CHAPITRE 28 - DIEGO

02.06.28,
Fenway Park | BOSTON – 8:47 PM.

DE : EVAN
8:20 PM – Je sais que j'ai fait une erreur. Je comprendrai si tu ne veux plus de moi, parce que tu aurais raison. Je t'ai trahi et ça me tue de savoir que je t'ai blessé. Mais je ne l'aime pas. C'est toi que j'aime, c'est avec toi que je veux faire ma vie. Je ne sais pas ce qui s'est passé, je suppose qu'il était juste là quand j'avais besoin de quelqu'un et que toi tu ne réagissais pas. Je ne t'en veux pas, Diego. J'ai compris, peut-être trop tard, pourquoi tu te comportais comme ça mais je l'accepte. Je t'aime. Je t'aime tout entier, depuis le début. Je ne sais pas où tu es, ni même ce que tu fais, mais fais attention à toi. Tu me manques. J'espère qu'on pourra discuter... au moins ça si tu ne veux pas me pardonner. Te amo, Diego Flores. Por siempre.

Je n'arrête pas de lire ce foutu message, encore et encore. Depuis près de vingt minutes c'est comme un putain de cercle vicieux ou de spirale qui se répète : je prends mon téléphone, lis le message, le verrouille et regarde devant moi avant de répéter encore une fois les mêmes gestes. J'ai mal au ventre.

Mes poings me font mal à force de trop les serrer, mais c'est le seul moyen que je trouve afin de canaliser ma colère. Je serre les poings et les dents, tout en m'efforçant de ne pas pleurer parce que j'ai beaucoup trop de fierté.

L'endroit est désert et très calme, malgré les voitures qui passent à vive allure sur l'avenue principale, juste devant l'entrée. Je suis assis sur un banc, les yeux rivés sur l'entrée mythique de ce stade de baseball, l'antre des Red Sox. On pourrait croire que je réfléchis, que je me pose tout un tas de questions, mais ce n'est pas le cas du tout.

En réalité, je me contente simplement de respirer. J'inspire profondément et expire lentement afin de me calmer, de retenir mes larmes, tandis que les souvenirs de notre premier rencard officiel ici me reviennent en mémoire. Même si c'était il y a dix ans et que de l'eau a coulé sous les ponts, je m'en souviens comme si c'était hier : ses joues rougies par le froid et la gêne, les flocons de neige dans ses cheveux et ses lèvres gercées étirées en un sourire. Je me souviens de son corps contre moi lorsque, dans les gradins, je le tenais tout proche de moi parce qu'il avait froid. Je me rappelle de son regard pétillant lorsque je l'ai appelé « bébé » pour la première fois, alors qu'il ne s'y attendait pas. Cette soirée était très simple, mais c'est l'une des plus belle aussi. Je n'oublierai jamais ces quelques heures, comme suspendues dans le temps, que nous avions passées tous les deux.

Je tire une taffe de ma cigarette tout en levant les yeux vers le ciel dégagé. Je ne distingue pas grand-chose à cause de la luminosité urbaine, mais quelques étoiles me tapent malgré tout dans l'œil : j'aimerais être à Central Park. J'aimerais être, comme dix ans en arrière, assis sous notre arbre. J'aimerais qu'il soit dans mes bras, à regarder les étoiles, tandis que j'écouterais les battements de son cœur et sa respiration en blottissant mon visage contre son cou. En fait, j'aimerais que ces dix dernières années n'aient jamais existées. Parfois, même, j'en viens à me dire que j'aurais préféré ne jamais l'avoir rencontré : cela nous aurait évité bien des douleurs et des déceptions, pour lui comme pour moi.

Ce n'est pas une vie, pour moi. Je sais qu'il m'aime, de tout son cœur, et je l'aime aussi. Je l'aime plus que ma propre vie, que je serais capable de donner pour lui. Je l'aime et je le désire, mais la simple idée de le toucher me donne la nausée. L'idée de lui refuser ça, alors qu'il en a tellement besoin – et c'est humain – me brise le cœur à chaque fois qu'il pose ses yeux sur moi : il mérite mieux. Il mérite une vie normale, un petit-ami normal.

J'ai toujours été possessif. J'ai toujours détesté l'idée qu'un autre homme que moi ait pu poser ses mains sur lui. C'était le cas lorsque nous étions au lycée et ça l'est toujours aujourd'hui, sauf que les choses ont changé.

J'essaie de me mettre à sa place. J'essaie de m'imaginer, à vivre sans lui pendant dix ans et à l'attendre parce que j'en suis fou et qu'il est le seul dans mon cœur. J'essaie de me voir avec lui, espérant des retrouvailles joyeuses et fougueuses alors qu'il poserait à peine son regard sur moi. J'essaie d'imaginer ce que ça peut faire d'être amoureux au point d'avoir une envie terrible de l'étreindre, alors qu'il ne ferait que me repousser avec froideur et sans un regard. Et, même si je ne peux que l'imaginer, j'ai déjà bien assez conscience que ça fait mal.

Je sais qu'il a compris que je n'y suis pour rien, du moins pas directement. Je sais qu'il m'accepte malgré ce blocage, car il me l'a dit des dizaines de fois depuis que nous en avons discuté, mais j'ai honte d'avouer que je ne me sens pas rassuré pour autant. Je travaille avec ma psychologue, et mon traitement m'aide à remonter la pente et à retrouver l'envie de vivre, mais c'est encore fragile à l'intérieur.

J'ai mis longtemps à cesser de le tenir pour responsable et, en y repensant, j'ai honte de moi. Ces viols à répétition entre les murs de la prison, ma passivité face à leur violence, j'ai longtemps mis ça sur le dos d'Evan. Il voulait me voir dehors, me retrouver au plus vite, et ma liberté sous caution est tombée au bon moment. Sauf que les démarches sont longues et que, si j'avais fait la moindre vague, elle me serait passée sous le nez. Je ne pouvais pas me permettre de faire des histoires, de déclencher des bagarres, alors j'ai subi. J'ai subi en silence, encaissant les coups de reins et les coups de poings en ne pensant qu'au jour où je le reverrais enfin. Sauf que les blessures psychologiques étaient bien pires que les blessures physiques et, inconsciemment, j'en suis venu à la conclusion que c'était de sa faute. Que c'était de sa faute si je ne m'étais pas défendu. Que c'était de sa faute si ces types m'avaient violé.

C'est pour cette raison que je le détestais. C'est pour cette raison que je me suis comporté comme un connard avec lui. Je le repoussais pour le faire payer, parce que je vivais constamment dans une haine injustifiée à son égard. Je n'arrivais pas à faire la part des choses, entre le réel et l'inconscient. Le repousser, lui faire mal, le faire payer c'était tout ce dont j'étais capable même si, au fond de moi, je l'aimais et je l'aime encore.

Sauf qu'aujourd'hui les choses ont changé. Pour une raison que j'ignore, un détail dont je ne me souviens pas, le déclic s'est produit et j'ai compris. Peut-être que ce jour-là, lorsqu'il m'a demandé ce qui s'était réellement passé en prison, j'ai pris conscience qu'il était innocent et qu'il n'y était pour rien. C'est comme si l'ampoule s'était allumée dans ma tête, éclairant d'une lumière douce toutes mes pensées sombres et négatives. C'est là que j'ai commencé à essayer de faire des efforts : les attentions, les sourires, les baisers... tout ça, je ne me sens jamais aussi vivant que lorsque son corps rencontre le mien.

Malheureusement, la blessure psychologique de l'abus est toujours là. Je ne suis pas encore prêt à encaisser ses caresses sur moi, ni ses baisers, ni la carrure de son corps contre moi. Quand j'y pense, avec honte et désespoir, je réalise que je n'ai plus aucun souvenir de ce que signifie « faire l'amour ». Je ne me souviens que de la douleur, de la violence et des coups. Je ne me souviens pas de ses gestes à lui, même si je sais qu'ils étaient agréables à l'époque.

Je sursaute lorsque mon téléphone vibre à nouveau et brièvement dans ma main. Mon cœur s'emballe lorsque je vois son prénom à l'écran, au-dessus du texte d'un message. Je lis rapidement les quelques lignes qui y sont écrites.

DE : EVAN
9:01 PM – Et au fait, je t'ai pas raccroché au nez hier soir. J'avais juste plus de batterie... s'il-te-plaît réponds-moi.
9:03 PM – Je veux pas te perdre, je suis tellement désolé. Reviens à la maison...

Je ferme les yeux pour retenir mes larmes. Je n'arrête pas de penser à son visage enflé par la tristesse et ses yeux larmoyants lorsque j'ai quitté l'appartement. J'entends encore sa voix, suppliante et étranglée par les sanglots, parce qu'il avait mal. Moi aussi j'avais mal, et j'ai toujours mal, d'ailleurs.

Le cœur lourd, et même si je ne suis pas encore réellement calmé, je grimpe sur ma moto. Je respire à pleins poumons l'air doux de la soirée tout en roulant sans but dans l'espoir de me calmer.

X X X

Appartement 12, Etage 4 | BOSTON – 10:01 PM.

Je sens une odeur de vanille quand j'entre dans l'appartement. Je retire mes chaussures dans l'entrée, ainsi que ma veste en cuir, et dépose mes clés dans la vasque. J'ai le ventre douloureux et le cœur serré, angoissé et dans le flou. Je ne sais pas comment ça va se passer. Je ne sais pas vraiment quoi lui dire, comment le lui dire ni même quoi faire.

Cela pourrait sembler incompréhensible, mais je ne peux pas ne pas le pardonner. Je ne peux pas le repousser. Pas parce que je n'ai que lui, contrairement à ce qu'il pensait, pas parce que je n'ai nulle part où aller. Je ne peux pas le quitter parce que je l'aime. Tout simplement. Je lui en veux, et il va me falloir du temps pour m'y faire et pour encaisser la nouvelle, mais je ne peux pas le quitter. Je l'aime et je l'ai toujours aimé, et j'ai besoin de lui. Sans lui, ma vie n'a plus aucun but. Sans lui, c'est terne, morose et ennuyeux à mourir. Il y a Jose, bien sûr, mais c'est différent.

L'appartement est plongé dans l'obscurité, à l'exception de la faible lumière produite par une grande bougie à la vanille, et je marche doucement vers notre chambre. La porte est fermée mais je vois la lumière percer sous le seuil. Planté devant la porte, j'inspire profondément avant d'en abaisser la poignée.

Je me sens vide, sans émotions ni pensées, lorsque mes yeux se posent sur lui. Il est allongé sur le dos, sur les couvertures, vêtu d'un simple t-shirt et d'un boxer. Ses jambes sont étendues devant lui et ses mains sont croisées sur son ventre. Ses yeux, rougis par les larmes, quittent le plafond pour se poser sur moi. Il a l'air surpris lorsqu'il me voit la et, alors que je m'attendais à ce qu'il parle, il se ravise. Un sourire désolé et anéanti étire ses lèvres et, en silence, je m'approche de lui.

Mes genoux heurtent doucement le tapis installé de son côté du lit. Je m'agenouille contre le matelas et, sans un bruit, relève son t-shirt avec ma main gauche. Il laisse ses mains en l'air, surpris, tandis que je viens déposer un baiser sur son sternum. Silencieux, je pose ma joue contre sa peau et inspire son odeur comme un camé. Sa peau est chaude et douce, et j'apprécie cette fine ligne de poils qui traverse verticalement son torse, jusqu'à se perdre sous l'élastique de son boxer. Allongé là contre lui, je le regarde. Sa main droite, elle, vient finalement se poser sur mon crâne dont il caresse légèrement et tendrement mes cheveux.

- Je suis tellement désolé... c'est de ma faute.

Il fait « non » avec la tête, parce qu'il refuse de m'écouter. Peut-être que j'ai tort. Peut-être que ce n'est effectivement pas de ma faute et que le problème ne vient que de lui, mais pas pour moi. À mes yeux, nous avons tous les deux notre part de responsabilité dans ce qui s'est passé : il n'a pas su résister, et moi je l'y ai involontairement poussé.

- Non... arrête. C'est moi qui ai merdé, pas toi.

- Si... je ne te touches plus... je sais que tu en as besoin. J'ai agi comme un connard... t'avais le droit de m'en vouloir. Si ce mec a été gentil avec toi, et doux... et tout ce que j'étais pas, je comprends... j'ai été minable.

- Je t'aime. Peu importe ton comportement, Diego. Je n'aurais pas dû.

Il caresse ma joue avec son pouce et ce contact me fait du bien. Quand je le regarde, ma joue encore et toujours posée sur son ventre, je réalise à quel point il est beau. Je comprends encore une fois pourquoi j'en suis tombé amoureux, à l'époque : ses yeux. Ses putain d'yeux noisette, magnifiques et intenses. Ce sourire. Ce putain de sourire qui me rend dingue depuis des années.

- Je... on peut faire un break ?

Je vois que mes mots le chamboulent, qu'ils lui coupent le souffle, mais sais que je suis obligé de les dire. Je suis obligé de prendre une décision, pour une fois depuis que j'ai quitté la prison, importante pour nous. Je suis convaincu que c'est nécessaire et que nous avons tous les deux besoin d'un peu de distance. De plus, sa tromperie est trop présente et trop récente dans mon esprit : je ne me sens pas capable d'agir comme si de rien n'était. Malgré tout, même si je lui pardonne, je lui en veux. Et j'ai besoin de temps et d'espace pour encaisser tout ça.

- Oui... d'accord. Tout ce que tu veux.

- Je vais partir en Floride... j'ai besoin de ma famille.

- Oui. Pas de problème. Je suis congés pendant deux semaines... tu peux en profiter, je m'occuperai de Jose.

Il me regarde avec amour et, à cet instant précis, je lui en veux. Je lui en veux d'avoir craqué dans les bras d'un autre alors qu'il me regarde avec une telle intensité et sincérité que cela semble irréel. J'aurais aimé qu'il me parle. J'aurais été prêt à tout entendre si cela avait pu nous éviter tout ça.

- Bien.

- Tu... tu ne me quittes pas, alors ?

Une larme solitaire roule sur sa joue. Je le regarde un moment, tandis qu'il me fixe sans broncher dans l'attente d'une réponse. Puis, finalement, je relève ma tête de son ventre et plante mon visage devant le sien. Sans un mot, je lui vole un baiser. Il me le rend avec timidité, comme s'il ne se sentait pas digne de m'embrasser : mais c'est mon choix. J'ai envie de l'embrasser alors je l'embrasse. Peu importe ce qu'il pense et ce que certains pourraient penser de nous.

- Non. Je ne peux pas.

- Pourquoi... ?

- Parce que je t'aime, Evan.

À mes yeux, lui pardonner n'est pas signe de faiblesse. Au contraire, c'est pour moi un signe de force et de courage : surpasser la douleur et l'accepter, parce que l'amour qui nous lie est plus fort que tout. Depuis toujours.

.   .   . #gbsBigBangFIC 

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