CHAPITRE 43

06.01.29,
Boston City Hall | BOSTON – 2:55 PM.

Je suis enfermé dans les toilettes. Je me regarde dans l'immense miroir au-dessus de la double vasque et je suffoque : j'ai l'impression d'être en train de mourir. Mes joues sont cramoisies et je repère très vite les gouttes de sueur sur mon front et mes tempes. J'ai la peau moite, qu'il s'agisse de celle de mon visage, de mon cou ou de mon corps tout entier à l'étroit dans mon costume.

Je ne sais pas si c'est l'impatience, l'angoisse ou simplement les couches de vêtements qui me donnent si chaud. J'imagine cependant qu'il s'agit un peu de tout ça à la fois. Je tente de me rafraîchir en prenant une quantité suffisante d'eau fraîche entre mes mains pour y plonger mon visage : ça fait du bien. Je me redresse finalement et me passe les mains dans les cheveux afin de les recoiffer.

Je me trouve ridicule. Même si j'ai pris un an de plus, il y a deux jours, et que j'ai grandi depuis l'époque du lycée je suis toujours le même. Je ne me sens pas à l'aise dans ce costume, aussi beau soit-il. Il est bleu marine, très foncé. La chemise blanche que je porte sous la veste me donne l'impression d'étouffer, tout comme le nœud papillon noué autour de mon cou.

- Evan, bon sang, qu'est-ce que tu fous ?

Je lance un regard à Abby dans le miroir. Je la détaille de haut en bas : elle est magnifique. La robe qu'elle porte, rose pourpre, et ses longs cheveux coiffés en un chignon parfait lui donnent l'allure d'une princesse. Elle a l'air paniquée.

- Je... j'avais besoin de respirer.

Je me ventile comme je le peux avec ma main et un morceau d'essuie-tout qui passe par là. Je me tamponne le visage avec ensuite, dans le but de sécher la sueur et l'eau que je m'y suis passé quelques instants plus tôt. Abby me prend par la taille et m'attire à elle, un sourire aux lèvres.

- Hé... tout va bien se passer. De quoi t'as peur ?

- De rien. Juste... j'attends ça depuis tellement longtemps... j'arrive pas à réaliser.

- Je suis fière de toi.

Elle tient mon visage entre ses mains désormais, et je ferme les yeux quand elle dépose un baiser sur mon front. J'inspire profondément dans l'espoir de me calmer, de faire retomber la pression. J'ai honte de moi quand je réalise que je ne pense même pas à Diego et à ce qu'il ressent, là, dans la salle des mariages : je sais que je suis en retard.

- Merci, Abby.

- Allez, viens.

Je ne suis pas prêt à y aller, mais il le faut. Je passe mon bras dans le sien et, tous les deux, nous sortons enfin des toilettes. L'adjointe au maire, qui attend impatiemment devant la porte, a l'air soulagée de nous voir arriver. Elle me lance un sourire resplendissant tandis que je marmonne quelques excuses.

- Tout va bien se passer. C'est le plus beau jour de votre vie, Evan. N'oubliez pas ça.

Ses mots ont pour but de me rassurer, mais en fait ils ont l'effet contraire. Un mal de ventre terrible semble me tordre les entrailles et j'ai la nausée. Ma nuque me pique, et j'ai l'impression d'être à deux doigts de tourner de l'œil. Je brûle.

- Viens, tout le monde t'attend.

Quand Abby pousse la porte, j'ai envie de me gifler. J'ai envie de me gifler car j'ai paniqué, que je suis en retard, et que je dois désormais passer devant tous nos proches qui sont installés dans la salle. Il n'y a pas énormément de monde cependant : mes parents, mes grands-parents, Lily et ses parents, Abby et Eddy, Molly et James, Joe, Amanda, Andrea, Abraham et sa femme et Jose. Nos deux familles sont réunies et, quand je passe près d'eux tous avec un petit sourire désolé placardé sur les lèvres, je suis heureux de constater que cela ne fait pas de clan.

Ils sont tous assis entre eux et côte à côte, comme si nous étions une seule et même famille. Les proches de Diego ne sont pas assis de son côté de la salle et les miens de l'autre côté. Non. Et, même si cela semble simple, personne ne peut imaginer à quel point ça me fait du bien. Amanda est assise à côté de papa et, quand je passe près d'eux, je suis heureux de les voir chuchoter en me regardant. Maman, elle, me bouffe des yeux. Je vois déjà les larmes au coin des siens.

- J'ai cru que tu m'avais posé un lapin...

- Désolé... pardon.

Je ricane, nerveux, lorsque j'arrive à hauteur de Diego. Il m'attend déjà debout près du bureau de l'adjointe au maire. Quand je balade mes yeux sur lui, à nouveau, j'ai l'impression d'être en train de perdre connaissance : il est si beau. Pas uniquement physiquement, vêtu de son costume gris foncé mais identique au mien et coiffé à la perfection. Il est beau, tout simplement, en tant que personne. Son regard, son sourire, la lueur dans ses yeux. Il est à tomber par terre.

- Ça va... t'inquiète pas.

Il m'attire à lui, son bras dans mon dos. Je me fiche que nos proches nous regardent, dans l'attente qu'il se passe quelque chose. Je ferme juste les yeux quand il m'embrasse sur la joue, comme si nous étions seuls au monde. Et, en fait, c'est un peu comme si ça l'était : plus rien n'existe autour de moi. Il est mon monde. Lui tout entier.

- Bonjour à tous.

Je glisse ma main dans la sienne. Je serre fort ses doigts tatoués de mes initiales au creux des miens, les yeux rivés sur Madame Mills qui nous regarde en souriant. Elle aussi est joliment vêtue, d'un tailleur dont la couleur bleue est semblable à la couleur de mon costume. Ses cheveux sont tirés en arrière, mais cela ne lui donne pas un air autoritaire.

J'ai conscience que la façon dont se déroule la cérémonie n'est pas très conventionnelle. À la base, la mariée est censée arriver au bras de son père. À la base, nous n'étions même pas censés nous être croisés dans le couloir. Sauf que nous sommes deux hommes et que, dans tous les cas, nous n'avons jamais suivi les règles. Nous sommes arrivés tous les deux, main dans la main, comme si de rien n'était. Comme si c'était un jour normal et que nous marchions simplement dans la rue. J'aime cette simplicité.

Je regarde la main de Diego, dans la mienne, tandis que Madame Mill commence à parler. Je l'entends vaguement tandis qu'elle annonce le déroulement de la cérémonie. Diego dépose un baiser sur mon crâne et m'attire à lui quand elle commence à énoncer les différents droits des époux. Elle parle de sécurité, d'assistance, de respect. Mon cœur bat vite dans ma poitrine, parce que l'instant se rapproche, mais loupe un battement quand elle aborde le sujet de la fidélité : j'ai la nausée.

Instantanément, c'est comme si Diego sentait mes peurs et mon malaise. Il me murmure un petit « ça va » contre l'oreille, à peine audible, pour me rassurer : ce qui s'est passé avec Jayden, il l'accepte et c'est du passé. Ce qui compte, c'est l'avenir. Notre avenir.

Autant dire tout de suite que nous ne donnons pas l'impression d'être intéressés par ce qu'il se dit. Ma tête sur son épaule, je me blottis contre lui en le bouffant des yeux tandis qu'il s'efforce de regarder madame Mills par politesse. Personnellement, même si je sais que je devrais, j'en suis incapable. Comme lorsque j'étais adolescent, je suis encore amoureux transi. Il accapare toute mon attention.

- Messieurs, un contrat de mariage a-t-il été fait ?

- Oui.

La voix de Diego me fait trembler et, enfin, je parviens à retrouver une certaine contenance. J'observe Madame Mills qui touche quelques papiers, éparpillés sur son bureau massif brillant. Elle sourit et se râcle la gorge.

- Bien. Nous allons passer à l'échange de vos consentements, si vous voulez bien.

Je souris, imbécile : bien sûr que je le veux. J'entends un petit couinement qui provient de l'assemblée et, quand je me retourne discrètement, je souris à Abby qui plaque une main devant sa bouche. Elle est émue alors que rien n'a encore vraiment commencé. Je pouffe de rire, mais c'est nerveux.

- Vous êtes prêts ?

Cette femme est un amour. Elle nous sourit et j'ai l'impression qu'elle est aussi excitée que nous à l'idée de nous marier. Nous lui répondons tous les deux en hochant la tête et avec un sourire. D'instinct, nous nous plaçons face à face. Diego se précipite pour prendre mes mains dans les siennes, tatouées, que j'adore. J'ai honte d'éprouver l'envie de les sentir sur moi, partout, à cet instant précis. J'inspire profondément et ferme un court moment les yeux afin de me poser.

- Monsieur Diego Luis Flores, souhaitez-vous prendre pour époux Evan Wright ici présent ?

J'ouvre les yeux, qui trouvent aussitôt les siens. Je me noie dans ses iris grises et éclatées de petits points noisette. Je craque pour ses longs cils bruns, ses cheveux parfaitement coiffés avec de la cire et ses lèvres pulpeuses. Je craque complètement sous le petit sourire en coin qui étire ses lèvres, même si j'ai l'impression qu'il ne le remarque pas lui-même.

- Oui, je le veux.

Un coup d'œil en coin à l'assemblée m'indique qu'Amanda et Andrea sont en train de pleurer comme des adolescentes. Ma future belle-mère éponge ses cernes avec un mouchoir en papier tandis qu'Andrea, bien qu'adulte désormais, laisse sa morve couler au coin de son nez : je retiens un rire.

- Monsieur Evan Wright, souhaitez-vous prendre pour époux Diego Luis Flores ici présent ?

Diego Luis Flores. Bon dieu, que j'aime cet homme. Un courant d'électricité me remonte tout le dos et me fait trembler et, au moment où je veux parler, répondre que oui je veux l'épouser, je me rends compte que je ne sais plus parler. Je ne sais plus parler parce que je le revois, il y a onze ans, sur le parking du lycée. Je ne sais plus parler parce que je me souviens de tous nos moments ; ceux dans ses bras, ceux où nous étions séparés, ceux où je ne pouvais que le regarder au parloir. Je me souviens des sourires, des mots doux, des regards et des caresses. Je me souviens aussi de ses regards noirs et de nos larmes, quand rien n'allait entre nous, mais ces souvenirs-là me semblent bien loin aujourd'hui.

- Evan ?

Sa voix me ramène à la réalité et, quand je parviens enfin à le regarder vraiment, je le vois trépigner. Il bouge nerveusement sa jambe droite, tapant du pied par terre, et l'air paniqué sur son visage me fait sourire. Je serre fort ses doigts dans les miens, louchant sur mon prénom tatoué sur ses phalanges.

- Oui, je veux t'épouser.

Mon cœur explose quand je vois une larme perler au coin de son œil, solitaire. Elle finit par couler sur sa joue jusqu'à s'écraser sur ses lèvres. J'ai l'impression que tout le monde retient son souffle, que ce soit lui, moi, Madame Mills ou même nos proches. Tout est silencieux, trop calme, comme un moment suspendu dans le temps. Je lui souris de toutes mes dents, le cœur en miettes, parce que oui c'est bien le plus beau jour de ma vie.

Je ferme les yeux quand il m'agrippe par le col de ma veste. Il est délicat mais brusque à la fois, et quand ses lèvres trouvent enfin les miennes c'est comme si tout explosait. J'entends nos familles et nos amis applaudir, Madame Mills lancer un joyeux « félicitations » et Abby crier un « ouaiiiis » surexcité. Moi, je l'embrasse. Je me fiche des autres : il est à moi.

- Je t'aime..., dis-je contre ses lèvres.

- Moi aussi... tellement, Evan.

Il plaque son front contre le mien, tout doucement, et je viens ancrer nos regards. Je le bouffe des yeux, complètement ailleurs. Malheureusement – mais c'est bien quand même – c'est Jose qui nous sort de notre contemplation lorsqu'il pose ses mains sur nos épaules.

- Hé les amoureux... oubliez-pas vos alliances.

Nous ricanons comme deux débiles avec Diego, les larmes aux yeux, car nous sommes les plus heureux. Je baisse les yeux sur Jose, qui tient nos alliances gravées à la date d'aujourd'hui dans un énorme écrin d'une boutique de luxe de Boston. Sous les regards de nos proches, je me lance en premier et me munis de son alliance. Je la passe à son doigt, non sans difficulté car mes mains tremblent.

- À moi.

Je fixe nos doigts tandis qu'il se munit de la mienne et qu'il l'approche de mon annulaire gauche. Autour de mon cou, accrochée à une chaîne, la bague de sa demande en mariage repose tout contre ma gorge.

- Voilà.

Nous enlaçons nos doigts quelques secondes, comme une promesse, avant de nous tourner vers nos proches. C'est là l'un des moments les plus gênants de ma vie : je suis mort de honte, même si je ne devrais pas. Maman pleure et papa aussi même s'il est plus discret, tout comme Amanda et Andrea. Abraham applaudit, ses yeux rivés sur Diego et un sourire fier placardé sur les lèvres. Lily me sourit, heureuse, tandis qu'Abby et Eddy roucoulent dans un coin, émus tous les deux.

Sous les consignes de Madame Mills, nos témoins s'approchent de son bureau. Même si nous devrions prendre les commandes, Diego et moi suivons en fait le mouvement. Nous nous plantons entre Abby, Molly, Andrea et Abraham, que nous avons choisis comme une évidence pour être nos témoins.

Nous signons tous l'acte de mariage en moins d'une minute il me semble. Tout se passe vite, tandis que je reste blotti dans les bras de Diego car je suis incapable de le lâcher. Son odeur m'apaise, sa chaleur me rassure : je suis au paradis.

- Félicitations, messieurs.

Quand je me penche au-dessus du bureau, afin de lire encore une fois les quelques lignes sur l'acte de mariage, j'ai le sentiment que mon cœur explose une fois de plus : Diego Wright.

X    X    X

Salle de réception de l'Hôtel Commonwealth | BOSTON – 11:22 PM.

J'en ai marre. Je me fatigue d'être aussi niais. J'ai l'impression de puer le romantisme à des kilomètres. Mais c'est plus fort que moi. Je n'arrive pas à me comporter de façon décente et, même si je me sens gêné, je suis incapable d'arrêter.

La musique est douce. J'ai mal au ventre d'avoir trop mangé mais là, dans ses bras, j'aurais presque l'impression de m'endormir. Je le tiens contre moi tandis que, comme le veut la tradition, nous ouvrons le bal. Nos corps balancent au rythme de la musique et, mon visage au creux de son cou, je respire son odeur avec avidité.

- Evan...

- Mh ?

Je n'entends que sa voix. Je sens son souffle contre ma gorge, tandis qu'il me serre fort tout contre lui. Je souris.

- J'ai jamais été aussi heureux de toute ma vie.

Je relève doucement ma tête de son épaule, afin de le regarder. Je pose ma main sur sa nuque et caresse ses cheveux du bout de mes doigts. Je lui souris, tout en tenant sa taille au creux de ma main libre. Il me sourit en retour.

- Moi aussi.

Je viens l'embrasser. Ce n'est pas langoureux, ni chaste. C'est juste doux, une toute petite pression de mes lèvres sur les siennes juste avant que je ne me recule enfin. Le slow se termine et, tandis qu'Abby et Eddy se lancent à leur tour sur la piste de danse et qu'une musique entraînante fait se lever notre petit comité d'invités.

Diego m'attire à travers les couloirs de la salle de réception. Il s'agit d'un hôtel luxueux de Boston que nos familles et amis nous ontaidés à réserver. C'est entouré d'un joli espace vert à l'extérieur et d'une grande fontaine. Malgré tout, même si les lieux sont beaux, je ne mettrais le nez dehors pour rien au monde : il neige.

- Qu'est-ce-que tu... ?

Diego me coupe la parole en m'embrassant. Dès l'instant où il referme la porte des toilettes derrière nous et qu'il en tourne le verrou, je sais que ça va déraper. Je le sais parce qu'il me porte pour m'asseoir sur le marbre entre les doubles vasques et que, d'un geste fougueux, il dégrafe mon pantalon. En quelques secondes seulement mon boxer et mon pantalon tombent au sol, non sans avoir été bloqués par mes chaussures, et me retrouve assis les fesses à l'air sur le marbre. Diego, lui, abaisse son pantalon et son boxer jusqu'à mi-cuisse. Je me mords la lèvre.

- Oh, je vois, dis-je taquin.

- J'peux plus attendre... j'en peux plus.

Je me mords la lèvre plus fort, presque jusqu'au sang. Les yeux voilés de désir, je le fixe tandis que je sens sa virilité déjà bien dure qui glisse contre la mienne. J'aime quand il est comme ça. Je l'aime sauvage comme il l'est à cet instant précis.

- Oh... bordel.

Je couine comme un idiot, tout en me mordant la lèvre encore et encore. Quand il me pénètre, visiblement impatient et tremblant de la tête aux pieds, je perds la tête : j'en ai le souffle coupé. Bon sang, c'est délicieux.

- J'ai attendu ça toute la journée... dios.

Je lui souris de toutes mes dents quand je vois le désir dans ses yeux. Il me rend mon sourire et, à cet instant précis, je jure n'avoir jamais rien du d'aussi beau. Je n'ai jamais rien vécu d'aussi beau. Nous sommes mariés, jeunes, amoureux et fougueux. Nous baisons dans les toilettes alors que les invités de notre mariage se déhanchent sur la piste de danse. Nous ne respectons rien, et j'aime ça : ça a toujours été comme ça, lui et moi.

- Diego Wright... que je t'aime.

Là, alors que son érection caresse sensuellement ma prostate, mon cerveau déconnecte et la seule pensée qui me traverse l'esprit est celle-ci : il porte mon nom. Nous en avons beaucoup discuté, à maintes reprises, même si sa décision a été sans appel dès la première conversation sérieuse : il ne veut plus du nom de Flores. Il a trop honte de son passé, de son père et de son frère. Changer de nom, prendre le mien, est une façon pour lui de repartir enfin de zéro. Je me souviens avoir pleuré lorsqu'il me l'a avoué : j'étais aux anges. Et je le suis toujours.

- Je t'aime aussi, Evan. Plus que tout.

Et, là, nous rions. Nous rions aux éclats, même si le moment ne semble pas approprié, parce que nous sommes heureux. C'est le plus beau jour de notre vie, car nous nous sommes dit « oui », enfin, pour la vie.

J'attendais ça depuis tellement longtemps que j'ai le sentiment de nager en plein rêve.

Notre rêve. 

.   .   . #gbsBigBangFIC 

PS : c'était le dernier chapitre. L'épilogue se trouve à la page suivante.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top