CHAPITRE 35

18.06.28,
Appartement 12, Etage 4 | BOSTON – 1:39 AM.

J'émerge de mon sommeil avec douceur, sans vraiment savoir pourquoi. Je ne sais pas si un bruit m'a réveillé, ou si c'est simplement que j'ai assez dormi. Peu à peu, mon cerveau se connecte et, après avoir légèrement bougé mes jambes, je comprends que je suis blotti contre lui bien que nous ne nous soyons pas endormis dans les bras l'un de l'autre. Je frissonne.

La vibration de mon téléphone portable sur ma table de chevet me semble lointaine, tant mon esprit est encore embrumé par le sommeil. Les gestes lourds et ralentis, j'extirpe mon bras de celui de Diego afin de récupérer mon portable. Le prénom de Molly affiché à l'écran m'inquiète aussitôt : trois appels manqués. Je n'attends pas qu'elle me rappelle pour lui passer un coup de fil. Elle répond presque aussitôt.

- Hey, tout va bien ? , dis-je.

- Je suis désolée si je te réveille, mais je pensais que t'aurais aimé être au courant... Jayden est à l'hôpital.

Je déglutis. Dans mon dos, je sens la présence de Diego qui dort paisiblement contre moi tout en me serrant dans ses bras. Je sens son souffle chaud près de mes côtes, et la chaleur de son corps. Le téléphone contre mon oreille, perdu, je constate que mon corps est humide de sueur à avoir trop dormi contre lui dont le corps est si chaud et si massif.

- Quoi ? , dis-je.

- Overdose. Il enchaîne les arrêts cardiaques, Evan. Je me suis dit que t'aurais aimé être au courant... vu que... enfin, tu sais

Oui, je sais. Molly est loin d'être stupide et, aussi, elle est mon amie. Ma meilleure amie, en fait, même si nous ne discutons plus trop ces derniers temps. Pendant l'absence de Diego, parti à Orlando, nous avons passé une après-midi ensemble tous les deux, à traîner dans le parc en sirotant des boissons fraiches car la météo était clémente. Je suppose que l'air alarmé et dépité sur mon visage l'a inquiétée : après hésitation, j'ai décidé de lui dire ce qui n'allait pas. Ce que j'avais fait. Elle sait tout désormais, et j'ai été soulagé de voir qu'elle ne m'a en aucun cas jugé.

- Heu... d'accord. Je... j'arrive.

Pour moi, à cet instant précis, ce n'est pas ambiguë. Jayden et moi cela n'ira jamais plus loin et j'ai conscience de ne pas ressentir de réels sentiments amoureux pour lui. Je sais qu'il tient à moi, que je l'ai fait souffrir et dans un instant aussi difficile que celui-là je me dois d'être là pour lui. Je ne peux pas le laisser tomber, alors qu'il m'a parlé de toutes ces choses qui le brisent et qui le hantent depuis des années. Je veux être présent pour lui comme je le serais pour Diego, pour Jose ou même pour Molly, dans un instant pareil.

- OK. Soins intensifs.

- Ouais.

Je raccroche. Désormais assis dans le lit, le visage entre les mains, j'essaie de prendre en compte tout ce qu'elle vient de me dire : il peut mourir. Je sais que les médecins sont compétents, mais Jayden est faible. Je ne sais pas si son corps serait capable de supporter une overdose et des arrêts cardiaques à répétition. L'inquiétude me tord le ventre et me donne la nausée, et un frisson me remonte la nuque lorsque j'entends la voix de Diego, endormie et adorable :

- Tu fais quoi ?

- Il faut que j'aille à l'hôpital.

- Pourquoi ?

Il se redresse difficilement dans notre lit et dépose un baiser sur mon épaule. Il y laisse son menton reposer ensuite et braque ses jolis yeux gris sur moi. Mon cœur s'emballe quand il me sourit.

Dans un premier temps, par réflexe, je pense à mentir. Je pense à lui dire que je vais voir un ami, que Molly a besoin de mon aide, mais je sais que je n'ai pas le droit. Je dois être honnête, lui montrer qu'il peut me faire confiance malgré mes erreurs. Alors, la voix enrouée et mort d'angoisse, je dis :

- Ce gars avec qui j'ai... il n'était pas bien et moi je l'ai juste... détruit un peu plus. Molly vient de m'appeler, il est à l'hôpital. Il peut mourir à tout moment... j'peux pas le laisser tomber.

Je baisse honteusement la tête sur mes mains, posées sur mes cuisses. Je me crispe et me fige quand Diego s'éloigne de moi. C'est peut-être impensable dit comme ça, mais même s'il ne me touche pas je sens la tension dans ses muscles et sa colère. Je comprends sa réaction, car j'aurais eu la même si les rôles avaient été inversés.

- Je comprends... mais il faut que tu me fasses confiance. Lui et moi, il n'y a rien. J'ai juste merdé et je sais que c'est en partie à cause moi s'il en est là. Fais-moi confiance, Diego.

Je lui prends la main. Je le regarde, cherchant ses yeux, mais il fuit mon regard. Je caresse le dos de sa main droite avec mon pouce, tendrement, et j'attends qu'il parle. Sauf que rien ne vient et que, même si j'aimerais rester là et obtenir une réponse claire et nette avant de m'en aller, je sais que le temps presse. Je me contente alors de lui voler un baiser sur le front, rassurant et protecteur, avant de quitter les draps. J'enfile à la va-vite un jogging ainsi qu'un t-shirt, et une paire de vieilles converses blanches déformées.

- OK, dit finalement Diego.

- Je reviens vite. Je t'aime.

Je me penche sur le lit pour l'embrasser tendrement avant de m'en aller. Je suis surpris par sa réaction, posée, contrairement à celle explosive que j'avais imaginée. Je quitte la chambre le ventre douloureux, et sors de l'appartement discrètement.

Le trajet jusqu'à l'hôpital ne m'a jamais semblé aussi long et interminable : j'ai peur.

X X X

Massachusetts General Hospital | BOSTON – 2:03 AM.

Je fais irruption aux soins intensifs les cheveux en pétard et à bout de souffle. Les clés de ma voiture encore entre mes doigts, je trottine, stressé, à la recherche de Jayden. Je croise quelques infirmiers et internes de garde qui me regardent passer comme si j'étais un illuminé, mais je les ignore.

Lorsque j'arrive dans le couloir principal, froid et angoissant à mon goût, j'aperçois Molly près du comptoir qui discute avec le docteur Terrence. Je trottine jusqu'à eux. Molly a l'air soulagée de me voir tandis que le docteur Terrence, lui, me fixe avec surprise :

- Evan, tu travailles ?

- Non. Il est où ? , dis-je à l'attention de Molly.

- Box numéro trois. L'un de ses amis attend dans la salle d'attente.

- Un ami ? Qui ?

- Un certain Stan. C'est lui qui a appelé les secours.

Je serre les dents, agacé par l'idée que ce Stan puisse être là. Je décide de l'ignorer pour l'instant et pars enfiler des protections sur mes chaussures, par précaution, avant de faire glisser la porte du box trois. À l'intérieur, les machines bipent à un rythme régulier et la lumière est tamisée. Je me saisis d'un tabouret sur roulettes que je place près de son lit.

Assis-là près de lui, je le regarde : ses yeux sont légèrement fermés. Sa peau, que ce soit celle de son visage, de ses bras ou de ses mains est abîmée par la fatigue et la drogue. J'ai mal au cœur quand je vois le tube respiratoire dans sa bouche, et que je réalise qu'il est inconscient. Je fixe les moniteurs, attentif au moindre changement anormal.

Maladroit mais seul ici, avec lui, je prends doucement sa main dans la mienne. Je n'entrelace pas nos doigts, loin de là, mais me contente de caresser le dos avec mes doigts. Je le regarde, plongé dans un coma que je sais léger bien qu'il soit inquiétant, et je n'arrive pas à retenir les larmes qui poussent derrière mes yeux. L'une coule sur ma joue, suivie d'une autre qui se bloque au coin de mon œil, et ma vision devient vite floue. Je rapproche le tabouret de lui afin de pouvoir poser une main dans ses cheveux.

- Jayden...

Il est beau, même comme ça. Le voir si fragile et si brisé me retourne l'estomac. Je m'en veux d'avoir ajouté une douleur de plus à sa vie, je m'en veux de ne pas avoir compris qu'il était fragile avant de me jeter dans ses bras. Je m'en veux de ne pas avoir compris qu'il tenait réellement à moi. Je n'ai pas vu si clair que ça dans son jeu et je sais aujourd'hui que c'est en partie de ma faute s'il est ici. Je ne sais pas quoi dire d'autre que murmurer son prénom, pour lui montrer que je suis là.

Je reste ici un moment, à le fixer les yeux larmoyants : c'est de ma faute.

X X X

Il est six heures du matin et le café de la cafétéria ne m'a jamais semblé aussi dégoutant. J'ai passé la matinée à fuir Stan, refusant de croiser sa tête à claques. Je n'arrive pas à comprendre, mais j'ai l'impression que quelque chose m'échappe : pourquoi ne l'a-t-il pas empêché ? C'est lui qui a prévenu les secours, lui qui l'a accompagné jusqu'ici dans l'ambulance. Une overdose d'héroïne se produit très vite ce qui, pour moi, signifie qu'ils étaient ensemble lorsque cela s'est produit. Pourquoi n'a-t-il pas essayé de le dissuader ? Je n'y comprends rien, et ça me fout la haine.

Je relis sans cesse le SMS que j'ai envoyé à Diego il y a quelques minutes, un simple « tout va bien, je rentre bientôt » pour ne pas qu'il s'inquiète. Je ne sais pas ce que j'aurai pu dire d'autre, mais j'ai le sentiment que ce ne sont pas les bons mots. Les yeux explosés, l'estomac vide et exténué, je regarde le parc à travers la fenêtre. Molly me sort vite de mes pensées.

- Evan, heu... il y a des journalistes à l'accueil.

- Pardon ?

- Ouais. Pour Jayden... ils veulent te voir. Apparemment.

- C'est quoi ce bordel ?!

Je ne devrais pas m'énerver, en fait. Je devrais rester là et m'en foutre royalement, mais ce n'est pas le cas. Des journalistes, pour Jayden ? Les seuls articles que je vois sur lui sont toujours ces ramassis de conneries dégueulasses de Boston's Gossip, blog people humiliant.

- J'sais pas. Ils ont demandé à te voir.

En colère, sous le regard inquiet de Molly, je quitte la cafétéria d'un pas décidé. J'ai la haine, en fait. Je suis énervé que ces vautours de journalistes osent se pointer ici dans un moment pareil. Bordel, Jayden aurait pu mourir. Quand j'arrive dans le hall d'accueil, commun à tous les services, je repère rapidement les journalistes : un homme et une femme, jeunes à l'air dynamiques, munis de téléphones dernier cri et d'une petite caméra.

- Docteur Wright, vous vouliez me voir ? , dis-je froidement.

- Oui, me dit la fille. Je suis Emma et voici Alex, mon assistant. Nous sommes journalistes pour Boston's Gossip et nous...

- Je vous coupe. Vous n'êtes pas journalistes. Vous êtes juste une bande de cons arrogants qui racontent de la merde et qui brisent la vie des gens. Ce n'est pas du journalisme, ça. Je n'ai rien à vous dire, alors cassez-vous.

Je sens la colère monter en moi mais je m'efforce de la contrôler. Je n'ai pas envie d'exploser de haine au beau milieu d'un hôpital universitaire, alors qu'un abruti d'assistant braque sur moi une caméra portative pour filmer ce qui semble être un interview. Je me contente alors de tourner les talons, prêt à partir.

- Nous brisons la vie des gens ? Quelqu'un nous a confirmé que vous avez eu une aventure avec Jayden Shaw, et que c'est pour cette raison qu'il se trouve dans cet état actuellement. Votre petit-ami est au courant ?

Je serre les poings. L'assistant se tait, lui, mais cette Emma est désagréable au plus haut point. Elle est là, hautaine et maligne, se croyant toute permise et invincible. Je me retourne pour les regarder, légèrement paniqué à l'idée qu'ils puissent savoir ces détails de ma vie.

- Qui vous a dit ça ?

- Quelqu'un. Alors, vous répondez ? , chantonne-t-elle.

- Oui, c'est vrai. Et mon petit-ami est au courant, oui. Et vous...

- Comment vivez-vous le fait que Jayden Shaw soit dans cet état à cause de vous, Evan ?

- Je...

- Vous savez que vous êtes l'élément déclencheur, n'est-ce-pas ?

Je frissonne. Je ne sais pas si c'est de peur, d'angoisse ou de colère, mais mon corps et tremble d'une façon incontrôlée et la chair de poule recouvre ma peau. Mon ventre me fait mal et, en fait, je dois avouer que je ne sais pas quoi dire. Je n'ai jamais vu ces gens et ils semblent tout savoir. Qui aurait-pu leur dire tout ça ? Qui aurait-pu, bon sang ? M'efforçant de reprendre une posture forte et distante, je dis :

- J'ai une question pour vous, moi aussi.

- Oui ?

- Qui vous a parlé de tout ça ? Et ne me dites pas que vous n'avez pas le droit de me le dire. Si vous étiez journalistes, vous m'auriez présenté une carte de presse. Vous êtes justes des fouineurs qui se font du pognon sur le dos des autres. Dites-moi qui c'est, ou je vous jure que je porte...

- C'est ce type, là-bas. Depuis le début, monsieur Wright.

Je tourne la tête pour regarder dans la direction que m'indique Alex, l'assistant. La colère monte en moi quand j'aperçois Stan, l'ami de Jayden, devant l'hôpital en train de fumer sa clope en pianotant sur le clavier de son téléphone. Pour être un ami proche de lui, la situation de Jayden n'a pas l'air de l'inquiéter tant que ça : j'ai la haine.

- Juste une dernière question, dis-je : vous l'avez payé à chaque info qu'il vous a communiquée ?

- Tous nos informateurs sont rémunérés, me dit la fille. Cependant nous ne...

Je ne l'écoute plus. À cet instant précis, je me sens comme un volcan. Je sens que ça bouillonne en moi, au fond, et que ça remonte peu à peu à la surface. C'est la colère, le dégoût et la haine. Quand je passe les portes coulissantes de l'hôpital, les poings serrés et les muscles gonflés au possible, je ne cherche pas la moindre explication : je cogne.

Le téléphone de Stan se brise au sol sous la violence du choc tandis qu'il titube en arrière jusqu'à s'avachir sur un cendrier sur pied. Je suis fier de lui avoir envoyé mon poing directement dans la mâchoire, sans qu'il ne l'ait vu venir. J'ignore les passants et les journalistes qui regardent et filment la scène : j'ai juste la haine. Je l'empoigne alors par le col de son pull oversize.

- Putain mais t'es malade ?

- T'es qu'un fils de pute, Stan. Tu me dégoutes !

Je ne me suis jamais battu dans ma vie mais j'ai le sentiment que je pourrais être capable de le tuer, à cet instant précis, si nous n'étions pas entourés de gens. J'ai les larmes aux yeux tant je suis en colère et je pourrais presque sentir le sang courir dans mes veines. J'ai chaud, comme si j'étais sur le point d'étouffer, esclave des réactions de mon corps.

- Mais quoi ?! , dit-il innocemment.

- Boston's Gossip, fais pas l'innocent ! T'es qu'une pauvre merde, Jayden avait confiance en toi !

Je lui colle une autre droite, moins violente que la première mais quand même virulente. Il essaie de me la rendre mais je l'esquive.

- Il avait confiance en toi aussi, docteur Evan Wright. Tu l'as baisé et tu t'es barré. Il m'a laissé tomber pour toi. J'regrette pas, c'est qu'une merde. Il vaut rien, il est bon qu'à se faire sauter.

Ma force est décuplée et je suppose que c'est l'adrénaline. Je le jette par terre et lui envoie un coup de pied au cul avant de le prendre par le col de son pull. Yeux dans les yeux je le regarde et, après lui avoir littéralement craché au visage, je lui dis :

- Dégage d'ici. Sors de sa vie. Que j'revoie pas ta sale gueule.

Je le lâche brusquement dans le but que son dos s'écrase au sol et, sonné par ma violence, je le vois tituber. Je me fraie un passage au milieu de la foule, bien loin de penser aux journalistes, afin d'entrer dans l'hôpital.

- Evan... hé, Evan...

Molly vient me serrer dans ses bras à l'abri des regards dans un local à matériel médical. Je m'effondre dans ses bras, exténué par la fatigue et la colère. Je pleure à chaudes larmes en pensant à Jayden, à ce que j'ai fait, à la trahison de celui qu'il pensait être son meilleur ami.

- Tu l'aimes, Evan...

- Quoi ? , dis-je sur son épaule.

- Jayden. Tu l'aimes.

- Non.

- Moi je crois que si.

Elle ne dit rien et m'embrasse sur le front. Ses mots devraient me faire réagir, je devrais y réfléchir, mais je suis trop en colère pour y penser en réalité.

Je ferme les yeux et pense alors à la seule chose qui parvient à me calmer : Diego et son sourire.

X X X

L'USC – unité des soins continus – est un endroit un peu plus agréable que l'unité de soins intensifs ou même de réa. L'ambiance y est un peu plus légère, moins inquiétante, et ça me permet de souffler un peu.

Même si je ne suis pas censé travailler, cela fait près de deux heures que, assis devant un écran d'ordinateur, je cherche adresses et numéros de téléphone. J'ai passé un tas de coups de fil, essayant de trouver une solution pour Jayden et, désormais, je suis en train d'imprimer un formulaire validé et signé d'admission par et pour le Betty Ford Center.

J'ai l'impression d'être défoncé, moi aussi. Je me sens dans un autre monde, dans la lune. Il est 4:12 PM et je suis en train de me demander si j'ai pris la bonne décision.

Peu avant midi, alors que j'attendais le réveil de Jayden, ce dernier a parlé. Sans ouvrir les yeux, il a simplement murmuré mon prénom et un « aide-moi » faible et brisé. L'aider ? C'est là la seule solution que j'ai trouvée.

Une fois les quelques vingtaines de pages imprimées et agrafées, je quitte le bureau dans lequel je m'étais enfermé afin de rallier le box de Jayden. Molly a quitté l'hôpital aux alentours des huit heures du matin et, depuis, je n'ai pas repensé à ce qu'elle m'a dit : je suis bien trop perturbé et sous le choc.

Je referme la porte derrière moi pour ne pas qu'il soit dérangé par le bruit des conversations du couloir. J'ai échangé mes vêtements contre ma tenue bleue d'interne, qui m'attendait dans mon casier depuis une semaine déjà, bien que je ne sois pas officiellement autorisé à exercer aujourd'hui. Peut-être que cela pourrait me causer des problèmes au sein de l'administration, mais en fait je m'en fiche : je veux être là pour lui. C'est une chance pour moi que le docteur Terrence, cet homme adorable et paternel, soit son médecin référent.

Je m'assoie sur le tabouret près de son lit et le regarde silencieusement. Ses yeux, ses lèvres, son nez. Le tube respiratoire lui a été enlevé, car il va mieux, mais par précautions l'équipe a décidé de le garder ici afin de le surveiller. Soulagé, je prends sa main dans la mienne : elle est froide et douce, mais je ne sens pas de force dans ses doigts. Il est faible.

- Mhh-mh.

Je lève les yeux pour le regarder, et ses iris bleues m'électrifient aussitôt. Ses cheveux noirs sont en pétard sur sa tête et le regard qu'il pose sur moi me brise le cœur : il est malheureux. Et il a peur, aussi. Ses yeux s'embuent de larmes en seulement quelques secondes et, moi, je me lève afin de m'approcher de lui.

- Evan...

- Chut, tais-toi.

Je passe une main dans ses cheveux, les caressant tendrement afin de le rassurer. Je lui souris pour lui montrer que ça va aller, que je suis là et que je ne l'abandonnerai pas, mais au fond je ne sais pas ce qu'il ressent. Peut-être qu'il ne veut pas de moi ici. Pas après ce que je lui ai fait.

- Repose-toi.

- Aide-moi... j'en peux plus.

Une larme roule sur sa joue, solitaire et discrète, et je viens la cueillir avec mon pouce. Je caresse son nez ensuite, ses lèvres fines et ses paupières qu'il ferme légèrement pour ne pas pleurer plus.

- Où est Stan... ?

- Je lui ai cassé la gueule, dis-je sans ménagement.

- Quoi ?! Mais... p-pourquoi ?

Il rouvre grand ses yeux bleus, désormais écarquillés, qu'il braque sur moi. Il essaie de se relever dans son lit, mais je l'en empêche en posant une main sur son épaule. À la place, je redresse le dossier afin qu'il ne soit pas trop allongé à plat : c'est plus facile pour discuter.

- Toutes les saloperies dans les magazines people... c'était lui qui disait tout aux journalistes. Il était payé pour ça.

- Oh.

Il tourne la tête et je sais, là, que son cœur se retrouve à nouveau brisé : Stan était son ami. Il avait confiance en lui. Son « oh » me prouve bien qu'il est sous le choc et qu'il ne sait pas quoi dire, mais qu'il a suffisamment capté la situation pour comprendre que quelqu'un s'est encore servi de lui. J'ai mal au ventre : il mérite tellement mieux que ça. Il mériterait tout le bonheur du monde, la lune et même toutes les étoiles de l'espace. Il est incroyable.

- Je t'aime, Evan.

Il pose ses yeux sur moi, pleins de détresse et de tristesse, et j'ai le souffle coupé. Je le regarde et mon cœur s'emballe, et je ne sais pas quoi faire. Je le vois pleurer, me suppliant du regard de faire quelque chose, et je ne sais pas. Ma main caresse ses cheveux sur son crâne et je le regarde, mais je n'ai pas les mots. L'instant que nous passons à nous regarder dans les yeux, en silence, semble suspendu dans le temps. Je ressens des choses étranges et inexpliquées mais, alors que je m'apprête à parler, la sonnerie de mon portable, forte et stridente, me fait sursauter.

Je décline l'appel de Diego, conscient que ce n'est en aucun cas le moment de lui parler, et dépose sur les cuisses de Jayden le dossier que je viens d'imprimer.

- C'est quoi ?

Il tend la main pour s'en saisir, curieux, tandis que je le regarde sans savoir quoi dire. Ses mains sont encore tremblantes et faibles, et je me demande même s'il arrive à lire les premières pages qu'il feuillette à travers ses yeux vitreux. Il renifle, avant de dire :

- Le Betty Ford Center ? C'est quoi... ?

Sa voix se brise sous la fatigue et il inspire profondément comme s'il s'étouffait. Son corps sera faible encore quelques jours, ce qui va lui valoir une hospitalisation pendant quelques jours supplémentaires, et ça me peine : j'aimerais pouvoir claquer des doigts et faire en sorte que tous ses ennuis et ses maux s'envolent.

Je le regarde, angoissé, à l'idée de ce que je m'apprête à dire. J'ai peur qu'il fonde en larmes. J'ai peur qu'il pense que j'essaie de me débarrasser de lui. J'ai peur qu'il pense que moi aussi je suis en train de le trahir. J'ai pris cette décision et effectué les démarches après une discussion avec le docteur Terrence qui, ici, est l'un des médecins les plus calés en matière de toxicomanie et d'addictologie.

- Evan... ?

Je le regarde, encore et encore, pour essayer de trouver une lueur de force dans ses yeux. J'essaie de trouver quelque chose qui me donnera le courage de lui dire, à voix haute. Cela aurait été plus facile que quelqu'un d'autre le lui annonce, mais je sais aussi qu'il a besoin que ce soit moi. Même si je lui ai brisé le cœur, il m'a demandé de l'aider alors ça signifie qu'il a confiance en moi. Alors, rassemblant mes dernières forces et mon courage, je lui dis yeux dans les yeux :

- Un centre de cure de désintoxication. Ils sont prêts à t'accueillir dès la semaine prochaine. Il ne manque que ta signature.

Le regard noir qu'il me lance alors, un bref instant, avant de fondre en larmes comme un enfant me fait exploser le cœur : je tiens à lui.

.   .   . #gbsBigBangFIC 

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