Le Talion Infernal 1
Jia Li posa un premier pied à l'intérieur de la Cité du Talion Infernal, la capitale de Jiǎo huá. Elle souhaitait déjà rentrer chez elle. Mó fǎ lui manquait tellement quand elle s'en éloignait. Pourtant, elle ne s'y montrait jamais en public, son peuple se souvenait à peine de son visage. Ils reconnaissaient vaguement ses yeux limpides et ses courbes voluptueuses ; ils savaient davantage la forme de ses épées papillons que la couleur de sa peau blafarde qui refusait le soleil. Ils l'identifiaient souvent par rapport à sa tenue. Elle devait être une des seules à assumer une couleur aussi vive que le rouge écarlate.
Aujourd'hui, elle apparaissait en tant qu'invitée d'honneur pour les festivités organisées par Meng, durant une semaine entière. À leur retour de la Fosse des Lamentations, ils ne l'avaient pas revu, mais le Patriarche avait exposé aux autres Sectes leurs actions dans le gouffre. Une armée se préparait à anéantir les démons et l'heure des réjouissances sonnait. Bien qu'ils n'aient pas véritablement triomphé, le Chef avait insisté pour inviter « les jeunes guerriers qui l'avaient accompagné dans sa conquête ».
— A-t-il découvert l'issue ? rouspéta pour la millionième fois son fiancé. M'a-t-il aidé quand les Ombres nous chassaient ? Non, je ne crois pas ! Il me semble d'ailleurs qu'il a attenté à ma vie au lieu de me prêter secours, en les laissant m'attaquer ! A-t-il participé à la dernière bataille ? Ce lâche s'est enfui pour raconter ses fantaisies à son peuple. Si nous étions tous morts, comment aurait-il ajusté ses mensonges ?
Il répétait en boucle les mêmes reproches et cela irritait profondément Jia Li. Elle tentait en vain de garder son calme et de ne cracher sur le Patriarche à son tour, mais son fiancé n'arrangeait en rien sa colère. Heureusement qu'ils pénétraient dans le Talion Infernal ; de la sorte, Muwen était obligé de se taire pour ne pas attirer les regards désobligeants sur lui.
Cette cité se dévoilait bien morne et d'une hostilité morbide. À chaque pas, ils étaient dévisagés par les gardes. En plus, ils déambulaient dans un véritable labyrinthe, ils n'étaient guidés par personne. Par chance, la bâtarde connaissait approximativement le chemin jusqu'au temple, étant venue dans sa jeunesse. Pour le compte de son père, elle s'était faufilée et avait massacré quelques gens de Jiǎo huá ; elle espérait que Meng ne l'apprenne jamais.
Face au temple, ils s'agenouillèrent, car la tradition l'exigeait, et des servantes se précipitèrent sur eux ; elles les menèrent au travers de nombreux jardins. Un pavillon épuré à l'écart paraissait spacieux, assez pour accueillir une dizaine de personnes. Entouré d'étangs où resplendissaient les fleurs de lotus, la demeure se construisait sur un étage unique, en bambou. Sur les portes se dessinaient des motifs floraux et sur les murs serpentaient des arabesques dorées. Un endroit qui contrastait fortement avec la monotonie de Jiǎo huá.
Jia Li soupira avec lourdeur, en comprenant pourquoi elles les conduisaient ici sans une explication. Muwen fronça les sourcils, ne saisissant pas tout de suite la nature de son exaspération. Mais, lorsqu'ils découvrirent l'intérieur, le fiancé se figea. Quatre personnes les scrutaient à leur entrée. Et il comprit.
De toute évidence, ils étaient condamnés à séjourner le temps des festivités et avec le restant de la troupe.
Il réprima une grimace, faussement agacé. En réalité, cela le rassurait de voir du monde. Sa fiancée l'ignorait à toute heure et ne s'intéressait pas à lui ; il se serait terriblement ennuyé pendant la semaine des festivités s'il avait dû rester avec elle sans autre compagnie.
Forçant un sourire enjoué, il se ravit d'abord de croiser les yeux intrépides de Meiling. Muwen la salua en premier et elle le joignit pour effectuer une terrible courbette. Ces deux-là se ressemblaient sur plusieurs points, selon Jia Li. Des enfants dans l'âme, qui n'avaient pas véritablement atteint la maturité, et qui se frottaient à des dangers trop importants pour eux.
— Ma Dame, fit-il en lui baisant la main, non sans lâcher un gloussement qu'elle imita. Jeune Maître, se tourna-t-il vers les autres. Seigneur Hiwang, Maître Wulong. Avez-vous tous fait bon voyage ? Les chemins de Jiǎo huá ne sont pas très pratiques ! Même les chevaux de pur sang de Mó fǎ ont peiné à nous conduire ici.
Les gens de Hù lǐ opinèrent du chef avec vigueur et s'apprêtaient à répondre, mais une furie débarqua en trombe dans le pavillon. La porte s'ouvrit en fracas et se referma immédiatement. Des serviteurs tremblaient à sa suite.
Yichen fulminait.
Des bagages étaient portés dans une des chambres, tandis qu'il marmonnait une multitude d'insultes. À sa vue, Wulong se redressa et se positionna correctement sur le coussin, le dos droit, il cessa presque de respirer. Dès que le jeune de Jiǎo huá était proche de lui, il souffrait d'une gêne sans pareille. Or, là, le benjamin avait l'air focalisé sur son courroux, et non sur lui. Grognant, il tapa des pieds et s'assit sans souplesse par terre, à côté des autres, sous l'attention générale. Sa jambe droite martelait le bois avec agacement et il dévisagea les domestiques qui repartaient après avoir déposé ses affaires. Sa colère transpirait par tous ses pores.
— Apparemment, je n'ai plus le choix de ma demeure, marmonna-t-il. Ce sale scélérat, qui nous sert de Patriarche, m'a jeté hors de ma maison pour ce misérable pavillon. Je cite, en résidant tous ensemble lors de nos merveilleuses festivités, nous montrerons aux Sectes une cohésion de groupe entre tous les héros de la Fosse des Lamentations. Quelle cohésion de groupe ? Quels héros ? Ce fumier s'est enfui ! De quel droit m'ordonne-t-il de vivre ici et là ? Je jure que je le tuerai un jour. Personne ne m'en tiendra rigueur, puisqu'ils le détestent tous. Pourquoi nul ne s'est-il risqué à le destituer ? Il le mériterait.
— Allons, n'étalez pas à des oreilles traînantes vos pensées impures, conseilla Xian.
Il pointa du menton les deux servantes à l'entrée. Yichen leur jeta un regard noir et fit mine de se redresser. Elles prirent leurs jambes à leur cou et filèrent.
— Ne tombez pas dans son piège, continua Wulong de sa douce voix. Il est évident que cet homme recherche le conflit. Cela l'amuse. Le Patriarche veut peut-être nous rabaisser, briller aux yeux de sa Secte en nous utilisant. Ce n'est pas grave. Nous savons qui dit la vérité. Oublions sa vanité, subissons les jours à venir ; ensuite, nous rentrerons chez nous.
À ses mots, le jeune homme releva la tête et malgré la haine qui dansait encore dans son regard, un rictus s'afficha sur ses lèvres en coin. En effet, il remarquait enfin la présence discrète de l'alchimiste et l'ordre de son Chef de Secte ne fut plus qu'un lointain souvenir. Lui qui comptait retourner à sa demeure et désobéir au Patriarche, il se révélerait plutôt docile, en fin de compte.
Wulong se renfrogna sur-le-champ à son attitude changeante. Le loup fixait sa proie, son agneau.
— Ce pavillon n'est pas si mal. Vous avez tous raison, railla-t-il, et ils roulèrent des yeux, hormis Wulong qui déglutit. J'aime bien cet endroit, en fait ! J'espère que ma chambre n'est pas trop loin de la vôtre, petit alchimiste.
— Devez-vous vraiment rester avec nous, nuit et jour ? bredouilla Hiwang.
Le Seigneur voyait bien dans quel état leur benjamin plongeait l'alchimiste. Par solidarité envers son compère, il s'inquiétait pour Wulong.
— Malheureusement, ronchonna Yichen, ou heureusement ! Je vis à Jiǎo huá, je détiens un domaine personnel, héritage de mes parents. Je paie au Patriarche ses crédits mensuels. Malgré tout, ce satané Patriarche ose me balader de partout et me traiter comme un garde de bas rang. Je suis né d'un père Général et d'une mère noble. J'ai droit au respect. Je suis l'un des meilleurs disciples actuels, mes Shifu prévoient que j'entre bientôt au service de l'armée. Je ne tarderai pas à lui démontrer son erreur, à ce Meng... Franchement, quelle cohésion de groupe ? Nos gens ne sont pas idiots. ! Il sait que nous ne nous rencontrons jamais en dehors des missions officielles. Que nous nous connaissons tous à peine. Je suis persuadé que Meng a pris cette décision pour m'ennuyer. L'autre jour, j'ai refusé une de ses missions pour me reposer chez moi. Puisque j'ai tant rechigné pour demeurer à mon pavillon, il m'en chasse aujourd'hui. Mais, il faut relativiser. N'est-ce pas ? Qu'en pensez-vous, petit alchimiste ?
Wulong s'empourpra, tout à coup. Bon sang qu'il n'appréciait pas ce surnom idiot ! Pourtant, Yichen avait l'air si fier de le mettre mal à l'aise. L'alchimiste de Hù lǐ acquiesça, uniquement pour se débarrasser de son regard insistant.
Jia Li et Muwen rejoignirent le groupe sur les fauteuils et ils patientèrent tous en silence, assis en tailleur, sirotant le thé préparé pour eux, et ce pendant tout l'après-midi. Ils en profitèrent pour cultiver leur magie. Ils méditèrent. Parfois, la magie de Yichen venait taquiner celle de Wulong. La jeune chasseuse de démons ne tint pas en place, ayant besoin de bouger. Elle rêvait de reprendre ses traques et elle considérait ces festivités comme une perte de temps. Elle demanda aux domestiques, à l'extérieur du pavillon, ce qui les attendait exactement. Ils n'auraient su le dire avec précision. Apparemment, le Patriarche avait organisé une réception le soir, l'ouverture des festivités ; il les conviait donc tous à la nuit tombée. Elle leur proposa de visiter la capitale, mais chacun ne se sentait pas en sécurité par ici et refusa poliment.
— Xian-Ge ! lança-t-elle. Venez avec moi, dégourdissons-nous les jambes.
L'héritier fut jaugé par tous les autres. Ils ignoraient la nature de leur relation, c'est-à-dire amis d'enfance. Hiwang haussa un sourcil à cette intimité. Néanmoins, elle avait raison. Demeurer dans ce ridicule pavillon l'incommodait. Xian la suivit à l'extérieur et les cinq autres ne firent pas grand-chose jusqu'à la nuit.
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