CHAPITRE 42
04.08.28,
N°1092 | CAMBRIDGE – 7:01 PM.
Nous nous regardons, silencieux, le sourire aux lèvres. Nos corps sont en sueur et nos muscles douloureux, mais je sens l'euphorie et la joie affluer dans mes veines. Je sais qu'il en est de même pour Diego, Jose, ainsi que mes parents. Il ne manque d'Abby. Et bien sûr aussi les proches de Diego. Malgré tout, je sais qu'il est heureux comme ça.
- Eh bien, c'est plutôt pas mal ! , s'exclame fièrement papa.
Les meubles sont installés dans notre nouveau chez-nous. Il ne restera que les bibelots à disposer, ainsi que les cadres photos et quelques éléments de décoration à rajouter. Je suis satisfait, là, alors que Diego me serre contre lui avec son bras droit tandis qu'il étreint Jose avec son bras gauche. Nous regardons le soleil qui commence à baisser dans le ciel, à travers l'immense baie vitrée de la pièce à vivre. La vue n'est pas dégagée et donne sur des arbres, mais c'est agréable : l'air est frais et j'apprécie le chant des oiseaux.
- Vous allez être bien, ici ! , rajoute maman en souriant.
Dans la petite cour-jardin qui donne sur la pièce principale, je regarde la moto de Diego stationnée près d'une cabane de rangement en taule. Elle brille, et je ne peux m'empêcher d'éprouver l'envie d'aller faire un tour : juste lui et moi, lancés à fond sur la route, l'un contre l'autre. Même si aujourd'hui nous adultes et qu'il y a Jose, j'ai besoin de ces moments à deux.
- Vous restez dîner ? , leur dit Diego. Nous comptions commander japonais.
- Oui, avec plaisir Diego.
Maman lui répond poliment, le sourire aux lèvres. Elle passe sa main fine sur son biceps musclé pour lui montrer qu'elle l'apprécie et qu'elle est fière de nous aujourd'hui. Je le vois se crisper, mal à l'aise, mais je caresse son dos avec ma main afin de le rassurer : il peut être heureux. Il peut accepter tout ce bonheur là car il le mérite.
- Je vais mettre la table !
Bien qu'exténué d'avoir porté trop de cartons et d'avoir couru à droite à gauche, Jose s'empresse de rejoindre notre nouvelle cuisine. Il fouille à l'intérieur des placards et en sort cinq couverts qu'il dispose sur l'immense table qui trône au milieu de la pièce à vivre.
Moi, je viens me blottir contre Diego. J'enroule mes bras autour de sa taille et pose ma tête sur son cœur, yeux fermés, appréciant simplement sa chaleur. J'ignore maman et papa, qui pourraient nous fixer même si je sais qu'ils sont en train de détailler tous les murs de la maison. Je me fiche de la présence des autres personnes dans la pièce car j'en ai besoin. J'ai besoin de le serrer dans mes bras, qu'il me serre aussi et qu'il me berce tout doucement comme il le fait là. Mon cœur explose quand il dépose un petit baiser sur le haut de mon crâne et que, tout bas, il murmure :
- On est chez nous.
Oui, nous le sommes. Et c'est magique. Je recule mon visage afin de lever les yeux pour le regarder. Ses iris grises sont magnifiques et son regard est intense : je m'y perds. Je me perds dans ses yeux dans lesquels j'ai l'impression de me noyer. Il me sourit, et c'est là l'un des plus beaux moments de ma vie. Simple, oui, mais beau. Je remonte mes mains de son dos à ses épaules, que je presse tendrement entre mes doigts.
- On a la vie devant nous, maintenant. Mh ? , dis-je.
- Oui.
La bonne humeur de Jose, bruyant au beau milieu du salon, nous ramène à la réalité. Nous nous séparons en souriant et, finalement, c'est Diego qui se munis de son téléphone pour commander le repas après avoir fait un tour de table. En attendant la livraison, nous nous installons à la petite table de jardin tandis qu'il se ramène, beau et musclé, avec quatre bières et une canette de soda pour Jose. Ce dernier arrive lui avec un paquet de chips au fromage.
- Evan. Oh, mon, dieu.
Je me tourne brusquement vers maman, qui manque de s'étouffer avec sa gorgée de bière. Je la regarde, ses pommettes rougies et ses cheveux roux en pétard sur sa tête parce qu'elle aussi a couru dans tous les sens. Je suis son regard, un sourire stupide aux lèvres à cause de l'air ahuri sur son visage. Je sens mon cœur s'emballer quand je vois qu'elle fixe ma main : il était temps qu'elle le remarque.
- Qu'est-ce-qu'il se passe, chérie ?
Papa a toujours été plus dans la lune. Malgré son côté flic, je dois avouer que dans le privé il n'a pas tout le temps le sens du détail. Le fait que la bague à mon annulaire n'ait pas attiré son attention de la journée me conforte un peu plus dans le fait qu'il est trop vieux pour bosser sur le terrain. Je préfère le savoir dans les bureaux. Sain et sauf.
- Vous deux... alors, ça y est ?
Diego la regarde, sa bouteille de bière contre les lèvres. Il ne sait pas quoi dire, mais je vois qu'il rougit et que ses yeux brillent. Il baisse lui aussi un regard furtif sur ma main et, moi, je baisse mes yeux sur la sienne posée sur ma cuisse : je lui ai aussi acheté une bague. En attendant les alliances, j'ai voulu que lui aussi porte quelque chose à sa main.
- Oui, on va se marier.
J'enlace mes doigts avec les siens et les lève vers le ciel. Papa et maman nous regarde et Jose, déjà au courant, se contente de fixer les oiseaux dans les arbres.
- Mes chéris je suis si fière.
Maman se lève nous nous enlacer tous les deux en même temps, et le fait qu'elle dise « mes chéris » au lieu de « mon chéri » me réchauffe le cœur à un point inimaginable. Elle considère Diego comme un membre de la famille, voire plus qu'avant désormais, et je me sens tout léger. Malgré ses erreurs, malgré la prison, elle l'accepte tel qu'il est. C'est toujours rassurant pour moi de voir que mes parents sont heureux pour nous, malgré leurs réticences au début de notre relation.
- Heu... m-merci.
Diego lui sourit, ému. Je sais à quoi il pense, là : à sa mère. Je sais à quel point il aurait aimé qu'elle soit là aujourd'hui, avec Andrea, mais la Floride c'est loin. Même si leurs revenus sont plus stables que ce qu'ils étaient à Brooklyn, les billets d'avion sont malheureusement toujours aussi chers. Je m'efforce de le rassurer, chaque jour, en lui disant qu'elles seront présentes pour notre mariage et qu'elles pourront rester ici autant de temps qu'elles le souhaitent. Je lui prends la main.
Cependant, je ne m'attendais pas à le voir se mettre à pleurer. Il se cache tant bien que mal derrière sa bouteille de bière mais je le vois. Mal à l'aise, parce que mes parents et Jose sont là, je me tourne vers lui et caresse tout doucement sa cuisse.
- Hé... tout va bien ? , dis-je en caressant ses cheveux.
- Oui... tout va très bien.
Il me sourit, tellement sincèrement et tellement fort que je vois toutes ses dents. Je comprends alors qu'il ne s'agit que de larmes de bonheur, de soulagement, et même si la présence de mes parents me gêne je fais comme s'ils n'étaient pas là : je l'embrasse. C'est un petit baiser, très léger, que je dépose sur ses lèvres mais je sais qu'il lui fait du bien tout comme il m'en fait à moi.
Quand je me recule, je vois Jose qui s'empiffre de chips en pianotant sur son vieux portable. Mes parents nous fixent, l'air mal à l'aise mais aussi terriblement heureux, voire complètement gagas. Diego, lui, cache sa tête au creux de mon cou comme un enfant. Je ris.
- Vous savez ce qu'il a voulu qu'on fasse, cet idiot ? , dis-je pour détendre l'atmosphère.
- Non ? , questionne maman.
- Il a voulu qu'on aille se marier à Vegas ! Genre, à Vegas !
- Quoi ? , gronde papa. Non mais...
- J'ai mis trois jours à le convaincre que c'était ridicule et que...
- Arrête..., marmonne Diego. Je voulais que tu sois à moi le plus vite possible. C'est bon.
Papa et maman nous regardent, attendris, tandis qu'il cache toujours son visage au creux de mon cou. Je crois qu'il voulait le dire tout bas, rien que pour moi, mais sa voix grave et puissante fait qu'eux aussi ils ont entendu. Le rouge me monte aux joues et, à l'instant où je m'apprête à bégayer quelque chose pour changer de sujet, la sonnette de notre nouvelle maison retentit. Diego profite de l'occasion pour se faire la belle, tandis que Jose court le rejoindre.
- Alors ? C'est prévu pour quand ? , s'intéresse maman.
- Le plus tôt possible, on espère.
Quand les deux hommes de ma vie – le troisième c'est papa – reviennent vers nous les bras chargés de plats japonais, je sais que nous allons passer une bonne soirée : parce que Diego sourit, que ses yeux brillent de bonheur, et que mes parents sont fiers de nous comme pas possible. L'ambiance dans notre nouvelle maison est légère, très loin de celle pesante que nous avons pu connaître dans notre vieil appartement, et je revis.
Je revis car j'ai à nouveau l'impression de respirer et d'être moi. Je revis parce que tout un tas de plans d'avenir me passent par la tête, que je me surprends à rêver de plein de choses pour nous. Et ça ne m'était pas arrivé depuis longtemps. Enfin, j'arrive à me projeter.
Ça fait du bien de ne plus vivre au jour le jour.
X X X
Mon téléphone vibre dans ma poche à l'instant où je referme la porte de la nouvelle chambre de Jose. Exténué, je suis venu l'embrasser sur le front avant qu'il ne s'endorme dans ses draps propres. Comme d'habitude, je l'ai regardé dormir un petit moment en me répétant à quel point il a bouleversé notre vie et à quel point je lui suis reconnaissant de tout.
Là, planté au beau milieu du couloir un peu vide de notre cocon, je décroche le téléphone bien qu'il s'agisse d'un numéro inconnu.
- Allo ?
- Salut, Evan.
J'entends un vacarme étrange à l'autre bout du fil et je reconnais en premier lieu le bruit typique des annonces qu'on entend dans les gares, avant de reconnaitre la voix de Jayden. Mon cœur loupe un battement, malgré moi : il est sorti. Il va bien.
- Salut. Comment tu vas ?
- Bien, merci. Tu... dis-moi, tu es occupé, là ?
Je réfléchis à tout, à cet instant précis. Je pense à Jose qui dort, à Diego et à mes parents sur la terrasse. Je les entends au loin, alors qu'il fait nuit noire, regarder les étoiles alors que Diego leur explique tout un tas de choses sur le cosmos et les galaxies que je connais déjà par cœur, grâce à lui. Je pense à Jayden qui, de toute évidence, se trouve dans une gare. Alors, finalement, je réponds :
- Non. Pourquoi ?
- Je suis à Boston, à South Station. Tu peux venir, s'il-te-plaît ? Ça me ferait plaisir.
- Oui mais je... bref, OK. J'arrive.
Je n'y comprends rien. Je ne comprends pas pourquoi il est là, à la gare de Boston, et pourquoi je n'étais pas au courant. Je ne comprends pas pourquoi il ne m'a pas appelé, comme c'était prévu, en sortant de cure.
- Diego, tu peux venir deux secondes ?
Je lui fais signe de me rejoindre dans la pièce à vivre. Il s'excuse auprès de mes parents et me rejoint. Mon corps se recouvre de chair de poule et un frisson me remonte du dos à la nuque quand il vient me prendre par la taille. Je fais tourner les clés de ma voiture entre mes doigts.
- Où tu vas ? , me demande-t-il.
- Jayden vient de m'appeler. Il est à la gare.
- Oh.
- Je t'aurais emmené avec moi s'il n'y avait pas eu mes parents, là.
- Je sais.
Je vois très bien que ça l'ennuie, et c'est normal. Cependant, je me hisse sur la pointe des pieds afin de l'embrasser. Le baiser s'éternise un peu, mes mains dans ses cheveux et les siennes dérivant dangereusement sur le haut de mes fesses. Nos lèvres claquent tendrement quand je me recule, et son souffle chaud sur mon visage m'embrase.
- Je t'aime..., dis-je. Je reviens vite.
Je l'embrasse sur le nez avant de me libérer de ses bras et m'en vais rapidement. Je démarre la voiture et prends le chemin de South Station, un album de RAP US que Diego adore à fond dans les enceintes même si je ne sais pas de qui il s'agit. J'apprécie l'instrumentalisation, les basses puissantes et planantes des morceaux.
Je me gare sur le parking express une dizaine de minutes plus tard. Je trottine jusqu'à l'entrée principale de la gare et, une fois à l'intérieur, je le cherche des yeux. Je le repère à quelques mètres de là, assis sur ces sièges en acier brillant. Ses écouteurs sont fixés dans ses oreilles et, autour de lui, je remarque deux grosses valises ainsi qu'un énorme sac à dos. Je tique : il n'avait pas tout ça quand nous sommes partis en Californie.
- Hey.
Il lève ses yeux vers moi un instant, la bouche entrouverte. Il lui faut un petit moment pour sortir de ses pensées et finalement retirer ses écouteurs. Moi, pendant ce temps-là, je le regarde : il est beau. Il est bien coiffé, il est propre, ses habits sont neufs et il sent bon. Ses yeux ne sont plus voilés par l'alcool et la drogue et sa peau semble avoir retrouvé des couleurs et la santé.
- Salut.
Il se lève devant moi et amorce un mouvement vers moi. Je ne fais rien, capable de le serrer dans mes bras si c'est ce dont il a besoin. Sauf qu'il ne le fait pas, gêné, même si je vois qu'il en a envie. À la place, il craque nerveusement ses doigts sur ses cuisses et je le vois fuir mon regard.
- Merci d'être venu. Ça compte pour moi.
- De rien. Mais... pourquoi tu m'as pas appelé, quand t'es sorti ? Je t'avais dit que je viendrais te chercher.
Je pose une main sur son épaule, pour l'empêcher de bouger. Son corps tangue nerveusement de droite à gauche, sautant d'un pied sur l'autre. La douceur de son t-shirt sous mes doigts me fait sourire : il prend soin de lui, là.
- Je... je voulais pas te déranger. Et puis... j'avais besoin de faire le point, de réfléchir. J'ai eu le temps, du coup, dans l'avion.
Il me sourit. J'ai l'impression d'être face à une adolescente complètement décontenancée devant son amoureux secret. Ça me touche mais ça me met aussi mal à l'aise : de toute évidence, je compte toujours autant pour lui.
- OK, je vois. Bon... on fait quoi ? , dis-je en souriant.
- Heu... bah... j'ai mon train dans quinze minutes, alors...
- Quoi ?
Je fronce les sourcils. Je baisse les yeux sur ses valises et son gros sac à dos. Quand je viens le regarder à nouveau, mes yeux bien ancrés dans les siens si bleus, je vois une magnifique lueur passer dans ses iris : la détermination. Comme s'il était libre, désormais, et heureux de pouvoir prendre ses propres décisions. Je déglutis quand il me dit :
- Je suis rentré il y a deux jours. Là je... je pars Evan. Je reste pas à Boston.
- Tu... tu vas où ?
Je ne vais pas dire que j'ai peur, parce que c'est faux. Je vais plutôt dire que j'ai de la peine. Jayden compte pour moi. Je m'étais imaginé passer un petit peu de temps avec lui après sa sortie de cure. Aller boire un café en ville après le boulot, lui envoyer quelques messages pour prendre de ses nouvelles, répondre présent si besoin de sa part. Mais là il va partir, et je sais qu'il va me manquer. C'est mon ami.
- À New-York. Certainement dans le Queens.
Il me sourit. Je hoche simplement la tête. Je ne sais pas quoi lui dire. Si c'est son choix, s'il pense que c'est le mieux pour lui, alors je suis heureux. Je sais à quel point il a souffert ici, à cause de moi, de ses amis, de son père. J'imagine qu'une nouvelle vie loin d'ici lui fera le plus grand bien. J'ai envie de le bombarder de questions, à lui demander comment il va se débrouiller et s'il sait où aller les premiers temps, mais je n'en fais rien. À la place, je lâche :
- D'accord.
- Si je t'ai pas dit que j'étais rentré... c'est parce que j'ai appris pour toi et Diego, et Jose. Je... j'avais plus mon téléphone et je savais pas où t'habitais alors je suis allé à l'hôpital. Je suis tombé sur ton amie, Molly... elle m'a tout dit.
- Jayden...
- Je suis heureux pour toi et Diego. Vraiment. Je voulais pas réapparaître dans ta vie. Mais... j'ai pas pu résister. Je voulais te dire au revoir.
Je vois ses yeux s'embuer de larmes, très légèrement cependant. Je lui souris tristement, désolé, juste avant de l'attirer dans mes bras. Je sens son menton pointu sur mon épaule et la douceur de ses cheveux contre ma joue. Je sens son odeur, la chaleur de son corps et ses muscles tendus. Je caresse simplement son dos pour le rassurer et lui dis :
- Tu as bien fait... je suis content de voir.
- Tu vas te marier, alors ?
- Oui.
Je le sens se crisper encore plus. Je crois qu'il renifle, parce qu'il pleure, et qu'il essaie d'être discret même si c'est un réel échec. Je l'entends pleurer et même s'il murmure un petit « félicitations » à mon oreille, j'entends que ça sonne faux. Il n'en pense pas un mot, parce qu'il me veut lui aussi. Mais c'est impossible.
L'annonce d'un train pour New-York se fait entendre dans les hauts parleurs de la gare et Jayden me lâche finalement. Il essuie une larme avec le dos de sa main juste avant de me dire, yeux rivés sur ses pieds :
- Je te l'ai déjà dit mais... je t'en veux pas. En fait, même, je te remercie. Tu m'as sauvé, Evan. T'as été le seul à essayer.
Je lui souris. En temps normal j'aurais posé ma main sur sa joue ou sur son bras pour le rassurer, mais je ne le fais pas car je sais que ce serait déplacé. À la place je lui souris et lui murmure un petit « de rien » avant qu'il ne se saisisse de ses valises. Son gros sac à dos rempli à block sur son dos lui donne l'impression d'être l'un des candidats de Pékin Express que l'on voit en France ou bien encore en Allemagne.
- Merci d'être venu.
Il me sourit avant de tourner les talons, me laissant planté là comme un imbécile. Je ne sais pas quoi lui dire, en fait. J'ai envie qu'il sache qu'il compte à mes yeux mais je n'ai pas envie d'en faire trop. Alors, maladroit, je bégaie en le rattrapant sur le quai :
- Hé. Je... tu as mon numéro. Peu importes ce que tu penses, je vois aucun inconvénient à ce que tu fasses partie de ma vie, d'accord ? Alors si tu veux m'appeler, ou si tu passes dans le coin un de ces jours... je serai là.
Cette fois-ci c'est lui qui murmure. Un simple petit « d'accord » tendre et ému qu'il lâche juste avant de monter dans le train. Je le vois amorcer un mouvement, certainement dans le but de m'embrasser sur la joue, juste avant de se raviser à nouveau. Je lui fais un signe de main, me sentant complètement ridicule je dois l'avouer, avant que les portes ne se referment sur lui et que le train ne quitte la gare.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, je ne fais pas comme dans les films romantiques. C'est-à-dire que je ne reste pas planté-là à regarder le train s'éloigner en me disant à quel point tout ceci de me fait mal. Car ce n'est pas le cas. Je n'ai pas mal, loin de là, même si mon cœur se serre un peu à l'idée qu'il s'en aille. En réalité, je suis heureux pour lui : j'ai vu de mes propres yeux qu'il va mieux et il prend son envol, ce soir. C'est tout ce qui m'importe : qu'il aille bien et qu'il vive sa vie comme il l'entend, sans être parasité par l'alcool et la drogue. J'ai confiance en l'avenir.
Quand je grimpe dans ma voiture et que je redémarre le moteur pour rentrer à la maison, je me sens tout drôle. Léger mais lourd en même temps, heureux mais malheureux. Cet instant sur le quai était étrange et me laisse un goût doux-amer dans la bouche.
Cependant, la musique qui passe dans le poste me ramène vite à la réalité quand une chair de poule recouvre mes bras : nous avons baisé sur cette musique. Dans ma voiture, là, sur le siège passager. Je me souviens du bruit des basses qui me tapaient dans le crâne tandis que je le chevauchais. Je me souviens de son corps tatoué et en sueur contre le mien, de ses mots espagnols murmurés à mon oreille et de son regard perdu dans le plaisir.
J'ai honte d'arriver devant chez nous avec une érection naissante dans le pantalon, la nuque brûlante et les battements de mon cœur endiablés. Quand j'entre dans notre nouvelle maison, je constate rapidement que maman est partie se coucher dans notre minuscule chambre d'amis et que Diego, sur la terrasse, discute avec papa. Ils sirotent tous les deux un whisky local. Je m'efforce d'être discret.
- Merci, Steve.
- De ?
- De m'avoir accepté pour Evan. Malgré tout ce qui s'est passé... et qui je suis. Et, surtout, merci de m'avoir autorisé à lui demander sa main. Je... je sais pas ce que je ferais sans lui, vraiment.
- Je sais.
Leurs chaises installées côte à côte, bien qu'ils soient dos à moi, je vois papa qui pose virilement sa main sur la cuisse de Diego. Une traînée de panique me fait écarquiller les yeux, de peur que mon futur mari se braque, mais ce n'est pas le cas. À la place, il tourne la tête pour regarder papa et lui dit :
- J'aurais aimé avoir un père comme vous.
Je le connais par cœur. Je sais que, là, il est brisé. Il a mal. Mais il est aussi terriblement reconnaissant et très fier de ce que nous tous sommes en train de vivre et de partager aujourd'hui. Je regarde papa, dans l'attente d'une réponse. J'ai envie de lui hurler de dire quelque chose, n'importe quoi, mais à la place il se contente de lui sourire et de tapoter plus fort sa cuisse. Je vois au dos de Diego qu'il angoisse, certainement perturbé à l'idée d'avoir pu dire une bêtise, alors j'interviens.
Je marche discrètement en leur direction. Une fois à leur hauteur, je me baisse et passe ma tête entre eux. J'enlace chacun d'eux avec mes bras et dis tout bas, alors que papa marmonne d'avoir été surpris :
- Les hommes de ma vie. Je vous aime.
Je claque un baiser sur la joue de papa et un autre sur la joue de Diego. Je le sens se détendre instantanément contre moi, alors que papa sourit.
- Moi aussi je t'aime, mon grand. Cependant j'aime aussi ta mère et si je ne la rejoins pas tout de suite je pense qu'elle...
- Seigneur, n'en dis pas plus !
Nous ricanons tous les deux quand il se lève pour nous laisser seuls moi et Diego. Je viens aussitôt m'installer sur ses cuisses, comme une princesse, mes bras enroulés autour de son cou. Je le regarde.
- Alors ? , me dit-il. C'est réglé... ?
- Oui.
Je l'embrasse chastement sur les lèvres pour appuyer mes dires. Je repose ma tête sur son épaule ensuite, mon nez sous la ligne de sa mâchoire. Je remercie silencieusement papa qui éteint la lumière de la terrasse, ce qui nous baigne tous les deux dans l'obscurité de la nuit. Il est presque minuit.
- Evan ?
Je lève les yeux vers le ciel à la recherche d'étoiles. Nos doigts s'entrelacent à l'instant où il parle, tout bas. Je n'ai pas la force d'ouvrir la bouche et de faire l'effort de parler, alors je lâche un simple « mhmh » rauque et feignant.
- Merci.
Il n'en dit pas plus, mais je n'ai pas besoin d'autres mots. Au fond de moi je sais tout ce que cela signifie, et le simple fait de le savoir est amplement suffisant.
Un énorme sourire étire mes lèvres lorsqu'il m'embrasse sur le front, alors que nos yeux sont rivés sur les étoiles du ciel de Boston.
. . . #gbsBigBangFIC
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