Chapitre 4-1

Ellie

La mer à perte de vue. Du bleu, du gris, du blanc, le soleil couchant miroitant dans les vagues ! Après deux jours je ne me lassais toujours pas de la vue, Lupo à mes côtés, toujours fidèle au poste.

Pour moi qui n'avais connu que la vallée, la mer était un merveilleux mystère. Heureusement j'avais le pied marin contrairement à Erik et Einar qui avaient dû passer leur temps dans la cabine à vomir leurs tripes.

L'équipage du Destiné était très organisé et discret. Ils avaient d'emblée accepté le mystère autour de notre identité. Quant à Jorus c'était un homme plein de surprises. Je ne me lassais pas de le regarder affronter les vagues de plus en plus agressives.

Il nous avait prévenu le matin même : une tempête se préparait. Nous allions devoir baisser les voiles et attendre l'accalmie. Deux jours supplémentaires de perdus. Mais cela n'avait pas d'importance. Il nous suffisait d'atteindre la citadelle d'Or avant le début de l'hiver.

Nous avions décidé de garder les chevaux pour limiter les frais. Arrivé à Isbür il nous faudrait trouver un cheval supplémentaire pour Ian qui nous avait rejoint.

Malgré les réticences de Erik je ne pouvais pas laisser cet homme. Je sentais qu'il avait un rôle à jouer. Une place dans notre aventure.

- Alors Princesse, vous comprenez pourquoi on l'appelle la mer du soleil ? m'interpella Jorus.

- Oui c'est magnifique, les rayons du soleil se reflètent dans les vagues comme une multitude de joyaux.

- Vous devriez aller à l'arrière du bateau. Cela ne va pas tarder à devenir dangereux à la proue, déclara le vieux capitaine en me montrant les nuages sombres s'avançant vers nous.

Sans discuter, je pris congé pour aller m'installer à l'arrière. Surprise je croisais sur mon chemin Ian et Elias en train d'aider les marins à replier la grande voile. Voir l'homme mettre la main à la patte me convainquit pour de bon du bien fondée de ma décision. Cet homme saurez se rendre utile !

En arrivant à l'arrière je surpris Marek perdu dans ses pensées.

- Désolé pour hier soir, dit-il en me voyant arriver.

La veille, il avait eu une réaction agressive quand Erik m'avait pris dans ces bras durant la veillée. Ces derniers temps j'avais remarqués une sorte de colère dans ses yeux quand Erik montrait son affection. Ne voulant pas alourdir l'ambiance, je changeais de sujet :

- Mais non ! Merci plutôt. Tes histoires ont égaillé nos esprits et ont fait oublier leur mal de mer aux garçons. Je ne savais pas que tu étais si bon conteur !

- Oh, c'est mon grand-père qui m'a transmis ces histoires. Il disait que c'était les élucubrations d'un vieux soldat nostalgique. Mais tu sais très bien de quoi je voulais parler. Mais comme toujours tu es bien trop gentille pour relever mes écarts de conduites.

- A vrai dire, je ne comprends pas trop ton comportement. Je sais que tu ne supportes pas ma relation avec Erik mais pourtant je sens bien que cela n'a rien à voir avec les traditions. Tu n'es pas le genre de personne à s'attacher aux règles je me trompe ?

- Venant de toi, j'aurais dû me douter que tu lirais en moi. Tu as raison, je n'ai rien à faire des règles. Je les déteste même. Toute ma vie elles m'ont oppressées. En tant que second fils, je n'ai jamais eu le droit à l'estime de mon père. C'est à mon frère qu'il a consacré son apprentissage. C'est à lui qu'il voulait passer le flambeau de sentinelle. Et pourtant mon frère n'en avait rien à faire de l'Ordre et de ses responsabilités. Il voulait être professeur !

- Mais alors qui t'a entraîné ? Je pensais que c'était à ton père que tu devais ce talent pour le combat, dis-je surprise.

- Non pas du tout. C'est Borak l'un de ses lieutenants qui m'a pris sous son aile et m'a formé au maniement des armes. Je lui dois tout, dit-il en rougissant.

- Alors ce n'est pas parce que l'Ordre et le Conseil condamnent notre relation que tu la vois d'un mauvais œil.

- Non... Mais à dire vrai, je ne condamne pas votre relation c'est juste qu'il me faut du temps pour l'accepter. Je suis désolé. Mais je voulais que tu sache que je n'ai rien contre toi. Enfin plus maintenant, dit-il en baissant la voix pour ne pas être entendus par les marins. En réalité, je t'ai haï toute mon enfance car mon père t'adulait sans même te connaître alors qu'il ignorait son propre fils. Mais quand je t'ai rencontré, je n'ai pas réussi à te détester. Ta douceur, ton indépendance, ton esprit profond et ta grande bienveillance ont eu raison de moi. Impossible de t'en vouloir. Et puis j'ai compris que tu étais autant victime du destin que moi finalement.

- Et pourtant, tu n'approuve pas ma relation...

- Non c'est au-dessus de mes forces pour l'instant...

Je sentis une déchirure dans sa voix quand il prononça cette phrase. Une blessure ancienne semblait le ronger de l'intérieur. Je sentais que cela allait bien au-delà d'un manque d'attention paternelle. Je me gardais bien de lire dans son esprit, mais je ne pouvais m'empêcher de ressentir ses émotions. Et en cet instant, tristesse et honte se partageaient la première place.

- Je ne voudrais pas m'immiscer dans tes sentiments mais j'ai l'impression que c'est plus une histoire de cœur que de raison.

- Si seulement tu savais... Mais je ne peux pas en parler.

- Et si c'était moi qui parlais ?

- Alors je pourrais enfin être libéré... dit-il en baissant les yeux.

- Je pense que ce n'est pas tant que tu n'approuve pas cette relation, mais plutôt que la situation te fait souffrir. Je me trompe ?

- Continu, dit-il sans relever la tête.

- Elle te fait souffrir car tu ne peux pas supporter de voir la personne que tu aimes avec une autre. Et bien que je sente que ton affection à mon égard est réelle, je sais que cette personne ce n'est pas moi. Alors j'en déduis que tes sentiments pour Erik sont bien plus profonds que ceux d'un compagnon d'arme.

J'avais remarqué depuis un petit moment comment il se comportait en présence d'Erik. Il semblait boire toutes ses paroles et le suivait des yeux en permanence. Au départ j'avais pensé que c'était de l'admiration mais j'étais bien placée pour reconnaître ce comportement. En effet, j'avais eu le même pendant des années.

- J'étais sûre que tu comprendrais... C'est vrai j'ai honte de le dire mais je le béguin pour un homme...Tu dois me trouver monstrueux !

- Non tu n'es pas un monstre ! L'amour ne se contrôle pas. Et puis je suis bien placée pour savoir à quel point Erik peut être irrésistible ! dis-je pour détendre l'atmosphère.

- C'est vrai qu'il est vraiment pas mal ! C'est bête mais quand je l'ai rencontré je venais de vivre une rupture difficile et il m'a tout de suite plu. J'ai vite vu qu'il n'avait aucun penchant pour les hommes mais en même temps il semblait complètement insensible aux charmes de la gent féminine. Tu étais la seule qu'il regardait mais comme un imbécile j'étais persuadé qu'il te voyait comme une sœur. Alors j'ai nourri de faux espoirs et maintenant je me sens vraiment bête !

- Je comprends et je suis heureuse que tu m'en aies parlé.

- J'ai vraiment honte de mon comportement. Aveuglé par la jalousie j'ai été exécrable avec toi. J'ai voulu t'en parler mais je n'ai fait que tourner autour du pot.

- Tu sais les mots ne sont pas toujours nécessaires.

- Oui c'est vrai ! Pas avec toi... J'avais entendu parler de certains mages capables de lire dans le cœur des gens mais c'est vraiment impressionnant. Tu as su lire en moi et me libérer de mon secret.

- Les amis servent à cela. Mais dis-moi, j'ai une petite question. Tu n'es pas obligée de me répondre bien sûre.

- Vas-y ! Je te dois bien cela, dit-il en souriant timidement.

Dans la vallée, l'homosexualité avait toujours été totalement interdite et même punis sévèrement. Dans ce lieu où toute différence est condamnée, la répression était vraiment horrible. Tous ceux qui ne rentraient pas dans le droit chemin étaient bannis ou pire encore.

Dans les cités libres, les gens étaient plus tolérants mais pourtant je sentais que pour Marek cela n'avait pas été simple.

- Tu as dit avoir eu une rupture difficile. C'était avec un homme ou avec une femme ? Désolée si je suis indiscrète, mais j'aimerais en savoir plus sur toi.

- C'était avec un homme. Je sais que certains tentent parfois leur chance avec les femmes avant de se faire une raison. Mais moi j'ai toujours su.

- Et c'était avec qui ?

- Avec Borak...

- Le lieutenant de ton père ? dis-je surprise.

- Oui. Il était un peu plus âgé que mon frère. C'était le seul à toujours avoir fait attention à moi. Le seul à prendre la peine de m'apprendre à combattre. Il était mon idole, je l'admirais tellement. Mon frère aussi l'admirait mais pour d'autres raisons.

- C'est à dire ?

- Borak était un coureur de jupons. Il n'avait aucun mal à faire tomber une femme dans son lit. Avec son corps musclé, ses boucles blondes et ses yeux verts comme deux lagons, il en faisait craquer plus d'une. Il a vite pris Piotr sous son aile et l'a entraîné dans ses conquêtes du sexe opposé.

- Donc il aimait les femmes ?

- Pas seulement. Quand j'ai atteint l'âge adulte son comportement envers moi a changé. Il a arrêté de me considérer comme un enfant et il a commencé à m'emmener avec lui dans ses soirées de débauches. Piotr à cette période avait déjà rencontré sa femme et ne nous accompagnait que très rarement.

- Mais toi tu l'accompagnais ?

- Oui je consommais de l'alcool et lui des femmes comme il disait. Mais un jour où il avait trop bu, je l'ai raccompagné chez lui. Et une fois à l'intérieur, il s'est littéralement jeté sur moi pour m'embrasser. Après ça il m'a avoué aimer autant les hommes que les femmes. Pour lui c'était la beauté qui comptait et il avait remarqué mon regard insistant quand il se dénudait à moitié devant moi pendant les combats. Après-cela nous nous sommes fréquentés en secret. Je savais qu'il continuait à voir des femmes mais ça ne me dérangeait pas tant qu'il revenait me voir chaque soir.

- Alors que s'est-il passé ?

En racontant son histoire je pouvais sentir toute sorte d'émotions passé dans son cœur, l'amour, la joie, les regrets, la tristesse. Mais cette fois la honte avait disparus. De pouvoir en parler ouvertement avec une personne qui ne le jugeait pas, semblait lui apporter un réel soulagement. Plus que jamais j'étais convaincue que les mots pouvaient guérir les blessures de l'âme.

- Mon père nous a surpris. Il s'est mis dans une colère noire ! Il a viré Borak de la garde et m'a viré de la maison. J'ai voulu aller vivre chez Borak mais il m'a dit que tout été de ma faute et qu'il ne voulait plus me voir. Heureusement Piotr et sa femme m'ont accueilli, dit-il avec un sourire penseur. Tu comprends pourquoi quand vous êtes arrivé en ville je me suis empressé d'accepter de vous escorter.

- Je suis désolée. Cela a dû être difficile pour toi. En tout cas, si tu as besoin d'une oreille attentive, je suis là pour toi.

- Merci. Mais s'il te plait peux-tu le garder pour toi ?

- Bien sûre, dis-je en lui tapotant le dos de la main.

L'instant d'après, Erik et Einar, accompagnés de Kara remontèrent de la cabine pour prendre l'air et se joindre à nous pour le repas avant que la pluie ne recommence.

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