La maison de Lys (Jason)
Ils regardèrent la carrosse s'éloigner sans rien dire. Les diamants pesaient lourd dans la main de Jason. Romain et lui se dévisagèrent. Ils avaient du mal à réaliser ce qu'il leur était arrivé. Mais au fond, cela n'était pas un problème. Ils avaient les diamants. Ces diamants-là, ils pouvaient les vendre pour une somme phénoménale d'au moins huit-cent aigles d'or. Ils avaient sans conteste fait une bonne affaire. Gabriel vint les voir.
« Alors, dit-il, vous avez les diamants ?
- Oui, lui répondit Jason en lui montrant la prise.
- Et toi, qu'as-tu attrapé ? s'enquit Romain. »
Gabriel leur montra les trois colliers qu'il avait volés. Ils étaient beaux, lourds. Le premier était de rubis, le second de saphir et le troisième d'émeraude. Ceci valait une fortune ! Il était convaincu que les plus riches bourgeois de Altaïr ne pouvaient se payer de telle parure qu'au bout d'un an d'économie. Et ce n'était même pas sûr que cela suffise. Sa tête tournait rien qu'en pensant que ces quatre bijoux n'étaient que d'autre parmi des centaines. Il avait peine à imaginer une telle fortune. Sa plus grande richesse à lui n'était autre que son poignard usé. Mais il était sans doute important de préciser qu'il était issu de la plus basse classe sociale du royaume (ou peut-être même du continent entier).
« On a pas idée de se balader avec une telle fortune sur le coup ! s'exclama Romain, en écho aux pensées de son ami. C'était comme s'ils s'attendaient à ce qu'on les vole ! Comme s'ils faisaient exprès.
- Ou alors ils pensaient que nous serions trop étonnés devant une telle richesse pour les attaquer, fit Gabriel d'un air sombre.
- Alors ils sont d'une stupidité phénoménale ! cracha Romain. J'ai hâte que la Colère éclate pour qu'on en finisse avec cette supériorité qu'ils osent afficher sans honte. »
D'eux tous, Romain était sans doute celui qui attendait le plus que la Colère éclate. C'était lui qui supportait le moins les inégalités. Mais surtout il avait une raison plus que toute autre pour haïr les nobles : ils avaient tué sa mère sans raison apparente et fait enfermer son père dans le Palais Noir il y avait dix ans de cela. Le Palais Noir était le nom que le peuple donnait à la Prison. Les nobles l'appelaient Prison car c'était sa fonction, enfermer des pauvres <, les voleurs, les briguant, ceux qui ne payaient pas leurs impôts car ils les jugeaient trop dangereux. Mais pour la plus grande partie de la population, la Prison n'était pas qu'une prison. C'était le dernier lieu que voyaient les condamnés. Un lieu sombre hanté par les gémissements des détenus, à ce que l'on disait. C'était un palais de par sa splendeur mais une abysse de par sa fonction. C'était un palais noir.
« Allons, donnons un peu de nos prises à ceux qui en ont vraiment besoin, jeta Gabriel en s'enfonçant dans les broussailles. »
Ses deux amis le suivirent. Ils allaient garder un ou deux des bijoux et en donner deux ou trois à ceux qui en avaient plus besoin qu'eux. Ces gens-là étaient en général des malades qui ne pouvaient plus travailler. Des gens que la noblesse laissait dépérir sans rien dire. Des gens qui mouraient sans qu'on ne le sache. Alors Jason et ses amis donnaient un peu de leurs prises pour les aider. En général ils pouvaient alors se payer un médecin et gagner quelque jour de vie.
Jason suivit Gabriel dans les broussailles. Avant de retourner en ville, ils devaient brouiller toutes les pistes possibles. Ils marchèrent pendant une heure pour s'assurer que personne ne les ait suivit et enfin, ils prirent le chemin de la ville.
Jason fut submergé par l'activité de la capitale. Il n'y allait pas souvent et chaque fois qu'il y allait, ses sens étaient chamboulés par le contraste entre la campagne et la ville. Les rues étaient étroites, sombres, salles. Les gens allaient et venaient dans un balais incessant. Des charrettes étaient stationnées devant les magasins, des hommes déchargeaient les marchandises sans se lasser. Des clients allaient et venaient, des enfants courraient à la poursuite de leur courrier envolés, des femmes lavaient le linge en échangeant les dernières nouvelles. Il y régnait en permanence une grande cacophonie.
Il n'y avait ici personne d'assez idiot pour faire étalage de sa richesse. Tous les passants étaient chaussés de sabots ou de bottes usées. Leurs habits étaient sales mais moins que ceux de Jason. Il était issu, rappelons le, de la plus basse classe sociale.
Lui, Romain et Gabriel marchèrent avec prudence dans les rues étroites. Aucun soldat n'était en vu. Les hommes et femmes qui les voyaient les saluaient d'un mouvement de main ou de chapeau. Ils étaient appréciés dans cette partie de la ville pour les nombreux services qu'ils avaient rendus. Les trois amis leur rendaient leurs salutations avec joie.
Enfin, ils arrivèrent devant une maison ancienne. Elle datait des premiers âges de la ville, quand les cinq royaumes venaient de se diviser, il y avait près de quatre siècles de cela. Cette maison était solide. Elle pourrait résister au temps pendant encore de nombreuses années. Elle avait en effet été bâtie, à ce qu'on disait, par des sorciers. Ils avaient soudé les pierres avec l'aide du feu des dragons et avaient renforcé les constructions avec des larmes de phœnix. Les créatures fantastiques, qui avaient vécu pendant près de trois milles ans sur cette terre, avaient alors disparut. Envolés, partis sans raison. On disait que le pouvoir croissant des hommes les avait poussé à vivre plus loin, là où leur feu et leur larme ne seraient plus utilisés. Quoi qu'il en soit, grâce à elles la maison était encore debout pour accueillir ceux qui en avait besoin et serait encore debout pour les années à venir.
Gabriel jeta une dernier regard autour d'eux pour vérifier qu'il n'y avait pas de soldats. Enfin, il frappa à la porte. Une dame d'un certain âge vint leur ouvrir sans attendre. Elle portait une robe délavée couverte d'un tablier usé. Ses cheveux châtains étaient attachés en une queue de cheval à l'élégance discutable. Ses yeux, de plusieurs couleurs, tendaient vers le gris-bleu. Pour les trois jeunes hommes s'étaient les yeux les plus aimants, calmes, beaux et accueillant qu'ils n'aient jamais vu. Cette dame s'appelait Lys. Son visage fatigué s'éclaira quand elle vit les trois jeunes hommes devant elle.
« Oh ! Vous êtes venus ! s'exclama-t-elle. Venez, entrez. »
Elle leur céda le passage et ils entrèrent. Elle referma la porte et la verrouilla. C'était la dame qui les avait élevés tous les trois. Elle les avait logés, nourris et éduqués du mieux qu'elle pouvait de leurs sept à leur treize ans. Jason l'aimait bien, cette dame. Elle débordait d'énergie et d'amour. Elle recueillait tous les enfants dont les parents étaient enfermés ou tués lors d'une chasse quelconque. Ainsi elle avait actuellement quatre enfants sous sa garde. Les soldats ne venaient pas l'embêter car elle leur rendait un fier service en éduquant les enfants. En effet, livrés à eux même, ils auraient put devenir de dangereux criminels. Il y aurait eut un nombre incalculable de voleur dans la capitale.
« Prenez place, les invita-t-elle. »
Elle leur désigna trois chaises sur lesquelles ils s'assirent de bonne grâce. Leurs jambes étaient douloureuses. Gabriel sortit les diamants et les trois colliers de ses poches. Il déposa les émeraudes et les saphir sur la table en bois. Lys fixa les parures sans rien dire. L'éclat des pierres se reflétait dans ses yeux clairs. Elle saisit les émeraudes, tremblante et les admira sans rien dire.
« Bons dieux... souffla-t-elle. Elles sont magnifiques, ces pierres. Je pense que ce sont les plus raffinés des bijoux que vous m'aillez rapportés. »
Ses doigts glissèrent lentement sur le trésor qu'elle tenait. Elle avait bien du mal à croire qu'elle avait en sa possession de tels ornements. La fierté illumina les yeux des trois amis. Jamais elle n'avait montré tant de gratitude et d'émerveillement devant l'une de leur prise. En général, elle la regardait avec joie mais un certain dépit animait toujours son regard. Jason savait qu'elle regrettait ce qu'ils étaient devenus : des pilleurs. Il savait qu'elle aurait tant voulu faire d'eux des hommes de valeur capables de se hisser au sommet de la société de la capitale. Elle avait toujours rêvé pour eux une meilleure vie que celle qu'ils menaient. Mais Jason savait qu'il aurait été incapable de se comporter en bourgeois et de traiter calmement avec les nobles. Il brûlait de ce besoin d'aventure, de vol et de menace. L'idée que la noblesse puisse redouter ses attaques le faisait frémir de joie.
« Comment avez-vous eut de tels bijoux ? voulu savoir Lys.
- Nous nous sommes attaqués à un carrosse noble, répondit Romain comme s'il s'agissait de la plus évidente des évidences. Nous avons pris les bijoux et nous sommes repartis sans attendre.
- Ils ne te plaisent pas ? demanda Jason.
- Oh si ! assura-t-elle. Mais je voulais savoir ce qu'ils vous avaient coûté pour les apprécier pleinement. On ne vole pas des bijoux comme ceux-là tous les jours. »
A nouveau elle caressa les pierres. Des larmes brillèrent dans ses yeux.
« Vous êtes si bons avec moi, s'émut-elle. Je ne sais comment...
- Il n'est nullement question que tu nous remercie, coupa doucement Gabriel. Tu as été si douce, si bonne avec nous que nous ne saurions te rendre la pareille.
- Si nous le pouvions, nous achèterions un palais pour toi, tu le sais bien, ajouta Romain.
- Je sais, s'étrangla-t-elle. Mais je voudrais...
- Nous ferions tout ce que tu nous demandera, promit Jason. Tu n'as qu'à nous demander. »
La voir ainsi lui faisait de la peine. Elle n'avait toujours été que sourire, douceur et joie. Pourquoi se laissait-elle soudain aller au début des pleurs ?
« Vous êtes si bons, mes enfants, dit-elle. »
L'entendre les appeler ainsi bouleversa Jason. Mes enfants... ils n'étaient en aucun cas ses enfants biologiques mais elle les traitait tout comme. Elle faisait de même avec tous les enfants qu'elle prenait sous son aile. Elle était la plus douce personne qu'il connaissait. Si jamais quelqu'un osait poser le doigts sur elle, il le lui ferait regretter. Personne ne ferait du mal à Lys. Personne car il y aurait toujours dans les villes des enfants pour veiller sur elle. Toujours, il le savait.
« Je voudrais que vous soyez plus prudents que jamais, annonça-t-elle soudain. Votre capture est mise à prix. »
Sous le choc, les trois amis ne surent que répondre. A prix ? Faisaient-ils peur à la noblesse à un tel point ? Cela fit sourire Jason. Un regard de côté lui apprit que Gabriel et Romain aussi se sentaient flattés de provoquer un tel effet.
Lys leur jeta un regard larmoyant. Elle n'était pas flattée du tout. Elle tira de sous la table trois affiches. Sur chaque affiche, il y avait l'un de leur visage assez mal représenté. Personne ne les avait assez bien vu pour pouvoir faire un portrait fidèle. Sur chaque feuille était inscrite la somme de cent aigles d'argent. Jason réalisa que c'était une somme suffisante pour donner envie aux gens de les dénoncer mais pas assez grande pour les hisser au statut de grand danger.
« Promettez-moi de ne laisser personne vous enfermer dans le Palais Noir, dit-elle d'un ton féroce. Promettez-moi. »
Elle attendit leur réponse, brandissant toujours les affiches.
« Je te le promets, lança Jason qui fit aussitôt imité par les deux autres. »
Pour rien au monde il ne lui ferait le supplice de les savoir enfermés. Lys se détendit d'un seul coup. Elle se laissa aller sur le dossier de sa chaise. Elle jeta un regard à la porte et aux fenêtres. Toutes étaient closes.
« Maintenant, parlons de la Colère, dit-elle tout bas pour ne pas risquer d'être entendue. Les choses bougent en ville, vous le savez. Un groupe de la basse société est allé jusqu'à graver une inscription sur le mur du Palais Noir. C'est une menace cachée qu'ils ont écrit.
- Qu'ont-ils écrit ? s'enquit Jason.
- Un truc du genre : vous pouvez nous enfermer autan qu'il vous plaira, jamais vous n'enfermerez ce pourquoi nous sommes là. Ce qui signifie, vous vous en doutez déjà : vous n'enfermerez jamais la Colère. Les choses sont en marche, mes enfants. D'ici deux à trois jours la Colère du peuple éclatera. »
Romain frémit d'excitation. Quelque chose s'alluma dans ses yeux.
« Enfin ! Les choses vont rentrer dans l'ordre. »
Lys lui servit un regard sévère.
« Ce n'était pas censé se passer ainsi, confessa-t-elle. Desrivières a été arrêté il y a à peine sept heures. »
Les trois amis restèrent figés sur place. Desrivières arrêté ? C'était l'un de leurs meneurs, un homme influent. Qui aurait pu prévoir qu'il se ferait prendre par les soldats ? Voilà qui changeait bien des choses et qui en expliquait bien d'autre. Ceci expliquait les paroles précédentes de Lys. Ils ne pourront pas enfermer la Colère, même si Desrivières était sous leur domination. Oui, les choses étaient en marche.
« Soyez prudents, leur dit-elle encore. Si l'un de vous se fait tuer, je le maudirai dans sa mort, jura-t-elle en leur jetant un regard féroce. »
Un sourire amusé flotta sur les lèvres des trois amis. Ces mots ne se voulaient pas menaçants. Ils se voulaient rassurant. Elle voulait qu'ils sachent qu'ils n'étaient pas seuls. Mais ils le savaient déjà. Lys était leur mère à tous les trois. Ils ne l'oublieraient jamais.
« Et ne t'avise pas de te faire tuer aussi, répondit Gabriel sur le même ton. »
Elle leur sourit à son tour.
"J'ai déjà survécu à une guerre, répliqua-t-elle doucement en les prenant dans ses bras. Je peux survivre à d'autre combat, là n'est pas le problème. "
Un enfant déboula soudain dans la pièce. Il ne devait pas avoir plus de cinq ans mais il débordait d'énergie. Il se figea en voyant les trois jeunes hommes que sa mère adoptive serrait avec amour.
Lys se retourna en le voyant. Elle lui sourit et le prit dans ses bras.
« Qui a-t-il, mon petit ?
- Amandine veut pas me rendre mon jouet, se plaignit-il. Et j'ai faim, aussi, admit-il au bout d'un moment. »
Lys sourit avec amusement.
« Alors on va bientôt manger, assura-t-elle. »
Elle déposa le bambin au sol et son attention se porta à nouveau sur ses trois plus grands « enfants ».
« Merci pour les bijoux.
- Mais de rien, répondirent-ils d'une même voix. »
Ils s'inclinèrent en même temps, les faisant sourire, elle et l'enfant, et sortirent dans la rue après s'être assurés qu'il n'y avait aucun soldat. Ils marchèrent tranquillement, heureux d'être venus en aide à Lys. Elle leur avait fournis de précieuses informations. Ils n'avaient plus qu'à vendre au plus vite les deux derniers bijoux qu'il leur restait et à se tenir prêts pour la Colère.
Gabriel se tourna vers ses deux amis.
« Demain, dit-il, nous irons sur le Marché Interdit pour vendre les bijoux. Pas aujourd'hui, nous sommes trop fatigués par la marche. Il nous faut encore trois heures avant de rentrer à la maison.
- Ah ces détours, ils sont agaçant sur la longue, grommela Romain en ignorant le regard sévère qui lui lança Gabriel.
- Bientôt nous n'aurons plus besoin de les faire. Bientôt le royaume sera à nous. »
Cette promesse les galvanisa et ils rentrèrent chez eux, plein d'espoir et de rêve futur. Cette phrase résonnait en eux : c'est pour bientôt.
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