CHAPITRE 38.
19.06.28,
Appartement 12, Etage 4 | BOSTON – 3:01 AM.
Il y a eu des moments dans ma vie où je n'ai pas eu les mots. Des moments comme celui où j'ai appris pour la leucémie d'Abby ou celui où le juge a prononcé la peine de Diego. Il y a eu des moments où j'ai eu le sentiment que le ciel me tombait sur la tête, m'écrasant de tout son poids au point que je ne puisse plus respirer. Il y a eu des moments où j'ai presque senti mon cœur s'arrêter de battre et se briser dans ma poitrine.
C'est ce que l'on appelle je crois la sidération, ce moment où le choc est tellement fort que nous avons le sentiment de mourir sur le coup, incapables de réfléchir et de mettre des mots sur ce que nous ressentons. Ce fichu sentiment d'exploser, douloureux à en crever, qui nous retient en quelque sorte prisonnier.
Je me sens prisonnier, là, à cet instant précis. Prisonnier de son regard, de ses bras et de mes sentiments. Prisonnier de la façon dont il m'étreint, amoureusement, et de tout ce que je ressens. Je n'ai pas les mots pour décrire à quel point je l'aime, à quel point je me sens entier et vivant, là, avec lui. Je me sens tellement léger, comme au paradis, que je n'ai même plus la certitude d'être vivant. Tout cela est-il seulement réel ? Je me sens comme dans un rêve.
J'ai beaucoup de fois rêvé que ce moment arrivait. Depuis sa sortie de prison, malgré la douleur que me procurait son comportement froid et distant, malgré le manque, j'ai passé des nuits entières à rêver de ça : ses baisers, ses sourires, sa tendresse et sa douceur. J'ai rêvé des dizaines et des dizaines de fois de lui en moi, m'aimant comme au premier jour, comme si rien n'avait changé.
Il m'aime. J'en suis convaincu désormais et je me déçois d'en avoir douté. J'ai honte de moi d'avoir cru qu'il ne m'aimait plus, qu'il restait à mes côtés par dépit, alors qu'il me regarde à cet instant précis avec plus d'étoiles dans les yeux qu'il en avait déjà à l'époque. Je m'en veux d'être allé voir ailleurs, pensant qu'il avait lui aussi quelqu'un d'autre dans sa vie, alors qu'il ne pensait qu'à moi derrière sa carapace.
Cette carapace, j'ai le sentiment d'être en train de la traverser à chaque nouvelle caresse ou à chaque nouveau baiser. Je n'ai plus peur de le toucher et je sais qu'il n'a plus peur que je le touche. Je sens que je peux l'atteindre désormais, et je sais que la première barrière a été abaissée lorsque je suis entré en lui pour la première fois.
Je n'aurais jamais imaginé qu'il aurait été capable de me laisser l'aimer ainsi. C'était douloureux pour moi, d'être prisonnier de ses reins et de lui donner du plaisir en voyant dans ses yeux qu'il avait peur, malgré ses supplications. J'ai encore mal au ventre de toutes les émotions que cela m'a procuré, de le sentir étroit autour de moi pour la première fois.
- Je suis dingue de toi...
Sa voix, grave et suave, me fait frissonner lorsqu'il dit ça contre ma bouche. Son souffle est chaud, brûlant, et s'écrase sur mes lèvres juste avant qu'il ne vienne m'embrasser. Il prend mon visage entre ses mains moites, tandis que je glisse mes doigts dans ses cheveux. Le baiser, fiévreux, fait naître dans mon cœur et mon estomac des milliers de papillons, et j'ai à nouveau l'impression de m'envoler.
Nous sommes assis sur les draps. Je suis installé à califourchon sur ses cuisses, mes jambes enroulées autour de sa taille. Les siennes sont étendues sur le lit, emmêlées aux draps, et je sens ses coups de rein délicats en moi. Sa virilité est imposante, presque déchirante après avoir passé tant de temps à l'attendre, mais délicieuse : ça m'avait manqué.
- Je vais jouir... Diego...
Ses mains quittent mon visage pour caresser mon dos. Ses caresses sont électrisantes, lourdes et sensuelles. Il s'agrippe à mes fesses un court instant alors que j'ondule des hanches sur lui, avant de presser mes poignées d'amour entre ses doigts. Puis, encore une fois, ses mains remontent sur mon torse et finissent par se glisser dans mes cheveux : il attire mon visage au creux de son cou alors que j'encaisse ses délicieux coups de reins en silence, le souffle court et au bord de l'implosion.
J'aime son odeur. J'aime sa chaleur. J'aime son haleine. J'aime la douceur de sa peau. J'aime tout de lui. Je suis fou de la façon dont il balade ses mains sur moi. Je meurs sous ses coups de reins qui écartent mes chairs un peu plus à chaque fois. Je perds le souffle sous sa virilité qui frôlent tendrement ma prostate. Mes yeux sont fermés, et je ne trouve pas la force de les ouvrir. Je sens la sueur sur mon front, mes cheveux s'y collant, et je sens les larmes qui poussent derrière mes paupières : c'est le paradis.
- Diego...
- Vas-y... vas-y lâche-toi.
Je referme un peu plus mes jambes autour de sa taille, rapprochant nos corps un peu plus encore. Nos torses moites de sueur se rencontrent et je réalise là encore une fois que nos corps sont faits pour être ensemble tant ils s'emboîtent à la perfection. Diego et Evan. C'est lui et moi, ça l'a toujours été.
- Oh.
J'explose quand il dépose une pluie de baisers fiévreux et humides dans mon cou. Je m'agrippe à ses cheveux et balance la tête en arrière tandis que je me libère sur nos abdominaux. Je n'arrive pas à retenir mes gémissements tandis que, alors qu'un incroyable orgasme me ravage, ses coups de reins redoublent de forces pour m'achever – et pour s'achever lui aussi.
Quelques instants plus tard seulement, alors que je reprends à peine mes esprits, il jouit à son tour. Je le sens bien plus que je ne l'entends, son corps tendu et tremblant contre moi alors qu'il ne fait que soupirer d'aise en s'agrippant à mes fesses. Je sens ses muscles se bander et, sous mes lèvres, je sens son épaule se recouvrir de chair de poule. Je laisse mon corps s'affaisser contre le sien, toujours plus accro à sa chaleur.
- Mon dieu, Evan...
Je ferme les yeux lorsqu'il m'embrasse sur le front, un sourire heureux et stupide placardé sur les lèvres. Je souris à mon tour, heureux et soulagé, et nous rions tout bas et tendrement alors que nos corps commencent peu à peu à se détendre. Il m'embrasse sur le nez, et ensuite la joue, et je fais de même sur lui avant de le serrer fort dans mes bras. Il se retire de moi à cet instant précis où je me blottis contre lui.
Yeux fermés, ma tête posée sur son épaule, j'apprécie l'odeur et la chaleur de son corps tout en me concentrant sur les battements de son cœur que je sens sous mes doigts, posés sur son cou. Je m'efforce d'inspirer profondément et d'expirer, afin de retrouver une respiration normale, tandis que je le sens dans mon dos alors qu'il retire et noue le préservatif qu'il portait pour me faire l'amour.
Je suis sur mon petit nuage, réalisant encore une fois la portée de ses sentiments. De nos sentiments. Je n'aurais jamais cru qu'un amour pareil puisse être possible et, pourtant, je le vis désormais au quotidien et je n'ai encore plus vécu cette nuit. Dix ans. Dix années difficiles, douloureuses à en crever, passées éloignés l'un de l'autre. Dix ans à l'attendre, à l'aimer de toute mon âme et à penser au jour où on se retrouverait. Dix ans, et aujourd'hui il est là et c'est merveilleux.
- Je t'aime, Diego.
Je n'arrive pas à me pardonner de l'avoir trompé, même si je sais que lui m'a pardonné. Je n'arrive pas à oublier ce que j'ai fait avec Jayden. Je lui répète sans cesse que je l'aime, espérant lui prouver mon amour et à quel point je regrette. Je donnerais n'importe quoi pour pouvoir effacer ça.
En fait, je donnerais n'importe quoi pour pouvoir effacer un tas de choses. Là, alors qu'il me serre fort dans ses bras et que je me sens enfin à ma place, je repense à tous ces démons qui me hantent. À tous les regrets que j'ai eus, quand j'étais au plus bas parce qu'il me manquait, quelques années plus tôt.
Je regrette de ne pas avoir pu être là pour empêcher ça. Je le lui ai déjà dit, et je sais qu'il est contre cette idée-là, mais je m'en suis toujours voulu de ne pas avoir répondu assez vite au téléphone. Je n'arrête pas de me dire qu'à quelques minutes près, j'aurais peut-être pu l'empêcher de partir avec Skull ce soir là et se faire arrêter. Je n'ai jamais réfléchi à la configuration de cette situation-là, si j'étais arrivé à temps pour l'en empêcher, mais je suis quasiment sûr que j'aurais été capable de m'enfuir avec lui. J'aurais été capable de le traîner dans ma voiture et rouler jusqu'à l'autre bout du pays s'il avait fallu.
Je regrette aussi de l'avoir laissé tomber, quand il était en prison. Je m'en veux de m'être pointé un jour au parloir, de l'avoir vu si faible et brisé, et de ne plus avoir trouvé le courage d'y remettre les pieds. Huit ans qu'il était enfermé là-bas, huit ans qu'il se battait pour sa famille et pour moi. Je sais que j'étais sa force, qu'il faisait en sorte de tenir le coup pour moi. Je me souviens qu'il souriait toujours quand on discutait, qu'il me disait des mots doux et qu'il s'intéressait à ce que je faisais parce que cela lui donnait du courage. Et j'ai honte de ne pas avoir eu le courage de venir le voir, quand un beau jour il s'est présenté à moi complètement vide et froid, alors que lui en avait eu tellement, du courage.
Je m'en veux de ne pas avoir compris plus tôt ce qui n'allait pas à sa sortie. Je regrette de ne pas avoir été capable de voir plus loin que le bout de mon nez, plus loin que ma petite personne. Sa froideur, ses regards noirs, ses mots crus... j'ai cru que, tout ça, c'était parce qu'il ne m'aimait plus – ma pire crainte après dix ans passés séparés. Je n'ai juste pas su voir qu'en réalité, c'était lui qu'il n'aimait plus. Et je regrette.
Je regrette d'avoir été absent, stupide et aveugle. Je regrette de ne pas avoir été fort alors que lui a été si courageux. Je donnerais n'importe quoi pour pouvoir remonter le temps et faire en sorte que les choses se passent autrement. Peut-être serait-il moins brisé aujourd'hui.
- Te amo.
Je souris comme un idiot au creux de son cou lorsqu'il murmure ça au creux de mon oreille : c'est ma merveille.
X X X
Nous ne dormons pas, et le jour commence à se lever. La fenêtre est ouverte et, le drap relevé jusqu'à nos tailles, j'apprécie la petite brise qui caresse mes bras et mon dos. J'aimerais rester ainsi pour toujours.
Ses doigts papouillent mes omoplates avec douceur et légèreté, tandis que j'ai posé ma tête sur son cœur et mes doigts sur son ventre. J'ai fermé les yeux, malgré le fait que je ne parvienne pas à trouver le sommeil. Nous respirons à l'unisson, en silence et apaisés, et ça me fait du bien. À cet instant précis, silencieux et agréable, je retombe dix ans en arrière.
- J'ai peur, tu sais.
Il brise le silence d'une voix assurée mais légèrement brisée. Tout doucement, éclairé par la faible luminosité du ciel matinal, je penche la tête pour le regarder. Ses yeux sont posés sur moi et sa tête est inclinée vers la mienne. J'aime.
- De quoi ?
- De Jose. J'ai peur... j'ai peur qu'on nous l'enlève.
- Pourquoi on nous l'enlèverait ?
J'ai parfaitement conscience de la raison pour laquelle il a peur. Je ne suis pas stupide. C'est juste que je ne sais pas quoi dire de plus et que, d'une certaine façon, je veux être sûr que mes craintes sont bien les siennes.
- Aubrey m'a mis sur son testament et on a fait les papiers comme il faut, mais... c'est les services sociaux, Evan. Tu crois vraiment qu'ils vont laisser un gamin vivre avec moi ? Alors que j'ai...
Alors qu'il a fait de la prison, qu'il faisait partie d'un gang et qu'il a ôté la vie de deux hommes. Je sais ce qu'il veut dire même s'il ne trouve pas le courage de le prononcer à voix haute.
- ... je suis un criminel, Evan.
- Peut-être à l'époque, oui. Mais tu as fait de la prison, tu as payé, et aujourd'hui t'as une vie normale. Tu étudie, tu es doué, tu vas mieux et tu prends soin de Jose. Peut-être que si tu vivais comme un délinquant ça poserait un problème, mais c'est pas le cas. On a un joli appartement, on a des revenus plus que suffisants et c'est...
- Oui mais...
- Arrête. Jose tient à toi, d'accord ? Et les enfants ont leur mot à dire. Jose t'aime, et tu l'aimes aussi. S'ils ne le voient pas, alors ils sont stupides.
Il me sourit tendrement, attendri par mes mots. Moi, j'en suis encore à me demander si je dois aller à ce fichu rendez-vous ou pas. Je suis censé reprendre le boulot en début d'après-midi, prenant la relève de Molly qui a travaillé cette nuit, mais je ne suis pas certain que mon cerveau sera en mode boulot comme il sera censé l'être. Je flippe autant, voire plus que Diego.
- J'espère que tu as raison.
Il m'embrasse sur le front avant de revenir placer sa tête correctement sur son oreiller. Moi, je l'embrasse sur la mâchoire avant de revenir me blottir contre lui. J'entends les battements réguliers de son cœur sous mon oreille et je ne saurais décrire de façon correcte à quel point j'aime la texture de sa peau tatouée sous ma joue et mes doigts.
Encore une fois, nous restons longtemps allongés ainsi dans le silence. J'apprécie ses papouilles tout comme je sais qu'il apprécie les miennes sur son ventre, et c'est extrêmement agréable. Les yeux rivés sur la fenêtre, je réalise à quel point ça peut être un plaisir simple de regarder le jour se lever. Les oiseaux commencent peu à peu à se réveiller, à chanter, alors que le ciel s'illumine peu à peu d'une jolie couleur dorée.
C'est à l'instant où je commence à m'assoupir, bercé par les nuances de couleurs chaudes dans les nuages, que Diego prend la parole à nouveau :
- J'ai cru que c'était de ta faute.
J'entends au son de sa voix que ce qu'il a à me dire est important. J'ai conscience, là, qu'il va enfin me parler de certaines choses. Et, même si je ne comprends pas le sens de ses mots, je me recule et m'appuie sur mon bras afin de le regarder. J'attends, tandis qu'il inspire profondément comme pour se donner du courage.
- Quand j'ai su que je pourrais être libéré plus tôt... mon codétenu était encore là. Tu sais il disait rien, y avait pas d'embrouilles. Mon avocate m'avait dit que ma remise de peine avait été accordée mais que ça prendrait du temps et que je pourrais sortir que si je faisais pas de vagues...
Mon cœur se serre et j'ai le souffle coupé. Enfin. J'ai longtemps attendu le moment où il me parlerait enfin des atrocités qu'il avait vécues en prison. Sauf que là ça va arriver, et je ne suis plus du tout sûr d'être prêt à l'entendre. Pas après ce que nous avons fait cette nuit. Pas après la façon dont il s'est donné à moi, pour surmonter ses peurs et exorciser ses démons. Pas après la façon dont je lui ai fait l'amour au point qu'il pleure et qu'il en perde la tête. Je ne peux pas l'écouter, je n'ai pas la force suffisante pour encaisser ça, mais je le laisse parler malgré tout.
-... quelques mois après, à peu près six ou huit avant que je sorte... il a été libéré. Du coup, j'étais seul en cellule. Ça a duré quelques jours. Dans une prison tout se sait. Les détenus parlent, les matons aussi et certains d'entre eux sont même hyper corrompus, voire complices de certains gars...
Je vois une larme perler au coin de son œil et sa pomme d'Adam remonter dans sa gorge. J'entends les sanglots qui étranglent sa voix mais, à ma grande surprise, il ne pleure pas. Je pose ma main sur la sienne et en caresse le dos avec mon pouce, tendrement, tout en le regardant. Il cherche ses mots et inspire profondément avant de reprendre :
- ... je me suis retrouvé avec Joe. Un vrai taré... qui était à l'isolement depuis quelques semaines pour avoir agressé son codétenu. J'en ai pris plein la gueule, dès la première nuit. Il m'a tabassé, j'ai cru que j'allais crever...
Je me rapproche de lui sur les draps. Je baisse les yeux sur sa bouche, tenté de l'embrasser pour l'empêcher de continuer, mais je sais que je n'ai pas le droit. Il ne parle pas pour me faire plaisir, mais parce qu'il en a besoin. Je ne peux rien faire d'autre que l'écouter, lui montrer que je suis là, alors je me tais. Je le regarde et pose ma main sur sa joue, comme pour le protéger, et je l'écoute :
- ... Joe tient tout le monde par la peau des couilles, même les matons. Il aurait jamais dû se retrouver avec moi mais il a filé du fric à un maton ruiné. L'autre a pas hésité et l'a foutu dans ma cellule, parce que Jose le lui avait demandé.
- Pourquoi ? , dis-je malgré moi.
- Parce que je suis un traître. Et que Joe est aussi taré que mon père quand il s'agit des AlasNegras.
Je ferme les yeux sous la violence du choc, parce que je comprends. Il n'aurait presque pas besoin d'en dire plus : tout s'assemble dans ma tête comme les pièces d'un puzzle, et j'ai la nausée.
- Le lendemain c'était le jour des douches... j'ai fait en sorte de me dépêcher, pour me barrer parce que c'est jamais agréable ce genre de moment, du moins pour moi... sauf que Joe s'est pointé avec ses toutous du gang aussi et... je... j'ai rien du faire. J'étais seul contre quatre et, tout le temps, quand ça se produisait je faisais rien, pendant des mois juste... j'arrêtais pas de penser à ce qu'on m'avait dit... de pas faire de vagues pour sortir et je... je voulais sortir pour toi, pour être avec toi...
Je me rapproche de lui un peu plus, cueillant les larmes au coin de ses yeux du bout de mes pouces, mes mains sur ses joues. Je caresse sa peau avec tendresse et le regarde dans les yeux avec tout l'amour que je lui porte. Moi aussi j'ai les larmes qui montent.
- ... je voulais être avec toi et ça m'a fait tellement mal... je me suis senti tellement sale et vide que... je sais pas, je t'ai tenu pour responsable, parce que tu voulais que je sorte, que je voulais être avec toi... je me suis dit que si je devais encaisser sans faire de vagues c'était pour toi, à cause de toi... c'est pour ça que je me suis comporté comme un salaud avec toi, quand je suis sorti... parce que j'avais mal et que je croyais que c'était de ta faute... mais j'ai fini par comprendre que c'était pas de ta faute, ni de la mienne... mais que c'était juste eux... et je suis désolé d'avoir cru que c'était à cause de toi, je suis désolé de t'avoir tenu pour responsable de tout ça...
Je devrais avoir mal. Je devrais peut-être même lui en vouloir, mais ce n'est pas le cas. Je ne sais pas ce que l'on peut ressentir quand on se fait violer et abuser pendant des mois, enfermé dans une prison sans pouvoir agir de n'importe quelle façon. Je ne sais pas ce que ça fait au moral, psychologiquement, alors je suppose que c'est juste normal. Ses mots me blessent, parce que je prends enfin et réellement conscience de ce qu'il a traversé, de tout ce que ça a impliqué pour lui, et oui le puzzle se reconstitue enfin. Tout est clair dans mon esprit, dans son histoire et son vécu, et je ne sais pas quoi dire. Je ne sais pas quoi faire non plus.
On dit parfois que le silence ou les actes valent mieux que les mots, et je suis incapable de parler. Alors je l'embrasse. Je l'embrasse avec tendresse, son visage entre mes mains, les larmes sur mes joues. Je l'embrasse pour lui montrer que je suis là, que je l'ai entendu et que j'ai compris.
Tout en l'embrassant, je viens nous allonger sur le lit. En position cuillère, je l'attire contre mon torse et passe un bras autour de sa taille pour le maintenir tout contre moi. Et, enfin, je l'embrasse sur le front avant d'attirer sa tête contre la mienne. Et je le serre. Fort. Tellement fort que j'en ai presque le souffle coupé.
Je veux le protéger.
X X X
Massachusetts General Hospital | BOSTON – 2:47 PM.
Je ne pensais pas que reprendre le boulot me ferait autant de bien. L'odeur de l'hôpital, l'ambiance, le rush des urgences, les aiguilles et les compresses stériles m'avaient manqués. J'ai été heureux de retrouver James, qui ne se lasse pas de me raconter sa vie privée désormais partagée avec Molly, et je suis heureux de voir qu'ils vivent bien leur relation.
- Docteur Wright, vous m'entendez ?
J'appuie sur le bouton afin d'activer le microphone, assis sur un siège capitonné devant des écrans d'ordinateur. Peu à peu, l'IRM commence à se mettre en marche.
- Oui, Lou, je t'entends. Tout va bien ?
- Vous pouvez mettre de la musique ? Ça vient à peine de commencer, mais ça fait flipper.
- Bien sûr. Quel genre de musique ?
- Coldplay ?
- D'accord.
Je ricane dans le micro, afin qu'elle puisse m'entendre, tandis que je farfouille dans un petit ordinateur portable afin de me connecter sur youtube. Aussitôt, A Head Full Of Dreams retentit dans la pièce alors que les premières images de l'IRM apparaissent à l'écran. De derrière la vitre je vois que Lou ferme les yeux : j'adore cette fille. C'est une adolescente de 19 ans atteinte d'une malformation cardiaque. Bien qu'elle puisse vivre avec son cœur à l'heure actuelle, elle est inscrite au programme de transplantation. Ses nombreux malaises à répétition font que nous la croisons souvent ici, afin de pratiquer des examens de contrôle et nous assurer que la situation ne dégénère pas trop vite. Elle est forte, et j'aime son courage.
Je sursaute lorsque mon biper se met à sonner dans la poche de mon pantalon bleu d'intervention.
- Steve, tu peux surveiller Lou quelques minutes ? , dis-je à l'un des infirmiers du service. On vient de me bipper.
- Oui, bien sûr.
Il prend ma place dans la salle de contrôle des IRM, tandis que je me dirige vers le secrétariat de notre service de cardiologie. Mes baskets couinent sur le sol de l'hôpital et, quand j'arrive au secrétariat, je me stoppe net.
- Qu'est-ce que vous faites là ?
Je fixe Diego et Jose qui, plantés là, me regardent d'un air malicieux. Jose tient un papier entre ses mains et il me le tend à l'instant où je m'approche d'eux, inquiet. Je pose une main sur le bras de Diego tandis que je lis les quelques lignes écrites sur le document. Du coin de l'œil, je vois que Jose trépigne d'impatience.
- Tu vas devoir me supporter au moins jusqu'à mes 21 ans maintenant, dit-il en riant.
Bouche bée, ému, je lève les yeux vers Diego. Il me regarde avec un grand sourire aux lèvres et les yeux brillants, et je lutte comme un dingue pour ne pas crier et ne pas hurler. À la place, je me jette dans ses bras en attirant Jose près de nous pour un câlin groupé.
Nous sommes une famille, désormais. Je ne comprends pas toutes les dispositions prises, inscrites dans le document, mais ce que j'en retiens c'est que nous avons la garde de Jose, et c'est tout ce qui compte. Je me fiche qu'une assistante sociale devra passer chez nous deux à trois fois par semaines. Je me fiche de tout ça parce que Jose reste avec nous, et que c'est une putain de victoire.
- Je suis tellement heureux..., c'est génial.
J'embrasse Diego, ignorant totalement mes collègues et les patients qui passent dans le couloir. Je viens ensuite porter Jose dans mes bras, non sans difficulté car il est très grand, et lui claque un énorme bisou sur la joue. Je remarque à peine que mes yeux sont embués de larmes de bonheur et je souris tellement que j'en ai mal aux joues. Diego me serre contre lui et m'embrasse sur le haut du crâne. Au creux de mon oreille, il murmure :
- On fêtera ça cette nuit... au lit.
Je suis dans un premier temps outré par ses mots, prononcés dans un tel contexte, mais quand je vois le clin d'œil qu'il me fait ainsi que le sourire malicieux qui étire ses lèvres, je réalise que c'est lui. C'est mon Diego. Celui de l'époque, coquin et adorable. Je ne suis finalement même plus étonné, et ça me fait sourire. Je lui rends son clin d'œil avant de relire encore et encore la ligne du document qui certifie que Diego a bien la garde de Jose, et ça finit par me faire pleurer.
- Evan, pleure pas..., dit Jose en me prenant dans ses bras.
- Il va falloir qu'on déménage alors... , dis-je stupide.
- Pourquoi ? , dit-il.
- Il te faut une vraie chambre, pas vrai ?
Un sourire merveilleux étire ses lèvres et, malgré la teinte mate de sa peau, je vois ses joues rougir. Et, quand il vient me serrer fort contre lui en murmurant un petit « merci » sincère qui vient du cœur, je fonds.
Ma famille.
. . . #gbsBigBangFIC
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