Chapitre 3 partie 1 - Nora

26 mai 2020

J'adresse un regard amusé à Paolo en cherchant mon crayon jaune. Depuis ce matin, nous avons perdu deux crayons de couleur sur le terrain, alors maintenant c'est au tour du mien de servir. Nous devons remplir une carte - la minute de terrain¹ - en notant chaque type de roche à tous les endroits où nous les avons croisés sur notre chemin. Là il faut noter le calcaire à coraux, qui est jaune. De toute façon, on n'a vu que ça toute la journée.

(NB : pas de panique, les termes sont définis en bas de page 🤍)

Je jette un œil distrait à ma montre. Il est presque quinze heures. Il reste encore de la marche à notre petit groupe, avant de rejoindre le point de rendez-vous avec les professeurs. Ils nous récupèrent à l'entrée d'un village à dix-sept heures.

Mettant enfin la main sur le crayon, un sourire s'étale sur mes lèvres. J'ai toujours aimé les terrains, et j'ai décidé après avoir décuvé ce matin, que je n'allais pas laisser un alpha méprisant et insultant me gâcher mon plaisir. En plus, aujourd'hui un grand soleil brille sur les Alpes. Ce n'est pas le moment de se morfondre pour un abruti, que j'ai peut-être imaginé pour tout ce que j'en sais. J'étais fin saoule hier.

Je tends l'objet à mon ami, qui étend la carte au-dessus de son carnet de terrain. Puis je remonte mes lunettes de soleil dans ma chevelure châtain pour l'aider à se situer sur le plan. Ensemble, nous repérons l'endroit exact où nous nous trouvons, et il gribouille un rond jaune à cet emplacement.

— Parfait.

Paolo sourit, satisfait, et replit la minute.

— On peut y aller.
— Bon, vous avez fini de traîner ? s'exclame Théo.

Eléa et elle se trouvent à plusieurs mètres de nous, sur le chemin de terre. Une paroi rocheuse nous bloque à gauche et un ravin se trouve à droite. Des arbres s'élèvent, les uns à côté des autres et recouvrent tous les affleurements² que nous aurions pu espérer voir. Théo a tenté plusieurs fois de nous convaincre de couper à travers champ pour chercher des roches cachées par la verdure. Mais j'ai refusé catégoriquement. Dans mon expérience, ça n'a jamais servi à rien, si ce n'est blessé les géologues téméraires. Ou, dans le meilleur des cas, les perdre.

Je n'ai pas envie de perdre quatre heures dans la pampa parce que nous n'avons pas suivi le chemin défini. Alors je m'en tiens aux sentiers de randonnées pour l'instant. En plus, celui-là fait plusieurs mètres de larges et recoupent plusieurs couches géologiques. C'est pertinent de le suivre sur toute sa longueur, plutôt que de partir dans la forêt.

— On arrive ! rétorqué-je avec agacement.

Paolo pouffe à côté de moi. Il me donne une petite tape sur l'épaule tandis que je replace mes lunettes sur mon nez. Je ferais bien de mettre une casquette d'ailleurs... Mon regard rencontre les traces que j'ai marqué sur sa peau la veille. Je pensais vraiment que j'avais fait du bon travail, mais mon écriture est illisible, irrégulière et les lettres n'en sont pas. On déchiffre à peine le sens de la courte phrase. Je ris intérieurement, je n'avais décidément pas les yeux en face des trous hier. Raison de plus pour croire que Kiëran n'était que la manifestation de ma culpabilité, et pas un vrai loup-garou en chair et en fourrure.

En quelques foulées, nous rattrapons nos amies. Elles ont noué leurs K-way autour de leur taille et nous adressent un regard réprobateur. Eléa a relevé ses cheveux aujourd'hui, et quelques mèches blondes sont collés à son front à cause de la chaleur ambiante. Ce n'est pas le cas de Théo, qui semble ne jamais avoir chaud. Sa queue de cheval brune remue tandis qu'elle secoue la tête.

— Tout ce temps pour trouver un crayon ?
— Ecoute, Paolo ne sait toujours pas se situer sur une carte, tu aurais dû rester avec nous.
— Cause toujours, maugré-t-elle.

Théo est très attachée au partage des tâches. Aujourd'hui, elle est responsable des photos, Eléa des descriptions, moi des dessins d'affleurement² et Paolo de la minute. Pour rien au monde mon amie ne lâchera sa place.

Je ricane en reprenant le chemin qui monte vers le sommet de la petite montagne. Mais un frisson parcourt mon échine, me faisant trésaillir désagréablement. J'ignore ce sentiment en prenant la tête de la marche, lorsque je vois deux masses blanches sortir de la forêt, depuis le ravin et courir vers nous. Une grimace intérieure me fait lever la main, pour prévenir mes amies.

Des patous. Il ne manquait plus que ça tiens.

Les chiens nous chargent en hurlant, tandis que je lève mes deux bras. Mon père m'a appris à faire plus de bruits qu'eux, pour les effrayer et qu'ils nous fichent la paix. Mes amis sont trop paralysés pour réagir de toute façon.

Je prends une grande inspiration et m'apprête à crier lorsqu'un grondement s'élève de la forêt. Mon sang se glace dans mes veines et mon souffle se bloque dans ma gorge. You gotta be kidding me.

Vous devez vous moquer de moi.

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Une minute¹ ou minute de terrain¹ est une carte sur laquelle les géologues notent les différentes lithologies qu'iels rencontrent à l'endroit où iels les rencontrent.

Lithologie : nature des roches, ça veut dire quel type de roche (ex : granite, marbre, calcaire, etc.)

Affleurement² : zone où les roches affleurent, ça veut dire sont visibles à la surface de la Terre

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