CHAPITRE 23
23,05,28,
Massachusetts General Hospital | BOSTON – 7:59 AM.
Je retrouve Diego et Jose dans une chambre d'hôpital. La télévision est allumée sur un dessin animé, mais je vois le joli visage de Jose blotti contre un oreiller. Ses paupières sont légèrement fermées et j'en déduis qu'il s'est endormi. À ses côtés, Diego est installé sur un fauteuil assez inconfortable et lui tient la main, les yeux rivés sur le soleil qui se lève à travers la fenêtre. Il se rend compte de ma présence lorsque je laisse tomber mon sac de sport au pied du lit, en un petit bruit sourd.
- Hey, me dit-il.
- Coucou.
Je lui souris tendrement tout en m'approchant de lui. Je glisse une main affectueuse sur sa nuque tout en me penchant afin d'observer un peu plus le visage de Jose : ce dernier a l'air d'aller bien. Tout en prenant soin de ne pas le réveiller, je contrôle rapidement son pouls ainsi que sa respiration avant de sourire, attendri.
- Tu as fini ? , me demande Diego en me reluquant de la tête aux pieds.
- Oui, il est huit heures.
Je suis vêtu de mes propres vêtements – un simple jean et un hoodie – au lieu de ma blouse blanche de médecin. Je me suis changé en quatrième vitesse dès la fin de mon service avant de me précipiter dans cette chambre afin de les retrouver. Un bâillement m'échappe tandis que je pose mes yeux la télévision.
- Tu devrais rentrer... et te reposer. Je vais rester ici, avec lui.
- Non, c'est bon. Je vais rester. Il devrait sortir en début d'après-midi.
- Tu n'es pas obligé, Evan, tu sais...
- Je sais. J'y tiens.
Je souris tendrement à mon petit-ami, qui me regarde avec de jolis yeux gris. Il a l'air fatigué et perturbé, mais cela ne l'empêche pas d'être toujours aussi magnifique. J'ai le cœur qui loupe un battement lorsqu'il me sourit, à peine, du coin des lèvres. C'est après un petit moment de silence passé à nous dévorer du regard que je prends la parole :
- Par contre je vais aller manger un morceau. Tu veux venir ? Ou bien tu veux quelque chose... ? , je propose.
- Non, merci. Je vais rester ici.
- D'accord.
Je quitte la chambre discrètement, mon badge d'interne dans la poche de mon pantalon. Je traverse les différentes ailes et les différents services de l'hôpital afin d'atteindre la cafétéria. Un sourire étire mes lèvres lorsque je vois Janet, derrière le comptoir.
- Salut Janet !
- Salut mon grand. Alors, comment ça va ?
- Ça va. Un peu fatigué. Tu me sers un grand café, avec un muffin s'il-te-plaît ?
- Bien sûr. Tu ne rentres pas chez toi ?
Je feuillette le flyer du menu de la semaine à venir, posé sur le comptoir, tout en répondant :
- Non. L'un de mes proches est hospitalisé, je vais rester avec lui.
- Oh, mince. Rien de grave, j'espère ?
- Non, juste un choc anaphylactique. On le garde pour s'assurer qu'il va mieux.
- Oh, je vois.
Je récupère le muffin ainsi que la grande tasse de café noir qu'elle me tend. Je passe mon badge dans la machine prévue à cet effet.
- À plus tard !
- À plus mon grand !
Les mains encombrées, je m'installe à une table de la cafétéria près de la fenêtre. Je sors mon portable de ma poche afin de me connecter sur mes réseaux sociaux, tout en sirotant mon café au préalable bien – voire trop – sucré. Je croque une bouchée de muffin au chocolat tout en scrollant mon fil d'actualité sur facebook : des photos d'animaux, des vidéos de paysages, des memes ridicules, des news frais du matin.
Mon attention est attirée par le visage de Jayden, sur l'écran de mon téléphone. Dans un premier temps, sans vraiment y faire attention, je me dis qu'il s'agit d'une information concernant un concert, ou je ne sais quoi d'autre relatif à la musique. Or, quand je m'y intéresse de plus près, le lien d'un article provenant d'un blog populaire, concernant people et potins en ligne, me fait froncer les sourcils. Curieux, je clique afin d'ouvrir l'article.
« JAYDEN SHAW / ROCK, SEX AND DRUGS ;
Le fils rebelle de notre gouverneur fait encore des siennes. Après le scandale de septembre dernier où il avait été arrêté par la police en état d'ébriété lors d'une conférence de presse de son père, Jayden Shaw a hier soit été aperçu en charmante compagnie. En effet, le jeune homme semble bien décidé à entacher encore une fois la réputation de son père : une source anonyme nous confirme que Jayden Shaw aurait participé à une orgie dans l'un des clubs libertins-gay de Cambridge, sans surprise sous l'emprise de drogues. Comment Gary Shaw va-t-il réagir à ce nouveau scandale ? Photo à l'appui ! »
Le cœur serré, je scrolle l'article vers le bas. J'ai la nausée lorsque je vois une photo, de très mauvaise qualité, de Jayden totalement nu. La qualité médiocre de la photo, prise dans la presque obscurité, ne permet pas de distinguer ses parties intimes ni même son visage de façon nette, mais ses tatouages sont reconnaissables. Sur la photo, des corps nus dont les visages sont volontairement floutés sont enlacés – j'en compte quatre – et on peut clairement remarquer, malgré le floutage de l'image, que des bouteilles d'alcool ainsi que quelques sachets d'herbe et seringues à shoot sont disposés sur une table. Je verrouille mon téléphone avec précipitation et le pose sur la table, comme si je m'étais brûlé. Je n'arrête pas de penser à ce que je viens de lire tout en terminant mon petit-déjeuner.
Quand je repars en direction de la chambre de Jose, après avoir posé ma tasse vide sur le comptoir, je fourre mes poings serrés dans mes poches : l'image du corps nu de Jayden enlacé à ceux d'autres hommes me met en colère et, malheureusement, je sais qu'il s'agit d'une forme de jalousie. Pas de la jalousie possessive, car il ne m'appartient pas et que je n'ai pas envie qu'il m'appartienne. C'est de la jalousie malsaine, parce qu'il me harcelait hier pour me revoir et que son attention s'est finalement portée sur d'autres garçons que moi. J'ai désormais la nausée.
Je me regarde dans le reflet d'une porte vitrée lorsque j'entre dans le service d'ambulatoire : je me dégoûte. J'ai envie de me claquer moi-même, afin de me remettre les idées en place. Je me sens perdu. Je ne connais pas Jayden, même si nous nous sommes embrassés une fois et que j'ai apprécié les quelques moments passés en sa présence. Je ne sais rien de lui, ce n'est même pas un ami, mais je sais que c'est une bonne personne malgré ce qu'il essaie de montrer. Le voir dans cette situation, exposé aux yeux du monde entier dans des magazines people à chaque fois qu'il fait un pas de travers me fait mal au cœur. Aussi, j'ai mal : c'est un gars rebelle et livré à lui-même, perdu d'une certaine façon.
- Wright ?
Je sursaute quand j'entends la voix de Manfredi dans mon dos. Quand je me retourne, je le vois arriver vers moi. Ses sourcils sont froncés et, surpris, il me demande en posant une main sur mon épaule :
- Qu'est-ce que tu fais encore ici ?
- J'attends que Jose sorte d'hospitalisation.
- Oh. Comment va-t-il ?
- Très bien.
Je bouge nerveusement l'épaule afin qu'il retire sa main, ce qu'il fait. Ses grands yeux sont posés sur moi et je remarque une barbe de quelques jours, mal rasée, sur son menton et sa mâchoire. L'odeur de son parfum pour homme empeste l'air autour de nous. Je me sens mal à l'aise.
- Pour un couple qui est en train de couler, vous avez l'air de bien vous entendre avec ton petit-ami.
Je lève les yeux au ciel tout en faisant un pas en arrière afin de m'éloigner de lui. Je suis dégoûté par le rictus malsain qui étire ses lèvres lorsqu'il poursuit :
- Tu m'as dit qu'il était en prison, n'est-ce-pas ? Je suis convaincu que tu mérites mieux qu'un type comme lui, Evan.
Il tente de poser une main sur ma joue et, quand je regarde autour de moi, je constate que le couloir est désert et silencieux. Je me sens pris au piège, en fait, et mon cœur commence à battre de manière irrégulière. Tout en m'efforçant de parler avec mépris, je dis :
- Ah ? Et je mérite quoi, d'après vous ? Quelqu'un comme vous, narcissique et imbus de lui-même ? Je ne crois pas.
Je regrette aussitôt mes paroles, parce que je sais que cela pourrait me valoir un renvoi immédiat : ne jamais contrarier Manfredi, c'est la règle numéro un. J'aimerais demander directement au bon Dieu pourquoi c'est tombé sur moi, pourquoi il me veut moi et pas James ou je ne sais quel autre être humain de notre promo. C'est la dernière des choses dont j'avais besoin, là.
- Evan...
Je me crispe quand il glisse une main sur ma taille. Je recule, mais me retrouve rapidement bloqué contre un mur, dans un recoin de réserve à pharmacie. Je déglutis quand ses deux mains agrippent finalement ma taille, et que son visage s'approche du mien : je sens son haleine dégoûtante de café mêlée au parfum entêtant de son cou, et je ferme les yeux : j'ai peur. Je n'ose pas hurler, car il s'agit de mon supérieur et que son charisme m'impressionne, mais je n'arrive pas à me libérer de ses mains : il est fort.
-... ton mec ne te satisfait pas, je le vois. Je pourrais te faire tellement de bien... te faire jouir tellement fort... je sais que tu as envie que je te baise. Je le vois, t'es toujours là à te pavaner devant moi comme une traînée... ton cul me rend dingue, Wright.
Ses mots crus me donnent la nausée et j'ai l'impression d'être dans un autre monde : comment a-t-on pu passer de sa drague gentille et délicate à... ça ? Je suppose que, la manière douce n'ayant pas fonctionné, il essaie simplement d'obtenir ce qu'il veut avec la manière forte. J'ai la haine. Je pose mes mains sur ses poignets lorsqu'il glisse ses mains sur mes fesses, afin de l'arrêter. Il cesse de bouger, de me peloter, mais ses doigts sont posés sur mes fesses et mon ventre se tord douloureusement : j'ai besoin qu'il me lâche.
- Je... lâchez-moi. S'il-vous-plaît.
- Me supplieras-tu ainsi lorsque je te baiserai ? Oh, allez, Evan. T'as le cul en feu, je le sais.
Une larme roule sur ma joue, alors que des images me passent par la tête : je vois Diego, ces quelques fois où nous avons failli faire l'amour avant qu'il ne se retrouve tétanisé par la peur. Je me revois me toucher, seul dans notre lit, parce que j'ai envie de sexe et que mon petit-ami n'est pas en mesure de me faire du bien. Manfredi n'a pas tort : j'ai envie de baiser. Dans le fond je suis frustré et en manque, mais pas comme ça. Le fait qu'il mette des mots si crus sur ce que je ressens me retourne le cœur : il me dégoûte. Je ne pensais pas que ça irait si loin.
- Ne me touchez pas...
- Arrête de faire ta sainte ni touche, Wright.
Je me débats lorsque ses doigts glissent sous mon jean, contre mes fesses. Il me bloque avec sa jambe, son genou entre mes jambes, et la poigne de l'une de ses mains agrippe mes cheveux : il maintient mon crâne contre le mur. Je plonge mes yeux dans les siens et le regarde avec haine.
- T'es tellement excitant, Wright, quand tu me regardes comme ça.
Je sursaute lorsque je le vois reculer brusquement. Il me faut un bon moment pour comprendre qu'il n'a pas reculé de lui-même : Diego l'a empoigné par les épaules de sa blouse et l'a envoyé valser contre le mur voisin. Il faut un bon moment à mon supérieur pour retrouver l'équilibre, tandis que Diego lui fait face les poings serrés et le torse bombé au maximum. Moi, je suis tétanisé : c'est de la sidération. Je n'arrive pas à croire ce qui vient de se passer.
- Hijo de puta, t'as cru que t'allais t'en tirer comme ça ?!
- Ohlà, du calme.
- Espèce de fumier. Vous harcelez tous vos internes comme ça ?!
- Uniquement les traînées en chaleur, badboy.
Je ferme les yeux lorsque j'entends ses mots, crus et dégoûtants. Je ne comprends pas, en plus, pourquoi il dit ça : je n'ai jamais rien fait. Je ne me pavanais pas devant lui, je n'ai jamais parlé de ma vie privée mis à part ce jour-là sur le toit alors que j'étais exténué. Il ne sait rien de ma vie sexuelle, de ce dont j'ai besoin ou pas. Je ne sais pas pourquoi il dit que je suis une traînée alors que je m'efforce d'être discret et de faire simplement mon boulot.
J'entends le poing de Diego s'écraser sur son visage. J'ouvre les yeux et le découvre à califourchon sur mon supérieur, ses poings fermés, en train de lui fracasser le visage. Je me revois dix ans en arrière, lorsqu'il se battait avec Whitaker au lycée. J'ai mal au ventre et, quand je vois l'attroupement d'infirmiers à l'autre bout du couloir, je panique : les types de la sécurité vont rappliquer d'un moment à l'autre.
- Diego... arrête, s'il-te-plaît.
Je m'accroupis près de lui et, comme à l'époque, pose ma main sur son visage pour le calmer. Aussitôt, il cesse d'abattre ses poings sur le visage désormais tuméfié de Manfredi. Ses yeux remplis de larmes, qui coulent abondamment sur ses joues. Il pleure à chaudes larmes, anéanti, et me regarde. Je vois la douleur dans ses yeux gris.
- Arrête, tu vaux mieux que ça.
Je cueille les larmes sur ses joues avec mes pouces : je l'aime. Je l'aime plus que ma propre vie. Je l'aime à en mourir. À nouveau, là, j'oublie tout : j'oublie Manfredi, les infirmiers et infirmières qui nous regardent. Je le dévore des yeux et il n'y a que lui qui compte. Je n'ai même plus l'impression d'être sur Terre. Il est mon tout, mon ancrage.
- Il... il allait te...
Je hoche doucement la tête, en murmurant un « je sais » à peine audible. Je caresse son nez, ses yeux et ses joues avec mes pouces afin de le rassurer. Tout doucement, je prends ses doigts légèrement recouverts de sang entre les miens. Je l'attire à moi afin de l'aider à se relever. Au sol, Manfredi gémit de douleur et de haine :
- T'es viré Wright !
- Oh, vraiment ? , dis-je sur un ton condescendant. Tant mieux ! Je n'ai aucune envie de finir mon cursus en étant supervisé par un pervers sexuel. Et je porte plainte, espèce de connard !
Je lui décroche une claque, accroupi à ses côtés tandis que Diego se trouve debout dans mon dos et totalement tétanisé. Manfredi, cet idiot, ricane et me dit d'une voix faible :
- Tu crois vraiment que les flics te croiront, Wright ? Descends de ton petit nuage, je suis intouchable. Et, toi, t'es qu'une petite fiotte... ta carrière est fichue avant même d'avoir commencé.
- Je...
- Je ne crois pas, non.
Je sursaute quand une voix féminine mais autoritaire s'élève dans mon dos. Je me redresse afin de découvrir le docteur Jenkins, une femme magnifique aux jambes longues et à la poitrine assez volumineuse. Elle agite un téléphone portable sous ses yeux, l'air fière, avant de dire calmement :
- J'étais dans la réserve, imbécile. Toute ta petite scène avec ce pauvre Evan est enregistrée là-dedans. C'est plutôt toi qui devrais t'inquiéter pour ta carrière, Man'.
Elle me lance un regard entendu et s'approche de deux gorilles de la sécurité qui arrivent en courant. Je les vois, à l'autre bout du couloir, qu'ils discutent calmement. Quand ils s'approchent de nous, je me place automatiquement devant Diego afin de le protéger. Je suis surpris lorsqu'ils se baissent finalement afin d'empoigner Manfredi par les épaules afin de le relever de force.
Je ferme les yeux lorsque Diego passe ses bras autour de moi afin de me serrer très fort contre lui. Il pose son menton sur mon épaule et plaque son torse contre mon dos. Mon corps tremble encore de la tête aux pieds, choqué par ce qui vient de se passer : je ne réalise pas encore ce que je viens de vivre. Je lève le bras afin de poser ma main sur son crâne, mes doigts dans ses cheveux. Je sursaute lorsque mon bipper se met à retentir dans ma poche : lorsque je m'en saisis, je constate qu'il s'agit d'un appel du chef de l'hôpital.
- Je dois y aller. C'est le chef.
- Je viens avec toi, me dit Diego.
- Non, ça va aller. Retourne auprès de Jose, d'accord ? Il va avoir besoin de toi s'il se réveille. Je reviens.
Il hoche la tête, entendu, avant de m'embrasser sur le front. Il s'en retourne vers la chambre de Jose, à contrecoeur. Moi, je prends finalement le chemin du bureau du chef Grant : les infirmiers et infirmières murmurent, choqués, sur mon passage mais je les ignore.
C'est le cœur battant à 100 à l'heure que j'entre dans le bureau du chef, où sont déjà installés Manfredi et la belle docteur Jenkins.
X X X
Appartement 12, Etage 4 | BOSTON – 2:11 PM.
Le choc subi par Jose suite à sa réaction allergique l'a exténué, et la nuit passée à l'hôpital ne l'a pas aidé à se reposer, bien qu'il se soit endormi quelques heures. Diego referme la porte de la chambre d'amis derrière lui et, silencieusement, s'approche de moi.
Nous n'avons pas reparlé de ce qui s'est passé ce matin avec Manfredi. J'ai été occupé une bonne partie de la fin de matinée, dans le bureau du chef, à répondre aux questions d'un flic dépêché sur place afin de prendre ma plainte, sous les yeux du principal accusé. Le regard noir de Manfredi ne m'a pas découragé et, soutenu par le docteur Jenkins, j'ai balancé tout ce que j'avais à dire à son sujet. Le chef Grant, lui, s'est contenté de lui coller une mise à pied à effet immédiat, en attendant la suite des événements. Il m'a aussi proposé quelques jours de repos, que j'ai refusés : travailler m'aidera à aller de l'avant. Je n'ai aucune envie de me terrer chez moi en ressassant ce qui s'est passé.
D'ailleurs, je n'arrive toujours pas à réaliser ce qui s'est passé. Je suppose que j'ai été sidéré, clairement, et qu'il va me falloir un bon moment avant de comprendre l'ampleur des événements et les conséquences qui vont en découler. Je me demande si l'histoire va se répandre au sein de l'hôpital, comme tous ces ragots qui se propagent à la vitesse de l'éclair, ou si les responsables vont faire en sorte d'étouffer l'affaire : cela ne donnerait pas une bonne image de notre hôpital, de notre service de chirurgie qui est l'un des plus réputés de la côte est. Je stresse en pensant à mon retour là-bas.
Assis sur un tabouret près du comptoir, j'écarte les cuisses quand je vois que Diego s'approche de moi. Il s'y glisse doucement et pose ses mains sur mes genoux. Me surplombant de sa grandeur, il pose ses yeux gris sur mon visage. Je lui souris, tristement, quand je vois la lueur d'angoisse dans ses yeux. Je remarque qu'il s'apprête à parler, qu'il cherche ses mots, alors j'attends.
Je suis étonné par les changements dans son comportement ces derniers temps : il est plus attentionné, plus tactile. J'ai le sentiment qu'il se soucie un peu plus de moi, et ça me fait du bien. Il y a quelques semaines en arrière, il n'aurait jamais été aussi proche de moi qu'à cet instant précis. Là, il est entre mes jambes et me regarde, détendu. Avant, il m'aurait à peine laissé lui toucher la main.
Je suppose que la conversation que nous avons eue, concernant ses années en prison et ce que je ressentais, a été nécessaire malgré le fait qu'elle se soit mal terminée. Le brusquer a été peut-être une façon de lui faire ouvrir les yeux : j'ai le sentiment au fond de moi que tout va finir par s'arranger. Je retrouve espoir.
- Depuis combien de temps ça durait... ?
Je fronce les sourcils, dans un premier temps surpris car je ne comprends pas de quoi il parle. Puis, quand je vois la détresse dans ses yeux et sa mâchoire serrée sous la colère, je comprends : Manfredi. Je pose mes doigts sur les siens, sur mes genoux, et caresse le dos de ses mains avec mes pouces. D'une petite voix, je dis :
- Je... un petit moment. Mais... il n'avait jamais agi comme ça, avant.
- Comment ça ? , demande-t-il en fronçant les sourcils.
- Il me... faisait du rentre dedans, mais... c'était très... poli.
- Poli ?
Il retire ses mains et me regarde, comme s'il était dégoûté par ce que je viens de lui dire. Je sais que mes mots ne sont pas forcément adaptés, que ce ne sont pas forcément les bons, mais je ne sais pas comment le dire autrement.
- Oui. En fait... je croyais qu'il me draguait, tout simplement. J'aurais jamais pensé qu'il puisse être... aussi... sale et pervers.
- Est-ce qu'il t'avait déjà touché, avant ce matin ?
Je déglutis. Je baisse les yeux sur mes mains, désormais seules sur mes genoux, tandis que les siennes pendent le long de son corps. Je viens toucher ses doigts du bout des miens tout en sentant une nausée me bloquer la gorge au souvenir des mains de Manfredi.
- Non... enfin... juste des mains baladeuses, quelques fois.
- Juste. JUSTE ?! Tu te fiches de moi, Evan ?! Pourquoi tu me l'as pas dit ?
- Je sais pas.
En fait si, je sais : notre couple se porte assez mal, je ne voulais pas en rajouter une couche. Surtout pas après avoir compris ce qu'il a subi en prison. Je ne me voyais pas lui raconter que mon supérieur me draguait lourdement alors qu'il a été si salement abusé en prison, au point de refuser de me toucher.
- Bordel mais... il t'aurait... si j'avais pas été là il aurait abusé de toi, Evan !
- Je sais.
Je sais qu'il m'a sauvé la mise sur ce coup-là. Je ne sais pas si Jenkins serait intervenue, planquée derrière la porte de la réserve, malgré le fait qu'elle enregistrait notre échange. Je déglutis, mal à l'aise.
- J'vais le tuer ce fils de pute !
Il envoie valser un éco-cup posé là sur le comptoir, vide. Il bouillonne, les poings serrés, tout en faisant les cent pas dans le salon comme un lion en cage. Je le regarde, malheureux, quand je réalise qu'il réagit ainsi au souvenir de ce que lui-même a pu vivre. Même si, bien sûr, ce n'est en aucun cas comparable. Je descends de mon tabouret afin de m'approcher de lui. Je glisse mes doigts dans les siens et essaie de capter son regard. Quand nos iris se trouvent, je dis :
- Ne t'occupe pas de lui, il n'en vaut pas la peine.
- Mais il...
- Je sais. La police va s'en charger. Quelque chose me dit que je n'étais pas le premier.
Il serre les dents, totalement en désaccord avec ce que je dis. Diego a toujours été comme ça : borné, à foncer tête baissée pour suivre son idée malgré parfois qu'elle soit stupide. Malgré tout, il ne dit rien et s'efforce de se radoucir pour me faire plaisir. Je lui souris, tendrement, tout en posant ma main sur sa joue. Tout bas, je lui dis :
- Je t'aime, Diego Flores.
Je viens me blottir contre lui et ferme les yeux lorsqu'il referme ses bras musclés et tatoués autour de moi pour me protéger. Comme avant.
. . . #gbsBigBangFIC
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