Le souffle du renouveau 5

Tous opinèrent du chef et il se rassit en vitesse, ignorant les yeux déstabilisants du Jeune Maître. Ils le plongeaient dans une instance de trouble dérangeant. À sa proposition, des phrases insensées s'élevèrent dans la salle. Personne ne coopérait vraiment et cela irritait passablement Hiwang. Ils prononçaient des hypothèses, reposant sur de la chance, sans arguments véritables. Poison, feu, araignée ou serpents... Les gens de Hù lǐ, déjà qu'ils étaient peu nombreux, ne participaient pas à cette énumération sans queue ni tête. L'absurdisme de la situation les décontenançait. Un d'entre eux se risqua cependant à noter un point important.

— Pourquoi pas la chaleur ? Les créatures ne s'aventurent pas en plein jour. Elles s'écartent à l'approche des flammes. Elles fuient devant tous nos sorts qui propagent de hautes températures. Elles vivent en majorité dans les zones humides, dans les grottes et les renforcements, là où la chaleur baisse.

— Non, l'interrompit net l'héritier. 

Sa voix électrisa Hiwang qui se replongea dans la conversation. 

— Nous avons convenu qu'elles ne redoutaient pas le feu, puisqu'elles attaquent même si nous formons une barrière enflammée ! Elles privilégient les régions aux températures basses, mais c'est tout. 

Soora haussa un sourcil. A priori, celui-ci deviendrait un Chef de Secte rigide et autoritaire, le contraire de son père. Le chasseur releva la fureur qui se peignait sur tous les traits de son ami. Hiwang s'emportait au ton sec et dédaigneux de l'héritier. Comment un homme pareil pourrait-il diriger ? s'interrogea-t-il. Détestait-il simplement les étrangers ? En lui, il ne discernait pas le talent d'un régent. En outre, il haïssait fondamentalement ceux qui s'en prenaient à son peuple, ou aux autres d'ailleurs par seul esprit de supériorité. C'est pourquoi, saisi par une colère à peine contrôlée, il bondit derechef et ne pesa pas ses paroles.

— N'est-il pas possible pour vous de vous exprimer sans rabaisser les autres ?! blâma-t-il, le visage imprégné de reproches, mais d'un sourire railleur. Pourquoi faites-vous ça ? Je crois, qu'en réalité, vous essayez de dissimuler un méchant complexe d'infériorité, car vous vous rendez compte que vous n'avez pas les réponses non plus et cela vous contrarie. Vous avez conscience que votre légendaire intelligence n'aide pas à détruire les créatures et cela vous enrage. N'est-ce pas ? Vous vous sentez impuissant et vous déferlez votre incapacité sur ma Secte. Vous profitez de notre neutralité pour faire fi de potentiels incidents diplomatiques. Parce que nous ne répliquerions pas. N'est-ce pas ? Eh bien, grand frère, ajouta-t-il en avançant vers lui en une fausse courbette, moi, je pratique mal les principes de ma Secte et je n'en ai rien à faire d'engendrer un incident entre nos deux Sectes ! La Sagesse Altruiste ? Bah ! Je dirais la Méchanceté Puérile, en ce qui vous concerne. En quoi vos constantes critiques arrangent notre cas ? En rien du tout ! Vous ralentissez les progrès et à cause de vous, plus personne n'ose adresser ses idées.

Hiwang n'était plus qu'à quelques mètres du large siège du Patriarche et donc de celui de l'héritier, s'étant faufilé entre les gens des différentes Sectes. Les deux Némésis se jaugeaient avec hargne, prêts à se bondir dessus. Néanmoins, malgré les réprimandes qui l'attendaient, il ne s'excuserait pas. Au contraire, il gardait son célèbre sourire espiègle qui invitait nettement cet homme à rétorquer. Il amorça par ailleurs un geste vers son épée, mais son paternel le stoppa d'un regard tranchant. Le Chef de Zhī dào susurra des mots incompréhensibles à son fils, dont les muscles se détendirent. Petit Sage sauta sur l'occasion pour supprimer le désaccord.

— Nul besoin d'autant de tension, voyons ! Nous combattons ensemble dans le même camp, après tout ! rit-il, stressé au possible. Soit ! Reprenons où nous en étions. La chaleur. Tous s'accordent-ils à abandonner cette idée ?

— Pas moi ! répondit Hiwang et le Jeune Maître roula ses yeux. J'appuie les propos de mon confrère, je suis convaincu qu'il a soulevé un détail essentiel.

— Hormis déblatérer des inepties, je n'ai rien entendu de concret ! asséna l'héritier.

Si le Seigneur ne souriait pas de toutes ses dents, certains auraient pu présager une guerre entre ces deux-là. Le Jeune Maître donnait une impression de fatigue extrême, exténué par son insistance. En fait, Hiwang comprenait peut-être le comportement de cet homme et son angoisse s'envolait au fur et à mesure qu'il s'enhardissait. Le disciple de Hù lǐ atteignit les marches menant à la plateforme de la famille régente et tous continrent leurs souffles, piégés dans la crainte de s'attirer les foudres de l'héritier s'ils s'interposaient. À moins de deux mètres, leurs mains sur leurs épées, deux coqs fiers qui ancraient leurs yeux sauvages dans ceux de l'autre, ils avaient l'air ridicule, mais Hiwang fanfaronnait.

— C'est parce que vous vous contentez de repousser les arguments sans les soupeser, défendit le Seigneur.

— Aiguillez mon esprit confus dans ce cas, consentit le Jeune Maître. Qui y a-t-il d'évident dans la déclaration de votre semblable ?

— Les créatures se dissimulent à l'intérieur des lieux froids, humides et isolés. Mais ils attaquent tout de même par temps chauds. Dans ce cas, ne tenteraient-elles pas de fuir quelque chose d'autre ?

— C'est possible et probable, hésita-t-il, songeant un instant à cette question. En fait, et il me coûte de l'admettre, je suis le fil de vos pensées et l'évidence m'apparaît à mon tour.

— Puisque vous avez compris la nature de mon cheminement, veuillez l'expliquer à l'assemblée, je vous prie ! incita Hiwang, tout souriant, alors que le Jeune Maître se décala et se posta en face des convives.

— Si ce ne sont les flammes, qu'elles n'abhorrent point, ce doit être une autre faiblesse. Les assauts se décuplent et leur force se raffermit pendant les périodes nocturnes ou dans les régions sombres. Et ce sont des démons. En provenance et en lien avec le monde souterrain. Elles se cachent du soleil. Nous le savions plus ou moins, nous l'avions compris, alors...pourquoi n'avons-nous jamais essayé de reproduire la lumière du soleil pour les abattre en pleine nuit ?

Tous hochèrent la tête, examinant cette supposition. Soora, qui s'était laissé persuader, pouffa et admira son ami rayonner d'orgueil. Hiwang combla l'espace entre lui et le Jeune Maître, et ravi de sa déduction, il lui tapota l'épaule, comme à un proche qu'il féliciterait. Celui-ci le pulvérisait de ses yeux outrés par son acte effronté. Il prit sa main et la projeta loin de lui, regagnant sa place aux côtés de ses frères et sœur. Le Seigneur, déçu par cette réaction prévisible, trottina jusqu'à son siège. Un plan se mit en place.

L'assemblée ne tarda pas à s'achever, lorsqu'ils eurent planifié les futures attaques contre les créatures, puis le Patriarche, à travers la voix de Petit Sage, convia les invités à rester cette nuit à Zhī dào et à repartir le lendemain. Bien que certains auraient aimé rentrer au plus tôt, ils acceptèrent tous, en gratifiant le Chef de remerciements, louant sa bienveillance. Avant de sortir, le Jeune Maître adressa un ultime regard noir à Hiwang qui sourit avec son habituelle insolence.

Soora empoigna son bras et le tira vivement à sa suite, l'empêchant d'énerver davantage l'héritier qui bougonnait contre lui. Enfin, ils quittèrent la salle, et le temple, et descendirent la rue menant à leur quartier. L'air s'engouffra dans leurs poumons et ils s'en délectèrent. Le soleil se couchait, ils avaient passé la journée entière au milieu du chahut.

— Permets-moi de te donner un conseil, réclama Soora. Ne te mêle plus à Xian-Jun, évite-le. Cela vaudra mieux pour toi. Si ton père apprend ton audace, tu seras puni.

— Xian, répéta Hiwang, incertain. Qui est-ce ? Ne me dis pas..! Le petit Maître ? Xian-Jun ? Il se prénomme donc ainsi. Xian... Sophistiqué et compétent... Il porte mal son nom ! Je l'ai désarmé hier soir ! Il l'a expliqué en diminuant mes propres capacités, mais je sais que je l'aurais battu quoi qu'il en soit. Le Patriarche aurait dû mieux l'entraîner. Il ne fait pas honneur à son nom. 

— Tu me désespères, soupira son camarade.

Soora s'apprêta à le bousculer un peu, histoire de lui faire la morale pour ne pas connaître le prénom de l'héritier, ni le respect qu'il lui devait. Toutefois, une aura sombre heurta Hiwang qui manqua de chuter, se rattrapant de justesse au comptoir d'une échoppe, ce qui amena les cris mécontents d'un marchand. Il ajusta sa robe froissée à cause du ceinturon au bas de son torse. Et cessa tout mouvement à la vision qui le pétrifia.

Ce Xian avait-il entendu ? Parce que son regard témoignait de sa haine à son égard. Oui, il avait perçu chaque syllabe. Le Seigneur, conscient de son rang largement inférieur, eut le réflexe de s'excuser et de se courber, mais il refusa au dernier moment. En fin de compte, il n'avait pas menti sur ses aptitudes au combat et il n'avait point insulté sa lignée !

— P-Pourquoi me regardez-vous ?! Mon visage est attrayant, je sais, et suffisamment de Dames l'admirent des heures durant, mais ressaisissez-vous, Jeune Maître !  Je ne serais pas responsable si des rumeurs s'ébruitaient sur votre adoration pour mon charme à toute épreuve.

À sa phrase, l'héritier implosa de rage ; il s'empara du col de sa robe et l'obligea à le suivre dans une ruelle adjacente, se retrouvant dans une situation similaire à la veille. Quand il le lâcha, Xian-Jun ne perdit pas de temps et lui infligea un coup d'épée en la dégainant, ce qui eut pour effet d'entailler partiellement la chair frêle de sa pommette. Hiwang voulut rouspéter et traduire sa brève douleur au travers de jurons, mais l'agacement de son vis-à-vis eut raison de son orgueil. Il soupira avec lourdeur et hésita à s'excuser, encore, se souvenant de son père qui le châtierait à la moindre erreur. 

— Je ne saurais vous laisser repartir de cette Cité sans avoir prouvé mes talents au combat. Vous seriez trop heureux de vous gausser avec vos semblables. Si vous parvenez à me battre...non ! à me toucher, alors je traiterai Hù lǐ comme l'égale de Zhī dào. En cas d'échec, vous implorerez mon pardon et vous vous tairez en ma présence ! Compris ?

— Un pari honnête entre deux gentilshommes, conclut Hiwang, en saisissant son arme.

La Cité de la Claire Prévoyance n'assistait pas souvent à des combats, voire jamais. Aujourd'hui était à marquer d'une pierre blanche. Sans gaspiller leurs précieuses minutes, ils ouvrirent le bal par quelques échanges passionnés. Les parades se succédaient, les coups se multipliaient et Xian-Jun se dévoilait plutôt batailleur. Ce qui encouragea Hiwang à le déséquilibrer. Au début, ce duel lui apporta un immense divertissement, car il riait de tout, mais bientôt il croula sous les vagues d'enchaînements de techniques redoutables. Le Jeune Maître se débrouillait merveilleusement bien, au grand dam du Seigneur. Cependant, il aperçut la faille, l'unique faille, dans sa stratégie ; l'érudit parait ses tentatives d'une facilité déconcertante, prévoyant tous ses mouvements. Alors, il le prit au dépourvu.

Le plus jeune des deux tournoya sur lui-même, cogna brusquement l'épée de son adversaire qui fut poussé vers l'arrière ; ni une, ni deux, Hiwang prétendit diriger son arme droit sur son cœur et l'héritier l'évita de justesse. En tombant. Il n'avait pas réussi à stabiliser son corps. Xian-Jun, sur son noble postérieur, le massacra mille fois de ses orbes enragés. Le Seigneur s'accroupit à sa hauteur.

— Je m'incline devant vos capacités qui ne sont pas inexistantes, je l'avoue. Mais, Jeune Maître, mes dons dépassent les vôtres.

Il gloussa, sans forcément chercher à se moquer de lui. À vrai dire, cela ressemblait étrangement à ses conversations avec Soora quand ils chassaient et qu'il rapportait le plus de gibiers. Bien sûr, le Jeune Maître ne pouvait pas saisir les raisons d'une telle familiarité. Cette dernière faisait partie intégrale de lui, il appréciait toutes les personnes qu'il rencontrait et développait un intérêt pour tout et tout le monde. Hiwang ne détestait pas le caractère renfermé et mesquin de ce futur Chef de Secte qui démontrait une impulsivité maladive. Il était curieux de savoir d'où elle provenait. Il se releva néanmoins et mima une prosternation malhabile.

— En quoi m'avez-vous battu ? s'indigna l'héritier. Je ne me rappelle pas avoir senti ne serait-ce qu'un coup de votre épée ! J'ai volontairement laissé mes jambes plier pour esquiver votre assaut !

— Mais oui, mais oui, Jeune Maître, sourit-il.

Il emprunta le chemin inverse, observant la rue principale en quête de son ami, Soora n'ayant guère levé le petit doigt pour l'aider. Brutale, une main fondit sur son dos et il fut propulsé contre le mur. Sur le ventre, il roula et affronta la mine rageuse de Xian-Jun, qui le menaçait de sa lame près de sa gorge. Il déglutit durement, présentant les paumes de ses mains en guise d'abandon. Quelques secondes s'écoulèrent avant que l'héritier ne daigne partir, sans un mot d'au revoir. Hiwang rampa et s'adossa au bambou d'une maison. Un rire guttural le parcourut un instant. Une brise dérangea ses longs cheveux de jais, il s'agissait du souffle d'un renouveau.

Ce jour-là, Hiwang et Xian ne se doutèrent pas que leur vie emprunterait une route tout à fait extraordinaire, pour le meilleur et pour le pire. S'ils n'avaient trouvé en l'autre un partenaire de beuveries, ils avaient obtenu bien plus. Mais, à cette heure, ils ignoraient cette certitude, ils se séparèrent et oublièrent presque l'existence de l'autre.

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