Opposition(Cassandre)
Les nobles mirent un temps fou à évacuer le palais.
Cassandre sentait sa mère à côté d'elle, droite et calme malgré le tumulte. Elle était soulagée au-delà des mots de la savoir avec elle, avertie du danger, en sécurité en un sens.
Une marche cadencée et rythmée se fit soudain entendre. A peine quelques minutes plus tard, une vingtaine de soldats armés revêtus d'une lourde armure brune et or entra dans le palais. Certain se postèrent à l'entrée, d'autre le long de la salle et d'autre encore virent se poster près des souverains.
Ils étaient impressionnants. L'insigne de l'aigle était gravé en or au centre de chaque bouclier. De si lourdes armures inquiétèrent Cassandre. La situation était-elle plus catastrophique que ce qu'elle avait pressenti ? Au vu de la situation s'était fort possible.
Toute à ses pensées, elle ne vit pas les quelques nobles qui, jetant un regard aux souverains, se glissaient hors du palais. Ils ne le quittaient pas pour retourner à leurs carrosses et rentrer chez eux. Une fois hors de vue des soldats, ils se glissèrent le long des murs, comme des ombres. Ils allèrent trouver des masques de toile et les enfilèrent. Ensuite, ils sifflèrent pour faire venir les hommes en noirs à leurs solde. Peu leur important la révolution car ils savaient qu'elle était éphémère. Ils voulaient le pouvoir. Une femme des mieux placées dans la hiérarchie le leur avait promis. Ils commandèrent à leurs mercenaires de leur apporter leurs épées et leurs chevaux. Les hommes tout de noir vêtus partirent s'acquitter de leur mission sans un mot, sans un bruit. Des spectres.
Dans le palais, ignorant les desseins de ces personnages, le Roi traitait avec ses officiers de la marche à suivre pour ramener le calme. Dame Armalys s'entretenait avec la Reine pour élaborer une mission de sauvetage. Cassandre ne comprenait pas pourquoi on ne relâchait pas simplement le voleur pour que la sorcière relâche à son tour son père. Visiblement cette simple idée ne semblait pas leur convenir.
Quelqu'un toussota dans son dos et Cassandre se retourna vivement, alarmée. Elle se figea en voyant la princesse Odossya qui la fixait, bras croisés.
« Tu ne peux rester ici, l'avertit-elle. »
Cassandre ne parvint pas à répondre tout de suite. Elle ne parvenait pas à formuler une pensée ayant un minimum de sens. Pourquoi cette mise en garde ? Pourquoi venir la voir ? Pourquoi ne pas se mettre à l'abri alors qu'elle le pouvait ?
Elle finit par retrouver l'usage de la parole.
« Vous ne devriez pas être là, dit-elle à la princesse. »
La fille de la Reine Evangeline marqua un temps d'arrêt. Elle décroisa ses bras. Ses doigts s'enroulèrent autour des pans de sa belle robe. Oserait-elle la frapper ?
« Pourquoi ne devrai-je pas être ici ? Ce palais est mien. Ce jardin est mien et... ce royaume est mien. Mais toi en revanche...
- Le danger qui pèse sur notre royaume n'épargnera pas une dame de la cour, fille de la reine soit-elle, coupa court Cassandre. »
Elle se figea, stupéfaite par son audace.
« Comment oses-tu me parler de la sorte ? cingla Odossya après l'avoir silencieusement étudiée. Je suis la fille de la reine ! Comment oses-tu ?
- Le danger qui pèse sur vous n'en est que plus grand, plaida Cassandre. Je ne cherche pas à vous offenser mais à vous...
- Protéger ? »
Devant le silence de Cassandre, elle fut prise d'un rire narquois. Il la secoua pendant quelque seconde.
« Je n'en crois pas un mot, s'esclaffa Odossya quand elle eut fini de rire aux éclats. Je ne crois pas que tu ais de bonnes intentions à mon égard. Je ne crois pas que tu te soucies de moi, de ma vie et de mon sort. Je ne sais pas ce que tu cherche à faire, mais tu ne cherche pas à me protéger. »
Cassandre fut pendant un temps tentée de répliquer qu'elle n'avait, en effet, pas de bonnes intentions à son égard et que, d'ailleurs, la princesse n'avait rien fait pour mériter de telles intentions. Mais elle ne le fit pas.
« Peut-être mais je vous conseille tout de même d'aller vous cacher, rétorqua-t-elle finalement. »
Elle ne s'était pas voulue offensante ni même agressive mais la fille de la reine n'avait pas dû saisir la nuance entre répliquer pour une juste cause et cingler pour contrarier ou défier. Odossya eut un rictus méprisant.
« Je vois. On me donne des conseils, on me donne des ordres. Rappelle-toi, Cassandre: je suis au dessus de toi. Je le serais toujours. »
Cassandre se sentit menacée. Elle ne répliqua rien. Les foudres de la jeune Odossya ne faisaient que commencer à se déchaîner. Cassandre baissa la tête et s'inclina sans regarder les yeux de la princesse. Elle en avait peur. Elle avait peur de payer les conséquences de son impertinence.
« T'incliner devant moi ne va pas racheter ton insolence, Cassandre. Tu es misérable ainsi, à ramper devant les autres. Redresse toi. »
Cassandre s'exécuta sans attendre. Elle joignit les mains devant elle et garda la tête basse.
« Regarde moi, ordonna la princesse. »
Cassandre mit du temps avant de redresser lentement la tête vers Odossya. Elle allait s'excuser, conjurer la princesse de la pardonner, mais elle se heurta à un regard de glace. Elle sentit un frisson parcourir son dos.
« Tu apprends vite, commenta la princesse. Ton rang de Seconde ne t'immunise pas contre moi.
Cette fois, la peur de Cassandre s'effaça comme par magie. Ainsi c'était cela le vrai visage de la princesse : des yeux froids, des menaces, du mépris, une joir sauvage. La princesse se rendit compte du changement d'attitude de Cassandre. Sa satisfaction fit place à la suspicion. Cassandre soutint son regard, sans effort. Elle aurait sans doute mieux fait de le baisser.
La princesse s'approcha de Cassandre, un masque de glace collé sur le visage.
« Tu veux que je m'en aille ? Que je retourne chez moi ? Mais je suis chez moi. Pas toi.
- Vous devriez vous mettre en sécurité, argumenta Cassandre. »
Elle sentait venir la punition.
«Oh je veux bien, approuva Odossya à la stupéfaction de la jeune fille. Mais... pour que je parte, il me faut un cheval. Les palefreniers ne sont pas de service. Il va me falloir un valet pour s'en occuper. »
Un frisson parcourut la peau de Cassandre. Elle fixa avec horreur la royale fille qui lui faisait face.
« Votre Majes...
- Allons dans les écuries. Tu vas seller mon cheval.
- Je regrette, protesta faiblement Cassandre. Je n'ai aucune compétence dans ce domaine.
- Je vais t'apprendre, répliqua Odossya. Cela ne pose aucun problème. Allons. Suis moi. »
Cassandre hésita pendant un instant. Elle était écœurée, dégoûtée, choquée. Mais elle ne pouvait rien faire. A chaque pas qu'elle faisait, elle sentait la colère monter en elle. Elle n'aurait su dire si ce ressentiment était légitime ou non. Une chose était sûre : il était bien là, augmentant à chaque claquement des chaussures sur les dalles de pierre.
Elles franchirent les immenses portes. Le soleil les frappa de plein fouet, réconfortant un peu la jeune noble. Le chant des oiseaux s'était tut.
Soudain, elle entendit un cheval galoper. Elle le vit approcher, vite, très vite. Le martellement des sabots sur la pierre était assourdissant. Odossya elle-même se figea. Un cavalier était sur le dos du cheval. Il ne maîtrisait pas sa monture. Du sang tachait ses vêtements. Les deux jeunes filles se précipitèrent à sa rencontre. Cassandre courut vers le blessé, sans retenue. Elle saisit la bride de l'étalon qui renâclait et tenta de le calmer. Elle se trouva désemparée devant la fougue de l'animal. Elle fut subjuguée par sa puissance, sa beauté, sa force à la fois sauvage et dressée. Elle caressa la tête de l'étalon et murmura le plus calmement possible :
« Oh la, oh la, doucement. C'est ça. Voilà. »
Elle leva alors les yeux vers son cavalier. Elle manqua de pousser un cri d'horreur en découvrant son état. Près d'elle, Odossya se figea mais prêta tout de même une main secourable à l'homme pour l'aider à descendre. Ce fut inutile car il tomba de lui même. Il se réceptionna à grand peine sur ses pieds avant de s'écrouler. Cassandre chercha des yeux d'où pouvait venir tout ce sang. Elle découvrit alors, dans son dos, un poignard planté. Bien planté. Elle lâcha le cheval pour tenter de déterminer comment porter secours à l'homme. Elle voulu déchirer un morceau de sa robe, ôter l'arme et faire un garrot mais la princesse l'arrêta d'un geste.
« Non, ordonna-t-elle. »
Cassandre voulu protester mais Odossya posait sur elle un regard si ardent, si terrible, si autoritaire qu'elle obéit. Elle pouvait penser ce qu'elle voulait de la princesse, elle ne pouvait lui enlever qu'elle savait donner des ordres.
« On ne peut rien pour lui, se justifia la fille de la Reine à la grande surprise de Cassandre. Il a perdu trop de sang. En revanche il faut qu'il nous dise qui lui a fait ça et pourquoi. »
Odossya héla deux des gardes qui se tenaient sur les marches pour qu'ils l'aident à porter l'homme jusqu'au Roi et la Reine. Quand les deux hommes le soulevèrent, la cavalier poussa un râle déchirant. Cassandre sentit son cœur se serrer. Si seulement elle pouvait faire quelque chose pour lui. La blessure laissait des traces de sang sur les marches et salissait les dalles de marbres de la grande salle. La jeune noble vit Odossya grimacer devant cette souillure de son précieux palais.
Ils portèrent le cavalier jusqu'au souverain. Quand ils avisèrent le soldat blessé, tous se turent. Dame Armalys jeta un regard à sa fille comme pour s'assurer qu'elle n'était pas blessée. Elle fit les gros yeux en voyant les traces de sang qui tâchaient la robe bleue. Mais Cassandre l'assura d'un geste qu'elle n'avait rien et que ce sang n'était pas le sien.
« Que s'est-il passé ? s'alarma la Reine en se levant. Pourquoi cet homme est-il comme ça ? »
Sa fille lui répondit qu'elles l'avaient vu arriver et l'avaient mené jusqu'ici mais qu'elles n'en savaient pas plus.
Le soldat blessé se redressa avec une force qui laissa Cassandre stupéfaite. Elle vit la sueur couler de ses tempes et la grimace qui tordit son visage sous l'effet de la douleur. Mais il se releva sur les genoux et inclina la tête devant son roi. Celui-ci le pria aussitôt de rester allonger.
« Votre Majesté, haleta le cavalier. Les villageois... ils ont pris d'assaut la... la Prison... ils ont la sorcière avec eux... ils ont... ils ont libéré les prisonniers. Les soldats se font massacrer...
- Comment ? s'écria le souverain. »
Une panique bien réelle brilla dans ses yeux. Il porta instinctivement le regard sur les grandes portes qui étaient restées ouvertes.
« Fermez-les, ordonna-t-il à ses hommes qui lui obéirent aussitôt. »
Le Roi reporta son attention sur son cavalier mourant.
« Qui t'a fait ça ? questionna-t-il.
- Un... un voleur, messire. Je ne sais pas comment il s'appelle. »
Cassandre se figea. Un voleur ?
Elle n'osa pas faire le rapprochement.
Elle eut envie de crier. Elle ne prit même pas conscience des larmes de colère qui coulèrent silencieusement sur ses joues. Mais Odossya, elle, les vit bien. Elle les prit pour des larmes d'amour.
Cassandre refit surface quand le cavalier trépassa de sa blessure. Elle jeta un coup d'œil à sa mère. Dame Armalys fixait le vide, comme elle aussi perdue dans un brouillard. Sa fille n'eut aucun doute sur le fait qu'elle aussi avait finit par comprendre le destin de son père.
On porta le corps du cavalier vers les cavernes du palais pour l'enterrer avec les autres soldats. C'était un lieu inaccessible à la lumière du soleil. Cassandre vit des sculptures sur les murs. Parfois, quand un grand nombre de soldat avait perdu la vie, il n'y avait pas de représentation, seulement des noms.
Triste histoire.
Quand ils eurent fini de brûler le corps et de graver le nom du mort sur la pierre, ils remontèrent dans la salle principale. Le Roi réclama tous ses officiers pour parler et demanda à ce qu'on le laisse seul avec eux. La reine Evangeline donna une chambre à Dame Armalys et sa fille pour qu'elles se remettent de leurs émotions. La Reine partit dans sa propre loge. Odossya jeta un regard sombre à Cassandre avant de partir elle aussi dans ses appartements.
Dame Armalys se rapprocha de sa fille qui s'était assise sur le lit sans rien dire. Elle ne dit rien non plus.
Dame Armalys finit par s'endormir, fatiguée par tous les événements et par le soir qui tombait doucement sur le royaume, à présent livré au chaos de la révolution.
Cassandre, elle, ne pouvait pas dormir. Elle imaginait son père, attaché dans une vielle demeure de la capitale, seul, sans nourriture, sans eau, condamné à mourir avec le temps.
Elle sortit de sa chambre.
Le Roi discutait toujours avec ses officiers en bas. Elle entendait le résonnement de leurs voix.
Oh père, pensa-t-elle avec tristesse, où êtes-vous ? Comment pourrai-je savoir si vous nous reviendrez un jour ?
Ce fut quand elle formula cette pensée qu'elle eut une illumination. Elle allait s'assurer elle-même que son père lui reviendrait.
Elle prêta attention aux paroles du souverain. Ça parlait stratégie. Ça parlait regroupement des forces militaires, renforcement de la production des armes et bien d'autre termes techniques qu'elle ne comprit pas. Mais jamais il ne fut question de délivrer le commandant Armalys.
« Père, murmura tout haut sa fille. Accrochez-vous. »
Elle avait vu, en descendant dans les cavernes, un passage. Elle avait demandé au Roi où il menait et il lui avait répondu qu'il menait dehors. C'était le chemin que prenaient les fabriquant d'arme pour arriver au palais sans risquer de se faire attaquer par les voleurs de route. Elle irait à Altaïr par là. Elle jeta un regard à sa mère qui dormait toujours.
« Je reviens bientôt, mère, lui souffla-t-elle bien que la Dame ne l'entendit pas. Ne vous inquiétez pas pour moi. Je vais ramener Père. »
Elle prit le châle qui était accroché sur une chaise et le plaça de sorte à cacher son collier de Seconde et ses vêtements de noble dame. Elle prit le chemin des cavernes. Elle ne vit pas Odossya qui la suivit du regard, depuis le balcon intérieur.
Cassandre s'engouffra dans les ténèbres, simplement armée d'une torche pour voir où elle allait.
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