CHAPITRE 36

18.06.28,
Appartement 12, Etage 4 | BOSTON – 5:01 PM.

J'ai quitté l'hôpital après avoir passé près de trente minutes à réconforter Jayden. Il y a eu des regards, des caresses et des mots rassurants, mais rien qui ne pourrait sembler ambigu. J'ai simplement essayé d'être là pour lui, lui dire que tout allait bien aller et que je serais là pour lui si besoin.

Il a été convenu par le docteur Terrence qu'il resterait hospitalisé quelques jours, avant de pouvoir rentrer chez lui afin de préparer ses affaires. J'ai eu du mal à accepter ce que Jayden me demandait, c'est-à-dire l'aider à faire sa valise et l'accompagner à l'autre bout du pays. J'ai pensé à Diego, à Jose et à Jayden lui-même. Sauf qu'il m'a regardé, me lâchant un petit « amis ? » et j'ai accepté.

Au fond de moi, je n'ai pas envie de le laisser traverser ça tout seul. Je n'ai pas envie qu'il rentre chez lui, dans cet endroit malsain qui pue le tabac et l'alcool, à préparer sa valise seul et à prendre l'avion seul jusqu'en Californie en sachant pertinemment qu'il va traverser des moments difficiles. Il a besoin de soutien, et c'est normal. J'appréhende désormais la réaction de Diego : il est hors de question que je lui mente.

Quand je passe la porte de l'appartement, je sens une odeur agréable. Ça sent la nourriture, le sucre, mais j'hésite entre l'odeur de crêpes ou celle de pancakes. Quand je referme la porte derrière moi, Jose vient m'accueillir avec un grand sourire. Je le serre rapidement dans mes bras avant de me diriger vers la pièce à vivre, les yeux collés et brûlants de fatigue.

- Ça sent bon ! Tu as fait quoi ? , dis-je.

- Des crêpes !

- Cool. Il est sorti faire des photocopies... je crois.

Je hoche la tête en silence et force un sourire. Je viens m'asseoir au comptoir, tandis que Jose retourne une crêpe dans la poêle, et en saupoudre une de sucre. Aussitôt, sentir de la nourriture dans ma bouche me fait du bien : j'avais faim, l'estomac vide depuis hier soir, à l'exception du café amer que j'ai bu à l'hôpital ce matin.

- Je crois qu'il est en colère... , dit Jose avec maladresse.

- Pourquoi ?

- Il a vu une vidéo de toi en train de te battre sur internet... c'était qui ?

Mon cœur se serre et mon ventre se fait douloureux. Je n'avais en aucun cas pensé aux conséquences de cet acte sur ma vie de couple. J'ai peur qu'il pense que Jayden est important pour moi – amoureusement parlant – alors que ce n'est pas le cas. J'avoue que ma réaction envers Stan a été violente et disproportionnée, mais ça m'a blessé : comment peut-on ruiner la vie des gens comme ça, sans scrupules ?

- Peu importe. Je vais aller me reposer.

J'engloutis une troisième crêpe au sucre avant de me lever de mon tabouret. Je passe une main sur le comptoir afin d'essuyer les grains de sucre et, avant de m'enfermer dans notre chambre, je dis à Jose :

- Elles sont excellentes, t'es un vrai petit chef !

- Merci !

Il a l'air heureux de cuisiner, de nous faire plaisir quand il passe derrière les fourneaux, et je dois avouer que ça me réchauffe le cœur : il est adorable.

Je referme la porte de la chambre derrière moi et, après m'être déshabillé, je tombe rapidement de fatigue entre nos draps.

X X X

Je quitte la chambre aux alentours des 7:20 pm, réveillé par des voix masculines provenant du salon. Je reconnais la voix de Jose et celle de Diego qui, certainement affalés devant la télévision, jouent aux jeux vidéo sur la vieille console de Jose. J'ai conscience de ne ressembler à rien, mes cheveux en pétard, mes yeux rougis par la fatigue et vêtu de fringues trop amples pour moi, mais un grand sourire illumine mon visage et je me sens à ma place lorsqu'ils posent tous les deux leur regard sur moi.

- Ah ! , dit Jose. C'est pas trop tôt, on t'attendait pour dîner.

- Vous auriez dû me réveiller.

Je passe derrière le canapé afin de l'embrasser sur le haut du crâne. Diego me regarde mais, quand je me penche pour l'embrasser, je suis déçu de le voir esquiver. Je retiens la moue qui menace d'étirer mes lèvres et fais comme de rien n'était. Je me contente d'observer les plats chinois qui attendent sur le comptoir de la cuisine.

- On passe à table ? , dis-je affamé.

- Oui !

Nous nous installons à table tous les trois, dans le silence. L'ambiance est pesante alors que nous commençons à manger et je sens le regard de Diego sur moi. Quand je tourne la tête pour le regarder, cherchant à savoir ce qu'il ressent à cet instant précis, je remarque qu'il me reluque de haut en bas. Je n'arrive pas à savoir si la lueur que je vois dans ses yeux est une lueur d'amour, de désir ou de colère. C'est flou, alors je me contente de lui lancer un petit sourire gêné avant de me servir un nem.

- C'est demain le rendez-vous avec les services sociaux... ? , hésite Jose.

- Oui.

- Je veux pas qu'ils disent non... je veux rester avec toi.

Assis en bout de table, j'observe Diego et Jose qui se font face. Ils ont l'air inquiets tous les deux mais le joli sourire que lance Diego à Jose suffit à le rassurer. Il lui prend aussi la main sur la table, et la serre fort entre ses doigts tatoués.

- T'inquiète pas. Ça va bien se passer. Mh ?

- Mh.

J'appréhende beaucoup, en réalité. Je sais que je n'aurai pas ma place à ce rendez-vous, que cela concerne Diego et Jose, ainsi que les services sociaux. Je sais que Diego a rédigé plusieurs courriers concernant Jose, son arrivée à la maison et ses liens avec sa mère. Je ne devrais pas m'inquiéter, mais le passé de Diego ne sera jamais effacé. J'ai peur que les services nous retirent la garde de Jose, pour son bien, même si je sais qu'Aubrey a fait le bon choix en désignant Diego comme tuteur légal.

Jose est heureux ici, je le sais et je le vois. Diego y est attaché et moi aussi. Je n'imagine même pas l'état dans lequel nous pourrions être si sa garde était confiée à quelqu'un d'autre. Il a apporté une bouffée de fraîcheur dans notre foyer, et est au quotidien un petit rayon de soleil qui répand la joie autour de lui. Il n'a pas traversé que des choses faciles, et nous sommes tous les deux de la façon dont il gère tout ça et le manque de sa mère.

Jose fait partie de la famille. Quand j'y pense, je me dis que j'ai été ridicule à appréhender si fort son arrivée. Dans le fond je suppose que j'avais juste peur de perdre un peu plus Diego, qu'il ne se focalise uniquement sur Jose, mais je me suis trompé. L'air de rien, Jose nous a rapprochés.

L'idée qu'on puisse nous l'enlever me donne la nausée.

X X X

- C'est quoi cette merde ?

Installé dans notre lit, un bouquin sur les jambes, je lève les yeux vers Diego qui tient son téléphone portable braqué devant mon visage. J'ai honte lorsque je me vois à l'écran, en train de cogner Stan, tandis que le titre hideux de l'article surplombe la vidéo « Jayden Shaw : son amant en colère ». J'ai la haine.

- Jayden Shaw, sérieusement ? T'as pas trouvé mieux pour prendre ton pied ?!

Ses mots ont l'effet d'un coup de poing dans le ventre. Je me mords l'intérieur de la joue sans savoir quoi lui dire. Il est en colère, déçu et jaloux, et j'ai peur. J'ai peur de la réaction qu'il pourrait avoir si nous entamons une discussion à ce sujet : depuis qu'il m'a frappé, je me dis qu'il serait peut-être capable de recommencer. Même si ça va mieux, ses démons sont toujours là et le seront toujours.

- J'ai pas pris mon pied. J'ai essayé, mais ça a pas marché.

Je marmonne ça tout bas au souvenir de cette soirée dans les bras de Jayden. C'était bon en soit, physiquement. Mais je n'ai éprouvé aucun réel plaisir à coucher avec lui. Je ne me suis pas senti mieux après, heureux, ou beau. Je me suis juste senti sale. J'ai conscience que le visage de Diego, apparu dans mon esprit, est la cause de ma jouissance : avant de voir ses beaux yeux derrière mes paupières fermées, le plaisir était inexistant.

- C'est con, dit-il amèrement.

- Ouais. Surtout que j'ai murmuré ton prénom pendant que je le baisais.

- Quoi ?

- Tout ce que je voulais c'était toi.

C'est la vérité. C'étaient ses bras que je voulais, ses lèvres et ses mains. Je voulais son corps contre le mien, sa peau, sa chaleur et son odeur. Je ne voulais pas du regard de Jayden, de ses baisers et de ses caresses. Ce n'est pas en lui que je voulais glisser ma virilité. Ce n'était pas pour lui qu'étaient mes coups de reins. Ils étaient pour Diego, terriblement pour lui.

- C'est un... c'est un putain de déchet, Evan. Il se drogue, il baise à tout va et il...

- Tais-toi, dis-je. Arrête.

- C'est la vérité ! , gronde-t-il.

- Non. Il a commencé à faire n'importe quoi quand on a arrêté de se voir. C'est de ma faute. Je lui ai brisé le cœur, Diego, tu comprends ça ?! J'ai été minable avec lui !

Il verrouille son téléphone et s'installe sur le lit, l'air résigné, yeux rivés sur le ciel à travers la fenêtre. La lune brille dans le ciel et les étoiles sont nombreuses ce soir.

- T'avais dit qu'on en reparlerait pas... , dis-je tout bas.

- Oui. Sauf qu'il fait partie de ta vie, que je le veuille ou non.

- Non, c'est faux.

- Arrête. Tu t'es jamais battu comme ça. Y a un truc que je pige pas à propos de vous deux et je...

Je le fais taire par un baiser. En temps normal, j'aurais fait en sorte de lui demander son accord. En temps normal, je ne lui aurais pas sauté dessus comme je viens de le faire là. Mes lèvres sont tellement écrasées sur les siennes que c'est presque douloureux, mais je ne veux pas qu'il aille plus loin. Je ne veux pas qu'il pense à ça. Je veux qu'il pense à lui et moi. Uniquement à nous.

- Tais-toi... il n'y a que toi.

Je murmure contre ses lèvres, yeux dans les yeux avec lui. Il pose ses mains sur mes reins tandis que nous avons basculé sur le lit. Je sens son corps massif sous le mien, son odeur dans mes narines, et je donnerais n'importe quoi pour qu'il me fasse l'amour là. Je donnerais n'importe quoi pour le sentir à nouveau contre moi comme ça. Bon sang, j'ai besoin de lui. J'ai besoin de lui à tout prix.

- J'ai merdé, avec lui. Je dois au moins être là pour lui. Il part en désintox' en Californie la semaine prochaine. Je vais l'accompagner et...

- Quoi, tu te fiches de moi ?

- Attends... , dis-je tendrement en prenant son visage en coupe entre mes mains. Je ne peux pas le laisser tomber. Je te l'ai dit. Fais-moi confiance, je te jure sur Abby qu'il n'y a rien et qu'il n'y aura jamais plus rien. C'était une erreur, Diego. Une putain d'erreur.

Je caresse ses cheveux courts et doux sur sa nuque. Je frotte le bout de mon nez contre le sien, tendrement, et je respire son souffle. Je sens son corps, tendu de la tête aux pieds sous la colère qu'il essaie de retenir. Je dépose alors un baiser sur son front, et murmure ensuite :

- Toi. Rien que toi. Toi. Toi. Toi.

Je viens lui voler un baiser avant de me reculer. Je caresse sa joue du bout des doigts quelques secondes alors que nous nous redressons. Je me retrouve assis à califourchon sur ses cuisses au bord du lit, mes bras le long de mon corps et ses mains sur mes reins. Il me regarde, le visage crispé mais les yeux pétillants. Je vois le malaise sur son visage et, encore une fois, je tente de le rassurer :

- Fais-moi confiance. J'essaie juste de l'aider à guérir.

Il hoche rapidement la tête, il acquiesce. Je lui souris tendrement et dépose un autre baiser sur son front avant de descendre de ses cuisses. Je me réinstalle dans le lit, à ma place et sous la couette. Un coup d'œil à mon portable que je viens ranger sur la table de chevet m'indique qu'il est 9:45pm.

- Je te fais confiance, Evan. C'est juste que...

- Que quoi ?

Il baisse honteusement les yeux, se craquant les doigts sur ses cuisses. J'attends sa réponse, les yeux délicatement posés sur lui.

- ... t'es à moi.

Mon cœur explose lorsqu'il me dit ça, tout bas, yeux dans les yeux. Je lui souris comme un idiot, raide dingue de lui comme au premier jour. Quand il m'attire dans ses bras pour se coucher à mes côtés, avant d'éteindre la lumière, je me sens comme sur un petit nuage : je l'aime.

X X X

Je n'arrive plus à dormir. Je pense à demain – cet après-midi en réalité – à Jose, aux services sociaux. Je crois même que j'angoisse plus que Diego et Jose réunis. J'ai peur. Je fixe un point invisible sur le mur, éclairé par la faible lumière de la lune, et je n'arrête pas d'imaginer les scénarios d'une vie sans Jose.

Dans mon dos, je ne suis pas sûr que Diego soit pleinement endormi. Sa respiration est silencieuse et régulière, comme s'il la contrôlait, alors qu'en général il respire toujours bruyamment. Mes pensées se confirment lorsque je sens son bras resserrer son étreinte autour de moi, très fort.

Nous nous sommes couchés en cuillère il y a près de quatre heures et je n'ai simplement réussi qu'à m'assoupir quelques heures. Je ne sais pas s'il a dormi pendant ce temps-là, lui, mais de toute évidence il ne parvient pas à fermer l'œil non plus désormais. Pense-t-il a Jose ? Je n'en sais rien.

- Evan...

Ma peau se recouvre de frissons lorsqu'il me serre fort, lourdement, tout en déposant un baiser sur ma nuque. Sa respiration est chaude, désormais saccadée et lourde. Elle me brûle la peau et descend le long de ma gorge, m'arrachant de terribles frissons. Ma peau se recouvre de chair de poule et mon ventre se tord douloureusement. Je ferme les yeux et soupire d'aise lorsqu'il passe sa main sous mon t-shirt pour frôler du bout des doigts mes abdominaux. Il dépose un baiser sur ma joue, puis dans mon cou, avant de murmurer à nouveau :

- Evan...

Je gémis, transcendé par son odeur et ses dents qui mordillent la peau à la jointure de mes épaules et de mon cou. Mon cœur s'emballe et un simple petit geste suffit à électrifier mon bas ventre.

- Quoi ?

Je couine comme un faible, à la merci de son corps lourd contre le mien et de la façon dont il embrasse ma peau. Je perds les pédales quand j'entends son murmure, discret mais sincère, au creux de mon oreille :

- ... fais-moi l'amour.

Et cette fois-ci, ce n'est pas un rêve.

#gbsBigBangFIC

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