La Menace (Cassandre)
Partie 2: Les amants de la Colère
Je suis désolée pour ce chapitre qui est long mais je ne pouvais pas le couper. Bonne lecture tout de même !
Elle resta là à fixer sa mère. Tout le reste avait disparu. La reine, les nobles gens, les serveurs, tout n'était qu'un brouillard qui ne faisait pas de bruit. Un brouillard qui s'effaçait rapidement devant la tempête en face d'elle. Cassandre n'avait jamais imaginé être un jour confrontée à pareille vision. De la colère, de la peur, de la stupeur. Voilà toutes les émotions qui se livraient bataille dans le regard de Dame Armalys. Elle prit le bras de sa fille avec une certaine brusquerie qui ne lui était pas familière.
« Te rends-tu compte de ce que tu dis ? demanda-t-elle avec effroi. »
Ses yeux allèrent de sa fille dans un tourbillon d'émotion et autour d'elle pour s'assurer que personne n'avait entendu les propos indignes de sa fille. Mais Cassandre s'en fichait. Elle se fichait que ses propos ne plaisent ni à son Roi ni à sa Reine. Ses propos disaient ce qu'elle pressentait et elle était convaincue qu'il y avait de la vérité dedans. Sa mère devait l'entendre et le comprendre. Pour l'aider. Aussi elle affronta sans broncher la tempête en face d'elle et répondit le plus calmement possible :
« Très bien, mère. Vous devriez le voir vous aussi. Le monde va changer. Les idéaux de la Cour ne sont pas infaillibles. A vous enfermer ainsi dans votre confiance dans le système, vous sombrerez avec lui. »
Dame Armalys ne répondit pas. Elle resta muette de stupeur. Cette stupeur était tant due à la nouvelle qu'au discours inconvenable de sa fille. Cassandre se sentit défaillir. Elle n'avait pas voulu froisser sa mère. Jamais. Elle avait simplement voulu lui faire comprendre la réalité pour que leur famille s'échappe sans problème.
« Pardonnez-moi, mère. Mais...
- Non. Je ne peux pas. C'est une offense à notre reine et notre roi que tu fais. A notre reine alors même qu'elle t'a nommé Seconde ! Je ne te comprends pas, ma fille. Comment peux-tu tenir de tels propos ? Comment peux-tu douter à ce point de notre système, de notre famille ? Tant d'écart de conduite en si peu de temps. »
Elle poussa un soupir de regret. Cassandre se sentit submergée par ses émotions.
« Mère, comprenez-moi. Je veux simplement...
- Non, répéta Dame Armalys. »
Elle refusait de croiser le regard de sa fille. Le désespoir de celle-ci n'en fut que plus grand. Un gouffre s'ouvrit dans son cœur. Elle chercha par tous les moyens à entrer en contact visuel avec sa mère. Mais cette dernière s'y refusait obstinément. Cassandre se sentit étrange. Obscure à elle-même. Il lui semblait que le monde changeait subitement sans qu'elle ne puisse rien faire.
« Tu veux faire honte à notre famille, énuméra Dame Armalys d'une voix qui n'était plus qu'un soupir. Tu as réussi. Bafouer ainsi la confiance de nos souverains, de notre système. Repousser un homme qui te serait un mari parfait. Un homme riche, puissant, doux. Je ne te comprends pas. Comment le pourrai-je ? »
Le gouffre de Cassandre devint une abyme sans fond qu'elle remplit des larmes de son âme. Ces mots étaient comme un couteau qu'on lui lançait dans le cœur. Une lame destinée à l'empêcher de respirer et de trouver la paix pour toujours. Une lame qu'elle ne s'était jamais attendue à avoir. Comment sa mère pouvait-elle tenir de tels propos ? Ne voyait-elle pas l'urgence de la situation ? Ne pensait-elle vraiment qu'au mariage sans se soucier de ce que désirait vraiment sa fille ?
« En m'écoutant jusqu'au bout, proposa Cassandre d'une voix étranglée. Laissez-moi, je vous en implore, vous dire pourquoi je pense tout cela et pourquoi je vous le dis maintenant. »
Sa mère resta plongée dans un silence obstiné. Cassandre lui prit la main. Dame Armalys se déroba et se détourna. Cassandre la suivit des yeux. Elle avait envie de pleurer. Mais elle ne se laissa pas aller aux larmes. Le gouffre qui s'ouvrit en elle ne ferait que s'agrandir. Elle se lança à la poursuite de sa mère. Elle devait comprendre. Pour que toute la famille soit saine et sauve. Pour qu'ils survivent tous à ce bouleversement sans doute fatal à la moitié de la Cour.
« Mère ! appela-t-elle sans se soucier des convenances de la Cour. »
Elle ignora royalement les regards outrés que lui lancèrent les nobles. N'importait que sa mère et ce qu'elle avait à lui dire. Elle traversa la salle à grand pas. Les gens poussaient des cris outrés devant son passage mais elle s'en fichait royalement. Qu'ils disent ce qu'ils veulent ! Elle voulait simplement sa mère. Elle la trouva qui discutait sans vie avec d'autre noble. Cassandre s'arrêta soudainement. Elle ne pouvait pas mettre sa mère dans une position délicate alors même qu'elle voulait lui demander pardon. Non, pas pardon. Lui faire comprendre et espérer ainsi qu'elles se réconcilient.
Alors elle resta là à attendre que sa mère daigne venir à nouveau lui parler. Mais ce ne serait pas chose facile. Elle pensa que le comportement de Dame Armalys n'était pas non plus très conforme aux manières de la Cour.
Mais elle ne dit toujours rien. Elle resta muette, à attendre que sa mère lui adresse un regard. Mais il ne venait jamais. Le regard qui l'inviterait à pouvoir s'expliquer et à rompre la mésentente qui régnait entre elles ne venait pas. Cassandre s'obstina à rester là. Elle prit soudainement conscience du regard d'Odossya qui pesait sur elle, mauvais et plein de mépris. Elle se força à ne pas tourner la tête. Elle devait garder son objectif en tête. Mais de doute façon avec qui voudrait-elle parler ? Tout n'était que langage futile, menace cachée et jalousie pour la richesse d'une autre famille. Non décidément elle ne voulait parler à personne.
Elle se surprit à penser que la vie dans les campagnes ne devait pas être aussi néfaste que tout le monde le prétendait. Peut-être que les gens étaient plus sincères, plus dévoués les uns aux autres. Ils avaient moins d'argent, certes, mais cela était-ce vraiment une mauvaise chose ? Elle voyait bien que l'or ne faisait pas la joie de ceux qui en avaient. Ils en voulaient toujours plus. Toujours plus de valets, de dames de chambres, de palefrenier, de chevaux, de carrosses, de places, d'habits, de bijoux, de confort. Ils n'étaient jamais satisfaits.
La famille de Cassandre n'était pas comme cela. Ils avaient ce qu'il leur fallait, pas plus. Ils ne demandaient pas plus. Tout ce qu'ils voulaient était une place à la Cour, de l'estime, se faire une grande place parmi les grands du royaume. C'était un plaisir égoïste mais moins futile que les autres.
Cassandre trouvait également sa famille bien plus méritante que nombre des autres. Ils avaient des valeurs profondes. Il fallait, par exemple, toujours mériter ce que l'on avait. Il ne fallait jamais se montrer imbu de soi-même.
Le père de Cassandre était un soldat noble de cœur et de famille. Il s'était taillé lui-même sa place dans l'armée. Il en allait de même avec son frère. Sa renommée avait d'ailleurs été si grande qu'il avait trouvé une femme qu'il aimait de tout son cœur et qui l'aimait en retour pour ses qualités.
La mère de Cassandre s'était taillé sa place grâce à sa droiture d'esprit et son sens aigu du devoir. Jamais il n'avait été question d'avoir plus ou moins d'argent.
Alors Cassandre regardait les autres nobles qui se pavanaient avec leurs soies, leurs grands chapeaux à plume, leurs bijoux à s'écraser sous leur poids, leurs robes démesurées. Elle les regardait d'un regard impassible mais elle était dégoûtée. C'était sans doute pour cela qu'elle avait donné les diamants aux jeunes voleurs. Elle avait vu dans leurs yeux ce qu'elle n'avait jamais vu dans les yeux de la Cour. De la vérité. Un besoin réel, un étonnement réel. Quelle joie de trouver des émotions non feintes dans les yeux d'une personne !
Elle revint à la vérité quand un homme se planta devant elle. Elle leva les yeux vers lui. Il était grand, très grand. Il était richement paré et brillait autant que les lustres du plafond. Cela en devait ridicule.
Elle ne lui présenta pas sa main. Il était aussi froid et impassible de visage que la pierre. Elle ne le connaissait pas. Pourquoi venait-il la voir ? Ce n'était pas vraiment le moment de la déranger.
« Venez, lui dit-il.
- Pourquoi ? Si vous voulez me dire quelque chose, vous pouvez me le dire ici.
- Pas ce que j'ai à vous dire, madame, répliqua-t-il toujours insondable. »
Cassandre le regard avec suspicion. Elle n'était pas convaincue. En général une dame de la Cour n'avait pas le droit de suivre un inconnu. S'était à lui de se plier à ses exigences.
« Qu'avez-vous à me dire, répéta-t-elle, glaciale. Si vous tenez à me parler, faite-le ici.
- Je ne peux pas, madame. »
Il se tenait toujours droit, les mains dans le dos, le regard porté au loin. Cassandre ne bougea pas pas.
« Dites-moi ou partez, je ne bougerai pas d'ici. »
Il abaissa son regard de pierre sur elle. Il était calculateur. Cassandre n'avait pas confiance. Il loucha soudain sur le collier bleu qui ornait son coup. Tout devint soudainement plus clair pour la jeune fille. Quelqu'un avait appelé à ses service car il lui en voulait pour une quelconque raison d'avoir obtenu la place de Seconde.
« Qui vous envoie ? s'enquit-elle sur un ton glacial.
- Je ne peux pas vous le dire.
- Si vous ne pouvez rien me dire, allez-vous-en. Je ne tiens pas à traiter avec vous.
- Je peux vous assurer que je ne vous veux aucun mal, grommela l'homme. »
Cassandre l'étudia dans sa totalité. Une promesse dite ainsi ne valait rien. Elle pouvait être rompue sans dommage.
« Jurez-le sur vos dieux, ordonna-t-elle. »
Il loucha sur elle comme s'il n'en revenait pas qu'une aussi jeune dame ose lui tenir tête et lui donne un ordre. Mais Cassandre s'en fichait. S'il ne jurait pas sur ses dieux, elle ne le suivrait pas. Elle n'était pas assez idiote pour se jeter tête baissée dans une discutions, loin des gardes, avec une homme qu'elle ne connaissait pas.
« Je jure sur tous mes dieux de ne pas vous vouloir de mal. Qu'ils me punissent si je trahi cette parole, bougonna-t-il.
- Bien. Je vous crois à présent. »
Il avait ajouté de lui-même le fait d'être puni s'il brisait sa promesse. Elle trouva cela réconfortant dans les intentions de cet homme. Elle hocha la tête et consenti à le suivre, non sans un dernier regard à sa mère. Cette dernière avait toujours le regard porté sur sa discutions. Mais il sembla à sa fille qu'elle tressaillit quand elle accepta de suivre l'homme. Un espoir fou la saisit de penser que Dame Armalys n'avait pas totalement oublié qu'elle était sa fille.
L'homme lui fit traverser toute la salle dans le sens inverse. Les gens les regardaient d'un air louche mais ils ne disaient rien. Cassandre ne disait rien non plus. Elle marchait avec détermination, bien droite. Les dames inclinaient légèrement la tête devant son insigne de Seconde mais elle ne leur rendait pas leur salut. Tout ceci n'était que des formules de politesse pour s'accorder ses faveurs auprès de la reine. Cassandre s'y refusait. Si ces dames voulaient de la reconnaissance auprès d'elle, il leur faudrait plus que de l'argent, des signes de tête et de belles parures. Elle sourit intérieurement. Pour une fois que ces nobles devaient prouver leurs valeurs et que leur ragent ne pourrait rien pour elles... ceci la faisait bien sourire.
L'homme l'entraîna dehors, sur les escaliers principaux. S'il avait souhaité lui faire du mal, il ne l'aurait pas menée dans un lieu si fréquenté et entouré de tant de soldat. Mais que diable voulait-il lui dire ?
Cassandre releva les devant de sa robe pour ne pas se prendre les pieds dedans en descendant. Elle n'était pas très à l'aise avec les robes de bal. L'homme la fit s'arrêter au milieu des marches. Il se tourna vers elle. Elle vit alors dans son regard, non pas de la glace, mais de la peine et même de la peur. Elle en fut étonnée. La peur n'était pas une émotion courante chez les gens de la Cour. En général tout n'était que confiance, tromperie et dissimulation. De quoi avait-il peur ?
« J'ai entendu, bien malgré moi, ce que vous avez dit à votre mère, jeune dame, commença-t-il. Je ne peux que rendre justice à votre sens de l'analyse. Le peuple se rebelle bel et bien. Nous ne savons que faire. Les ouvriers écoutent de moins en moins ce que nous avons à leur dire. Il y a une sorcière dans la capitale qui leur donne de l'espoir. On ne peut pas l'attraper, elle trouve toujours une solution pour s'évader. Nous avons pourtant capturé l'un de leur chef et l'un de leur symbole.
- Pourquoi me dites-vous tout cela ? s'étonna Cassandre.
- C'est très important. Votre rôle de Seconde peut vous permettre de sauver la reine et le roi, voilà pourquoi je dois vous mettre au courant de tout cela. Veillez me laisser terminer. »
La panique sincère de l'homme la touchait. Elle n'y céderait pas. Elle hocha la tête.
« Allez-y.
- Merci, madame. Il se trouve que je suis l'un des principaux commandants des troupes de Leurs Majestés. Je suis donc au courant de tout ce qu'il se passe dans la capitale. Nous avons, comme je vous l'ai dit, capturé un symbole du peuple, un voleur de bijoux sur les grandes routes. »
Le cœur de Cassandre fit un bon dans sa poitrine. Ils avaient eu le jeune homme ? Elle lui avait donné ses diamants, ce n'était pas pour qu'il ne s'en serve pas ! Mais elle dissimula ses émotions. Comment réagirait-il en voyant qu'elle se préoccupait du sort d'un voleur de bas étage ?
« Cette capture a mis le peuple en rage. Les derniers mots prononcés par le voleur avant de se faire enfermer ont été entendus de beaucoup de personne. Je ne sais comment mais ils sont à présents connus de toute la capitale. Le peuple cri qu'il s'enlèvera lui-même ses chaînes. Une deuxième instruction a été récrite sur le mur de la Prison. Le peuple est passé à l'action. Il semble que les choses soient lancées. »
La nouvelle fit frissonner Cassandre. Elle devait mettre sa mère en lieu sûr... elle devait lui parler au plus vite. Mais, alors qu'elle allait faire demi-tour, l'homme la retint.
« Madame la Seconde, je vous en prie, écoutez-moi jusqu'au bout, l'implora-t-il. »
Pendant qu'il prononçait ces mots, sa voix devenait de plus en plus saccadée, comme s'il avait vraiment quelque chose de tragique et d'important à dire.
Son masque froid était totalement tombé. Cassandre se sentie désolée de ne pas l'écouter. Alors elle l'écouta.
« Appelez-moi Cassandre, indiqua-t-elle. Je ne veux pas vous entendre dire madame la Seconde. »
Il se figea soudainement et totalement, bouche ouverte et les yeux exorbités. On aurait pu dire qu'il s'était pris un coup de talon dans la tête. Ceci aurait pu être comique s'il n'avait pas eu l'air aussi horrifié et désolé à la fois.
« Cassandre ? balbutia-t-il. »
Elle hocha la tête, incapable de parler après le débordement d'émotion qu'il avait eu. Elle resta figée. Le ton qu'il avait employé était pareil à celui d'un homme ayant appris une mauvaise nouvelle. Elle ne voulait pas savoir laquelle. Sous aucun prétexte. Jamais.
Elle se sentait déjà assez mal comme cela avec sa mère qui refusait de lui parler, les tensions naissantes dans un système qu'elle avait cru infaillible et le jeune voleur qui s'était fait emprisonner. Tout ceci résonnait comme d'horrible nouvelle. Ce voleur, elle ne l'avait pas vu comme un voleur. Il n'avait jamais été question de ce mot et de cette fonction. Elle ne l'avait pas vu ainsi. Elle avait vu en lui ce qu'elle n'avait jamais eu et jamais vu. Un esprit libre, sans loi, sans entrave, heureux dans la vie qu'il menait. Il représentait ce qu'elle rêvait d'avoir dans son monde coincé. Non pas dans le monde en général, mais dans son monde de tromperies, de dissimulations, de corruptions et de simulations. Avec l'emprisonnement du prisonnier, cette liberté rêvée, cette liberté dont elle venait à peine de prendre conscience, s'était brisée. Aussi subitement qu'une brindille.
L'homme se rapprocha et posa son regard sur elle. Il l'enfonça avec force dans les prunelles de Cassandre. Il la prit par les épaules, dans la position de celui voulant faire une terrible confidence. Elle ne voulait pas entendre cette confidence. Mais elle resta là, immobile, captivée par son regard, incapable de bouger ou de penser à esquisser un simple geste pour s'en aller.
« J'ai une mauvaise nouvelle pour vous, dit-il son un ton déchiré. Pardonnez-moi de vous dire ce que j'ai à vous dire. Mais vous devez vous montrer forte, Cassandre. »
C'était une prière. Mais la jeune fille ne vit pas cela ainsi. Elle ne s'y connaissait pas en chasse mais elle avait bien l'impression qu'il était un chasseur et elle un proie. Une proie que la suite de ces paroles allait tuer aussi sûrement qu'un fusil ou la plus affûtée des lames du royaumes. Cette lame, elle ne pouvait l'esquiver.
Elle se força à garder la tête haute et à ne pas se dérober sous les yeux de l'homme. Elle plongea son regard dans le sien. Les chasseurs, la menace, avaient quelque chose d'attirant, de fascinant.
« Parlez, l'invita-t-elle d'une voix claire et assurée, je suis toute à vous. N'ayez pas peur d'être honnête avec moi. »
La peine de l'homme sembla s'accentuer. Elle crut pendant un moment qu'il ne puisse plus parler.
« Vous êtes bien la digne fille de votre père, Cassandre Armalys, confia-t-il avec émotion. »
Ses vêtements de lustre ne semblaient plus ridicules face à la gravité et aux émotions de son regard. Il déglutit sans jamais baisser les yeux, tel un soldat.
Cassandre se demanda si le compliment qu'il lui avait adressé était flatteur. Elle ne savait comment interpréter ces paroles. D'ordinaire, les jeunes nobles, comme elle, étaient comparées à leurs mères pour leurs attitudes exemplaires à la Cour et non pas à leurs pères.
Mais quelles que fussent les raisons de cette comparaison, elle la prit comme un compliment. Son père était bien un homme de respect et d'honneur. Être désignée comme sa digne fille lui fi chaud au cœur. Ceci apaisa un peu son âme agité par les annonces à venir.
« C'est justement à propos de votre père que je dois vous parler, finit par lâcher l'homme. »
Le cœur de Cassandre se remit à palpiter furieusement. Elle se força à respirer normalement mais son rythme cardiaque ne voulait pas se calmer. Un filet lui comprima le cœur.
La proie allait être tuée, le fusil, le chasseur, la proie... le final. Cette réalité encore méconnue qui lui faisait à la fois peur et était à la fois si fascinante.
Elle se sentit mal dans ce vertige d'émotions contraires. Elle eut du mal à se dire qu'elle devait entendre ce qu'il avait à dire. Mais pour son père, en la digne fille qu'elle était, elle devait l'écouter. Alors, elle garda le silence et tenta de faire taire les émotions qui agitaient son cœur. Elle resta droite, prétendument à l'aise. Elle se savait pourtant incapable de cacher les émotions de ses yeux.
Bien entendu, il s'en rendit compte. L'étreinte autours de ses épaules se resserra dans un geste de réconfort. Cassandre s'y raccrocha comme à une branche au beau milieu d'une rivière déchaînée.
« Je vous prie d'être forte, la convia-t-il. Vous m'avez dit de parler sans crainte et je n'y manquerai pas. »
Ces mots ne la rassurèrent nullement. Sa panique fascinée redoubla. Elle dut faire appel à toute sa volonté pour ne pas frissonner. Elle tenta de faire taire le chaos de son esprit. Elle devait rester lucide. Mais comment, quand seule la pensée de la proie bientôt tuée par le chasseur hantait son esprit ?
L'homme inspira un grand coup comme pour se donner lui-même de la force et se décida à parler. Cassandre en fut soulagée d'une certaine manière. Ainsi, le supplice durerait moins longtemps et elle n'aurait pas le temps de réfléchir à si oui ou non elle voulait entendre ce qu'il avait à lui dire.
« Les révolutionnaires, se lança-t-il, votre père, qui est aussi mon frère d'arme, a voulu les apaiser. Il voulait que la ville ne sombre pas dans un chaos sans nom. Il voulait éviter qu'un combat ait lieu. Il savait que, si un affrontement entre le peuple et la monarchie venait à éclater, cela ferait de nombreux morts. Il répugnait d'avoir à tirer sur le peuple parce que celui-ci n'avait pas été compris. Il peuple n'est pas son ennemi, vous comprenez ? »
Cassandre hocha simplement la tête en signe d'accord. Elle ne pouvait parler. Sa gorge s'était nouée. Son esprit s'était figé, focalisé sur les paroles à venir, son corps ne pouvait bouger pour tenter de fuir. Elle n'était qu'une proie tétanisée par le fusil que l'homme braquait sur elle. Ses yeux.
La proie allait être tuée, ce n'était qu'une question de temps.
Elle le laissa continuer.
« Il est donc allé voir l'un de leurs chefs pour comprendre la situation. Il voulait comprendre la cause de cette révolution. Il voulait que les choses s'arrangent sans que le sang ne soit versé et que les coups de feu ne résonnent dans la capitale. Je n'étais pas avec lui mais je le suivais de loin. Il ne devait pas le savoir. Car si votre père découvrait que je le suivais, il ne m'aurait pas laissé continuer mon entreprise. Il y serait allé seul. Votre père est donc allé trouver un chef du peuple. Celui-ci était sur une petite place de marché, dans une échoppe à moitié vide. Il avait avec lui une quinzaine d'autre hommes. Votre père a commencé à parler. Les autres lui ont ri au nez, disant qu'il ne parlait pas sincèrement. Ils disaient qu'il était venu sur la commande du roi pour que celui-ci puisse sauver sa tête. Ils ne le prirent pas au sérieux. »
La proie. Le fusil. La fin était proche cette fois, elle le voyait dans l'obscurité grandissante dans les yeux de l'homme. Il lui sembla que ces yeux devenaient également plus brillants, comme si des larmes allaient y danser.
« Quand votre père a voulu comprendre la cause de tous ces préjugés et de ces moqueries, il chef a fait un signe de la main. L'un de ses hommes a frappé votre père dans le ventre, lui coupant le souffle et le mettant à genou. Il a ensuite commandé des cordes pour faire de mon frère son prisonnier. »
La fin.
Cassandre eut du mal à respirer. Elle eut l'impression de s'être prit un coup de poing dans le ventre. Elle avait trop chaud et trop froid en même temps. Ses poumons lui semblaient trop petits pour lui permettre de vivre. Elle ne prit conscience de ses larmes qu'une fois que la première se fut écrasée sur le bras de l'homme. Elle ne tenta même pas de les refouler. Ce n'était pas possible ! Il n'avait pas dit cela, ce ne s'était pas passé pour de vrai. Son père n'avait pas été fait prisonnier ! Impossible.
« Comment ! cria-t-elle sans comprendre d'où lui venait cette force. Comment une telle chose a-t-elle pu se produire, souffla-t-elle.
- Laissez-moi finir, Cassandre, l'implora l'homme. »
Elle vit dans ses yeux que les larmes menaçaient aussi de couler. Mais il se retenait. Comme un soldat. Elle suivit son exemple et tenta de faire taire ses larmes. C'était la première fois qu'elle pleurait, elle ne savait comment les maîtriser. Elle prit sur elle pour se calmer et ne pas hurler sa douleur au monde. Pourquoi son père, parmi tous les soldats ? Il avait toujours été si bon, si droit, si juste. Il avait voulu le bien de tous. Et c'était cela sa récompense ? Sa bonté ne l'avait mené qu'à se faire humilier et faire de lui un prisonnier ?
Son monde semblait voler en éclat.
Le monde qu'elle avait vu dans les yeux du voleur n'était peut-être pas si différent du sien, finalement.
L'homme tenta de continuer inlassablement son récit. Cassandre avait du mal à l'écouter, à son concentrer. Comprendre les mots et porter un jugement dessus lui semblait relever de la plus grande difficulté du monde. Elle ne pouvait pas se concentrer. Son père, prisonnier...
« Le chef a ensuite dit qu'il allait le mener à la sorcière Astran, la plus puissante du royaume. Cette femme est un démon. Personne ne peut se saisir d'elle mais elle peut se saisir de tout le monde pour lui ôter la vie d'une simple parole et d'une simple pensée. Je les ai suivis jusqu'à la sorcière. Astran se tenait également au milieu d'une vielle maison pleine d'ancienne cendre. Les vitres étaient cassées et un chaudron trônait au centre de la pièce. Elle a levé des yeux pleins du feu des sorciers vers votre père et a éclaté d'un rire puissant. Elle lui a passé des chaînes magiques en disant, selon les mots du voleur, qu'elle seule les lui enlèverait. Ensuite elle a déclaré qu'il servirait de monnaie d'échange auprès du roi. Elle veut la libération du voleur et de Desrivières contre celle de mon frère d'arme, votre père. »
Il se tut, haletant. Les mots étaient sortis en un flot qu'il n'avait pas pu interrompre. Il reprit son souffle. Les peine brillait plus que jamais dans ses yeux. Les derniers mots étaient sortis avec difficulté de sa bouche.
« Je ne pouvais rien faire, confessa-t-il. Ils étaient trop nombreux, avec la plus puissante des sorcières de surcroît. Si j'étais intervenu, je me serais également fait prendre. Personne n'aurait alors sur pour votre père.
- Et pour vous, murmura Cassandre, absente. »
Il hocha la tête et relâcha la pression de ses épaules. Cassandre manqua de tomber tant elle avait compté sur cette présence solide. Les épaules de l'homme se voûtèrent en un signe de peur et de fatigue.
« Personne ne me laisse mettre Sa Majesté au courant, déplora-t-il avec lassitude. Alors je vous prie de le faire pour moi. Il faut impérativement qu'ils sachent. Le peuple n'est pas intimidé par les démonstrations de force. Le peuple n'est plus impressionné par le Roi. Le peuple veut... »
Il buta sur les mots comme s'il se refusait à les prononcer. Cassandre plissa les yeux, cherchant à deviner ce qu'il avait à dire. Mais elle ne savait où il voulait en venir. Enfin il se reprit et finit par sortir la phrase qui lui coûtait tellement. Cassandre ne s'était pas préparée à une telle possibilité qu'elle en chancela.
« Le peuple veut la tête du Roi, finit-il par lâcher. »
Impossible. Ce fut le mot qui résonna en Cassandre comme un écho qui refusait de s'en aller. Elle fixa l'homme sans oser seulement accepter qu'elle eût compris. Elle se demanda si elle n'avait pas interprété les mots de travers. Comment pouvait-elle avoir compris pareille absurdité ? Accepter qu'elle eût compris impliquait trop de mauvaises choses, un trop grand choc. Elle se refusait de comprendre.
« Vous en êtes certain ? finit-elle par demander après avoir longtemps hésité. »
Sa phrase sonnait faux avec le brouillon d'émotion qui emplissait son esprit. Mais elle avait parlé avec calme, d'une voix à peine audible. Tout était en contraste avec le chaos de sa tête.
« Les signes ne trompent pas, répondit l'homme. Cela faisait bien quelques années déjà que le peuple voulait changer les choses, qu'il en avait assez de vivre sous son roi en obéissant à ses ordres sans rien dire. Le peuple veut du changement. Le Roi ne peut offrir ce changement. C'est impossible. Je ne sais pas vraiment ce que veulent les villageois mais eux savent. Ils le savent à tel point qu'ils réclament la tête de leur souverain sans scrupule. »
Cassandre était muette de stupéfaction. Elle ne savait que dire, répondre ou si elle devait seulement y croire. Mais il y avait une chose qu'elle ne pouvait démentir : les signes de trompaient pas, en effet. Elle l'avait elle-même prouvé à sa mère. Le système de toute une histoire, le berceau de tant de vie, allait peut-être s'effondrer. Elle n'y croyait pas. Elle ne voulait pas y croire. L'idée était trop folle pour sembler simplement vraisemblable ! Alors de là a y croire... mais la vérité était que elle-même savait déjà qu'un changement allait arriver. Elle savait à présent de quel niveau relevait ce bouleversement.
« Je vous prie de prévenir nos Majesté, la pria-t-il à nouveau. Il en va de leur bien mais également du bien de tous. Eux seuls peuvent calmer les émeutes et régler la situation.
- Et mon mère ? demanda-t-elle. On ne va pas le laisser aux mains de la sorcière ! Elle pourrait le tuer sans problème ! »
Les mots lui piquèrent le cœur. Elle entendit sa voix vaciller. Elle ne tenta même pas de cacher sa détresse. Il était son père, un homme de bien, il ne méritait pas ce qu'il lui arrivait.
Elle avait en effet mainte fois entendu parler de la cruauté des sorciers et des êtres disposés à la magie en général. Elle avait eut du mal à y croire en rencontrant la devineresse de la Prison. Mais celle qui avait fait de son père, un honnête homme, son prisonnier...celle-ci justifiait les craintes des nobles gens.
L'homme ne lui répondit rien quant à l'avenir de celui qu'il avait appelé frère d'arme. Cet homme était un soldat. Il devait savoir comment agir dans les situations ardues, déchirantes, douloureuse ou même injustes. C'était son devoir de faire passer son rôle avant es émotions. Il était un soldat, commandant qui plus est.
Mais tel n'était pas le cas de Cassandre. Elle n'avait pas prêté serment de protéger le royaume coûte que coûte au dépend de sa vie à elle. Elle n'avait pas juré qu'elle laisserait les autres dans la détresse. Jamais il n'avait été question de cela. Elle avait simplement dit qu'elle conseillerait la reine. Elle le ferait. Elle irait les prévenir du danger.
Mais elle ne ferait pas que cela. Elle irait également sauver son père. Elle trouverait bien un moyen de le faire.
« Promettez-moi de mettre leurs Majestés au courant, insista l'homme face à son silence.
- Je promets, répondit-elle avec force. »
Elle soutint encore son regard. Elle était animée d'une envie et d'un besoin dont elle n'arrivait pas à déterminer la cause. Elle ne savait pas d'où lui venait cette force soudaine. L'homme hocha la tête et, après avoir hésité à ajouter quelque chose, il s'en alla. Elle le suivit des yeux. Peut-être pouvait-il l'aider à sauver son père ? Elle en doutait. Son rôle de soldat ne le lui permettrait pas. Cela représenterait un écart de conduite bien trop important pour qu'il accepte.
Elle était seule dans son entreprise.
Elle fouilla le paysage du regard en quête de force et de réconfort. Elle le trouva. Le soleil sécha un peu ses larmes. Le bruit de la rivière apaisa un peu son cœur affolé. La verdure ondoyant sous la brise et les hennissements lointains des cheveux apaisèrent son esprit sans trop de difficulté. Elle finit par ne plus avoir de larme. Sa peur s'envola d'un seul coup, ne laissant qu'une froide détermination. Une envie glacée et brûlante à la fois de sauver son père.
Elle réalisa alors qu'en faisant cela, elle risquait de condamner le voleur à avoir des chaînes pour l'éternité. Elle ne savait pas pourquoi elle pensait à cela subitement. Elle ne le connaissait pas. Il était un voleur, un homme du bas peuple, sans doute un être méprisable pour beaucoup de noble, il devait vouloir la tête du roi, il devait être un danger, il avait tenté de la voler. Pourtant elle se sentait mal à l'idée de le condamner pour toujours. L'avait-il vraiment mérité ? Mais son père n'avait pas mérité d'être traité comme il l'avait été, cela elle en était certaine.
Que devait-elle vraiment faire ?
Elle n'en sut rien et resta plantée au milieu des marches dans sa fureur et son indécision. Elle n'aurait pas du hésiter ! Son père ou un inconnu de bas étage ? Elle ne parvenait pas à trancher. Elle n'arrivait pas à haïr le voleur ni même à le mépriser. Elle avait vu dans ses yeux un monde nouveau, un monde dans lequel elle aurait voulu vivre. Un monde libre, sans entrave, sans code et sans mensonges permanent, sans constate comparaison pour savoir si un tel était plus riche qu'un autre. Elle ne pouvait ignorer toute la vie qu'elle avait vu dans ses yeux, tous les besoins qu'il avait. Il ne l'avait pas volée par plaisir mais par nécessité. Comment pouvait-elle le condamner ? Mais son père était bon. Le peuple avait besoin de le comprendre. Si la sorcière pouvait faire prisonnier un homme comme lui, c'était qu'elle ignorait la bonté.
Quel injustice que de lui imposer ce choix cruel ! Il n'y aurait qu'une réponse possible, elle le savait.
Mais laquelle?
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