CHAPITRE 21

19.05.28,
Appartement 12, Etage 4 | BOSTON – 7:20 AM.

Je suis figé, encore sous le choc. Quand je regarde à travers la fenêtre du salon, qui donne sur l'espace vert en bas de l'immeuble, je vois les rayons du soleil qui commencent à percer à travers les arbres. Contre moi, Diego est en train de se ressaisir : il me lâche afin d'essuyer ses joues avec le dos de sa main. Il inspire profondément, comme s'il souhaitait se calmer, et se fige ensuite. Ses yeux sont rivés sur le tapis du salon et ses épaules sont affaissées.

- Tu... t'es en train de me dire qu'on se retrouve avec un gosse à charge, là ?

Je ne sais pas quoi dire. Je ne suis pas pour, mais je ne suis pas contre non plus. Je suis juste déçu d'être pris au dépourvu comme ça, d'arriver chez moi et trouver un gamin de treize ans sur le canapé alors qu'il y a des choses que nous n'avons pas encore réglées tous les deux.

- Ouais... j'suis désolé.

- Tu crois vraiment qu'on est capables de gérer un gamin, Diego ? Sans déconner.

- Je sais... mais il n'a plus personne. Je... j'pouvais pas l'abandonner. Pas lui.

Je suis touché de le voir aussi investi. Dans le fond je n'ai jamais su quelle relation il entretenait avec Jose, avant que ce dernier ne meure sous les coups de Luis Flores Sr. Je sais qu'ils étaient amis, frères de cœur, mais j'ai toujours eu le pressentiment que c'était peut-être un peu plus. Le voir aussi engagé, prêt à s'occuper d'un gamin dont il ignorait tout il y a encore quelques mois, me réchauffe le cœur. Je me dis que peut-être tout n'est pas perdu.

- Je sais que j'aurais dû t'en parler, Evan... je suis désolé.

Je lui souris tristement quand il pose un regard désolé sur moi. Ses yeux sont rougis par les larmes et je vois ces dernières séchées sur ses joues. Je ne saurais décrire ce que je ressens, mais c'est étrange : c'est un sentiment d'amour immense, de fierté, mais aussi de culpabilité. Un éclair de lucidité me permet de me souvenir de la connerie que j'ai faite avec Jayden, et j'ai désormais la nausée.

Je viens délicatement nouer mes doigts aux siens, en me jurant intérieurement de ne plus jamais m'approcher de Jayden. Je mets de côté aussi Manfredi, qui m'a énormément perturbé, et me focalise uniquement sur Diego. Je me souviens de notre presque conversation, de son aveu silencieux concernant son calvaire en prison. D'un geste prudent, je viens poser mes doigts sur son menton. Quand je vois qu'il n'essaie pas le lutter, de s'éloigner, je tourne tout doucement son visage vers le mien afin qu'il me regarde. Je le vois loucher sur ma bouche juste avant qu'il ne ferme les yeux. D'une voix douce, je dis :

- Je suis désolé d'avoir réagi comme un con, quand on a parlé de tu sais quoi. J'ai été maladroit. Mais Diego... tu peux me parler, d'accord. Je peux comprendre que ce soit encore trop tôt pour qu'on... se touche, mais tu peux avoir confiance en moi. Tu peux me parler, depuis toujours, d'accord ? Et tu pourras toujours me parler.

Il hoche doucement la tête, en guise de « oui » et un petit « je sais » quitte ses lèvres pulpeuses que je sais douces et tendres. Je caresse tendrement l'arrête de son nez avec mon pouce, juste avant qu'il n'ouvre les yeux. J'ai envie de l'embrasser, de le serrer contre moi, mais à la place je dis tout bas :

- Comment on gère ça, maintenant ... ?

Il ouvre la bouche pour parler, mais l'air surpris sur mon visage quand je vois Jose Jr quitter la chambre d'amis le coupe dans son élan. Nous tournons tous les deux nos visages vers le gamin qui, l'air dépité et les yeux larmoyants, reste planté au beau milieu de la pièce. Ses mains sont fourrées dans les poches de son hoodie et sa tête est rentrée dans ses épaules.

- Diego...

J'ai l'impression que mon cœur explose quand il éclate en sanglots, anéanti. Diego lui ouvre ses bras et le gamin vient s'y blottir sans se faire prier. Bien qu'il ait treize ans et que ce soit un jeune adolescent, son comportement dans cet instant si douloureux est semblable à celui d'un enfant malheureux après un caprice. Je les regarde tous les deux, tandis que Diego le berce doucement dans ses bras fort en lui murmurant des mots rassurants.

- ... j'veux rester avec toi.

- Je t'abandonne pas, Jose. T'inquiète pas.

Un petit sourire tendre étire mes lèvres, triste mais fier. Ce gamin est attaché à Diego, c'est sûr, et c'est réciproque. Je n'ai pas le droit de m'opposer à ça et, dans le fond et malgré mes réticences, je n'en ai pas envie. Je suis prêt à accepter la décision de Diego, son engagement, même si je ne me sens pas prêt à vivre avec un gosse sous notre toit étant donné des difficultés que nous traversons dans notre couple.

Je pose une main sur le dos de Jose et le caresse affectueusement afin de lui montrer mon soutien. Il tourne la tête vers moi ensuite, les yeux larmoyants. C'est à cet instant que je remarque la couleur de sa peau, matte comme celle de Diego, et ses jolis yeux verts. Ses cheveux sont châtain clair, mais épais.

Je m'attends à ce qu'il parle, à ce qu'il dise quelque chose, mais il revient finalement blottir son visage au creux du cou de Diego qui, lui, referme ses bras forts autour de lui.

- Viens mon grand, on va se coucher.

Diego se lève et l'emporte dans ses bras, tandis que Jose s'accroche à sa taille avec ses jambes. Je les regarde s'éloigner, un petit sourire aux lèvres, parce que la façon dont Diego prend soin de lui me met du baume au cœur. Tandis que j'inspire profondément afin de calmer les battements de mon cœur, je prends le chemin de notre chambre afin d'aller me coucher à mon tour.

Je me blottis sous la couette, vêtu d'un boxer et d'un t-shirt comme d'habitude. Je croise mes bras sous ma tête et, les yeux rivés au plafond, je pense. Je pense à tout à l'heure, quand nous nous réveilleront en fin de matinée, à la façon dont nous allons gérer un pré-adolescent qui vient tout juste de perdre sa mère et qui n'a jamais connu son père. Je pense à comment nos vies vont changer, désormais, car je suis parfaitement conscient que Diego ne le laissera pas tomber. Je pense aux messages non-lus de Jayden dans mon Messenger, parce que je l'ignore, et je pense à comment je vais pouvoir gérer tout ça : j'ai merdé.

Je tombe de fatigue juste au moment où Diego vient finalement se coucher dans notre lit.

X   X   X

Boston Common Park | BOSTON – 2:14 PM.

- Je suis désolé, Jayden.

Je viens de lui dire que je ne voulais plus rien avoir affaire avec lui. Nous sommes assis sur un banc au beau milieu du parc, au soleil. Il tient une clope entre ses doigts tandis que les miens sont fourrés dans les poches de ma veste. Il baisse les yeux sur nos genoux, qui se touchent presque sur le banc, car nous sommes assis en tailleur et face à face sur ce dernier.

- Oh. Je vois. Tu... t'as pas aimé ?

Si, et c'est bien ça le problème. Je n'ai pas envie que la situation dégénère ou s'aggrave. On s'est embrassés, et c'est déjà bien trop. Je n'ai pas envie de prendre le risque que cela aille plus loin entre nous.

- Là n'est pas la question. J'ai un copain, Jayden. Ce soir-là... j'étais pas bien et... j'ai pas su gérer.

Il lève son visage vers moi et je me sens comme transpercé par ses beaux yeux bleus. Il serre les dents, car je vois la tension dans sa mâchoire, et il pince les lèvres. Je comprends qu'il soit en colère. C'est de ma faute, et en aucun cas de la sienne.

- T'as un copain, ouais, mais je vois que tu m'aimes bien.

Je fronce les sourcils, surpris. Je ne sais pas vraiment quoi lui répondre car je ne me suis pas posé la question. Est-ce que je l'aime bien ? Je ne sais pas. Je ne peux pas dire que je ne l'apprécie pas, bien sûr, mais je ne sais pas ce que je ressens. Il est sympathique et intéressant.

- Je...

- Je comprends. J't'en veux pas.

Je sais qu'il ment, bien sûr. Je le vois à la réaction de son corps et à cette émotion qui passe dans ses yeux. Je m'en veux. Je m'en suis déjà voulu dans ma vie, bien sûr, mais jamais à ce point-là. Je vois que ça lui fait de la peine, quelque part, qu'il se sent utilisé et j'ai conscience que c'est le cas. Quelque part je me suis servi de lui pour oublier la situation compliquée dans laquelle j'étais, et j'ai envie de vomir : ce gars-là, ce n'est pas moi.

- Je suis vraiment désolé, Jayden.

- Te fatigue pas, Evan. J'ai compris.

Il se lève et passe sa besace en cuir sur son épaule. Je m'en veux quand je le trouve beau, ainsi habillé, avec sa jolie veste noire et sa chemise en soie ouverte jusqu'au sternum. Je baisse honteusement mes yeux sur mes cuisses, incapable de dire quoi que ce soit, tandis qu'il s'éloigne sans ajouter un mot, le pas rapide et colère.

Je regarde le point d'eau à proximité du banc d'un air absent. Je pense : je pense à Diego et à Jose, qui sont au funérarium à l'heure actuelle. Ils ont tenu à y aller tous les deux. J'ai d'ailleurs été surpris de voir que Jose était prêt à voir sa mère : voir un proche, décédé, dans un endroit pareil n'est pas toujours facile.

Seul, je quitte finalement le parc afin de retrouver l'appartement, le cœur serré.

X   X   X

Appartement 12, Etage 4 | BOSTON – 5:26 PM.

- Comment tu vas ?

Jose s'est endormi sur le canapé, devant un film comique choisi par Diego dans le but de lui changer les idées. Nous sommes désormais là, tous les deux, accoudés au comptoir autour d'une bière blonde. Il touche sa bouteille nerveusement avec ses doigts, l'air abattu, tandis que je caresse le dos de sa main du bout de mes doigts.

- Ça va... je gère.

- Ton salon de l'astronomie tombe à l'eau, alors... ?

- Ouais, j'peux pas partir maintenant. C'est pas grave.

D'un côté, égoïstement, je me sens soulagé. Je n'avais aucune confiance en ce week-end, loin de Boston, avec un professeur. Je trouvais cette histoire louche et je suis ravi qu'il reste finalement ici. Mon ventre se serre.

- Comment ça s'est passé... ? , je m'intéresse.

- Il est fort. Du coup... assez bien.

- L'enterrement, c'est prévu pour quand... ?

- Lundi. Au crématorium.

Je hoche simplement la tête, tout en continuant de papouiller le dos de sa main. Il se laisse faire et j'apprécie ce contact, aussi simple soit-il. Je le vois lever un regard impatient vers la pendule et, quand il libère sa main de mes doigts, je comprends qu'il va quelque part.

- Tu sors ?

- Oui. Rendez-vous psy.

- Oh. D'accord alors.

- Tu peux le surveiller ? S'il-te-plaît ? , demande-t-il en posant ses yeux sur Jose.

- Oui, t'inquiètes pas.

Je lui souris tendrement alors qu'il passe une veste par-dessus son t-shirt noir. Il récupère les clefs de sa moto et s'approche de moi. Je suis surpris lorsqu'il me prend par la taille, délicatement, et qu'il dépose un baiser sur mon front. Malgré moi, bien que je sache qu'il refuse parfois le contact, mes mains partent se poser sur ses reins. Je l'attire à moi, yeux fermés, avide de le sentir là près de moi.

- Merci, Evan. Pour tout.

Il murmure ces quelques mots, ses lèvres contre mon front, avant d'y déposer un autre petit baiser. Il s'éloigne ensuite, et quitte l'appartement discrètement afin de ne pas réveiller Jose qui dort paisiblement dans le canapé.

Je profite de son absence et du calme dans l'appartement pour me poser près de la fenêtre, sur des coussins moelleux, afin de terminer le dernier best-seller de maman que j'attends de terminer depuis des mois.

X   X   X

- Je peux t'aider ?

Je sursaute comme un imbécile, planté derrière le gaz, quand j'entends une petite voix endormie dans mon dos. Je me décale afin de laisser Jose approcher. Il s'installe près de moi et se penche au-dessus de la poêle afin de sentir la préparation.

- Bien sûr. Tu aimes ?

- Des enchiladas ? J'adore. C'était le plat préféré de mon père, apparemment.

Mon cœur se serre quand j'entends la nostalgie dans sa voix, bien que je sache qu'il n'a jamais connu son père. Je suppose qu'Aubrey lui avait beaucoup parlé de lui. Je lui tends les tortillas ainsi que le plat nécessaire pour le four.

- Tu veux les préparer ?

- Oui, je veux bien.

Du haut de ses treize ans, je suis surpris de le voir aussi dégourdi en cuisine. Il roule les tortillas après les avoir remplies de préparation. Je le laisse faire, tranquillement, tout en m'affairant à la vaisselle dans l'évier. Quelques minutes plus tard, alors qu'il met le plat dans le four, il s'assoie sur un tabouret derrière le comptoir. Face à moi, il me demande d'une petite voix timide :

- Tu l'aimes, Diego ?

Je suis pris au dépourvu, surpris. Je lève les yeux pour le regarder. Ses mains sont posées sur ses joues et ses coudes sont plantés sur le comptoir. Il me regarde nettoyer les ustensiles de cuisine, attentif.

- Bien sûr.

- Il t'aime beaucoup, aussi.

Un sourire débile étire le coin de mes lèvres. Préférant changer de sujet, je lui demande finalement :

- Et toi, tu l'aimes ?

- Ouais. Il est trop cool avec moi. C'est un peu... comme un père, même si ça ne fait pas très longtemps qu'on se connait. Il était très ami avec mon père.

Je suis touché de voir à quel point ce petit gars est attaché à Diego. J'ouvre la bouche pour parler, pour lui poser des questions banales dans le but d'apprendre à le connaître, mais je me ravise lorsque la porte d'entrée s'ouvre sur Diego. Jose se précipite sur lui pour le serrer dans ses bras, comme un jeune enfant le ferait au retour de son père, et ça m'émeut encore plus.

Quand je les regarde tous les deux, tendres l'un envers l'autre, et que Diego lève un regard pétillant vers moi tout en me lançant un sourire, je me dis que c'est peut-être ce gamin qui va sauver notre couple.

.   .   . #gbsBigBangFIC

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