Cassandre Armalys
Partie 1 : Dame et voleur du monde
Année indéterminée,
Les rayons du soleil entrèrent dans la chambre de Cassandre. Ils l'inondèrent de leur parure joyeuse et chaude. Les rideaux n'avaient pas été tirés la veille et elle fut réveillée par le soleil. Agacée, elle plaça sa main devant ses yeux pour éviter d'être éblouie. Elle soupira.
Quelle heure était-il ?
Si le soleil avait eu le temps de la réveiller c'était qu'elle aurait dû être levée depuis longtemps.
Pourquoi diable personne n'était-il venu pour la lever ?
C'était inhabituel. D'ordinaire sa mère était toujours là pour la tirer de son lit, non sans un débordement de commentaires et de reproches. Cassandre n'avait pas le droit de dormir plus longtemps que nécessaire. Cela renforçait son incompréhension : pourquoi sa mère n'était-elle pas venue ?
Elle repoussa ses draps et se leva. Elle saisit sa robe de chambre et l'enfila. Elle se regarda brièvement dans le miroir et poussa un soupir amusé devant son apparence négligée. Cheveux embrouillés, visage fatigué, yeux ternes. Elle était bien loin des attitudes que sa mère et son rang attendaient d'elle.
Elle marcha jusqu'à la porte de sa chambre et sortit. Le plancher était froid sous ses pieds. Elle aimait le contact avec le bois. Cela lui donnait l'impression d'être encrée dans le monde réel et de ne pas être simplement qu'une dame de Cour devant porter de beaux habits pour plaire aux autres nobles. Une impression, sans doute.
Elle déambula dans les couloirs sans trouver personne. Le soleil les inondait de ses rayons chauds. Les couleurs pourpres donnaient un air chaleureux à la demeure.
Cassandre était à présent parfaitement réveillée. Elle toqua à toutes les portes qu'elle voyait sans jamais qu'on lui ouvre, sans jamais rencontrer personne.
Où étaient les domestiques, les valets, les gardes ?
Enfin, au bout d'un temps qui lui parut durer une éternité, elle tomba sur sa mère, la Dame Armalys, qui marchait à sa rencontre avec énergie. Quand elle vit sa fille en robe de chambre, elle manqua de faire un malaise. Elle porta une main à son cœur dans un signe affligé.
« Par le roi, la reine et nos dieux, que fais-tu ici dans cette tenue ? s'horrifia-t-elle. N'as-tu pas peur de croiser des gens ainsi ? Imagine-tu la honte ? Tu n'es plus une enfant, Cassandre.
- Je vous cherchais, mère, répondit simplement la jeune fille. »
La mère étudia sa fille de ses yeux sombres. Elle haussa un sourcil sans dire un mot. Ses lèvres se pinçaient de plus en plus à mesure que l'étude de sa fille se prolongeait. Cassandre devinait que ses cheveux détachés, sa robe de chambre légère et ses pieds nus lui vaudraient la réprimande qu'elle méritait. Elle n'avait pas à se présenter ainsi dans un lieu public. Jamais. Il fallait toujours être exemplaire, toujours droite, bien vêtue, bien entourée, toujours pour plaire au Roi et à la Reine de ce royaume. Telle était la première règle de la Cour.
« Retournes immédiatement dans ta chambre, ordonna sa mère. Il faut que tu sois prête. »
Elles retournèrent toutes deux vers la chambre de Cassandre. Celle-ci ne put s'empêcher de poser la question qui lui brûlait les lèvres.
« Mère, pourquoi n'êtes vous pas venue me réveiller ce matin ? »
Dame Armalys lui jeta un regard surpris. Elle n'aimait pas être questionnée. Alors elle conserva son silence autoritaire sur le reste du trajet jusqu'à la chambre de Cassandre.
D'ordinaire, les mères ne levaient pas leurs filles, ni ne les éduquaient. Mais la famille de Cassandre faisait exception à cette règle. Dame Armalys voulait se charger personnellement de l'éducation de sa fille pour préserver la place de leur famille à la Cour du Roi. C'était sans doute la seule entorse aux règles que la Dame Armalys s'était autorisé dans toute sa vie.
Dame Armalys saisit sa fille par les épaules et l'entraîna dans la chambre. Même sans la voir, Cassandre imaginait bien la tête que devait faire sa mère. Le regard rivé au loin, les lèvres pincées, le nez froncé... Dame Armalys avait une profonde aversion pour les contacts humains.
La mère fit asseoir sa fille sur une chaise, en face de la penderie. Elle se mit à chercher une tenue convenable.
« Mère, intervint Cassandre, pourquoi vous donner tant de peine? Je sais quelle robe je dois mettre.»
A la vérité, Cassandre était plutôt pressée de finir de se préparer. Elle avait hâte de commencer sa journée et de se libérer le plus de temps possible pour aller se cacher dans le pré derrière la grande demeure de sa famille. Une connaissance des plus agréables serait là pour l'y retrouver.
« Non, ma fille, non, répondit sa mère, catégorique. Pas pour aujourd'hui. »
Qu'y avait-il de si particulier en ce jour pour que sa mère se donne tant de mal ? Cassandre savait porter les robes qu'on lui donnait. Pourtant, elle devait bien admettre qu'elle n'était pas la dame la plus impressionnante à la Cour du Roi. Elle pouvait même passer pour simple en comparaison de certaines nobles, comme la fille du Roi et de la Reine, la princesse Odossya. Cette dernière était d'une beauté qu'on ne pouvait ignorer, elle avait le port, elle avait les couleurs, elle avait la naissance et, surtout, elle savait parfaitement comment vivre à la Cour. Pour lui avoir parlé à quelques reprises, Cassandre savait que la princesse Odossya connaissait tout sur tout le monde et qu'elle veillait à le tourner à son avantage. Le rêve de Dame Armalys était que sa fille eût les mêmes aptitudes.
Sa mère en avait-elle assez d'attendre que sa fille se révèle à la Cour et avait-elle donc décider de prendre les choses en main ? Cassandre se sentit irritée à cette pensée. Dame Armalys ne s'était jamais autant infiltrée dans sa vie privée.
Alors, elle posa la question qui lui vint subitement aux lèvres :
« Pourquoi ?
- Car c'est un grand jour. »
Elle ne put totalement cacher le sourire qui pointa sur ses lèvres. Cassandre avait rarement vu sa mère se laisser aller à de telles émotions. Dame Armalys n'était pas froide ni distante, elle était comme une mère de la Cour devait être.
« C'est un jour qui fera de toi une noble dame de la Cour à part entière, continua sa mère. »
Ce fut comme si Cassandre s'était pris un mur dans la tête.
Comment n'y avait-elle pas songé plus tôt ? Elle avait fêté ses dix-huit ans deux semaines plus tôt. Il ne lui restait qu'un rituel à accomplir pour être véritablement acceptée à la Cour royale. Elle peinait à croire que ce jour soit arrivé si vite. Elle peinait à croire qu'elle l'avait oublié.
Elle ne savait pas si elle devait se réjouir ou sentir une boule lourde se former dans son cœur. Un peu des deux, sans doute, car elle sentit l'excitation la gagner autant que son cœur se serra.
« Allons, enfile celle-ci, lui indiqua sa mère après avoir fait chercher dans la penderie une robe bien particulière. »
Elle déposa le vêtement dans les mains de Cassandre. Un éclat de fierté brillait dans ses yeux. La robe qu'elle tenait dans ses bras était noire, montait jusqu'au cou, était serrée à la taille par une épaisse ceinture en cuir noir, pourvue de chaînes en argent et de manches amples. Sans poser de question et sentant des émotions contradictoires l'envahir, Cassandre alla derrière le paravent et des servantes l'aidèrent à enfiler la robe. Une fois habillée, elle s'avança jusqu'au miroir et resta figée devant son reflet. La robe noire rendait ses cheveux plus harmonieux L'ensemble de sa tenue faisait ressortir l'éclat de ses yeux marron. Cassandre resta pendant un moment silencieuse à observer son reflet dans le miroir. Elle ne savait que penser de la tenue que sa mère avait choisie. Le moins qu'on pouvait dire était qu'elle était assez atypique pour une robe de la Cour.
Sa mère la fit asseoir sans un mot et commença à la coiffer avec ses mains habiles en cet art. Elle les noua en un chignon tout particulier qui laissait tomber certaines mèches de cheveux devant le visage de Cassandre. Vraiment très atypique. La jeune fille était de plus en plus déboussolée.
Elle hésita un peu et finit par question sa mère sur ses choix vestimentaires étranges.
« Mère, appela-t-elle. Pourquoi avoir laissé des mèches ?
- Je sais. Je connais les règles de la Cour. Mais tu ne vas pas à la Cour, rétorqua sa mère. »
Dans ses yeux l'éclat de fierté ne ternissait pas. Cassandre ne parvenait pas à comprendre ce qui pouvait le faire naître. Elle n'avait rein fait de particulier pour plaire à sa mère. Au contraire, elle s'était présentée ce matin-là dans une attitude que la Cour ne tolérait pas.
Toujours sans un mot, Dame Armalys rangea les robes qui s'étaient empilées sur le lit, laissant sa fille contempler avec confusion son reflet dans le miroir. Quand elle eut fini, elle fit signe à sa fille de la suivre hors de la pièce. Mère et fille reprirent le couloir en marchant.
Cassandre se sentait étrange. Elle n'avait pas l'habitude de porter une robe aussi sombre, ni d'avoir des chaînes qui se balançaient à chacun de ses pas, ni d'avoir ses cheveux qui lui tombaient un peu devant les yeux. Mais le plus déconcertant devait encore être le regard de sa mère.
Cassandre ne l'avait jamais vu, ce regard fier et heureux. Elle n'avait jamais rien fait pour le mériter. Elle se contentait d'assister aux réceptions de sa famille, de sourire et de tenter de comprendre l'intérêt des conversations. Elle n'appréciait pas les mots échangés avec les nobles. Ils étaient dénudés de toute valeur, de tout sens. Ils n'était que manipulation.
Mais plus encore que cela, Cassandre avait secrètement fait la rencontre d'un jeune homme. Elle savait que si sa mère venait à apprendre cette nouvelle, jamais plus la fierté ne brillerait dans ses yeux. Jamais plus elle ne montrerait sa fille en publique. Ce serait un déshonneur profond. Mais Cassandre ne pouvait s'empêcher d'attendre avec impatience les trop rares moments qu'ils passaient ensemble.
Dans ces moments-là, les mots avaient du sens. Ils avaient de la valeur. Elle ne pouvait y renoncer.
Mais elle les cacherait. Sa mère ne devait pas l'apprendre.
Il était si plaisant de voir la fierté dans le regard de Dame Armalys.
Elles finirent par entrer dans la salle à manger. Cassandre tenta de se débarrasser de toutes les pensées qui naviguaient dans son esprit. Elle devait se concentrer.
Elle salua son père et son lieutenant ainsi que son frère en s'inclinant avec une grâce un peu forcée. Cassandre aimait sa famille et c'était sans doute pour cela qu'elle avait du mal à appliquer les convenances publiques de la Cour en leur présence. Elle aurait voulu simplement sourire.
Ce ne fut que lorsqu'elle se redressa qu'elle nota la présence d'un homme qu'elle ne connaissait pas. Il se tenait debout, les mains croisées dans le dos, le regard droit. Il était vêtu tout de bleu sombre et était aussi immobile qu'une statue.
Le père de Cassandre indiqua à sa fille de prendre place à la table et de s'asseoir. Elle s'exécuta, avec cette gène permanente qui l'accompagnait quand elle devait se comporter froidement avec les membres de sa famille. Mais c'était ainsi. Elle le devait. Elle n'avait pas d'autre choix. Il y avait des règles. Il fallait les respecter.
Les hommes reprirent leur conversation une fois que les deux nouvelles venues se furent assises. Cela parlait d'état et de paix. Le père de Cassandre était en effet un homme qui tenait une place importante dans l'armée du Roi. Les discussions au sujet des guerres des temps passés et des protestations des habitants des petits villages étaient monnaie courante. Cela avait au moins le mérite d'être divertissant.
Cassandre jeta un coup d'œil envieux à son frère. Lui au moins pouvait prendre part à la conversation. Elle ne le pouvait pas. Cassandre devait tenir d'autres conversations que les hommes de l'armée ne pouvaient tenir. Chacun avait son rôle.
Son frère surpris son regard et lui adressa un clin d'œil rassurant. Elle lui répondit par un sourire. Mais bien vite, ses yeux se posèrent sur le lieutenant de son père. Dans son regard à lui, aucune chaleur ne brillait jamais. Aucun sourire n'éclairait jamais son visage. Aucune douce parole ne sortait jamais de sa bouche. Dame Armalys lui avait dit un jour que l'éloignement parfois nécessaire pour résoudre certains conflits l'avaient rendu insensible aux émotions de la vie.
L'une des choses que Cassandre redoutait le plus fut qu'il arriva la même chose à sa famille.
« Nous avons trouvé une inscription des plus troublantes sur le mur de la Prison, déclarant le lieutenant à voix basse. »
Le père de Cassandre se caressa le menton tout en prenant le temps de réfléchir à ces mots.
« Je sais, murmura-t-il enfin. D'autres hommes m'en ont parlé. Il faudrait en avertir le Roi et la Reine. »
Son second hocha la tête et le père de Cassandre le congédia. Il indiqua à l'autre homme de se rapprocher et de prendre place à la table. Sur son siège, Dame Armalys se redressa un peu plus, l'éclat de fierté ne ternissait pas dans son regard. C'était vraiment très étrange. Elle et le père de Cassandre échangèrent un bref coup d'œil avant de se tourner d'un même mouvement vers leur fille.
« Ma fille, commença le père d'un ton doux, ce jeune soldat porte une nouvelle fantastique.
- Et... qu'elle est-elle ? ne put s'empêcher de demander Cassandre.
- Tu seras bientôt mariée, déclara son père avec un sourire. »
Cassandre ouvrit des yeux ronds.
Elle ne s'attendait pas à une telle nouvelle à une telle heure de la journée.
Non, pire encore. Elle avait espéré ne jamais avoir cette nouvelle.
Elle avait tant désiré que son père ne lui annonce jamais cette phrase.
Mais comment auraient-ils pu savoir ? Il était absolument normal qu'une fille comme elle se marie juste après être devenue une vraie dame de la Cour. Il était même absolument anormal de ne pas le faire.
Comment auraient-ils pu savoir ? Elle ne leur avait pas dit que chaque jour, elle espérait voir un jeune homme qui n'était pas celui qu'ils allaient lui présenter. Elle ne pouvait pas leur dire. Elle ne leur dirait jamais.
Elle serait mariée.
Elle ne le reverrait pas...
« N'es-tu pas contente, ma fille ? s'étonna son père.
- Oh, si. Je... pardonnez-moi. C'est que je ne m'attendais pas à cette annonce en ce jour.
- C'est un immense honneur, ajouta sa mère. »
Cassandre se força à sourire. Elle avait conscience que cela ressemblait plus à une grimace. Elle sentait son visage devenir raide. Elle sentit une étrange impression de vide s'emparer de son corps et de sa tête.
Tout allait trop vite.
« N'as-tu donc rien à dire ? s'étonna sa mère. »
Cette fois, Cassandre perçu totalement l'agacement percer dans sa voix.
« Je... Je suis honorée. »
Elle n'aurait jamais pensé qu'aligner quelques pauvres mots puisse être aussi douloureux.
« C'est tout ?
- Je...
- Je pensais que tu te réjouirais de la nouvelle, la coupa froidement Dame Armalys. Être mariée est plus qu'un honneur.
- J'en suis bien consciente. »
Cassandre posa les yeux sur le messager de l'homme qui voulait sa main.
« Je serais heureuse de devenir la femme de votre seigneur. Vous pouvez lui donner ma réponse. »
Sa voix s'étrangla sur le dernier mot mais personne ne nota cette faute. Cette fois, elle était bien incapable de parler d'avantage.
Le messager s'inclina devant elle et devant chacun des autres membres de sa famille avant de tourner les talons et de sortir de la pièce. Cassandre était incapable de bien penser. Si elle avait eu tous ses moyens, peut-être aurait-elle tenté de le retenir. Mais sa tête n'était qu'un brouillon de pensées toutes plus contradictoires les unes que les autres.
Dame Armalys finit par se lever.
« Allons, Cassandre, cette journée est loin d'être terminée. Elle ne fait que commencer. »
Sa fille se leva avec lenteur.
La fierté revint briller dans les yeux de Dame Armalys lorsqu'elle continua d'exposer le reste de la journée. Dans la tête de Cassandre, ce ne fut plus qu'un désordre de pensée.
« Nous allons à la Prison. C'est la dernière étape pour faire de toi une véritable Dame de la Cour. »
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