La Mort s'invite 1

— La fin approche ! La fin approche, camarades ! Préparez-vous à affronter le châtiment des dieux ! Le néant s'extirpe de sous la terre, il nous engloutira dans le chaos !

— Par pitié, qu'elle se taise !

Une prêtresse avertissait les habitants de Hù lǐ qui s'excédaient de ses calomnies.

De temps en temps, elle prédisait effectivement l'avenir, mais pour des événements futiles : la neige ou la pluie, par exemple. Le peuple en avait assez de ses paroles absurdes. Yao Lin les implorait de l'écouter et d'obtempérer, mais ils demeuraient sourds à ses prémonitions.

Hiwang gambadait joyeusement dans la Cité des Rêveurs. Les citoyens le jaugeaient avec un air étrange. Pourquoi courait-il d'échoppe en échoppe ? En fait, il cherchait un présent à offrir au Jeune Maître depuis une semaine, soit depuis que ce dernier était retourné à Zhī dào. Il s'était enfui tel un voleur pendant qu'il dormait, sans lui dire au revoir, et il n'avait pu le remercier correctement. Au début, le Seigneur songea à lui envoyer quelques jarres, mais ce serait malvenu après sa récente transformation en chiot.

Il parcourait donc les rues, le marché lui procurait une source intarissable d'idées, mais il ne trouvait pas l'objet, celui qui rendrait réellement heureux Xian-Jun. Il envisagea du maquillage qui lui serait utile pour se poudrer, mais il adorait voir ses cicatrices, signe de confiance entre eux. Un bijou, sinon. Ou des mets succulents de Hù lǐ. Rien ne lui plaisait, mais il gardait le sourire. Il dénicherait forcément quelque chose qui le ravira et qui prouvera sa gratitude.

— Es-tu intime à ce point avec ce Jeune Maître ? Aux dernières nouvelles, vous ne vous appréciez guère. Il vous sauve et votre relation s'améliore, n'importe quoi... Une semaine en sa compagnie et vous devenez amis. Quelle sera la prochaine étape ?

— Qui pourrait ne pas m'aimer ? Je suis charmant et brillant, double qualité !

— Comment te supporte-t-il ? s'exclama son acolyte.

— Ne crois pas qu'il soit parfait et irréprochable ! s'insurgea Hiwang. Nos caractères s'accordent plus que tu ne l'imagines !

Mo Soora roula des yeux, hochant de la tête, dépité.

Le Seigneur ne se confiait plus à lui comme autrefois. Il l'avait délaissé peu à peu lorsqu'il était devenu l'un des quatre héros à avoir éliminé le Bashe Colères Démesurées, et le chasseur ne s'en offusquait pas car il comprenait son comportement. En incarnant ce valeureux guerrier de Hù lǐ qui s'était porté volontaire à plusieurs reprises, il s'attirait les foudres de leur peuple qui le méprisait.

En tant que descendant de serviteurs et affichant son titre de noblesse à tous, le Seigneur était jugé sans répit ; désormais, il brisait la loi ancestrale de Hù lǐ, il se battait. Voilà pourquoi cette Secte parmi laquelle il avait grandi le rejetait. Par conséquent, si Soora se montrait en public avec lui, il risquait un isolement similaire. Le chasseur se fichait pas mal d'être traité en bête noire, mais il respectait la décision de son ami et ne le forçait pas à lui parler.

— Bon ! intervint Soora. Trouve ce présent pour que nous puissions rentrer, cela fait plusieurs heures que nous tournons en rond !

— Que me conseilles-tu ? rétorqua Hiwang, son index tapotant son menton.

— Eh bien, puisque tu sembles tenir à lui, offre-lui une broche et mariez-vous !

— Oh par tous les dieux ! Je m'encombre d'amis idiots parfois ! Comment pourrais-je l'épouser ? Notre relation n'est point ainsi, Monsieur !

— Je te taquine, Monseigneur !

Ledit Seigneur avait l'air vraiment dérouté par la plaisanterie de son ami ; il ignora le rire de Soora et continua sa course entre les comptoirs, essuya encore une moquerie en passant devant un stand de broches, mais il ne se décidait toujours pas, au grand dam du chasseur qui le suivait sans ronchonner et l'embêtait dès qu'il en avait l'occasion. Hiwang ne parvenait pas à choisir, les idées se bousculaient dans son esprit jusqu'à ce qu'il aperçoive la perle rare.

Cependant, avant qu'il n'ait pu atteindre l'échoppe, une main s'enroula autour de son bras et le tira en arrière pour le faire tournoyer. Le Seigneur se retrouva face à une femme qu'il identifia aisément ; il s'agissait de la mère d'une de ses anciennes conquêtes. Elle paraissait en colère, voire furibonde, prête à déverser des mots inappropriés en pleine rue. Soora se décala, ne souhaitant pas être mêlé à la querelle. La Dame n'hésita pas une seconde à lui exposer le fond de sa pensée et tant pis si des passants écoutaient leur conversation.

— Ma fille ! s'emporta-t-elle. Ma fille a été souillée par vous ! Qu'allons-nous faire maintenant ? Assumez les conséquences de vos actes ! Bien que cela ne me réjouisse pas qu'elle marie un homme aussi volage que vous, elle porte votre enfant ! Assumez !

— Un enfant ?! s'étrangla Soora qui reçut deux regards noirs.

Hiwang garda son calme pour une raison bien précise. Il était convaincu que cet enfant ne lui appartenait pas. Zhou Xinya, le nom de cette demoiselle, ils ne s'étaient jamais uni de manière charnelle, ni avec elle, ni avec aucune autre. Celle-ci, en particulier, il ne l'avait pas trop approchée, parce que le Seigneur sentait qu'elle partageait peut-être la couche d'autres hommes, en même temps qu'elle se glissait entre ses bras. Possiblement qu'il était celui possédant le plus d'or de tous ses prétendants et qu'elle l'avait accusé d'être le père de son futur enfant pour devenir l'épouse d'un riche noble. Sottises ! Il ne se laisserait pas mener au ridicule par cette courtisane effrontée. Il éprouva néanmoins une pointe de remords ; s'il avait su, il ne l'aurait pas attirée à lui, en premier lieu.

— Cet enfant n'est pas le mien. Questionnez-la de nouveau. Son histoire changera probablement.

— Comment ?! gronda la mère. Osez-vous suggérer que ma fille...? Assumez, vous dis-je !

— Sans aveu de sa part, rendez une petite visite au plus jeune magistrat du Patriarche ou au gardien des clefs de la cité ; je pourrais vous en citer plusieurs, mais ses amants ne voudraient pas être exposés de cette façon.

Une gifle magistrale s'abattit sur sa joue qui rougit instantanément. Mais, ses mots suffirent à la faire abandonner. La mère siffla quelques paroles acerbes en partant, jouant des coudes dans la foule et bougonnante.

Soora applaudit avec nonchalance, désespéré par le tact de son ami qui n'éprouvait aucune compassion envers cette mère ou son ancienne amante. La première accepterait difficilement que sa fille batifole avec les plus beaux hommes de la capitale ; la seconde l'agaçait au plus haut point. Lui, père ? Pure folie !

Vivement, effaçant cette mésentente de son esprit, Hiwang fit volte-face en direction d'un marchand d'animaux. Sautillant gaiement, il observa chaque bête, mais savait déjà laquelle il souhaitait offrir au Jeune Maître. Il se souvenait très clairement comment Xian-Jun l'avait pris sur lui, quand il était un chiot, et l'avait caressé avec une délicatesse insoupçonnée. Le Seigneur examina tous les chiens et son regard s'arrêta sur un d'entre eux. Minuscule, né trois ou quatre mois plus tôt à en juger par sa fragilité, il l'appelait, pleurnichait pour être adopté ; les autres dormaient et ne lui prêtaient pas attention.

— Monsieur, ce chiot, je le...

Mais avant qu'il ne puisse terminer sa phrase, un bruit assourdissant résonna à leurs oreilles et Hù lǐ s'enflamma. Du ciel tomba des dizaines de boules de feu qui s'écrasaient sur les maisons, sur les citoyens, qui réduisaient en cendre leurs foyers et brûlaient vifs le peuple. En levant les yeux, Hiwang reconnut tout de suite la menace.

Des Ombres.

Elles mugissaient et se déchaînaient sur eux. Contrairement à leur première attaque, elles démontraient une nette intention de tuer sur-le-champ. À l'époque, elles tentaient seulement de produire des dégâts matériels et les quelques victimes – dont la famille de Wulong et de Liang – avaient été accidentelles, pas vraiment désirées. Or, aujourd'hui, la mort les pulvérisait un à un.

— Que les dieux nous protègent, entendit-il.

Il aspirait à crier à ses semblables de fuir, de se mettre à l'abri, de courir, de s'échapper, mais les Ombres les pourchasseraient où qu'ils aillent. Il ne réagissait plus et faillit mourir lorsque des flammes se dirigèrent droit sur lui. Soora le poussa violemment et ils esquivèrent l'attaque. Le chasseur hurlait à son ami de se hâter, mais Hiwang s'était figé au milieu de ce désastre. Encore une fois, elles détruisaient ce qui comptait pour lui et sa haine explosait dans son être. Son impuissance le paralysait, il réfléchissait à des solutions. Comment les combattre alors qu'elles restaient en hauteur, cachées par la voûte céleste ?

— Nous n'avons pas le temps de rêvasser, Hiwang !

Soora essayait de l'entraîner à sa suite, le suppliant de bouger ; seulement, le Seigneur se concentra sur une échoppe qui venait de voler en éclats. Le marchand d'animaux était mort sur le coup, les cages s'étaient fracassées au sol et s'ouvraient. Les pauvres bêtes paniquèrent et se précipitèrent hors de la cité ; les rues furent envahies de lapins, de chats, d'immenses chiens et des rongeurs en tout genre. Le petit chiot de tantôt ne fuyait pas, la queue entre les jambes, et il couinait, effrayé. Hiwang s'apprêtait à le ramasser, mais les Ombres le devancèrent.

Un assaut se lança contre cette boule de poils, ce qui fit naître en lui une pulsion enragée. Le fidèle de Hù lǐ se dégagea de la prise du chasseur et tendit ses mains vers le chiot. Une fumée blanche rencontra durement l'Ombre qui menaçait l'animal et elle implosa à l'impact. Soora ne sut comment réagir à cet élan de magie, il ne connaissait pas les capacités du Seigneur. Celui-ci s'empressa de récupérer le chien et il suivit enfin le chasseur à travers la cité. Toutefois, il sentit que cela ne servirait à rien. Courir dans cette situation n'avait aucun sens ! Il pensait si fort que son esprit en vint à bourdonner. Puisque personne ne combattait à Hù lǐ hormis lui, il portait seul la responsabilité de les sauver.

— Hiwang ! Ne ralentis pas, bon sang !

Le chasseur ne cessait de le rappeler à l'ordre. Entre Soora qui lui hurlait des ordres insensés et le chiot qui gémissait inlassablement contre lui, Hiwang eut une pensée pour les autres Sectes. Pourraient-elles les aider ? Mais, le ciel se teintait entièrement de noirceur, le monde entier devait être attaqué. Prier les dieux semblait être leur ultime option.

Soudain, il s'arrêta net. Il se retourna et discerna les remparts de la cité s'écrouler, les champs en dehors s'incendiaient. À la capitale ou à l'extérieur, fuir ne mènerait à rien. Il s'imagina Yichen défendre Wulong et leur garçon, cette perspective lui brisa le cœur. Il fallait impérativement stopper les Ombres.

Un cri s'éleva près de lui. Il fit volte-face et assista à une vision d'horreur. Soora était balancé dans les airs, une Ombre accrochée à une de ses chevilles, il demandait frénétiquement de l'aide. Hiwang déposa le chiot qui s'engouffra dans une rue au hasard. La crainte montait en lui, tandis qu'il voyait son ami être secoué, sans moyen de le libérer.

Il respira tout à coup plus fort, il suffoqua même, et quelque chose s'éteignit en lui, disparut. Son essence s'altéra, ses inspirations se calmèrent et son visage arbora des traits parfaitement neutres, sa mine s'assombrit et ses mains tremblèrent.

— Hors de question que vous blessiez qui que ce soit sous mes yeux, avertit le Seigneur d'une voix vibrante.

Les bras levés au ciel, il autorisa ses ténèbres à exploser. Il rugit de toutes ses forces et de ses paumes s'envolèrent des flux magiques noirs, ondes dévastatrices qui se cognèrent avec une brutale férocité contre les Ombres. Les premières touchées furent anéanties sur le coup, les autres s'éloignèrent plus haut, mais il les exterminait sans merci. Elles vociféraient contre lui, fonçaient dans sa direction pour le neutraliser, mais Hiwang ne leur permettait pas de l'approcher. Celle qui retenait son ami fut annihilée et Soora chuta au sol avec lourdeur, sonné par l'atterrissage.

— Relève-toi vite ! Je...ne tiendrai pas !

Le ciel manqua de vaciller sous ce duel acharné.

Le Seigneur répandait sa magie de toute part. Les chocs entre ses pouvoirs et ses ennemies engendraient des courants d'air violents, la terre se dressait, ses cheveux battaient ses épaules ; il ne flancha pas un instant, stoïque et aux traits sombres. Le chasseur n'en crut pas ses yeux quand il les posa sur son ami. Comment était-il capable d'une telle puissance ? D'une telle obscurité ? Toutes les Ombres tombaient, sans défense, ou s'enfuyaient. Il baignait dans une noirceur déconcertante. Soora ressentit une certaine frayeur à l'observer ainsi. Il les protégeait, pourtant son aura transpirait le mal. Le chasseur se remit sur pied promptement et considéra de prendre ses jambes à son cou, d'abandonner Hiwang ici.

Sauf que les Ombres capitulèrent.

Celles qui vivaient toujours baissèrent les bras et déguerpirent en vitesse, retournant dans le trou infâme d'où elles étaient sorties. La Fosse des Lamentations sur laquelle les armées n'avaient pas encore marché, présumant que le temps jouait en leur faveur et qu'ils n'avaient pas besoin de se hâter. Ils étaient en train de rassembler leur armée commune. Erreur fatale puisqu'elles en avaient profité de ce jour banal pour les assaillir.

Le Seigneur rappela à lui ses flux effroyables, ses paumes s'abaissèrent brusquement, ses jambes se plièrent, ses genoux heurtèrent le sol, ses paupières clignèrent plusieurs fois comme si un vif épuisement l'assaillait, et il s'écrasa sur le côté, roulant par terre, dans le sang et la poussière.

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