♦ Chapitre 1 ♦ L'Etrange Créature

Le paysage de la campagne du Sud-Ouest de la France, défilait à vive allure à travers les vitres teintées de la limousine. La route était illuminée par quelques lampadaires, qui se faisaient de plus en plus rares à mesure que la voiture progressait vers notre destination finale. Il était 20h.

Allongée sur l'un des canapés luxueux à l'arrière, je lisais un livre. De temps en temps, je jetais un coup d'œil à Sophie, assise sur le canapé situé en face du mien. Les mains sagement posées sur ses genoux et sa valise à ses pieds, elle regardait à travers l'une des fenêtres, l'air songeur.

Elle était la seule personne de mon entourage  que l'on m'avait autorisé à "garder" - les autres ayant tous été virés.

" Apparemment, mon cher oncle n'aime pas trop qu'il y ait des étrangers chez lui."

J'ai levé le nez de mon livre pour l'observer un moment. Ses cheveux châtains ondulaient jusqu'à ses épaules avec élégance. Ses yeux gris et ses pommettes rebondies lui donnaient un air mignon et enfantin. Le seul élément qui ne collait avec son visage, était sa robe-tablier de servante, qu'elle était obligée de porter. Un air triste était resté figé sur ses traits, depuis le coup de téléphone des enquêteurs; elle avait par ailleurs, beaucoup pleuré.

Sophie avait bien vieilli. Elle était entrée chez les Stenn à l'âge de 19 ans. J'avais 5 ans à cette époque. Elle avait postulé pour le poste de servante et de maîtresse personnelle pour aider sa famille, qui manquait d'argent.

Ma mère avait été séduite par son côté jeune et innocent, et me l'avait directement attribué, en sachant pertinemment qu'elle pouvait lui accorder sa pleine confiance  - comme elle n'avait plus de temps pour moi à cause de son travail, elle avait trouvé que Sophie serait idéale pour me tenir compagnie.  Avec le temps, celle-ci s'était attachée à moi, et avait finalement décidé de rester à notre service.

Elle avait maintenant 31 ans, et moi tout juste 17.

Je me suis de nouveau concentrée sur mon livre, tout en faisant cliqueter de la main gauche le bracelet à mon poignet droit. C'était une petite chaîne en argent, comportant une petite plaque où était inscrit le mot " Imagine ", que j'aimais prononcer à l'anglaise. Sophie me l'avait offert quelques jours plus tôt, pour mon anniversaire.

Après avoir lu quelques lignes de mon roman, j'ai fixé le plafond de la voiture, pensive.

J'ai repensé à tous les présents que j'avais reçu pour mon anniversaire, que j'avais à peine regarder : des robes luxueuses, des bijoux coûteux, des livres historiques - dont j'avais horreur - et de l'argent. Je n'avais quasiment rien gardé, excepté un peu d'argent et une des robes - une ancienne robe à corset rubis - offerte par ma grand-mère maternelle.

Je me sentais bien mieux en jean, trouvant les robes moyenâgeuses.

J'ai soupiré et refermé mon livre, me rendant finalement à l'évidence devant mon incapacité à lire. Je me suis redressée et j'ai regardé par la fenêtre.

Je plaignais mes parents. Ils n'avaient même pas eu d'enterrement, alors qu'ils étaient pourtant d'une famille aisée. Deux arbustes avaient simplement été plantés dans le jardin du manoir, aux pieds desquels deux petites plaquettes en marbre blanc indiquées leurs noms respectifs.

Leur corps étaient restés en Amérique du Sud, où du moins celui de ma mère - vu que celui de mon père n'avait jamais été retrouvé - , pour des recherches scientifiques. De plus, le manoir Stenn allait être vendu, ainsi que tous les meubles et affaires qu'il contenait; évidemment sans mon mot à dire - en tant que dernière propriétaire tout de même !

Les nouveaux propriétaires trouveront peut-être les arbustes gênants, et les déracineront sans doute. Il ne resterait donc plus aucune trace d'eux.

" Enfin, plus aucune trace d'eux, en France. "

Mes yeux se sont arrêtés sur la petite enveloppe bleue que m'avait remise ma mère, qui dépassait de mon sac à dos noir.

Je me suis penchée et j'ai tendu le bras pour la saisir. Sophie, alertée par mon mouvement, a tourné la tête et m'a observé alors que je me rallongeais sur le canapé, l'enveloppe à bout de bras au dessus de ma tête.

- À ton avis, qu'est-ce qu'il y a dedans ? ai-je demandé, simplement.

- Je n'en ai aucune idée Elisa. Ouvre-la, tu seras vite fixée.

Depuis le temps que nous nous connaissions, nous étions devenues très proches, et que je sois de rang "supérieur" à elle m'était complètement égal : les formalités avaient disparues de notre relation depuis bien longtemps.

J'ai secoué la tête en guise de réponse, et j'ai rangé l'enveloppe dans le sac, sous le regard plus qu'étonné de Sophie.

- Je n'ai pas la tête à ça. Je l'ouvrirai plus tard, quand je me serai reposée.

Compréhensive, elle a hoché la tête et a essayé de me sourire, non sans quelques difficultés. Elle devait sûrement penser que j'essayais d'oublier la tristesse qui était censée m'envahir suite à mon deuil; mais là n'était pas la raison.

J'avais un mal de crâne atroce à force d'avoir trop lu et je sentais qu'une migraine n'allait pas tarder à se pointer.

J'ai donc décidé de me reposer un peu.

~~

Après une heure de silence, alors que je somnolais dans le canapé, recroquevillée sur moi-même et la tête reposant sur un oreiller de velours, je fus secouée par la voiture qui changea subitement de route. Le chauffeur s'engagea sur un chemin de terre cahoteux, dépourvu de lampadaires.

La voiture fût secouée dans tous les sens. Je me suis redressée sur un coude, non sans mal. Je me suis ensuite assise avec difficulté, le dos en compote.

" La voiture est sympa, mais le dossier des canapés, c'est pas trop ça, hein ! Avant d'acheter la voiture, il faut la tester ! "

De mauvaise humeur, je me suis étirée, en notant dans un coin de ma tête qu'il faudrait que j'en touche deux mots à mon oncle. Je me suis vite accrochée à mon siège après une nouvelle secousse inattendue.

Maintenant bien réveillée, pour passer le temps, j'ai proposé un jeu de carte à Sophie - que j'avais apporté dans mon sac à dos. Nous avons joué gaiement une bonne heure, comme si de rien n'était, avant d'être lassées.

Nous n'étions toujours pas arrivées à destination, et je commençais à trouver le temps vraiment long. Je finis la joue écrasée contre la vitre, à regarder le paysage avec ennui.

~~

Au bout de dix minutes qui parurent durer une éternité, le paysage a changé et la voiture s'est engouffrée dans une forêt sombre et touffue.

Alors que j'observais les arbres défiler derrière le carreau, j'ai soudain aperçu une forme mouvante. Elle se déplaçait presque plus rapidement que la voiture.

Surprise, j'ai plissé les yeux et ai suivi l'ombre des yeux.

- Sophie, viens voir, je crois qu'il y a un animal.

Sophie est venue me rejoindre et a suivi mon regard.

- Tiens, c'est vrai, a t-elle soufflé à côté de moi, ses yeux gris écarquillés. Mais qu'est ce que ça pourrait être ? C'est extrêmement rapide !

J'ai haussé les épaules, quand soudain l'animal a bifurqué et s'est rapproché dangereusement de la voiture.

- Oh mon Dieu, mais que fait cette bête ?! a lâché Sophie, de plus en plus inquiète.

- Nous arrivons Mesdames.

La voix du chauffeur nous a fait sursauter. J'ai aperçu par le pare-brise avant, que la forêt touchait à sa fin, laissant place à une grande plaine, au milieu de laquelle se trouvait un grand bâtiment à peine distinguable au loin.

La voiture émergea d'entre les arbres.

Je suis allée me positionner devant le pare-brise arrière, pour tenter d'apercevoir la créature.

Et ce que je vis me glaça le sang.

J'ai reculé, horrifiée, au point de basculer en arrière. Sophie me réceptionna dans ses bras juste avant que je ne touche le sol et, toute tremblante, j'ai pointé un doigt vers la forêt, qui s'éloignait peu à peu de nous.

- Tu... tu as vu ça ?

- Vu quoi ? a t-elle demandé en fronçant les sourcils.

J'ai ouvert la bouche pour lui décrire ma vision, mais au dernier moment, j'ai décidé de ne rien dire et j'ai bredouillé :

- Rien d'important, j'ai dû rêver.

- Tu es sûre que ça va, Elisa ?

Sa mine était soucieuse et son regard insoutenable. J'ai détourné les yeux. Ce que j'avais vu été totalement irréel, et je le savais. Je ne voulais surtout pas inquiéter Sophie avec des hallucinations idiotes. De plus, elle ferait tout de suite un lien avec la fatigue et la tristesse, totalement plausible.

Mais alors que Sophie m'aidait à me relever, je ne pu m'empêcher de frissonner. L'image de la bête se dressant sur ses pattes arrières, ses griffes acérées et ses yeux rouges luisants me hantait l'esprit.

À ce moment là, j'aurai pu parier que c'était un homme.

Il était terrifiant.








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