CHAPITRE 27

02.06.28,
Appartement n°14, Immeuble 050, Quartier d'East Village | MANHATTAN – 11:14 AM.

Je ne suis pas surpris de découvrir que je suis seul dans l'appartement lorsque je me lève. Papa est au boulot, Abby est en cours, et à en juger par un petit mot laissé sur le comptoir par maman, cette dernière est à un rendez-vous avec son agent.

Je me laisse tomber, dépité, sur une chaise à la table de la pièce à vivre. Un pot de confiture y est posé ainsi qu'un plat en verre renfermant de délicieux pancakes cuisinés du matin. J'en dispose trois dans une petite assiette moderne et noire, mais les noie finalement sous une épaisse couche de sirop d'érable. Sans grande envie, bien que mon estomac soit tiraillé par la faim, je mange en silence.

Mes yeux caressent les environs : les murs, les meubles, les bibelots. Rien n'a vraiment changé ici en dix ans, à l'exception des rideaux et du tapis du salon. L'odeur dans la pièce est toujours la même, ce mélange de nos parfums et des bougies odorantes que maman adore allumer en soirée. C'est une odeur et une ambiance qui m'apaise, qui me fait du bien quand je suis ici.

Je quitte la table afin de me faire couler un café, à la machine à dosettes posée sur le plan de travail. Tandis que le liquide coule dans mon mug des Marvel Comics, je suis surpris par le tintement bref de mon téléphone portable. Je récupère ce dernier dans la poche arrière de mon jean et je sais malgré moi que mon visage se décompose.

DE : JAYDEN SHAW
11:20 AM – Salut Evan. Je n'ai pas osé te contacter après ce qui s'est passé.... Je ne sais pas quoi penser, en fait. J'ai besoin de te voir, de discuter avec toi. Cet après-midi... ?

Pendant un petit moment mes doigts survolent le clavier, mais je ne sais pas quoi répondre. Je me sens vide, en réalité. Ma nuit a été agitée par cauchemars et sueurs froides, et je me sens comme déconnecté. Je n'ai aucune idée de comment gérer la situation, désormais. Il veut me voir. Devrais-je accepter, pour uniquement discuter ? Je sais que j'ai merdé. Il s'est attaché à moi et, bien que je le sois aussi d'une certaine façon, je sais que je ne pourrai jamais lui offrir de qu'il souhaite. Moi aussi, quelque part, je le fais souffrir. Je m'en veux de ne pas l'avoir compris plus tôt.

Je récupère mon café et marche vers la table tout en relisant encore et encore son message. L'évidence me frappe encore une fois : je dois en parler à Diego. Je dois lui dire la vérité. Et, si je lui dis la vérité, si je suis honnête avec lui, il faut que les choses soient claires entre moi et Jayden. Je ne suis pas prêt à lui faire du mal, à lui donner le sentiment d'être rejeté encore une fois, mais je n'ai pas le choix.

À : JAYDEN SHAW
11:23 AM – OK pour cet après-midi. Où ça ? Peu m'importe.

Je verrouille mon téléphone et le pose brusquement sur la table. En silence, les yeux rivés sur un trophée remporté par maman l'année passée, je termine mon petit-déjeuner. Je m'affaire à la vaisselle ensuite, toujours en silence. Ce silence me permet de me poser, de ralentir les battements de mon cœur désordonnés et de réfléchir.

Je n'ai jamais eu aussi peur de toute ma vie, en fait, et je sais que c'est uniquement de ma faute. Je l'ai cherché. Mais j'angoisse : je ne peux pas perdre Diego. Je sais que je dois lui parler, tout lui dire, mais mon cœur et mon ventre sont tiraillés par la peur. J'ai besoin de lui. J'ai besoin de sa présence et de ses sourires, aussi rares soient-ils. J'ai besoin de son odeur, de sa voix, de ses yeux. J'ai tout simplement besoin de lui à mes côtés et, s'il en venait à me quitter, je crois que je ne m'en relèverai pas. Ce serait bien fait pour moi, bien sûr, et il aurait raison car je l'ai trahi, mais ce serait insupportable : il est mon tout, mon oxygène, ma vie.

Je gribouille un petit mot sur un papier que je laisse sur le comptoir, un simple « Merci pour tout, je vous aime. A+ » avant de récupérer mes clés et ma veste sur le dossier du canapé. Je me rhabille rapidement et, finalement, quitte l'appartement. Je me sens un peu comme un voleur à partir de cette façon-là, mais je sais que je ne peux pas me cacher ici éternellement. Je dois assumer mes conneries, et le plus tôt sera le mieux.

Quand j'entre dans ma voiture et que je prends la route en direction de Boston, je crois que je n'ai jamais eu aussi mal au ventre ni même le cœur aussi serré : je m'étouffe.

X X X

Starbucks | CAMBRIDGE – 3:39 PM.

Quand j'arrive en terrasse, mes yeux se posent instantanément sur lui. Ses grands yeux bleus me détaillent de haut en bas et je me sens terriblement mal à l'aise : il ne devrait pas me regarder comme ça, même si c'est agréable pour moi. J'essaie de masquer l'air dépité sur mon visage derrière un faux petit sourire lorsque je m'installe à la chaise libre en face la sienne, à cette table pour deux qu'il a choisie pour nous.

- Salut, je marmonne.

- Salut...

Je suis chamboulé par l'air totalement amouraché que je vois sur son visage et dans ses yeux lorsque je relève le regard sur lui. Il me sourit, sincère, et je me sens désormais comme une merde. Adorable, il me tend une grande tasse en carton où mon prénom est écrit, à la seule exception que l'une des baristas s'est plantée : je ne m'appelle pas Even. Bordel, c'est quoi leur problème ici ?

- Je lui ai dit que c'était Evan, mais... , dit-il gêné.

- Je sais... c'est pas grave.

- C'est un macchiato au caramel... je sais que tu les aimes.

- Merci.

Je me fige sur ma chaise lorsqu'il pose ses doigts fins sur le dos de ma main. Je me force à le regarder et, en fait, c'est merveilleux. Il me bouffe des yeux, littéralement, et je vois à son regard qu'il est sincère : il tient à moi. Il a des sentiments pour moi. Je me sens minable. Putain, je ne veux pas lui faire de mal.

- Evan, je...

- J'peux pas, Jayden...

Je dis ça d'une voix penaude, à peine audible, tête baissée sur ma tasse de macchiato. Je triture le capot en plastique avec mon ongle, nerveux, tout en attendant qu'il réagisse. Je le vois gesticuler du coin de l'œil, sur sa chaise, et j'ai désormais la nausée.

- Je sais.

- Q-quoi ?

C'est un regard surpris et perdu que je pose sur lui. Ses yeux bleus sont magnifiques mais je remarque qu'ils sont aussi larmoyants : je me hais. Il mérite mieux que moi, là, à le faire souffrir comme ça.

- Je sais... tu as un petit-ami, et tu l'aimes. Et, toi et moi, c'était une erreur.

J'ouvre la bouche pour parler mais aucun mot ne me vient : il a tout dit. Je dois avouer que je suis complètement déstabilisé. Il m'annonce ça sans grande émotion, ému mais pas plus que ça. En fait, il a carrément l'air résigné et ça me brise le cœur. Il reprend :

- Je l'ai compris... t'as pris la fuite, tu m'as même pas regardé... je sais que je ferai jamais le poids face à lui. Tu... t'as même murmuré son prénom quand on baisait, alors...

Je déglutis, mal à l'aise. Je déteste la larme qui perle au coin de son œil droit et qu'il vient cueillir avec son pouce. Je déteste la façon dont il s'avachit dans sa chaise, résigné et blessé, comme un enfant malheureux. Moi, je cherche mes mots mais la seule chose que je parviens à faire, c'est lui prendre la main. À ma grande surprise il ne la retire pas et j'en caresse le dos avec mon pouce.

- Je... tu comptes pour moi, Jayden. Je m'inquiète pour toi, et je tiens à toi. Je suis désolé...

- Te forces pas, marmonne-t-il.

- Je ne me force pas. Je... je veux être là pour toi. Je... j'ai peut-être tout gâché, mais on peut être amis. Si tu as besoin de discuter, de quoi que ce soit, je suis là. Tu le sais.

- Tu comprends rien, putain.

Il retire brusquement sa main et, désormais, me lance un regard haineux. À première vue on pourrait croire qu'il ne s'agit que de haine, de colère pure et dure, mais en fait ce n'est pas ça : c'est simplement le regard haineux parce qu'il a mal, parce qu'il est brisé quelque part là-dessous sous la coquille. Des larmes, discrètes, roulent sur ses joues et il les essuie avec le dos de sa main. Sa chemise en soie, noire ornée de motifs ethniques dorés, lui va à la perfection.

- Je comprends pas quoi... ? , j'hésite.

- J'ai pas besoin de discuter... j'ai pas besoin d'amis... j'ai juste... j'ai juste besoin qu'on m'aime vraiment, pour une fois dans ma putain de vie, Evan !

Ses mots ont l'effet d'un coup de poing dans le ventre, en plein estomac. J'ouvre la bouche pour parler mais je ne sais pas quoi dire. Je suis pris au dépourvu par son geste, quand il se lève de table afin de fuir. Je tends le bras pour essayer de l'en empêcher, mais il se recule.

- Jayden, attends...

- Tu peux pas comprendre... alors fous-moi la paix. J'veux plus te voir, putain.

- Jayden !

Grand et élancé, il se faufile à travers deux énormes vases à fleurs posés au sol afin de s'enfuir sur le trottoir. Je le vois s'éloigner, le pas rapide, ses cheveux bruns virevoltants dans la brise de fin de printemps et le dos voûté. Autour de moi, je remarque quelques clients qui me fixent l'air accusateur et, colère, je ne peux m'empêcher de lâcher :

- Quoi ?! Vous voulez ma photo, un autographe, un putain de café ?!

En parlant de café, je reporte mon attention sur le mien. Je fais tourner la tasse entre mes doigts, distrait. Il m'a commandé un macchiato au caramel, car il savait que j'aimais ça. Sauf que je ne le lui ai jamais dit. Comment a-t-il su ? J'ai la nausée un peu plus qu'il y a quelques secondes lorsque, à nouveau, je comprends qu'il tient réellement à moi au point que de simples détails de ma vie aient pu le marquer ainsi.

Pendant les quelques minutes qui précèdent mon départ de la terrasse, je pense à lui envoyer un message. Aussi stupide l'idée soit-elle, je pense à lui envoyer encore une fois à quel point je suis désolé et à quel point je tiens à lui malgré le fait que mon petit-ami compte plus que tout. Mais je me dis, encore une fois, que je ne suis qu'un imbécile : cela ne ferait que remuer le couteau dans la plaie.

Alors, à la place, je me contente de quitter les lieux en silence. Il ne veut plus me voir ? À contrecoeur, je me dis qu'au moins nous venons de régler un problème.

X X X

Massachusetts General Hospital | BOSTON – 4:27 PM.

Je sens les regards sur moi lorsque je traverse les couloirs de l'hôpital. J'entends même quelques murmures, qui se veulent être discrets mais qui ne le sont pas. C'est moi la victime. C'est moi le pauvre mec que Manfredi a essayé de se taper et qui lui a valu un renvoi immédiat. C'est à cause de moi que ces infirmières frustrées ne peuvent plus se rincer l'œil en le matant à longueur de journée. Seraient-elles jalouses, qu'il m'ait touché moi et pas elles ? Je ne comprendrai jamais, mais ça me met toujours dans une rogne pas possible : qu'ils aillent se faire foutre, toutes et tous.

- Hé, Evan !

Je souris, un petit peu, quand je vois Molly. Elle trottine vers moi, ses baskets neuves couinant sur le lino du bâtiment, et me serre très fort dans ses bras lorsqu'elle arrive à ma hauteur. Elle caresse mon dos avec énergie avant de prendre mon visage entre ses mains

- Comment tu vas, toi ? , me demande-t-elle tendrement.

- Pas très bien.

Elle me sourit tristement mais, contrairement à ce que j'aurais imaginé, je suis surpris de ne pas l'entendre insister. À la place, elle me dit :

- On termine à 5 :00 avec James, on va boire un verre au Red Hat. Tu veux venir avec nous... ?

- Avec James ? , dis-je surpris.

- Oui... on est ensemble.

- Non ?! Je suis content pour toi !

Je la serre fort dans mes bras elle aussi, attendri par son visage devenu pivoine à cause de la gêne. Je sais à quel point elle rêvait qu'il se passe quelque chose entre eux et la voir ainsi, heureuse, me remonte un peu le moral.

- Alors, c'est oui pour le verre ? , redemande-t-elle.

- Non, pas ce soir. J'ai à faire. Mais... un autre jour, avec plaisir.

- OK.

- Je dois y aller, là. Je t'envoie un SMS ?

- D'accord !

Elle me claque un baiser sur la joue avant de s'en retourner faire ce qu'elle faisait, près de la machine à café. Je souris lorsque je la vois se coller contre James qui, lui, passe son bras autour de sa taille : ils sont mignons. Le cœur un peu plus léger, je reprends mon chemin en direction du bureau du chef Grant. À sa porte, je frappe trois petits coups discrets avant d'entendre sa voix qui me demande d'entrer.

- Oh, Evan. Entre, je t'en prie.

Mal à l'aise comme toujours, je referme la porte derrière moi et m'installe sur la chaise capitonnée face à son bureau. Même s'il est assis, il est impressionnant vêtu de sa blouse blanche qui ne masque pas grand-chose de ses larges épaules carrées. Sa voix, grave, n'est pas non plus rassurante bien que je sache qu'il s'agit d'un homme poli, gentil et compréhensif.

- J'ai eu ton père au téléphone, ce matin. Que se passe-t-il ?

- Je... je me demandais si... si votre proposition de congés tenait toujours. Ou si c'est trop tard parce que cette histoire avec Manfredi est passée et...

- Que se passe-t-il, Evan ? Je sais que tu es un très bon chirurgien. Manfredi me le disait, et il n'était pas le seul. Et puis, je te vois tu sais. Tu as changé. Le métier ne te plait plus... ?

Cet homme est un ange. Il est juste adorable. Qui ne rêverait pas d'avoir un chef comme lui ? Il est là, à l'écoute et attentif à nous. Il se soucie de son équipe, médecins qualifiés ou simples internes comme moi, et c'est rassurant. Tout en restant évasif, je dis :

- J'ai... de très gros problèmes dans le privé. Depuis longtemps et... je croyais être capable de faire la part des choses, mais j'y arrive plus. Je suis épuisé, je ne dors presque plus et... je ne veux pas foirer mon boulot. J'aime être ici. Depuis gamin je rêve de devenir chirurgien et c'est ce que je veux faire de ma vie. Mais... c'est peut-être déplacé dit comme ça, parce qu'on est tous épuisés, mais j'ai vraiment besoin d'une pause... vraiment.

Je lutte comme un dingue pour retenir mes larmes. Je ne saurais pas expliquer pourquoi, mais je ressens l'envie d'éclater en sanglots et ne plus jamais m'arrêter. Peut-être parce que je suis ici dans un lieu rassurant, hermétique à tout ce qui se passe dans l'hôpital bien que le chef Grant ne soit pas psychologue. Peut-être parce que cet homme inspire la sympathie, le respect et la tendresse. Quelque part il est rassurant et j'ai l'impression que je pourrais tout lui dire.

- Combien de temps ?

- Hein ?

- Oui, combien de temps de congés tu souhaites ?

- Heu... je... je sais pas.

Je suis surpris par sa demande. Je m'attendais à tout, sauf à ça. Bien qu'il soit sympathique et attentif, je m'attendais à ce qu'il me dise de me bouger et d'aller de l'avant. Mon air surpris doit sans doute l'alarmer car il me dit :

- Evan. Si tu continues comme ça, tu files tout droit vers le burn-out. Ce n'est jamais bon de tout garder pour soi, et de ne pas dormir. Je n'ai pas envie que tu nous claques entre les doigts. Alors, combien de temps ? Deux semaines ? Trois semaines ?

- Je... je me disais qu'une semaine ça serait suffisant, en fait...

- Va pour deux, alors.

J'écarquille les yeux et un sourire gêné étire mes lèvres. Il pose sur moi un regard entendu et rassurant, comme s'il me disait « ne t'inquiètes pas, c'est normal » et je le regarde tandis qu'il s'affaire à remplir une feuille de congés et d'arrêt maladie. Le tic-tac de la pendule accrochée au mur m'angoisse, tout comme le brouhaha étouffé du couloir derrière la porte et les vitres opaques du bureau.

- Tiens. Ce document est pour les ressources humaines, et celui-ci pour ton école.

- Très bien. Merci beaucoup. Je ne sais pas comment vous remercier...

- Ne me remercie pas, Evan. Je sais à quel point l'internat en chirurgie peut être difficile, surtout lorsque l'on a des difficultés à surmonter à côté. Repose-toi, d'accord ? Et reviens nous en forme.

- Merci.

Je lui souris d'un sourire sincère. Mal à l'aise, je quitte son bureau après lui avoir souhaité une bonne journée. Contrairement à Manfredi, cet homme respire la gentillesse et, surtout, l'honnêteté. Il ne me donne pas des jours de congés pour m'amadouer, mais tout simplement car il se soucie de ma santé : c'est rassurant.

Je quitte finalement l'hôpital après être passé par le bâtiment administratif.

X X X

Appartement 12, Etage 4 | BOSTON – 6:48 PM.

J'ai erré quelques heures dans le parc, à simplement respirer l'air doux du mois de Juin et à écouter les oiseaux chanter. J'ai inspiré à pleins poumons, planté droit devant le petit étang, à regarder le soleil qui commençait à baisser dans le ciel. Dans ma tête, je n'ai pas cessé de me répéter un monologue ; celui où j'avouerais à Diego l'avoir trompé.

Sauf que désormais je suis ici, en train de pousser la porte de notre appartement, et que je n'ai plus aucun souvenir de ce que je m'étais préparé à dire et de comment je m'étais préparé à lui dire. Je me sens perdu, déconnecté, quand je referme la porte derrière moi et que les rayons du soleil, à travers l'immense fenêtre du salon, traversent la pièce jusqu'à mon visage.

Mon cœur bat à tout rompre dans ma poitrine quand je fais irruption dans la pièce à vivre. Diego est là, assis à table, un peu dos à moi. Ses écouteurs sont vissés dans ses oreilles et, pendant un moment, je le regarde travailler : ses yeux que je sais gris caressent le papier et ses doigts forts, refermés autour d'un crayon à papier, semblent dessiner des schémas et je ne sais quoi d'autre sur plusieurs feuilles blanches, éparpillées par-ci par-là sur la table. Son ordinateur portable, un peu vétuste, est posé à un coin de la table et ouvert sur une page google qui m'a l'air totalement incompréhensible.

Je cherche Jose des yeux et, à en juger par le bruit de l'eau dans la salle d'eau, je suppose qu'il est en train de prendre sa douche. Une douce odeur de légumes et d'épices vient à mon nez et, quand je jette un coup d'œil au-dessus du bar, je remarque un wok posé sur le feu : des nouilles sautées maisons. Je souris tristement : tout serait tellement beau et à sa place si je n'avais rien à me reprocher.

Délicatement, je pose ma main sur la nuque de Diego une fois arrivé à sa hauteur. Il sursaute sous la surprise, mais retire aussitôt ses écouteurs de ses oreilles. Moi, j'apprécie la chaleur de sa peau sous ma paume et, comme toujours, je ne peux pas m'empêcher de papouiller ses cheveux doux et soyeux.

- Hey, me dit-il.

- Salut.

Je lui souris tristement, et j'ai bien conscience que mon teint pâle l'alarme certainement. Il recule sa chaise de la table et me fait signe de m'asseoir sur ses genoux, ce qui me surprend quelque peu : jamais il ne m'a laissé faire ça depuis qu'il est sorti de prison. Je décline son invitation malgré tout, car je ne me sens pas le courage d'agir comme si de rien n'était.

- Tout va bien... ?

Il caresse mes doigts avec les siens tandis que, planté là comme un imbécile. Dois-je en parler maintenant ? Dois-je attendre après le repas, en soirée, lorsque Jose sera couché ? Je ne sais pas quoi faire, comment gérer, ni quel est le meilleur moment pour ça.

- Ca fait longtemps qu'il est à la douche ? , je demande.

- Non, il vient d'y aller. Pourquoi ? Si tu veux te doucher, tu vas devoir attendre un moment, il est horrible avec ça et...

- Non. C'est juste.... Il faut que je te parle.

- Oh. C'est grave ?

Je prends une chaise pour m'asseoir, retirant par la même occasion mes doigts des siens. Je m'installe face à lui, assez loin pour ne pas avoir à sentir une caresse où je ne sais quoi d'autre si jamais l'envie lui prenait de me toucher. Je regarde autour de moi, cet appartement qui, pour une fois, sent la vie et non la cigarette. C'est chaleureux, contrairement à ces derniers mois où je trouvais cet endroit glacial comme la mort. J'ai conscience des progrès et des efforts de Diego, pour moi, depuis que nous avons eue cette conversation. J'ai tout gâché.

- Je... je t'aime, tu le sais ?

- Evan...

- Tu le sais, pas vrai ? Tu sais que je t'aime ?

Je lève les yeux pour le regarder. Les miens sont larmoyants et le deviennent un peu plus encore lorsque je le vois froncer les sourcils, inquiet. Il est beau. Bon sang, ses yeux, son nez, ses lèvres. Je me noie dans ses iris grises, dans ses yeux encadrés par ses longs cils fins et sombres. Il tique quand une larme roule sur ma joue :

- Evan, bien sûr que je le sais. Il se passe quoi, là ?

Il est mort d'inquiétude, désormais. Je vois dans ses yeux la peur. Cette même peur lorsqu'il pensait, il y a quelques semaines, que j'allais le laisser tomber où qu'il pensait qu'il allait me perdre. Il pense certainement que je vais le quitter, là, malgré mes sentiments. Peut-être que ce serait plus simple. Je pense que j'aurais plus de courage à le larguer, tout simplement, qu'à lui avouer l'avoir trompé. Je sais à quel point il est possessif, tout comme je le suis aussi.

- Je... heu...

- Evan, parle.

- ... j'ai... j'ai couché avec un autre.

Je ferme les yeux. Je n'ai pas le courage de voir sa réaction, même si je le devrais. Je cesse de respirer quand le silence autour de nous devient désormais pesant et assourdissant. Je l'entends bouger sur sa chaise, avant de se fixer. Il me faut un bon moment pour moi-même encaisser mes paroles, la vérité. Je n'ose même pas imaginer l'effet que mes mots ont sur lui. Je n'ose pas imaginer ce qu'il pense, ce qu'il ressent à cet instant précis.

- Quoi ?

Sa voix est grave et colère, mais posée. Il ne va pas hurler, contrairement à ce que je pensais et contrairement à tout ce que j'avais imaginé. Il attend simplement des explications de ma part, et je ne me sens pas le courage de les lui donner. À la place, je dis :

- Je suis désolé... c'était une erreur.

- C'est jamais une erreur, Evan.

- Si... j'ai pas réfléchi, dis-je en pleurant. C'est toi que j'aime. C'est toi... pas lui.

- C'est qui ?

- C'est pas important...

- Si, ça l'est. Pour moi, ça l'est. C'est qui, Evan ?

Sa voix est désormais autoritaire. Je cherche mes mots un instant, perdu dans le silence, avant de lâcher :

- Un de mes anciens patients.

- Ancien ? Depuis combien de temps ?

- Je sais pas... depuis un mois.

- C'est arrivé combien de fois ?

Je n'avais pas réfléchi à cette question. Que dois-je lui dire ? Je ne sais pas quoi faire, quoi répondre. Quand j'ose lever les yeux sur lui, ça a l'effet d'un coup de couteau dans le cœur : il me fixe, la mâchoire serrée et les yeux sombres comme l'orage. Je vois la tempête dans ses iris et la tension dans sa mâchoire. Il est en colère mais ne dit rien. Et, en fait, je crois que j'aurais préféré qu'il explose, comme il le faisait à l'époque. J'aurais préféré ça à ce faux calme dont il fait preuve, là, devant moi. Il me regarde avec mépris et je me sens comme une merde. Je ne suis qu'une merde.

- Deux... un baiser et... ça. Je suis désolé...

Je le vois sourire, avant de se mettre à ricaner, et je sais que c'est nerveux. Je reste là, avachi sur ma chaise, la vue floutée par les larmes et la gorge nouée par les sanglots. Je me sens vide et sous le choc quand il se lève, qu'il enfile sa veste et qu'il se munit des clés de sa moto. Je me lève à mon tour et, désespéré, tente de le rattraper.

- Diego, s'il-te-plaît, ne pars pas...

Je pleure. Je m'agrippe à son bras comme une moule à son rocher, tout en essayant de l'attirer à moi. Malheureusement, il a toujours été plus fort et plus baraqué que moi, alors c'est lui qui me traîne à travers la pièce sans même se soucier de moi. J'ai conscience du ridicule de la situation, du tableau déprimant que j'offre là, mais je ne peux pas. Je ne peux pas le laisser partir, pas comme ça.

- S'il-te-plaît... où tu vas ? , je chouine.

- J'me casse. Avant de dire des choses que je pourrais regretter. Suéltame !

Il perd son sang froid sur le mot en espagnol et, secoué par la violence de son geste, je titube en arrière tandis qu'il me repousse. Je le regarde s'approcher de la porte d'entrée, le torse bombé, tandis que je pleure à chaudes larmes. Je ne sais pas où il va, je ne sais pas ce qu'il va faire. Est-il en train de me quitter, là ? A-t-il seulement besoin de prendre l'air, de réfléchir, avant de discuter réellement avec moi ? J'ai peur. J'ai peur de l'inconnu, de son silence.

- Diego...

Je me sens vide quand la porte d'entrée claque après qu'il ne soit sorti de l'appartement. Plongé dans le silence et dans mes remords, je me traîne jusqu'au canapé afin de laisser libre cours à mes larmes.

Et, même si ce n'est pas son rôle, j'accepte l'étreinte rassurante que Jose, apparu comme par magie, me donne afin de me consoler. 

.   .   . #gbsBigBangFIC 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top