CHAPITRE 4

30.04.28,
Massachusetts General Hospital | BOSTON – 00:19 AM.

Je dépose mon masque chirurgical dans la poubelle en sortant de la pièce. Mon dos est tendu d'être resté aussi longtemps debout et, malgré les gants et l'habitude, mes mains sont gelées à cause de la basse température du bloc opératoire.

- Tu as bien travaillé, Wright.

Je suis surpris de recevoir un compliment du docteur Manfredi. En général, il ne fait rien d'autre que nous rabaisser ou nous critiquer. Mes mains sous le robinet, tentant de réchauffer ma peau avec un peu d'eau chaude, j'esquisse un sourire : je suis fier de moi.

- Merci, docteur.

- Tu deviendras un bon chirurgien.

- Oui, grâce à vous ? , je chambre.

- Non, parce que tu as toutes les qualités.

Je suis aussi surpris de l'entendre changer de discours : il m'a toujours reproché mon grand cœur. Je m'implique un peu trop, la plupart du temps, et d'après lui c'est un défaut.

- Oh.

- Je te l'ai déjà dit : tu es très professionnel. Tu ne fais pas de caprices comme tous tes autres petits collègues, et ça me plaît.

Je ne réponds rien, car il est déjà en train de s'engouffrer dans le couloir afin de prendre une pause bien méritée. Moi, je me contente de me sécher les mains avec des morceaux de papier prévus à cet effet. Quand je sors dans le couloir à mon tour, je suis soulagé de sentir enfin un peu de chaleur autour de moi. Je prends le chemin de la cafétéria.

Dans l'ascenseur et les autres couloirs, je pense à ce que vient de me dire le docteur Manfredi : je dois avouer qu'il a raison. Je ne me suis jamais plaint, ou que très peu, depuis le début. Je ne râle pas de faire des heures supplémentaires parce que je me retrouve à m'occuper d'une urgence, comme ce soir. J'accepte sans rechigner de ne pas prendre ma pause car je dois administrer des soins à un patient. Et, aussi, je fais ce que l'on me dit : je ne râle pas lorsque l'on m'envoie à la Mine alors que j'aimerais être au bloc, ou l'inverse. Le patient passe avant tout et, pour l'instant, certains ne semblent pas l'avoir compris.

Quand j'arrive à la cafétéria, celle-ci est quasi-déserte. Je remarque le docteur Manfredi installé seul à une table, son téléphone portable à la main. Janet, comme toujours à cette heure de la nuit, est installée derrière son comptoir et feuillette quelques magazines people tout en mâchouillant des sucreries.

- Salut Janet !

- Bonsoir Evan. Qu'est-ce que je te sers ?

- Donne-moi un muffin au chocolat avec un latte macchiato, s'il-te-plaît.

Je lui souris tandis qu'elle s'affaire à préparer ma commande. Elle a l'air ravie d'avoir enfin quelque chose à faire et quelqu'un à qui parler. Le sourire qu'elle me lance quand elle dépose ma tasse et le petit gâteau sur le comptoir devant moi me fait fondre le cœur : elle est adorable.

- Alors, cette soirée ?

- J'étais au bloc. Un accident de moto. On a mis trois heures à arranger tout ça, un vrai carnage.

- Avec Manfredi ? , demande-t-elle.

- Ouais.

- Pas trop difficile ?

- Non, en fait. Je suppose qu'il était de bonne humeur ce soir. Il m'a même complimenté.

Une petite grimace surprise mais fière étire les traits de son visage et cela m'arrache un petit rire. Je me mets malheureusement à bailler et, épuisé, je lance :

- Je vais rentrer chez moi, j'étais censé terminer à onze heures. À plus Janet.

- À plus mon loup !

Je lui envoie un bisou dans les airs avant de quitter la cafétéria. Je remonte à la salle de garde en quatrième vitesse et, discrètement, je récupère mon sac afin d'aller me changer dans les vestiaires : un jogging, un hoodie et une paire de Vans. Comme à l'époque. Je n'ai pas changé de style vestimentaire en dix ans, malgré mon âge et mes études, et même si cela a le don de parfois désespérer maman cela me convient ainsi.

Quand je m'installe enfin derrière le volant de ma voiture, mon muffin déjà au fond de l'estomac et ma tasse de café à moitié vide, je sors mon téléphone de ma poche avant de démarrer. Je ne saurais décrire ce que je ressens lorsque je remarque avoir reçu un SMS de Diego, quelques heures plus tôt, alors que j'étais au bloc opératoire.

DE : DIEGO ✉
11:46 PM – T'es où ?

Je ne sais pas si je suis surpris ou agacé. En fait, c'est un mélange des deux qui me laisse un petit goût amer dans la bouche : je soupire, lassé. Rares sont ses SMS, peu importe ce qu'ils disent. Le fait qu'il me demande où je suis, alors que je devrais être rentré depuis un moment, me surprend et me fait plaisir : il s'inquiète certainement. Or, la façon dont sonnent ses mots dans ma tête me laisse perplexe : j'ai l'impression qu'il est en colère.

Sans prendre la peine de lui répondre, rancunier, je démarre le moteur et quitte le parking de l'hôpital.

X X X

Appartement 12, Etage 4 | BOSTON – 00:42 AM

J'apprécie la température ambiante de l'appartement. Quand je claque la porte, un petit frisson de bien être me chatouille la nuque. Il fait nuit noire dehors à cette heure-ci et la petite brise glaciale commençait à me brûler les joues et les mains. Ici, même s'il fait comme toujours trop chaud, je dois avouer que c'est agréable.

Je dépose ma veste sur une patère en bois et retire mes chaussures dans l'entrée. La pièce est calme et seul le petit luminaire au-dessus du canapé est allumé. Quand j'entre dans le salon, je me retrouve en face de Diego. Il est assis sur le sofa, les coudes plantés sur ses genoux. Ses doigts sont entremêlés les uns aux autres et son menton y est posé. Son regard sévère me donne la chair de poule.

- T'étais où ?

Je me tends comme un arc, agacé : j'aurais aimé un bonjour. J'aurais aimé qu'il me demande plutôt si tout va bien, au lieu de me réprimander comme si j'étais un ado n'ayant pas respecté le couvre-feu. J'ai la haine : je déteste son manque de considération.

- Au boulot ?, je marmonne.

- T'étais censé rentrer à onze heures. Il est minuit passées, là.

Il se lève pour se planter devant moi et, là, mon ventre se tord : il est beau. Il est grand, musclé et en fait j'adore son torse entièrement tatoué. Je n'ai aucune idée de la raison pour laquelle il s'est empressé de recouvrir sa peau d'encre à sa sortie de prison, j'ignore ce que représentent tous ces motifs, mais le fait est que c'est magnifique : c'est sexy. Je m'en veux de le dévorer des yeux, là, alors que je suis censé lui tenir tête.

- Oui, j'étais censé, j'avoue. Sauf que je suis interne en chirurgie, et qu'il y a parfois des urgences à gérer.

- C'est ça... , ricane-t-il.

- Tais-toi ! J'suis pas d'humeur à supporter tes caprices, là. J'ai passé trois heures au bloc à opérer quelqu'un, je suis épuisé et j'ai mal au dos. Si mes explications ne te conviennent pas, c'est pas mon problème.

Sans un mot de plus, je le bouscule afin de prendre la direction de la chambre. À l'intérieur, je m'empresse de retirer mon hoodie afin d'enfiler le t-shirt oversize que je porte toujours pour dormir. J'ai envie de prendre une douche chaude, mais je n'en ai même pas le courage : j'ai trop besoin de m'allonger, au chaud sous la couette, et de me reposer.

- Evan, j'suis désolé.

Je me tourne pour lui faire face. Il a refermé la porte de la chambre derrière lui et je me sens idiot, là, sous ses yeux abattus. Je n'ai pas besoin de plus de deux secondes pour comprendre ce qu'il ne va pas.

- J'ai cru que..., commence-t-il.

- Je sais ce que tu as cru, et la réponse est non. Jamais.

Jamais je ne m'en irai comme un voleur. Je suis incapable de lui faire ça, même s'il me mène la vie dure depuis des mois. Je ne le laisserai jamais tomber sans le prévenir. Je suis un homme désormais et je sais que, si un jour cela doit arriver, je devrai le lui dire en face.

- Excuse-moi, dit-il.

- Tu veux vraiment que je t'excuse ?, je tente.

- Oui.

Il me regarde, visiblement perturbé et mal à l'aise. Je fais un pas vers lui, tout doucement. Même si je ne le touche pas, même si je reste un peu distant, je sens la chaleur de son corps près du mien. Je sens aussi son odeur, douce et virile, dans mes narines. On se regarde, yeux dans les yeux, et j'ai l'impression de retomber dix ans auparavant : on se bouffe des yeux.

Je suis surpris qu'il ne me repousse pas quand je pose ma main sur sa joue. Sa peau est rugueuse sous mes doigts, signe d'une petite barbe naissante de la veille, et ça me plait. Je frôle ses tempes du bout des doigts, son nez du bout du pouce. Mon cœur explose quand il vient blottir sa joue un peu plus au creux de ma paume, comme s'il avait besoin de sentir ma peau sur la sienne.

- Laisse-moi t'embrasser... s'il-te-plaît.

Je le supplie tout bas : j'en ai besoin. J'ai besoin de l'embrasser, de sentir que j'ai encore une raison de croire en nous. J'ai besoin de ça comme j'ai besoin de respirer : j'ai la sensation d'étouffer depuis des mois.

Je louche sur sa bouche quand il hoche la tête, à peine, pour m'y autoriser. Je sais qu'il n'apprécie plus trop le contact et la proximité, alors je n'approche que mon visage. C'est comme avant : je sens d'abord son nez effleurer le mien, puis nos cils se frôlent et, enfin, nos lèvres se trouvent.

C'est comme un premier baiser. J'ai tellement attendu que cela arrive que j'ai l'impression de tout redécouvrir à nouveau : sa douceur, la chaleur et la tendreté de ses lèvres, son haleine. Tout a l'air si différent mais si semblable à autrefois que ça me retourne le cœur.

Le baiser est timide dans un premier temps : nos lèvres se cherchent, timides, comme lors de la première fois. Je me souviens encore de ce jour où, contre sa moto, il m'avait embrassé devant chez moi à une heure tardive de la nuit. C'est exactement la même chose, là : l'envie, le désir et la douceur. La seule différence est le toucher : ses bras sont le long de son corps, et j'aimerais sentir ses mains sur moi.

Ma main gauche rejoint la droite sur son autre joue et là, son visage en coupe entre mes mains, j'approfondis le baiser. Tout est silencieux dans la pièce et j'entends à peine ce petit claquement adorable qu'émettent nos lèvres lorsqu'elles s'éloignent un peu. Timidement, angoissé à l'idée qu'il puisse me repousser à tout moment, je caresse ses lèvres avec le bout de ma langue. C'est l'explosion de saveurs lorsqu'il me laisse l'accès à sa bouche, et que sa langue vient trouver la mienne.

Il est toujours aussi grand et je me sens toujours aussi petit face à lui, ça n'a pas changé. Mais étrangement, malgré la difficulté de notre relation depuis qu'il est de retour, je me sens à nouveau en sécurité là, à l'embrasser. C'est comme avant pour moi et je réalise alors à quel point je suis atteint : je l'aime toujours. Je n'ai pas cessé de l'aimer une seule seconde. C'est comme si le temps s'était figé, quelques années, et que l'on reprenait notre amour là où tout s'est arrêté, ce jour-là au tribunal. C'est comme si les dix dernières années n'avaient pas existé : c'est lui.

- Tu es l'amour de ma vie.

Je murmure ça contre sa bouche, tout bas, comme un secret. Quand j'entrouvre les yeux, mes doigts posés sur sa nuque, je remarque que les siens sont fermés très fort : il a l'air de souffrir, ou d'avoir mal. Et j'explose quand il agrippe ma taille de ses grandes mains fortes et que, en deux secondes, je me retrouve bloqué entre son corps et les draps.

- Evan...

Il couine tout bas, contre mes lèvres. Je m'apprête à parler, à dire n'importe quoi, mais je me ravise lorsqu'il récupère mes poignets afin de les bloquer au-dessus de ma tête. Avide, je me cambre contre lui : j'ai besoin de lui. J'ai besoin de le sentir, qu'il me touche et qu'il m'embrasse.

- Je t'aime, Diego. Je t'aime tellement.

- Evan...

Je viens lui voler un baiser, puis un second, avant qu'il ne daigne reprendre ma bouche de lui-même. Ses lèvres s'écrasent sur les miennes et je réalise que je me trémousse comme un idiot sous son corps, raide dingue du simple fait de sentir son corps contre le mien. Il ne m'avait plus touché depuis tellement longtemps que mon corps réagit au quart de tour.

- ... j'peux pas.

- Quoi ?

- Je peux pas... excuse-moi.

Il me lâche aussi brusquement qu'il s'est rapproché de moi, et je me sens idiot quand je me retrouve allongé sur le lit, une érection entre les jambes, tandis que sa foutue carapace est à nouveau en train de l'enfermer : il n'est pas rouge comme moi, il n'est pas à bout de souffle ou je ne sais quoi d'autre. Il ne bande même pas. Malgré tout, je vois une certaine détresse dans ses yeux malgré sa mâchoire serrée par la colère : j'ai mal au cœur.

- Tu... tu m'aimes plus, c'est ça ? T'as plus envie de moi.

- Non, Evan... je... c'est pas ça.

- Alors explique-moi.

Je le regarde. En fait, je le supplie de parler en le fixant des yeux. Il est là, tellement fort mais tellement faible à la fois que c'en est déstabilisant. Je ne sais pas quoi dire et, en fait, je n'arrive même plus à me mettre en colère.

- Je... je vais dormir sur le canapé. Bonne nuit.

Il referme brusquement la porte de la chambre derrière lui et je me retrouve seul avec le silence pour seule compagnie. Sous la porte, je vois qu'il éteint la lumière du salon et je fais de même avec la lampe de notre chambre.

J'ai besoin de réponses à mes questions, bien sûr, mais je le connais : insister ne servira à rien. Alors, comme toujours, je capitule : je le laisse s'éloigner, se refermer, et j'encaisse. En silence, désormais allongé sous la couette, j'encaisse ce qui vient de se passer.

C'est un peu comme à l'époque : il m'attire à lui et me fait espérer, me fait tomber dingue de lui, pour me jeter ensuite. Au final, en y réfléchissant, lui et moi ça a toujours fonctionné comme ça. Sauf qu'au début c'était vivable, parce que nous étions jeunes. Mais désormais j'ai besoin de plus. J'ai tellement rêvé de plus que c'est devenu un besoin aussi impérieux que celui de respirer. Je ne peux plus me contenter d'attendre après lui, mais je sais aussi que je n'ai pas la force de lui poser un ultimatum.

Je finis par m'endormir dans nos draps, entouré par son odeur, après avoir glissé ma main droite dans mon boxer afin de me soulager : le seul souvenir de ses mains agrippées à ma taille et de ses lèvres contre les miennes a suffi à me faire jouir. 

.   .   . #gbsBigBangFIC 

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