L'ère de chaos 3
La femme haussa un sourcil, mais ne bougea pas. Peu importait s'il dérangeait le sommeil des autres. Yichen jura lourdement et promit de l'étouffer s'il ne se taisait pas, mais il ne tenta rien pour le forcer à se réveiller. Xian ne resta pas aussi aimable. Des quatre, il avait voyagé le plus et son épuisement surpassait sa bienséance. Brusquement, il se leva et s'accroupit près du Seigneur de Hù lǐ. Hiwang criait presque. De quoi rêvait-il pour suer ainsi ? L'héritier, confus, douta un moment, mais finit par le secouer sans ménagement. Le Seigneur roula sur le côté et ses yeux s'ouvrirent d'un coup.
Son épée le long de son corps, il s'arma et jeta son bras derrière lui, sûrement étourdi par son cauchemar et redoutant un assaut. Déboussolé, il le manqua de peu. Xian s'éloigna avec agilité en se penchant en arrière et en se relevant, mais Hiwang sauta dans sa direction, pris dans un nuage de brume. Le Jeune Maître para ses coups et, dans le noir nocturne, se débrouilla pour se débarrasser de lui. Pour cela, il empoigna son épaule et le propulsa dos contre un arbre qui trembla à la collision. Le Seigneur se tira définitivement de son sommeil et se rendit compte de la situation. Le fils de Zhī dào le maintenait contre la surface rugueuse, son jian à la gorge et si proche de lui qu'il respirait à peine. Il ne se remémorait déjà plus son mauvais rêve et avait du mal à comprendre cette position. Qu'avait-il encore fait ?
— Vous vous êtes calmé ? s'enquit le Jeune Maître, incertain de pouvoir le lâcher.
— Par pitié, dites-moi que je n'ai pas commis une erreur de plus ? Mon Maître va vraiment finir par me tuer.
Son Maître qui était accessoirement son père et qui avait eu vent de sa dispute avec le Jeune Maître Xian.
— Je ne le dirai pas, et je ne vous le reprocherai pas. Mais je vous interdis de recommencer, consciemment ou non. Et tâchez de tranquilliser votre esprit tourmenté. En guise de punition, vous méditerez pendant toute l'heure qui vient.
Le plus jeune ne savait pas ce qui le troublait. Était-ce le cauchemar qui l'avait ébranlé ? Était-ce le souffle de Xian-Jun sur son front ? Ou bien, la discrétion de Jiali qui les jugeait de son regard pétillant ? Hiwang hocha de la tête, intimant à l'héritier de se séparer de lui, et ils regagnèrent leur place. Yichen s'était réveillé et les sondait, diverti. Les quatre ne commentèrent pas ce qu'il s'était produit, mais le Seigneur n'était pas prêt de s'en remettre, tremblotant encore. Il ne s'endormit plus et médita avec prudence et dévotion. Le Jeune Maître somnola, aux aguets. Cette nuit-là, le jeune de Jiǎo huá fut le seul à ronfler sur ce versant de montage.
Le lendemain, dès l'aube, leur prompte allure leur permit de trouver ladite crête en un temps record. Les Colères Démesurées apeuraient les voyageurs et ils la contournaient à tout prix, justement à cause des créatures qui en avaient fait leur royaume. Qu'était ce démon qui les contrôle tous ? Plus ils avançaient, plus ils se laissaient happer par la curiosité. Certains affirmaient qu'un lion gigantesque régnait sur ces bêtes. D'autres racontaient qu'il empruntait sa silhouette à celle d'un humain. Quelques-uns décrivaient un dragon. Le monstre le plus puissant et meurtrier qui avait sévi dans tout le territoire de Jiǎo huá durant trop d'années et qui s'était retiré ici.
Ils tournèrent longuement en rond, ne déterminant pas son emplacement exact. Tandis qu'ils fouillaient la zone, ils débattaient du plan à suivre. Comme il le craignait, Yichen et Jiali s'insurgeaient à chacune des suggestions du Jeune Maître et ils ne tombaient pas d'accord. Le Seigneur de Hù lǐ demeurait muet, ce qui irrita profondément Xian. L'homme aux yeux de nuit fut saisi brutalement par une main forte. Ils perdaient tous patience à force de gaspiller leur temps.
— À quoi nous êtes-vous utile, si vous ne dites jamais rien ?! Petit Sage a rassemblé une élite ? Vraiment ? Je suis en compagnie, inutile d'ailleurs, d'un gosse sadique qui veut seulement batailler avec des démons, une mercenaire bâtarde qui ne jure que sur la magie, et un idiot qui ne se décide pas ! Ouvrez-les, ces maudites lèvres pourtant bien bavardes l'autre soir, et soumettez-nous votre idée ! Ou tranchez ! Qui de nous trois a raison ?
Le Seigneur, ne s'attendant pas à une telle hargne et qui n'avait pas remarqué combien l'ambiance entre les trois avait dégénéré, cligna plusieurs fois des paupières, ce qui agaça le Jeune Maître qui l'abandonna et continua son avancée, en soupirant. Pourquoi s'en prenait-il à lui ? Même quand il se taisait, il arrivait à l'ennuyer. Hiwang se rembrunit une fois de plus et le poursuivit en quelques enjambées. En réalité, il ne souhaitait pas être ici non plus. Hù lǐ lui paraissait si loin, et son cauchemar embrouillait encore son esprit. Il ne soumettait pas d'idées, puisqu'il ne songeait à rien. Afin de ne pas complètement s'attiser la haine de cet homme, il s'obligea à fournir un raisonnement logique.
— Au rassemblement, nous avions évoqué leur terreur de la lumière. N'est-ce pas ? Et nous avions aussi mentionné leur appétit pour les flammes qui les enragent. Pourquoi ne pas essayer la technique basique de l'appât et du piège ? Qu'ils viennent à nous si nous ne pouvons aller à eux.
— L'un d'entre nous consume son énergie pour qu'ils le sentent de loin, pendant que les autres se préparent à les recevoir, compléta Xian. Oui, cela marcherait. J'espère.
— Je suis entièrement pour ! s'écria Yichen. Je me charge de les étriper et je répandrai leur sang putride le long des rivières de cette montagne !
— Jiali, vous vous battez aussi. Le Seigneur de Hù lǐ, je suppose que vous jouerez le rôle de l'appât !
La fille illégitime opina du chef, contrairement au Seigneur. Celui-ci, froissé par ces mots, se stoppa net, au milieu d'une pente, penché tant bien que mal. Il croisa les bras, ses sourcils froncés, et scruta le Jeune Maître. Pourquoi ne pas le consulter avant de distribuer les rôles ? Hiwang n'avait pas confiance en eux pour le défendre. Il épuisera ses forces en consumant son énergie, donc il sera vulnérable. Et puis, il se sentait en quelque sorte responsable de ses camarades, en particulier le Jeune Maître et Jiali qui étaient tous deux des héritiers. Sa mort à lui importerait moins. Mais, Xian ne l'entendait pas de la sorte et il n'en discuterait pas. L'héritier prit conscience de son regard fulminant et répliqua à sa question muette.
— Premièrement, il s'agit de votre idée. Donc, vous les éblouirez de votre lumière. Essayez de tenir le plus possible que nous ayons le temps de les maîtriser. Ce serait dommage qu'elles nous immobilisent et vous tuent. Deuxièmement, j'ai moins foi en vos talents d'épéiste qu'en ceux de ces deux-là. Vous n'êtes qu'un pacifiste. Vous ne vous êtes jamais battu contre des démons. Votre présence a été exigée, uniquement pour que Hù lǐ ne soit représentée dans cette quête. Lorsque nous les assaillirons, n'interférez pas et attendez que nous ayons terminé. Compris ?
— Vous êtes vraiment..., expira douloureusement Hiwang,...un misérable enfant gâté qui n'estime personne à sa juste valeur et qui est rempli d'orgueil pour lui-même !
— C'est le moment ? grogna Jiali.
— Moi, ça me fait bien rire, gloussa Yichen.
— Il le mérite ! insista Hiwang. C'est un idiot depuis le premier jour et je déteste comment il s'adresse aux autres, surtout à moi. Je ne suis vraiment qu'un moins-que-rien à vos yeux ? Comme le reste de ma Secte ? Eh bien, je souhaite la ruine de votre Clan !
Des mots stupides qui avaient dépassé ses pensées. Xian dégaina son jian, encore une fois, et asséna immédiatement un coup au bras du Seigneur qui se décala pour esquiver une seconde attaque. Jiali réagit la première et coupa court à l'affrontement. Elle repoussa le Jeune Maître qui lançait des éclairs avec ses yeux. Yichen gloussa, diverti par ces deux coqs belliqueux, mais il gagna le trio. Sait-on jamais, un des deux aurait pu bondir à la gorge de l'autre. La bâtarde les disputa ouvertement, ne redoutant pas le courroux de l'héritier.
— Est-ce vraiment le moment ? répéta-t-elle. Vous vous battrez à mort si vous y tenez, mais après notre mission ! Seigneur Hiwang, je vous rencontre à peine et vous me causez déjà des ennuis, tâchez de mieux vous comporter. Vous voyagez en compagnie d'un Jeune Maître, maîtrisez-vous, bon sang ! Et vous, Xian-Jun, je me souvenais d'un homme qui réussissait à davantage contrôler ses émotions... Tempérez-vous tous les deux.
Hiwang regrettait ses paroles. Il s'était senti vexé par les insultes. S'il était présent parmi eux, c'était parce qu'il avait obtenu son droit de venir ! Parce qu'il se défendait très bien et qu'il ne s'épouvantait pas lors des combats sanglants. Parce que son Patriarche avait besoin d'un guerrier et qu'il était le plus qualifié des disciples. Il en voulait profondément à cet homme de l'offenser de cette manière si désobligeante, mais il n'aurait pas dû répliquer de la sorte. Yichen n'hésita pas à se moquer de lui.
Seulement, les cris de la noiraude se fondirent dans un tapage foudroyant. Un sifflement résonna dans toute la montagne, à quelques mètres d'eux. Jiali saisit vivement son arme et tous se postèrent en position de défense. Hiwang s'empara de son épée, mais son regard fut attiré par les lames de la bâtarde. Des épées papillon. Il n'en avait jamais vu de sa vie, il savait ce que les manuels dépeignaient ; un tranchant aussi long que des avant-bras – elle les avait d'ailleurs sorties de ses manches évasées –, épais et affûté. La garde se révélait étonnamment grande, sûrement pour protéger les mains dans les attaques rapprochées. Digne d'une guerrière de sa renommée.
Sa contemplation cessa bien tôt, car des dizaines de créatures se pressaient vers eux. Encerclées de fumées opaques et noirâtres, elles prenaient la forme d'animaux défigurés et fous. Ils déglutirent face à ce panorama terrifiant, mais ne se découragèrent pas une seconde. Finalement, il semblerait que le Seigneur soit contraint de lutter et l'idée d'un appât n'était plus utile.
Dès que les bêtes les percutèrent, ils résistèrent de toutes leurs forces, détruisant ces monstruosités une à une. Elles ne ressemblaient à rien. Des choses à quatre pattes qui grondaient et mugissaient, aux longs et fins crocs acérés, aux griffes lacérantes. Parfois, ces démons prenaient une apparence humanoïde, des sortes de fantômes lugubres. Des corps animés par du néant et une noirceur absolue. Les ombres de l'obscurité les dévoraient.
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