Prologue
Cinq ans auparavant, deux filles vivaient confortablement ; elles demeuraient près de leur mère, au Palais Lunaire. Marius était un érudit chargé par la souveraine elle-même d'éduquer les jeunes princesses. Ce jour-là, il voulut s'y prendre différemment :
« Princesse Ana, sauriez-vous m'expliquer le plus précisément possible pourquoi les Solaires sont nos ennemis ?
— Eh bah, c'est tout naturel ! s'exclama-t-elle. Ils vivent dans leur pays de lumière tandis que nous sommes les dignes descendants des clans qui vivaient ici, au Val Lunaire !
— C'est très réducteur ! Et soignez un peu votre langage, Princesse ! Damoiselle la dauphine, sauriez-vous compléter la réponse de votre sœur ?
— Les habitants de la Contrée Solaire sont simplement rustres. Ils n'ont pas les bonnes mœurs que nous partageons tous ici. Leur dynastie n'est bâtie que dans le but de nous anéantir, récita la seconde princesse, sans le moindre état d'âme. Ils ne trouvent joie qu'en nuisant à notre peuple.
— Pff... On croirait que tu as avalé tes rouleaux de parchemins aussitôt rédigés ! Tu fais tellement vieille fille Nhyméria !
— Princesse Ana ! » gronda l'érudit en se levant.
La jeune fille de quinze ans se leva brusquement à son tour et s'enfuit, hilare. Plutôt que de laisser le vieil homme tenter de rattraper l'impétueuse, son aînée intervint :
« Maître, veuillez excuser ma sœur. Elle n'a jamais su se tenir quand nos enseignements durent trop longtemps à son goût.
— Je reverrai avec elle tout ça plus tard quoiqu'il advienne, soupire-t-il. Reprenons là où nous nous étions arrêtés. Est-ce que vous vous rappelez du nom de l'actuel monarque solaire ? »
La princesse Nhyméria savait que leur maître voulait lui faire réciter de nombreuses choses mais elle ne comprenait pas trop pourquoi. Elle était déstabilisée. Elle avait un grand doute, à force de répéter autant de noms... Ce n'est pas très étonnant qu'Ana se rebiffe, pensa-t-elle.
« Le Roi de la Clarté est Arthur de Vallon... quatrième du nom ?
— Second du nom, rectifia son tuteur.
— Arthur de Vallon second du nom.
— Et son épouse ?
— Mimosa de l'Andelys.
— Qu'est-il advenu d'elle ?
— Elle est morte dans l'année suivant leur union.
— Princesse, vous souvenez-vous de la cause ?
— Non...
— Elle est décédée des suites d'une fausse-couche. Faisons le point sur la famille royale solaire. Reprenez tout depuis le début et dites-moi en le plus possible, je vous prie.
— La famille royale solaire est souveraine sur la Contrée Solaire ; c'est le pays qui partage, avec le Val Lunaire, la péninsule où nous vivons. Contrairement au Val qui s'épanouit dans la nuit et l'obscurité éternelle, les solaires vivent à la lumière de leur Astre-Maître, le Soleil. Arthur de Vallon second du nom est le souverain de leur pays. Il est arrivé au trône à l'âge de seize ans et s'est marié avec Mimosa de l'Andelys. Cependant, elle est décédée l'année suivante, des suites d'une fausse-couche.
—C'est très bien ! A présent, je vous suggère d'écrire tout cela. Une fois de plus ne sera pas de trop ! En tant que future reine, il vous sera fort nécessaire de connaître jusqu'au bout des doigts les figures diplomatiques importantes, mêmes celles ennemies. Ensuite, je vous accompagnerai voir votre mère. La reine vous attend dans ses quartiers pour vos fiançailles. »
La princesse obéit et écrivit sans se poser de question. Elle se sentit anxieuse quand ils partirent. Deux jours plus tôt, sa féminité avait éclos et elle n'avait pas pu masquer les traces de sang sur ses draps. Sa sœur, Ana, était devenue une femme depuis deux ans déjà. Toutefois, son comportement parfois trop puéril et impulsif n'aidait pas leur mère à lui trouver un mari. Et d'ailleurs, selon la reine, il ne faut aucunement marier une cadette avant son aînée. Dans ce cas, la dauphine perdrait alors en légitimité aux yeux du peuple lunaire.
Il s'ensuit une période traditionnelle de cinq ans quand la dauphine du Trône de la Nuit devient apte à procréer. Pendant celle-ci, l'héritière apprend à se battre auprès de son fiancé, un guerrier déjà confirmé. La coutume des cinq ans permet, dit-on, de rendre la future monarque forte et fertile.
Arrivés à destination, la princesse Nhyméria était surprise : elle ne voyait qu'un prétendant dans la pièce. Sa mère ne perdit pas de temps avec des salutations et alla droit au but :
« Maître Marius, déclarez-vous ma fille la dauphine apte à cesser de suivre vos enseignements et à s'engager dans la première phase de sa vie de jeune femme ?
— Je la déclare tout à fait apte, confirma-t-il.
— Vous pouvez donc vous en aller. »
L'homme fit une brève courbette. Il déguerpit sans s'outrer de la froideur de la reine.
« Nhyméria, sache que j'avais déjà sélectionné ton fiancé. Je te présente Sire Yurio Sinueux, fils aîné du duc des Limbes.
— Enchanté, Princesse Nhyméria. C'est un honneur de vous rencontrer, affirma-t-il en s'inclinant galamment.
— De même, Sire Yurio », articula la jeune fille avec une curiosité retenue.
L'homme lui paraissait être trentenaire. Elle vit dans sa chevelure brune, quelques brins blancs luisant à la lumière émise par les deux feux follets du coin de la pièce. Il lui semblait droit et courtois. Cela soulagea la jeune fille qui s'attendait à devoir être promise à pire individu.
La dauphine se soumit au rite de fiançailles sans broncher, comme l'enfant bien élevée qu'elle était. Sa mère tendit au sire un magnifique poignard d'argent. Il l'empoigna avec assurance avant de s'infliger une légère coupure sur l'index. La jeune fille dut goûter au sang de l'individu afin de conclure cette promesse de mariage, comme l'exigeait leur foi. Déposer sa langue sur la peau d'un inconnu était étrange et apeurant pour la jeune fille ; mais sitôt fait, Nhyméria esquissa un sourire. Il y a quelque chose de vraiment bizarre... songea la princesse. Ou plutôt quelque chose de grisant à l'idée d'être fiancée. Si bien des femmes répugnent plus ou moins ouvertement leur mariage arrangé, il n'en était pas de même pour la dauphine du Val Lunaire.
Par la suite, l'homme sortit un tissu bleu d'une très belle boîte. L'étoffe translucide était digne des plus grands tailleurs. Bien que intimidée, Nhyméria laissa son promis lui attacher de sorte à lui couvrir la partie inférieure du visage. Ce voile exposait désormais le statut de la jeune fille aux yeux de tous.
Pendant les cinq années qui les séparaient de leur union, Nhyméria apprit à connaître le sire Yurio Sinueux et découvrit la maîtrise des armes avec lui. Tout semblait habituel quand la jeune fille finit par avoir vent de rumeurs alarmantes... Les solaires se dirigeraient tout droit vers eux, vers Mesnil, la capitale de leur nation !
Au lieu de démentir, la reine Elune confirma le fait. Nul ne savait comment une pareille situation était devenue possible, mais personne n'en avait vraiment cure : il fallait se préparer et s'armer.
Il n'yavait qu'une seule question qui taraudait les esprits : ne restera-t-ilplus qu'un peuple pour régner sur la péninsule ? Les lunaires ou les solaires?
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