L'ère du chaos 2
De nouveau au temple, il rencontra des gardes à un détour de couloir ; a priori, son père souhaitait le voir. Encore. Rêvassant de sa couche qui l'appelait, l'héritier se traîna jusqu'aux appartements du Patriarche. Il ne toqua pas et pénétra simplement dans sa chambre. Le Chef de Secte était adossé à son lit et Petit Sage lui tendit des breuvages divers contenant des élixirs purificateurs. Sa vieillesse alourdissait ses mouvements. Il avait eu ses enfants très tard et avait longtemps cultivé son essence avant de devenir un immortel. Ces temps-ci, à cause de l'avènement des démons, sa vitalité s'estompait. Il voulait retrouver son énergie. Le fils se racla la gorge, leur indiquant sa présence. Le serviteur se courba à son intention et se concentra dans sa confection des liquides revigorants.
— Lors du rassemblement, exposa son père sans préambule, le disciple de Hù lǐ et toi avez bel et bien trouvé une solution pour nous. Les Maîtres ont testé votre hypothèse sur le soleil et les démons sont éradiqués dans toutes les Sectes, à travers les provinces du monde entier... Certains résistent et ceux-là se multiplient vite. La plupart se terrent et il apparaît qu'un meneur s'est dressé parmi eux. Nous ne parvenons à les débusquer. Ils ont battu en retraite sur les terres de Jiǎo huá. Vas-y. Là-bas, l'élite des quatre Sectes, les plus vaillants guerriers, te prêteront main-forte.
D'un geste rapide, le Patriarche pointa la porte, l'invitant à sortir. Si peu de mots. Si peu d'affection. D'ailleurs, puisque les Sectes ne réussissaient pas à vaincre les derniers démons, pourquoi croyait-il que sa présence là-bas changerait quoi que ce soit ? Qui faisait partie de cette élite ? Avec qui devrait-il travailler ? Pourquoi envoyer son héritier ? D'accord, il maniait l'épée, l'arc, la hache et la plupart des armes existantes. D'accord, il maîtrisait sa magie et tenait bien sur le long terme. Mais, il ne désirait pas coopérer avec des inconnus sur une mission dont il n'était pas sûr de revenir vivant.
Petit Sage s'apprêtait à le suivre, puisqu'il avait achevé son devoir auprès du Patriarche, mais l'héritier l'en empêcha en s'élançant vers son pavillon. Xian était plein de colère et de ressentiment ; il subissait déjà sa vie en demeurant dans sa chambre, en se pliant à toutes les règles de son père et voilà maintenant qu'il était missionné à l'autre bout du monde mortel.
Il saisit rageusement des habits de son armoire et les enfourna dans une maigre besace. Il y introduisit une poignée de victuailles. Puis, il se déshabilla prestement et enfila une armure composée de cuir ferme et d'acier robuste, des matières assez délicates et souples pour combattre avec aisance et sans contrainte, mais tout aussi impénétrables que du diamant. La tenue idéale pour rendre visiter à des créatures qui n'hésiteraient pas à le dévorer.
Il ne réfléchit pas une seconde avant d'accrocher son jian à sa ceinture, une longue épée à la garde discrète et sertie d'une gemme pure, ainsi qu'à la lame à double tranchant efficace dans les combats fastidieux. Il ajusta ensuite ses couteaux de lancer dans ses bottes et attacha ses mèches noires qui obstruaient sa vision à l'arrière de son crâne. Il quitta son pavillon et fila dans la cour centrale, à l'entrée de la capitale où, tel qu'il le présageait, sa monture l'attendait. Petit Sage, qui avait deviné son empressement à fuir la cité, patientait sur son propre cheval. Bien sûr, il n'aurait pas laissé le Jeune Maître voyager sans sa compagnie.
— Je n'ai pas besoin de toi, rétorqua l'héritier, ne mettant pas de véritable sincérité dans ses mots.
— Je vous crois, Jeune Maître, fit Petit Sage. Mais, je ne prendrai pas en compte cette phrase pour votre bien.
Sur ce, ils lancèrent les chevaux au galop et la Claire Prévoyance disparut peu à peu de leur paysage. Jiǎo huá n'était pas tout à fait à côté. Ils chevaucheraient durant plusieurs jours et feraient halte à de nombreuses auberges sur la route pour se ravitailler. Ensemble, ils conversèrent de sujets secondaires, mais qui détendirent le Jeune Maître. Celui-ci se doutait bien de la complexité de sa quête, surtout s'il travaillerait avec d'autres guerriers. Il désespérait déjà, priant pour que ses futurs acolytes considèrent docilement ses ordres, puisqu'il était un maître de la stratégie guerrière et qu'il valait mieux l'écouter. Il ne tolérerait pas l'indiscipline.
Le quatrième jour, ils aperçurent les plaines décharnées des Fureurs Fallacieuses. Les frontières étaient bien gardées, trop bien. Cette Secte cherchait constamment à ridiculiser les autres et prouver il ne savait quelle grandeur. Il affichait leurs ressources, leurs richesses et leurs soldats à qui passaient par là. Ils n'étaient bons qu'à guerroyer contre les démons. De toute façon, tous s'entendaient pour dire que Zhī dào consistait en la plus puissante des Sectes.
Le huitième jour, ils distinguèrent la Crête des Colères Démesurées. Les créatures se cachaient aux alentours. Ils stoppèrent leurs montures en bas de la montagne, accrochèrent les harnais à des arbres solides, et s'engagèrent dans la forêt. Ils gravirent quelques collines, avant d'affronter la vraie pente ardue. À leur approche, ils discernèrent également des voix. Apparemment, l'élite était arrivée.
Petit Sage se guida au son pour trouver ces personnes et il l'imita, jusqu'à ce qu'ils repèrent trois individus qui ne discutaient pas vraiment. Ils se chamaillaient sur une solution efficace qui leur permettrait de rentrer vite chez eux. Xian se joignit à eux en silence. Ils s'interrompirent et le dévisagèrent. Sans leur prêter attention, il déclina son nom et son rang, au cas où ils ne l'avaient reconnu.
Les autres en firent de même. D'abord, un jeune homme, dans le début de sa vingtaine, aux traits enfantins, mais au sourire déstabilisant de sadisme, se nommait Yichen et représentait Jiǎo huá dans cette mission suicidaire. Il s'agissait d'un brun à la chevelure ébène qui ne tenait pas en place, faisant tourner deux dagues dans ses mains. Il aspirait probablement à décapiter quelques démons. Son vœu s'exaucerait bientôt.
Ensuite, à moitié allongée et l'air grognon, une femme de son âge, Jiali, les salua mollement. Xian la connaissait très bien. La célèbre bâtarde de Mó fǎ, la fille illégitime du Patriarche qui servait d'assassin pour le compte de son père. Xian ne vouait aucune foi en celle-là, bien qu'il admirait ses talents en termes de combat et de magie.
Soupirant discrètement, il se tourna vers la dernière personne. Un homme qui portait une armure similaire à la sienne, très sombre et qui attirait le regard. Ils avaient coiffé à l'identique leurs chevelures. Ses yeux reflets de la nuit accaparèrent les siens. Il se sentit agacé pour une raison qu'il ne saisissait pas et savait qu'il avait déjà croisé ces iris scintillants de malice, mais il ne se souvenait plus d'où. Son vis-à-vis se leva d'un bond leste et se présenta à nouveau avec un faux timbre agacé :
— Retenez mon nom, Jeune Maître, car il semble que nous soyons destinés à nous revoir. Je suis Hiwang, Seigneur du Clan familial de Hù lǐ. Par ailleurs, je suis l'homme qui vous a vaincu en combat singulier.
Le Jeune Maître souffla bruyamment et se détourna. Comment avait-il pu oublier ces yeux malicieux ? Revoilà cet idiot ! Grognant contre ce fichu destin, Xian écouta avec distraction Petit Sage réexpliquer le principe de leur quête. Le serviteur leur offrit une carte pour qu'ils s'orientent avec facilité, puisque Yichen n'avait pas l'habitude de traverser cette région de sa Secte et il ne les mènerait pas loin s'ils devaient compter sur son sens de l'orientation. Puis, le conseiller les abandonna à ce pied de montagne.
Sans plus d'indices, l'héritier commença à avancer vers les hauteurs, et les autres suivirent sagement. Ils grimpèrent assez pour que le soleil se dissimule et qu'ils doivent s'arrêter pour l'instant, ne voyant plus leur chemin. En fait, ils auraient pu éclaircir le sentier étroit avec leur énergie, mais le Seigneur Hiwang se plaignit de sa fatigue et ils cédèrent à ses gémissements. Vivement, Jiali alluma un feu à partir de sa magie et Yichen rassembla des rondins de bois sur lesquels s'asseoir. Xian nota que la jeune femme usait souvent de ses pouvoirs et qu'elle dégageait une aura très prononcée, au contraire du pacifiste de Hù lǐ.
Xian grignota un fruit qu'il avait emporté, mais le guerrier de Jiǎo huá choisit un mets plus attrayant. D'un coup d'éclair qui jaillit de son index, il grilla un oiseau qui s'échoua à un mètre de lui. Satisfait, Yichen le fuma et le mangea, en narguant les autres. La femme, attirée par l'odeur de viande rôtie, s'évertua à capturer un volatile à son tour. Seul Hiwang ne se nourrissait pas. Jiali l'interrogea, mais il répondit par monosyllabes, en mâchouillant ses mots. Il était parti de chez lui à toute hâte et n'avait rien pris à manger sur la route ; n'utilisant pas ses pouvoirs comme les autres, il les regardait, envieux de leur repas.
— Jeune Maître ! l'interpella la tueuse. Donnez-lui un de vos fruits. Non pas que je m'inquiète de son état, mais, affamé, il nous ralentira.
— Et pourquoi n'attraperiez-vous pas un lapin pour lui ? Par ailleurs, s'il n'est pas capable de se servir de son essence, ne peut-il pas chasser ?
Hiwang se mit donc à bouder et Xian soupira derechef. Il lui jeta une pomme et l'autre l'attrapa au vol, souriant avec candeur. Il lui rendit tout de même un regard tempétueux pour la forme, que l'héritier ignora. Yichen s'amusait de leur relation sordide. Quand s'étaient-ils rencontrés et pourquoi le Jeune Maître avait-il l'air de le détester ? Jiali, quant à elle, se fichait bien d'eux. Elle se proposa pour réaliser la garde de nuit pendant qu'ils dormiraient et ils s'installèrent confortablement contre les feuillages rêches. Ils s'endormirent avec peine. Jusqu'à ce que l'un d'eux gigote et marmonne. Hiwang cauchemardait.
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