Prologue - DIEGO.
28.10.27.
The Tombs, Manhattan Detention Complex | MANHATTAN – 3:00 PM.
Je fais la grimace. Je devrais être habitué au crissement strident de ces fichues portes en ferraille, mais ce n'est pas le cas. On ne pourrait jamais s'habituer à ça, tout comme on ne pourrait jamais s'habituer à l'odeur ou à l'air lourd et étouffant.
J'ai l'impression de retrouver tous mes sens quand je sens la brise effleurer mon visage. Bien sûr nous avions droit aux sorties dans le parc de la prison, mais rien n'est comparable à ça : j'entends les oiseaux et, autour de moi, je vois des gens. Des gens autres que les taulards répugnants et puants que je côtoie depuis des années. Je n'arrive même pas à me sentir vivant.
Quand je passe la grille finale, fusillé des yeux par un gardien en uniforme bleu marine, je m'arrête sur le trottoir. Ma veste en cuir de l'époque me serre les épaules, désormais trop petite, et mes vêtements me donnent l'air de sortir tout droit d'un asile. Mon cœur tambourine si fort dans ma poitrine que j'en ai mal à la tête et la nausée : je panique.
Un bus me passe sous le nez et me fait sortir de ma léthargie. C'est inexplicable en soit, mais je me sens comme Clark Kent lorsqu'il est arrivé sur Terre : tout me semble assourdissant, le monde autour de moi me donne le tournis. Je ne suis plus habitué à tout ça : je ne me souvenais plus de l'odeur étouffante du goudron humide, du bruit assourdissant des voitures ou, même, de l'atmosphère électrique de la ville. J'ai l'impression d'être dans un nouveau monde inconnu, où je n'aurais pas ma place, et je me sens terriblement mal.
- Allez Flores, va-t'en d'ici.
Je jette un regard noir au garde qui, désespéré par ma réaction, me pousse à dégager : je suppose que la plupart des taulards libérés s'empressent de se tirer en quatrième vitesse, pour retrouver leur famille et leurs amis, pour s'éloigner le plus possible de cette prison de malheur, mais il faut croire que je suis différent.
Je pense à maman, à Abraham et à Andrea. J'imagine qu'ils passent du bon temps, tous les trois en Floride, depuis que maman et Andrea y ont emménagé il y a cinq ans. Depuis ce jour, je ne les aie plus revues au parloir : les billets d'avion pour New-York sont excessivement chers. Elles me manquent et, bien sûr, je comprends très bien leur absence aujourd'hui.
Je me sens seul, planté là comme un idiot sur le trottoir. Le parking de l'autre côté de la rue est quasiment désert. Que faire ? Je n'ai aucune carte de crédit, aucun endroit où aller. J'ai l'horrible impression d'étouffer. Je panique, en fait, et mes yeux commencent à balayer les environs à la recherche d'une solution.
Là. Je ne saurais décrire ce que je ressens à ce moment-là. Je me sens vide, anéanti, même si au fond je sais très bien que sa présence me soulage. Je n'arrive pas à me réjouir, ni même à me détendre. À la place, en fait, je me tends comme un arc : il est là. Il est appuyé contre le capot de sa voiture, toujours cette putain d'Audi grise et brillante. Il porte un jean bleu clair et destroy troué aux genoux et un simple t-shirt noir. Il ne me quitte pas des yeux et, quand nos regards s'accrochent, il se redresse.
Je n'ai pas envie de m'approcher, pour la simple et bonne raison que je ne sais pas quoi lui dire ni même quoi faire. Un an. Cela fait un an que je n'avais pas vu son visage, de près ou de loin. Un an qu'il n'avait plus daigné venir me voir : je sais que c'est de ma faute, que j'avais été désagréable lors de ses dernières visites, mais je lui en veux. Je m'en veux aussi à moi-même. Je n'ai pas le courage de l'approcher mais je sais aussi que je n'ai pas le choix : sans lui, là, je ne suis rien.
Un vieux sac à la main je traverse la rue. À chaque nouveau pas qui me rapproche un peu plus de lui je sens mon monde s'écrouler : comment faire ? Quoi lui dire ? Je suis perdu. Je suis perdu dans l'espace, dans le temps et dans ma tête. Quand j'arrive à sa hauteur, que je distingue enfin son visage, la réalité me frappe : il a changé. C'est un homme, désormais. Il a évolué. Moi, malgré les années qui ont passé, je me sens toujours comme cet adolescent perdu que j'étais il y a neuf ans.
- Salut.
- B'jour.
Je n'arrive pas à sourire, ni même à me détendre. Mon ton bourru le surprend, tandis que je marmonne tout en fixant mes pieds. J'ai envie de le serrer dans mes bras, mais je ne peux pas. Je n'arrive pas à faire le premier pas.
- Viens là.
Je me sens idiot, là. Ses bras se referment autour de moi et sa tête, comme avant, repose sur mon cœur. Il a 27 ans mais se comporte encore comme l'adolescent amoureux transi qu'il était il y a neuf ans : il ne m'a pas oublié. Il m'a attendu, tout ce temps, et il m'aime encore.
Je ferme les yeux quand il balade ses mains dans mon dos, de haut en bas. Quand il les pose sur mes reins, juste au-dessus de mes fesses, mon cœur fait un bond : j'ai la nausée. Je n'y arrive pas. J'ai besoin qu'il arrête, j'ai besoin de mon espace à moi de toute urgence, mais je n'ai pas le courage de le repousser car je suis tétanisé. Il blottit son visage au creux de mon cou tandis que, là, je reste planté les bras le long du corps à être incapable de le toucher.
- Tu m'as tellement manqué.
Lui aussi il m'a manqué, bien sûr, mais ça je ne peux pas le dire. Il y a tout un tas de choses que j'aimerais lui dire, après neuf ans passé enfermé dans une cellule, mais je n'y arrive pas. Les mots ne me viennent même pas, les souvenirs enfouis en moi. À la place, bourru, je marmonne :
- On fait quoi, maintenant ?
- Tu veux faire quoi ?
Ses bras sont enroulés autour de ma taille et il se recule d'un minuscule pas. Son visage est relevé vers moi, il me regarde, et je constate que ses yeux sont toujours aussi beaux. Là, ils brillent d'amour et de bonheur et je me sens idiot : je n'arrive pas à me réjouir, moi.
- J'sais pas.
Je regarde autour de moi, vide. La ville ne m'attire plus. Depuis des années je m'imaginais ce jour où je sortirais enfin de taule. Je me suis toujours imaginé ce moment comme une délivrance, un moment de bonheur et d'exaltation, mais je me trompais. Je ne me suis jamais senti aussi vide qu'à cet instant précis, là, libre et dans ses bras.
- On va... chez nous ?
Chez nous ? Je le fixe, mâchoire serrée. Je déteste cette façon qu'il a de me regarder. Il croit que je lui appartiens, que tout est déjà acquis, mais c'est beaucoup plus compliqué que ça.
- Comment ça, chez nous ?
- Je t'ai attendu Diego.
Je ne pensais pas qu'il l'aurait fait. Après un an à attendre de ses nouvelles, je pensais que c'était terminé. Je ne le voyais plus, ne recevait plus de lettres. Je me suis fait tout un tas de films et j'en suis venu à la conclusion qu'il avait craqué : à 27 ans, il aurait eu le droit de rencontrer quelqu'un et de faire sa vie, de m'oublier. Son aveu me bouleverse, mais au fond je suis en colère.
- Viens. On va chez moi, et on avisera, d'accord ?
Il glisse ses doigts dans les miens et je me crispe : je ne veux pas qu'il me touche. Pas comme ça. Je sens encore ses mains dans mon dos, lourdes et sensuelles, et ça me retourne l'estomac. Quand je m'installe à contrecœur sur le siège passager de sa voiture, parce que je n'ai pas d'autre solution, j'ai la nausée.
Il commence alors à rouler. Cinq minutes passent, puis dix, puis quinze, et ainsi de suite. New-York me passe sous les yeux et, à chaque nouvelle minute qui passe, je me tends dans mon siège. Au bout d'une quarantaine de minutes passées dans un silence des plus complets, je comprends que nous roulons en direction de Boston.
Quand il s'engage sur l'autoroute, qu'il glisse sa main sur mon genou et qu'il entrelace nos doigts ensuite, je ne sais pas quoi penser.
- Je t'aime, Diego.
Je ferme les yeux. Mon cœur loupe un battement, mon ventre se tord et mes muscles se tendent. Je sens la panique dans mon sang, dans mes veines, et la colère.
Je le déteste.
. . . #gbsBigBangFIC
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