Lancer l'alerte (Cassandre)

La jeune fille s'en retourna dans la salle en fête. Le soleil s'évanouit quand elle franchit à nouveau les grandes portes. Elle voulu aussitôt y retourner, retrouver sa chaleur et sa douceur. Elle aurait voulu retourner au calme de la nature, seulement troublé par le chant des oiseaux et le bruit des sabots. Mais elle n'en fit rien. Elle marcha, le regard rivé droit devant elle. Elle entra dans le tourbillon de la fête royale sans y prendre du plaisir. Tout lui sembla déplacé. Plus déplacé que jamais. Elle ne trouvait même plus les murs beaux. Elle ne voyait plus aucun charme à ce lieu alors qu'il était de loin la plus belle chose qui lui avait été donné de voir.

La musique lui sembla sombre et déplacée. Elle aurait voulu en briser les instruments, déformer les notes pour qu'elles prennent le ton adapté à la situation. Elle aurait voulu laisser libre cours au chaos de son cœur, entendre la désolation des instruments et, serait-elle folle ? un fond d'espoir. Un fond d'espoir comme seules la musique et la nature savaient donner. Mais non. Les instruments donnaient libre court à leur joie, à leurs notes douces et joyeuses. Les archers volaient dans un ballet harmonieux sur les cordes des violons. Les sourires répondaient à cette belle musique de danse.

En parlant de la danse, le frou-frou des robes dansant au rythme des notes enchantées lui donnait le tournis. Elle avait l'impression qu'il emplissait son esprit sans lui laisser le temps de mettre ses pensées au clair. Elle aurait tellement voulu pouvoir réfléchir et relativiser sur la situation. Elle aurait tellement voulu pouvoir penser à l'ordre les priorités. Mais elle ne le pouvait pas. Les chaussures crissaient sur les dalles de pierres et ses pensées tournaient en même temps que les danseurs. Elle ne pouvait pas mettre de l'ordre dans sa tête. Elle en était incapable.

Les éclats de rire lui donnait envie de courir le plus loin possible de cette joie qui n'était pas la sienne. Les mots prononcés n'avaient plus de sens pour elle. Elle les entendait et les méprisait. Elle manqua de courir le plus loin possible quand elle entendit la demande en mariage d'un homme à l'élue de son cœur. Elle tourna la tête avec désespoir vers la porte qui semblait entourée d'un halo de lumière par le soleil. Elle aurait tout donné pour courir vers elle et continuer à courir. Courir. Encore et encore jusqu'à retrouver son père, à le sauver, à revenir chercher sa mère, son frère pour que tous partent loin. Mais elle n'en fit rien. Elle baissa la tête vers l'aigle bleu qui ornait son buste. Il lui donna la force de continuer à marcher. Elle avait une mission.

Cassandre avançait en fendant la foule pleine de joie sans rien dire, sans rien laisser paraître du désordre de son cœur. Les gens ne la remarquaient pas, comment auraient-ils put ? Elle les esquivait sans rien dire. Elle chercha sa mère des yeux. Elle devait le lui dire, elle devait le lui annoncer, elle devait la mettre au courant.

Mais elle devait également mettre le Roi et la Reine au courant. Elle l'avait juré et elle le ferait.

Elle finit, au bout d'un moment qui lui sembla interminable, par se retrouver devant leurs Majestés. Elle était dépitée. Elle n'avait pas vu sa mère. Elle aurait tellement voulu être avec elle. Elle aurait tellement voulu lui parler en premier. Mais Dame Armalys n'avait pas donné l'ombre d'un signe.

Cassandre s'inclina devant le souverain et sa femme. Elle garda la tête baissée et le dos courbé en attendant qu'ils lui donnent la parole. Elle espérait pouvoir se concentrer assez longtemps pour leur exposer la situation dans sa globalité et leur faire sentir l'urgence de la situation. Pendant un temps il ne passa rien. Elle entendait la voix de la reine Evangeline qui discutait paisiblement au-dessus d'elle. Elle entendait le son grinçant de la voix de Odossya qui se flattait des compliments qu'elle recevait. Elle entendait enfin le roi qui racontait ses dernières aventures à la chasse. Elle brûlait de se redresser sans attendre et de leur parler sans avoir besoin de la permission. Mais cela n'était pas dans l'usage de la Cour. Elle se surprenait même à avoir de telles pensées. Que dirait Dame Armalys si elle l'apprenait ! Quelle honte.

Elle s'autorisa cependant, bien qu'elle ne prit pas la parole, à se redresser même sans l'invitation des souverains.

Elle se rendit vite compte que, d'un personne ne l'avait vu, et de deux les royales personnes ne semblaient même pas savoir qu'elle était là.

Elle regardait les sourires, ils lui semblaient encore plus vides et insensés qu'avant. Elle regardait les yeux pétillants sans comprendre ce qui les faisait pétiller. Elle entendait les formules de politesse en se demandant, encore et toujours, comment de telles absurdités pouvaient exister.

Ce fut un garde du corps qui remarqua qu'elle attendait de prendre la parole. Mais c'était sans doute plus à cause de son collier étincelant sous les lustres que par sa propre personne.

Elle ne sut comment mais elle sourit cordialement au soldat en inclinant légèrement la tête. Il monta les quelque marches et vint chuchoter quelques mots à l'oreille du Roi. La reine tourna la tête pour savoir de quoi il s'agissait. Elle parut confuse de ne pas avoir remarqué sa jeune Seconde plus tôt. Elle alla même jusqu'à descendre quelque marche pour prendre la main de la jeune fille et la prier de lui pardonner son inattention.

« Votre Majesté est trop bonne, remercia Cassandre avec son plus doux sourire, honorée par l'honneur que venait de lui faire la souveraine. Mais vous n'avez pas à vous excuser de ne pas m'avoir vue. Vous êtes la reine.

- Oh, ma jeune enfant, répondit doucement la souveraine, voilà de bien gentilles paroles. Mais mon rang ne me permet point de me montrer si étourdie. »

Quelque cheveux s'étaient rebellés contre les diamants qui les maintenaient et lui tombaient de part et d'autre du visage dans de fines boucles d'or. Ceci avait pour effet de la rendre encore plus lumineuse. Cassandre eut soudain peur de lui annoncer ce qu'elle avait à annoncer. Elle ne le voulait plus. Elle répugnait de briser ce beau sourire et de mettre de l'ombre dans ses yeux purs et confiants.

Mais cette dame était la reine. Et la reine se devait de savoir, tout comme le roi. La reine devait prendre conscience de la situation et faire cesser cette fête ridicule le plus vite possible. La reine avait des devoirs à remplir et la reine devait faire quelque chose pour le pauvre voleur qui avait été enfermé. La reine et le roi devaient sauver son père des griffes de la sorcière Astran. La reine et le roi devaient savoir.

De plus elle avait fait une promesse et elle répugnait de la briser simplement parce qu'elle n'avait pas voulu troubler une gentille dame.

Cassandre attendit que le souverain lui donne la parole. Il la lui donna non sans donner l'impression de se demander ce qu'une jeune fille pouvait avoir à annoncer au lieu de s'amuser. Cassandre avait de bonnes raisons de troubler son bonheur et de meilleures raisons encore de ne pas danser ni chanter ni rire avec les autres.

« Parle, nous t'écoutons, proclama-t-il. »

Elle le remercia d'un signe de tête.

« Vos Majesté j'ai de bien sombres nouvelles à vous annoncer, commença-t-elle. Le commandant mon père a été capturé par la sorcière Astran. Il voulait aider le peuple qui était révolté après la mise à feu du Marché Interdit, mais il s'est fait prendre. La sorcière et ses partisans veulent échanger la liberté du commandant mon père contre celle du voleur.

- Du voleur ? Quel voleur ?

- Celui qui a été capturé après l'incendie du...

- Ah ! Je vois ! s'exclama le Roi. »

Mais son euphorie retomba soudainement quand il mesura ce que les mots de la jeune fille impliquaient. Son regard se fit sombre et il se mit à pianoter nerveusement sur les rebords de son trône. La reine Evangeline le regarda avec peine. Elle lui posa une main rassurante sur le bras pour le calmer. Il ne sembla même pas la remarquer. Il fixait Cassandre sans rien dire. Elle eut toutes les peines du monde à ne pas détourner le regard face aux profondeurs noires de ses prunelles. Il lui sembla que cette obscurité était infinie. Elle s'y plongea en entière pour soutenir son regard.

« Ton père... répéta-t-il tout bas comme s'il se parlait à lui même. Le voleur... la sorcière... hum... »

Cassandre attendit qu'il dise quelque chose. Elle voulait qu'il dise quelque chose de puissant. Elle s'attendait à ce qu'il prenne vite les choses en main, qu'il bondisse de son siège pour arrêter le son entêtant des instruments. Elle désirait qu'il lui assure que son armée serait déployée pour aller sauver son père. Cependant une ombre planait sur ces belles espérances : si le souverain dépêchait son armée pour sauver son père, il y aurait des guerres et le voleur ne serait pas libéré. Elle ne voulait ni guerres ni condamner quelqu'un pour toujours. Mais elle voulait sauver son père.

Elle attendit, frémissante, qu'il réponde. Et il répondit.

« La sorcière n'a rien dit d'autre ? s'enquit-il. »

Elle secoua la tête, incapable de répondre. Une ombre passa à nouveau devant le visage du souverain. Il coula un regard vers sa reine. Elle ne sembla pas s'en rendre compte. Ses yeux à elle étaient plongés dans le vide, aspirés par une torpeur sans nom.

Cassandre se hasarda à reprendre la parole. Ils devaient prendre une décision. Maintenant.

« Que comptez-vous faire, Vos Majesté ? s'informa-t-elle.

- Nous verrons demain, répondit le Roi. Je dois en parler avec mes conseillers pour savoir ce qu'ils en pensent.

- Mais vous n'avez pas le temps pour cela ! s'insurgea Cassandre. »

Elle se tut aussitôt. Elle n'avait pas le droit. Elle n'avait pas le droit de hausser le ton en présence de si illustres personnes. Elle baissa les yeux et s'inclina sans oser affronter le regard de son monarque.

« Pardonnez-moi, pria-t-elle, je ne sais pas ce qu'il m'a prise. Vous êtes le Roi, vous savez mieux que moi ce qu'il vous faut faire et ce que vous ne devez pas faire. Je vous prie de pardonner mon audace.

- Ce n'est rien, jeune fille, répondit doucement le Roi. Redresse-toi. Ton père s'est fait prendre par une sorcière, il est normal que te t'inquiète pour lui et que cette inquiétude fasse naître en toi la peur. »

Cassandre se redressa mais elle eut du mal à le regarder en face. Que dirait sa mère si elle apprenait cette mauvaise conduite ! Elle le savait parfaitement. Si cela venait aux oreilles de Dame Armalys, elle en entendrait parler jusqu'à la fin de ses jours.

Elle murmura pourtant :

« Alors vous n'allez rien faire ? La guerre civile est à vos portes, le peuple menace de se révolter, et vous ne faites rien.

- Nous n'allons pas rien faire, la contredit le Roi. Nous allons chercher une solution pour sauver ton père et ramener la paix dans le royaume. Cette paix va revenir. Cependant... »

Il posa son regard sur elle jusqu'à ce qu'elle redresse les yeux vers lui.

« Cependant je préférais ne pas voir venir cette paix dans le sang des miens. »

Cassandre ne répondit rien mais elle comprit soudain qu'il avait raison. Elle n'avait pas pensé à cela. Elle n'avait pas songé que la mort pouvait d'écouler d'une attaque militaire. Elle n'avait jamais vu de bataille, jamais entendu le son des cannons ni les marches rythmées des soldats. Sa mère et son père ne lui en avaient jamais parlé. Jamais. Sans doute avaient-ils pensé que la guerre ne toucherait plus le royaume de sitôt.

« Libérez le voleur, proposa-t-elle dans une soudaine éclaircie, et ils libéreront mon père. Il n'y aura pas de sang, pas de mort. »

A sa grande surprise le souverain secoua la tête.

« Je ne peux pas faire cela, la détrompa-t-il. Si je le libère, lui, je devrais faire de même avec les autres. Je devrais rendre la liberté à des gens qui ne la méritent pas.

- Mais lui... s'opposa pendant un instant Cassandre.

- Lui n'est pas innocent non plus. Et quand bien même il le serait, le libérer me ferait passer pour un faible auprès du peuple. Cela les encouragerait à prendre les armes car ils se diraient que je ne répondrais pas à l'offensive. Alors que je le ferais. »

Il posa sur elle un regard implacable.

« Comprends-tu pourquoi il m'est impossible de prendre une décision immédiatement ? 

- Oui, Votre Honneur, répondit Cassandre. Mais au moins pourriez-vous faire évacuer le palais ?

- Pourquoi donc ? Ils ne passeront pas à l'attaque de sitôt. Il faut du temps pour être prêt à aller au combat.

- Mais les nobles qui vivent à des jours de carrosse d'ici devraient pouvoir se rentrer sains et saufs, argumenta-t-elle. Si les hostilités se présentent demain ou dans trois jours ils ne pourront rentrer chez eux sans être confrontés à un peuple en colère. »

Le monarque resta pensif. Sa reine dévisagea Cassandre un bon moment. Elle sembla étudier chacun de ses traits avec attention. Il sembla à la jeune noble que la souveraine cherchait à découvrir quelque chose. Ou plutôt à tenter de comprendre quelque chose.

« Mais dire aux nobles de rentrer chez eux mènerait à un vent de panique. Les seigneurs aussitôt dans leur maison chercheront à mobiliser leurs forces et peut-être attaqueront-ils en premier.

- Vous n'avez qu'à leur donner l'ordre de ne pas le faire, proposa Cassandre. »

C'était idiot, elle le savait. Mais cela lui apparut comme une évidence. Elle n'avait pas pu s'empêcher de proposer cela. La vrai raison de son étonnement était : pourquoi le Roi n'y avait-il pas pensé lui-même ?

Il semblait surpris par la proposition.

« Penses-tu qu'ils obéiraient ?

- Pourquoi ne le feraient-ils pas ? »

Elle était de plus en plus étonnée par son insolence. Mais elle ne parvenait pas à rester calme, polie. Elle n'arrivait pas à attendre que le souverain lui donne la parole. Elle ne pouvait garder une conduite de noble dame. Elle n'était pas comme sa mère qui savait garder son sang froid et son attitude de Dame de la Cour en toute circonstance. Elle n'y arrivait pas. Une sorte de feu s'était allumé en elle. Une toute petite flamme qui attisait son besoin de laisser parler ses sentiments. Un feu qui rongeait les bonnes habitudes pour laisser place à l'instinct. Ce n'était pas bon, elle le savait. Sa mère lui avait déjà parlé d'homme et de femme qui s'étaient laissés mener par leurs émotions. La vie n'avait pas été tendre avec eux. Ils avaient été punis. Ils avaient été de grandes personnes, à l'époque. 

Elle inspira un bon coup. Mais les odeurs des roses qu'on brandissait les uns vers les autres lui emplirent les narines. Elle sentit son estomac se contracter. Elle s'était crue pendant un instant affranchie de la fête mais la valse des instruments la frappa à nouveau de plein fouet. Les éclats de rire sonnèrent à ses oreilles.

Elle eut envie de hurler au Roi de faire cesser cette fête, de renvoyer les nobles chez eux. Mais elle se contrôla et ne dit rien. Comment pourraient-ils tous savoir de la tragédie qui s'était abattue sur elle ?

Le Roi ne donnait toujours pas de réponse. Elle eut peur de l'avoir froissé par sa réplique piquante et insolente.

« Si je vous ai... commença-t-elle.

- Nous, ne t'excuse pas, jeune fille, la coupa le Roi. »

Il se plongea à nouveau dans son silence. Mais cette fois il semblait plus préparer quelque chose que réfléchir à quoi préparer. Il se pencha et glissa quelques mots à l'oreille de sa reine. Cette dernière écouta attentivement. Elle hocha la tête à plusieurs reprise. Cependant son air serein se brisa au fil du discours de son Roi. Son tin se ternit et il sembla même que la lumière n'atteignait plus ses cheveux d'or.

Elle hocha la tête une dernière fois et se redressa sur son siège. Elle s'adressa à Cassandre d'une voix solennelle :

« Si les nobles sont priés de partir car le peuple risque de se révolter, c'est que nous sommes arrivés à un mur. Nous devons faire en sorte qu'il se brise et que la paix et l'entente reviennent. Nous avons besoin de quelqu'un qui sache comprendre le peuple. Nous avons besoin de toi. Tu as de bonne idée, tu réfléchis et tu semple vouloir comprendre ce que veut le peuple. Nous avons besoin de cela. C'est également pour cette raison que j'ai fait de toi ma Seconde. Et c'est pour cela que je vais te demander de rester dans le palais avec nous.

- Rester avec vous ? c'est à dire ? Je ne...

- Tu ne rentreras pas dans ta maison avec ta mère, expliqua la reine. Tu resteras avec nous pour nous aider à prendre les décisions et, je l'espère, ramener l'ordre dans notre royaume. »

Rester ici ? Sans ma mère ? Avec le Roi, la Reine pendant que le peuple lançait une potentielle attaque ? Cassandre en resta muette de stupeur. Tout en elle sembla se figer. Sauf ses yeux. Ils allaient de l'un à l'autre sans savoir sur lequel des dirigeants s'arrêter. Enfin, elle se tourna d'elle-même vers la foule qui ne se doutait de rien. Elle chercha sa mère des yeux avec désespoir. Elle aurait tant voulu qu'elle soit là pour l'aider à choisir, pour lui donner la force de répondre. Mais elle ne vit pas Dame Armalys. En revanche, son regard se porta de lui-même vers les immenses portes. Elles ouvraient sur la capitale. Elles ouvraient sur le peuple. Elles ouvraient sur le voleur prisonnier. Mais surtout elles ouvraient sur son père.

Si elle partait dans sa maison, elle serait loin de lui. Elle ne pourrait rien faire pour aider à le sauver. Et son frère ? Lui aussi risquait de partir à la rencontre du peuple potentiellement déchaîné. Elle ne pouvait pas aller se cacher tranquillement sachant ces trois choses : le voleur risquait de mourir alors qu'elle voulait lui rendre sa liberté (sans qu'elle ne sache vraiment pourquoi cela devenait une obstination), son père était là, pas loin, et son frère allait se lancer dans des combats très certainement meurtriers. Elle ne pouvait pas rentrer chez elle est faire comme si de rien était. Elle ne pouvait pas laisser ces trois vies aux mains du Roi sans rien faire, sans rien tenter pour ramener un peu d'ordre.

Alors elle se retourna vers les souverains et leur répondit franchement et assurément :

« Je reste. »

Ils semblèrent satisfaits et hochèrent la tête simultanément. La reine s'autorisa même un léger sourire.

« Merci, jeune fille. »

Cassandre s'inclina. Elle n'osait pourtant pas poser la question qui lui brûlait les lèvres. Elle voulait dire au revoir à sa mère avant qu'elles ne se quittent. Mais les mots ne sortaient pas de sa bouche. Ils n'osaient pas franchir ses lèvres. Sans doute avaient-ils peur de briser sa décision ? Quoi qu'il en soit, elle ne les força pas et resta muette. Elle attendit que les souverains lui disent quoi faire. Le Roi se redressa comme à regret.

« Je vais annoncer aux nobles qu'ils doivent partir. »

Cassandre hocha la tête. Elle le regarda se redresser de toute sa hauteur pour que l'assemblé virevoltante soit englobée dans son regard. Quand cela fut le cas, il leva haut les mains pour signifier qu'il allait parler. Le calme vint peu à peu, au grand soulagement de Cassandre. Les rires cessèrent un à un. Les pas de danse se firent de plus en plus timides jusqu'à s'arrêter totalement. Les instruments reprirent leur souffle et imposèrent un doux silence. Plus personne ne parlait à présent.

Cassandre sentit comme un grand soulagement s'installer en elle. Elle ferma les yeux pour savourer le calme. Elle savait qu'il ne durerait pas. Dès que le Roi aurait dit ce qu'il avait à dire, une vague de protestation assourdissantes résonnerait dans le palais.

Mais pour l'heure, elle cherchait sa mère dans la foule dense. Enfin elle la vit. Après l'avoir cherché pendant des heures dans tout le château sans résultat, elle la voyait enfin et son soulagement en redoubla. Sa mère était au milieu d'un groupe de grandes personnes. Elle était plus petite que chacun d'eux mais avec son air royal elle semblait tous les dominer.

Sa fille eut envie de bondir la rejoindre et tout lui expliquer en personne mais quelque chose la retint. Quelque chose fit qu'elle ne bougea pas. Ce quelque chose, elle ne savait pas ce que s'était. Mais cette chose fit qu'elle resta là, les bras ballant, devant le trône des royales personnes.

« Nobles gens, mes amis, commença le Roi, j'ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. »

Déjà le silence fut troublé par des murmures étonnés. On cherchait à découvrir ce que le souverain avait à dire avant même qu'il ne le dise. Le monarque ne se laissa pas déstabiliser et continua son annonce :

« L'un de mes plus loyaux soldats s'est fait capturé par la sorcière Astran et... »

Il fut coupé par une vague de cris indignés. Cassandre fut étonnée d'un tel manque de respect envers le monarque. Les nobles de la Cour n'étaient-ils pas censés être les plus polis de tous les habitants de ce royaume ?

Elle réprima avec peine un sourire quand elle se rendit comte que seule Dame Armalys n'avait pas ouvert la bouche, pas bougé d'un pouce, rien exprimé. Elle se contentait de garder la tête haute en attendant que le Roi reprenne son discours. Et il le reprit :

« Mes amis, je vais vous prier de garder votre calme jusqu'à ce que je finisse de vous dire ce qui doit être dit. »

Son ton était agacé. Tous se turent aussitôt.

« Comme je le disais, reprit-il, l'un de mes loyaux soldats, s'est fait prendre par la sorcière Astran. Elle peut nous accorder sa libération mais seulement si nous libérons le voleur en échange. »

Nouvelle vague de protestation bien plus forte. Déjà les échos commençaient à résonner. Cassandre savait que ceci était lié aux matériaux qui composaient le palais. Le feu du dragon avait forgé ce monument. Le feu du dragon servait à garder secret ce que devait l'être. Le feu du dragon empêchait les bruits forts, venant d'un être vivant, de s'échapper du palais.

Le Roi leur résuma la situation en faisant face, à chaque nouvelle phrase, à des cris indignés et outrés. Dame Armalys restait de marbre. Ce calme finit par inquiéter Cassandre. Elle voulu à nouveau se porter vers elle mais le quelque chose la cloua à nouveau sur place.

Alors le Roi annonça que tous devaient rentrer chez eux. Cette fois les cris se firent attendre. Il eut d'abord un silence choqué. Le calme avant la tempête. Celle-ci ne tarda pas à venir. Elle vint vite, très vite, très, très vite. Un chaos de mot sans ordre ni sens envahit les murs du palais royal. Cassandre manqua de défaillir sous la puissance de tout ses sons alignés les uns à la suite des autres. Mais elle tint bon. Elle regardait sa mère, guettant sa réaction. Celle-ci vint enfin. Mais elle était si déroutante et si étrange et si décalée du tonnerre qui faisait rage que Cassandre se demanda si elle n'aurait pas encore préféré que sa mère n'ait pas de réaction.

Dame Armalys se mit à franchir la foule sans un mot. Son regard était rivé sur sa fille qui restait toujours immobile devant les souverains. La mère marchait. Les lumières se reflétaient dans ses yeux comme sur du verre. Ses cheveux n'avaient pas bougés. Ils étaient toujours parfaitement en place et ils ondulaient à peine au rythme de ses pas.

Enfin, elle fut devant sa fille. Elle lui prit les mains. Sa fille ne put se détourner de son regard à la fois si profond et si impénétrable.

« Qui est ce soldat ? Que fais-tu près de leurs Majesté ? questionna-t-elle sèchement. »

Cassandre déglutit avec peine. Elle resserra ses mains autour de celle de sa mère.

« Ce soldat, c'est père, dit-elle d'une toute petite voix. Je suis ici pour aider Leurs Majestés. »

Elle n'arriva pas à parler plus. Elle ne le pouvait pas. Elle avait l'impression que parler plus briserait quelque chose. Pourtant elle aurait tant voulu dire à sa mère que s'était de cette révolte qu'elle avait voulu lui parler. Elle aurait voulu lui dire tant de chose.

« Tu ne rentres pas ? s'étonna sa mère. Pourtant il me semble que tout le monde soit prié de retourner chez lui. »

Une boule se forma dans la gorge de Cassandre.

« Ils m'ont demandé de rester. Alors je vais rester. »

Sa mère plongea son regard dans le sien. Elle se plongea dans sa fille pour y trouver quelque chose. Ceci sembla durer une éternité. Enfin, elle demanda :

« Pourquoi as-tu voulu rester ? »

Cassandre marqua un temps de surprise. Comment sa mère avait-elle sut ? Puis elle comprit que sa mère la connaissait suffisamment pour comprendre que les souverains seuls n'auraient pas réussit à lui faire accepter une telle chose.

« Je ne veut pas m'éloigner de père, qui est là-bas et je ne veux pas aller me cacher tandis que mon frère risque d'aller sur le champs de bataille. »

Sa mère ne dit rien. Elle sourit soudain et prit sa fille dans ses bras.

« Je comprends. Je savais que tu le voulais. Et je le veux aussi. »

Elle se détourna de sa fille pour se tourner vers les souverains. Elle s'inclina et parla sans attendre qu'ils lui en donnent la parole.

« Je vous prie, Vos Grâces, de me permettre de rester avec ma fille. Je ne veux pas la laisser seule. De plus il s'agit de mon mari qui est prisonnier, je voudrais aider à le libérer. Accordez-moi cela, je vous en prie. »

Elle s'inclina à nouveau et resta en bas en attendant la réponse du Roi et de la Reine. Ces derniers restèrent silencieux pendant un moment. Ils échangèrent un regard indécis. Dame Armalys, bien qu'elle eut la tête baissée, semblait les défier de lui interdire de rester. Sa fille était stupéfaite. Jamais elle n'aurait pensé que sa mère puisse agir de la sorte. Enfin, le Roi hocha la tête.

« Oui, noble Dame Armalys, vous pouvez rester avec votre fille dans le palais. Mais... »

Son regard se porta sur les autres nobles qui continuaient de protester. Sans donner signe d'une quelconque intention de partir. Dame Armalys retourna auprès de sa fille, tête haute et yeux embrassés d'une flamme puissante et déterminée.

« Mais les autres nobles sont priés de quitter ce palais pour rentrer chez eux dès à présent. Je ne le dirai pas deux fois. »

Sa voix avait sonné, résonné dans tout le palais, surplombant tous les murmures et pleine de majesté. Il avait dit cela avec un calme glaçant, menaçant et chacun se tut sur le champs. Le Roi fit passer son regard sur chacun d'eux, un regard terrible.

« Alors messieurs, mesdames, qu'attendez-vous ? »

Les nobles finirent par s'incliner de mauvaise grâce. Lentement, les homme du fond se tournèrent vers la sortie. À ce rythme là, Cassandre pensa qu'il faudra près de cinq heures avant que le palais soit vide. 

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