et tempéra les bavardages dans les gradins :
— Le Comptoir des Neuf Dragons se ravit d'annoncer officiellement l'ouverture de la deux-centième Saison de l'Enseignement ! Bienvenue, mes chers camarades, bienvenue à tous les cultivateurs, bienvenue à tous ! Pour l'occasion, nous avons convié les héros de cette année ! Les vainqueurs de l'impitoyable bataille des Colères Démesurées !
Un tonnerre d'applaudissements se déclencha dans les tribunes. Respectueusement, les quatre nommés s'inclinèrent. Fidèle à son rôle, Yichen s'avança de quelques pas et fit des signes de main aux spectateurs. Des femmes gloussèrent. Jiali suivit, malgré son impassibilité. Des hommes sifflèrent. Xian les imita, arborant son indifférence habituelle. Tous le saluèrent poliment. Enfin, Hiwang se présenta aux spectateurs qui l'observèrent avec curiosité. Certains, ceux qui ne le connaissaient pas, le louèrent et acclamèrent un héros. Les autres ne s'intéressèrent pas à lui. Cela le blessa plus qu'il le confesserait. Il étira au maximum les coins de sa bouche et éblouit l'arène de ses yeux rieurs. Le Jeune Maître félicitait sa force de caractère. Il s'était trompé à son compte, et il le voyait petit à petit.
— Aujourd'hui, vous nous confiez vos enfants, reprit la voix bourrue. Nos jeunes disciples lutteront pour les conflits à venir et nous les épaulerons tout au long de ce fastidieux processus d'apprentissage. Toutes les Sectes, ici présentes, retrouveront leurs descendances transformées ; plus robustes, mieux entraînés, stratèges et guerriers ! Ils braveront tous les dangers pour nous. Au sein de ce Comptoir, vous verrez vos fils entrer parmi nos rangs et nous les formerons avec dignité par des Maîtres de leurs spécialités. Ils leur instruiront les aptitudes des Quatre Grandes Sectes en une seule formation, et feront d'eux des prodiges. Mes très chers amis, pour débuter cette magnifique cérémonie, permettez aux héros de raconter leur expérience ! Ils sauront trouver les mots justes pour encourager nos futurs apprentis !
Jiali décida de parler en première, sûrement pour se débarrasser de ce discours qui l'agaçait déjà. Après tout, elle incarnait son statut de bâtarde à la perfection, privée du soutien populaire, méprisée par la plupart des siens. Son corps avantageux attirait encore les hommes, précisément dans une robe écarlate au tissu léger qui suivait les sinuosités de ses formes. Elle prit son souffle, pendant que le silence couvrait l'arène.
— Quand je suis devenue un acolyte des Neuf Dragons, je ne savais rien faire. Mes mains vibraient de timidité et je vacillais à l'idée du sang. Maintenant, je peux tuer les paupières closes et vaincre tous mes ennemis. Le Comptoir des Neuf Dragons fut une réelle aubaine et je remercie mes professeurs de m'avoir inculqué les bonnes valeurs. Surtout que je n'étais qu'une femme, une intruse parmi les centaines de garçons belliqueux. Je suis bien plus qu'une femme. Je suis forte. Vos enfants seront en sécurité !
Cette tirade ne réjouit aucun parent. En réalité, nul ne souhaitait que leur fils termine ainsi, un sanguinaire mercenaire. Elle se moqua des diverses exclamations et recula, laissant sa place à ses compagnons. Xian, poussé par une envie similaire de se délivrer de cette tâche, prit le flambeau. À sa voix ferme, tous l'écoutèrent. La majorité le vénérait, les gens de Zhī dào étant par nature appréciés par le reste du monde. Un érudit porterait forcément un message réconfortant.
— Pour sûr, ce lieu regorge d'histoire et de puissance. Je n'ai eu la chance de participer à ses enseignements, contrairement à mes frères qui m'ont convaincu de l'éducation bienfaitrice et acharnée du Comptoir. Pourquoi ce monde est-il parcouru par des hommes vaillants, à votre avis ? Eh bien, parce qu'ils sont façonnés par les meilleurs. Soyez tranquilles, vos fils vous combleront d'honneur !
Il n'y croyait pas un traître mot. Le Jeune Maître battait régulièrement ses frères lors de combats officieux, et il avait été modelé par son précepteur, et non par l'armée de Maîtres des Neuf Dragons. Son agilité supérieure et son don irréfutable prouvaient que ce Comptoir n'offrait peut-être pas le meilleur des enseignements. Mais, puisque les parents s'angoissaient de soumettre leur progéniture à de telles épreuves, il fit germer une once de confort. Hiwang approuvait ces paroles sensées. Il choisit de continuer, devinant que Yichen dirait n'importe quoi et il ne voulait pas conclure après lui. Afin d'éviter les moqueries ou les messes basses, il se forgea un colossal sourire. Ses mèches noires se balançaient au rythme de ses mouvements.
Xian s'interrogeait sur ce charme qui calmait apparemment la jalousie et la cruauté de son audience.
— Cette nouvelle génération prolonge la nôtre, ils constitueront notre unique héritage et nous désirons tous qu'ils soient éduqués par les meilleurs des meilleurs. Le Comptoir propose de prestigieux professeurs et vos enfants se retrouveront entre de bonnes mains. Ne vous inquiétez pas. J'ai déjà reçu des témoignages qui insistaient sur la richesse des connaissances et des aptitudes transmises au cours de cette formation. Oui, soyez sans crainte.
Quelques-uns rirent. Les témoignages de qui ? Seule une poignée des gens de Hù lǐ envoyés leurs fils ici. Ils ne participaient pas, ou peu, aux Saisons de l'Enseignement et ceux qui venaient étaient automatiquement victimes de railleries mesquines. Les Clans se méfiaient des autres et ne manquaient pas de rabaisser leurs voisins. Hiwang songea à son expérience au Comptoir qu'il avait jugé bon de ne pas partager. Elle se révéla désastreuse ; il avait vécu dix mois dans la souffrance, dénigré par les disciples. Son malaise faillit se faire ressentir au travers de sa gestuelle, mais Yichen dissipa la tension d'un revers de main théâtral.
— Par mon enseignement, je sais me défendre en toutes circonstances, je maîtrise les asphyxies, les égorgements, les lapidations, et toutes les morts douloureuses ; je torture quiconque s'oppose à moi et ne réprime jamais ma colère... Toutefois, fit-il sous les outrages des parents, vous devez comprendre un fait : mes professeurs ne m'ont ni enseigné la fureur, ni à la canaliser. Qui vous deviendrez, cela n'engage que vous. Vos enfants embrasseront le destin qui les attend, que vous le vouliez ou non. Personne, et surtout pas le Comptoir, ne déterminera leur avenir !
En voilà des mots sincères. Yichen étonna tout le monde et Jiali sourit imperceptiblement sous les cris offusqués des parents et sous les applaudissements des futurs disciples. Ce gamin irrespectueux ne savait vraiment pas se comporter. Heureux de son effet, il n'empêcha pas sa malice d'exploser sur ses traits goguenards. Hiwang lui décocha un clin d'œil amusé et épaté, auquel le sadique de Jiǎo huá répondit par un fin rire.
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