CHAPITRE 2

28.04.28,
Appartement 12, Etage 4 | BOSTON – 11:26 AM.

Je me réveille seul dans le lit, comme toujours. La température a légèrement baissé mais il fait encore chaud. Trop chaud, même. Le silence assourdissant de l'appartement m'indique qu'il n'est pas là et je ne saurais dire si cela m'arrange ou si cela me rend triste. Certainement un peu les deux.

Malgré mes quelques heures de sommeil je me sens toujours aussi épuisé. Mes paupières sont lourdes et j'ai le cerveau qui tourne à plein régime, incapable de se déconnecter. En fait, je me sens tout simplement lourd. C'est comme si j'avais un poids sur les épaules qui m'empêchait de pleinement me détendre. C'est ainsi depuis des semaines, et je commence clairement à péter les plombs.

Je suis constamment sur les nerfs, ou inquiet. Je passe mes journées à ruminer dans mon coin, agacé par son comportement, sans jamais le lui dire en face. À quoi bon ? J'ai déjà essayé, et parler à un mur aurait été tout aussi intéressant.

Sous la couette je m'étire, et je constate que je suis allongé en travers du lit. Ma tête est sur son oreiller et je sais que, d'une façon inconsciente, j'avais besoin de ça pendant mon sommeil : son odeur. J'avais besoin d'être allongé là, de son côté du lit dont le matelas a pris la forme de son corps et dont les tissus ont imprégné son odeur. J'ai conscience de me sentir un peu plus proche de lui là, à cet instant précis, comme sur un petit nuage. Mais je sais aussi que ce n'est qu'une illusion, que c'est trop beau pour être vrai.

Quand je me décide enfin à quitter le lit, parce que mon estomac appelle à l'aide, je passe rapidement un jogging. Puis, à la va-vite, je récupère un t-shirt sur le dossier de la chaise : le sien. C'est ce tee-shirt extra-large d'un groupe de rock, mais j'aime le porter. Il est doux, confortable et bien sûr il sent son parfum.

- Oh, salut.

Je me sens ridicule quand je le vois installé à la table de la salle à manger, le nez plongé dans ses cours de sciences. Je le pensais parti, en cours, comme tous les matins. Sauf que la réalité me frappe, que mon cerveau se remet en marche, et que je me souviens que nous sommes samedi.

- Salut.

Il daigne lever les yeux de sa copie pour me regarder, et je suis surpris de le voir me sourire. Ce n'est pas un énorme sourire comme il l'aurait fait à l'époque, mais c'est un sourire quand même : c'est déjà beaucoup pour moi.

- C'est mon tee-shirt, ça ?, demande-t-il.

- Heu... oui. Ça te dérange ?

Je me rends compte à quel point c'est grave d'en être arrivés là. À l'époque, j'aurais pris ce foutu tee-shirt sans même me poser de questions. Là, j'en viens à me dire que j'ai peut-être fait une erreur. J'ai peur de sa réaction.

- Non, tu peux le garder. Il te va bien.

Serait-ce un compliment ? Mon cœur loupe un battement. Il me regarde, de haut en bas, avant de revenir tapoter sur le clavier de son ordinateur. En silence, je pars dans la cuisine.

Je me sens ridicule là, planté devant le frigo, à me demander ce que je pourrais bien manger : c'est vide. Il ne reste que deux putains de yaourts et deux tranches de jambon, ainsi que quelques bouteilles de bière. Blasé, je referme la porte et opte finalement pour un café.

- J'ai commandé des pizzas, me dit Diego.

- Parfait.

En temps normal j'aurais râlé, pour la simple et bonne raison qu'il commande des pizzas à minima trois fois par semaine. Sauf que là je meurs de faim, que je n'ai pas mangé quelque chose de bon depuis hier matin, et que je rêve de mal-bouffe.

Je profite du temps que mon café coule pour le regarder. Il est dos à moi, mais je n'ai pas besoin de voir son visage pour savoir qu'il est concentré et studieux. Tout est silencieux, son téléphone est posé sur le comptoir pour ne pas qu'il soit tenté de s'en servir, et ses doigts tapent le clavier de son ordinateur avec conviction. De loin, je vois des graphiques ainsi que des formules mathématiques sur l'écran, et j'en ai la nausée : je n'y comprends rien, et je n'y comprendrai jamais rien.

Vous vous demandez certainement pourquoi et comment il étudie, je suppose. Sachez qu'en prison il est possible de passer ses examens. À l'époque, peu après son incarcération, les élèves de terminale ont passé les leurs. Il était affecté, bien sûr, car être en prison ce n'est jamais facile mais il a eu le courage de passer son diplôme. En réalité je lui ai donné le courage de le faire : je venais le voir au parloir, l'encourageait et lui disait que sa mère serait fière de lui. Il l'a fait et, sans grande surprise, il a explosé les résultats. J'ai mis tout ça entre parenthèse pendant quelques années, parce que je n'avais aucune idée de comment gérer les choses : il me manquait, et ce n'était pas facile tous les jours. Peu à peu, je le voyais tomber dans cette sorte de dépression des taulards, qui n'ont plus l'envie ni le goût de rien.

Quand j'ai appris qu'il allait sortir 6 ans plus tôt, libéré pour bonne conduite après révision de son dossier, j'ai eu un déclic : il était mal et, même si je l'avais attendu tout ce temps, j'avais conscience qu'il lui faudrait une distraction. J'ai réalisé qu'il lui fallait quelque chose pour repartir du bon pied dans la vie, pour se remettre dans le bain.

J'ai beaucoup galéré, pendant des mois, mais j'ai finalement retrouvé le professeur Powell. Ce vieux professeur de sciences adorable quoi qu'un peu non-autoritaire avec ses élèves. À la retraite, j'ai un jour frappé à sa porte dans le sud de Manhattan. Il m'a beaucoup aidé et j'ai appris avec un sourire que Diego était son élève préféré, malgré son impolitesse parfois et sa situation compliquée. Alors nous avons fait des pieds et des mains, tout ça dans le secret à l'exception d'Amanda qui avait approuvé ma démarche dès l'instant où je lui avais passé un coup de fil. Lettres de recommandation, rendez-vous avec la direction, demande de bourses. Powell a même un jour ramené lors d'une réunion tous ses anciens collègues du lycée, professeurs de sciences, de mathématiques et de chimie, pour plaider la cause de Diego : comprenez-bien qu'aucun établissement ne voulait accepter un taulard assassin et gangster de 30 ans, bien évidemment. Harvard nous a claqué la porte au nez – nous nous y attendions. En revanche, le MIT a vu en Diego un sacré potentiel : voilà comment nous en sommes là, aujourd'hui, lui à l'école et moi en internat de chirurgie.

Bien évidemment il ne m'a jamais remercié pour ça. Pas même un « merci », ou ne serait-ce qu'un sourire, mais j'ai vu dans ses yeux qu'il était heureux. Je l'ai vu, parce que je le connais et que même s'il n'est plus le même et que je ne le reconnais plus parfois, son regard lui n'a pas tellement changé.

- Qu'est-ce-que tu fais ?

- Je travaille.

Je m'installe sur la chaise à droite de la sienne, ma tasse de capuccino à la main. J'en bois une gorgée tout en attrapant cet énorme livre de sciences de l'astronomie. Je n'y comprends rien, bien sûr, mais les images sont belles et les schémas sont un minimum compréhensibles.

J'aimerais parfois qu'il me parle, qu'il m'explique sur quoi il travaille et à quoi tout cela va servir, mais je sais qu'il n'aime pas être dérangé lorsqu'il bosse. Je tente le coup, là, parce que j'ai l'impression qu'il est de bonne humeur mais je comprends aussi que, malgré ça, je ne tirerai rien de lui. C'est dommage : moi, au moins, j'essaie de m'intéresser à ce qu'il fait.

Les petites attentions me manquent. Je ne devrais pas y accorder d'importance, mais c'est le cas. J'aimerais qu'il me demande comment s'est passée ma journée lorsque je rentre le soir, ou qu'il me demande simplement si je vais bien. Or, il ne le fait pas, et je me sens un peu plus seul jour après jour. J'aimerais aussi qu'il me dise que je suis beau ou que je lui plais, quand je fais l'effort de bien m'habiller le peu de fois où il daigne m'accompagner au restaurant ou au cinéma. Sauf que ça non plus il ne le fait pas.

Ce n'est pas facile tous les jours. Je vois à ses yeux qu'il y a quelque chose, que je compte pour lui, mais c'est difficile. Il ne me regarde plus comme il le faisait avant. Il ne me parle plus comme il le faisait. J'ai l'impression, tous les jours, de vivre avec un colocataire quelconque et non plus avec mon petit-ami, à la seule exception que nous partageons le lit. J'en viens même à me demander si nous sommes vraiment toujours un couple tous les deux, où s'il reste ici car il n'a pas d'autre endroit où aller : c'est blessant.

Le pire, dans tout ça, c'est de ne pas se sentir désiré. J'ai attendu neuf ans, ce n'est pas rien. À l'université, j'ai rencontré des garçons. Des garçons bien, qui auraient bien voulu plus avec moi. Je me suis fait draguer un bon nombre de fois lors des soirées étudiantes ou même sur le campus, mais je n'ai jamais répondu. J'ai toujours rembarré ces garçons, avec politesse bien sûr, parce que dans ma tête et dans mon cœur il n'y avait que Diego. J'ai désormais 28 ans et, clairement, je suis en manque. J'ai besoin d'être étreint et, clairement, j'ai besoin de baiser. Neuf ans c'est long, putain, mais j'ai lutté. J'ai été soumis à la tentation un nombre incalculable de fois mais jamais je n'ai craqué, parce que je ne voulais pas le trahir. J'aimerais qu'il me serre dans ses bras, qu'il me fasse l'amour comme avant, mais au lieu de ça j'ai l'impression de ne plus être désiré.

Pire, j'ai l'impression de ne plus être aimé.

X X X

North Station | BOSTON – 3:15 PM.

Le sourire sur son visage me met du baume au cœur. Quand elle se jette dans mes bras, comme toujours, je ressens une chaleur indescriptible dans la poitrine.

- Mon bébé, tu m'as manquée.

L'époque où elle était faible et malade me semble bien loin quand je la vois là, sur le quai de la gare, belle comme un cœur. Ses cheveux longs et ondulés lui arrivent un peu plus qu'en dessous de l'épaule et ses jolis yeux bleus maquillés au naturel sont magnifiques. Elle a recouvert ses lèvres de rouge à lèvres bordeaux très foncé et je trouve que cela va très bien avec son teint pâle.

- Toi aussi tu m'as manqué grand frère.

Je prends sa valise dans ma main tandis que, mon bras autour de ses épaules et le sien dans mon dos, nous quittons la gare pour rejoindre le parking.

- Tu as fait bon voyage ?

- Oui, si on met à part le fait que j'avais une maman avec son bébé à côté et qu'il n'arrêtait pas de brailler pour rien.

- Oh, je vois.

Nous rions tous les deux, alors que je jette sa valise dans le coffre de ma voiture. Pendant ce temps-là, elle attache ses cheveux en un chignon mal fait et grimpe dans la voiture ensuite. Quand je démarre le moteur, comme un complot, il se remet encore une fois à pleuvoir.

- Où est Diego ?, demande-t-elle.

- À l'appart, il travaille sur ses cours.

- Oh, je vois.

Elle me lance un petit sourire triste tandis que nous prenons la route, et je viens serrer sa main dans la mienne : elle sait. Même s'il s'agit de ma petite sœur, elle a bientôt 18 ans et je n'ai pas peur de me confier à elle. Elle a été au courant pour moi et Diego avant tout le monde, à l'exception de Lily qui nous avait surpris en flagrant délit, et c'est une oreille attentive pour moi. Elle, elle me parle beaucoup de sa vie et de ce qu'elle ressent, et je fais de même : c'est ma sœur et je suis son frère.

- Et toi alors, avec Eddy ?

Croyez-le ou pas, mais je pense que leur relation va durer toute la vie. Ils avaient huit ans lors de leur rencontre. Abby est en rémission complète. D'une façon simple, cela signifie qu'elle n'est plus malade. C'est un peu plus compliqué pour Eddy, qui est toujours sous surveillance, mais c'est en bonne voie aussi pour lui. Après le départ d'Abby de l'hôpital ils se sont perdus de vue quelques années, car lui y était toujours, mais leurs retrouvailles au lycée leur ont permis de réaliser à quel point ils s'aimaient tous les deux.

- Super ! On a prévu de partir en week-end chez ses grands-parents dans le Montana.

- Génial !

Lorsqu'ils étaient à l'hôpital, Eddy me parlait souvent de ses grands-parents : il rêvait de retourner dans leur ferme du Montana, pour monter à cheval et s'occuper des vaches. Je sais qu'Abby adore les animaux, notamment les chevaux, et je suis ravi d'apprendre qu'ils vont passer un petit week-end en amoureux.

- On attend que la météo soit un peu plus... clémente.

- Je comprends.

Nous ricanons tous les deux, tandis que je gare la voiture sur le parking du supermarché. Nous trottinons jusqu'à l'entrée et, une fois à l'intérieur, nous nous emparons d'un petit panier à roulettes. Contre moi, Abby passe son bras dans mon dos pour me tenir contre elle.

- Qu'est-ce-que tu veux manger, ce soir ? , je demande. Pas de pizzas !

- Hem... on peut faire un one-pot ?

- Si tu veux. Il faut quoi, déjà ?

- Du parmesan, du poulet, des pâtes...

Nous errons dans les rayons à la recherche des ingrédients nécessaires. Le panier se remplit à la vitesse de l'éclair et je plains déjà mon compte en banque, sans compter que nous rajoutons des choses inutiles, trop gourmands comme à notre habitude.

- On peut prendre ça ?

Elle me fait ses yeux d'animal malheureux et je craque : un paquet de chocolats fourrés à la noisette tombe dans le panier.

- C'est bon, ça suffit.

Je lui tape la nuque en direction de la caisse et après y avoir patienté 10 minutes, nous rangeons enfin les courses dans le coffre de la voiture. Nous nous remettons en route en direction de l'appartement, et je sens sur moi son regard lourd.

- Quoi ? , je demande.

- Tu n'es pas heureux, Evan.

Je déglutis et me tends comme un arc dans mon siège. J'essaie de cacher mon malaise, en vain. Je sais qu'elle le voit : je ne suis plus aussi enjoué qu'avant, mes yeux sont cernés et j'ai beaucoup d'absences. Mon cerveau fonctionne sans arrêt, je me torture à réfléchir et à imaginer le pire, et je me retrouve souvent perdu.

- T'en fais pas, ça va.

Je presse son genou dans ma main pour la rassurer. Nous arrivons finalement à l'appartement, les bras chargés de sacs de courses, essoufflés comme des bœufs par la seule traversée du couloir. Abby, elle, traîne difficilement sa valise derrière elle.

- Salut.

Je ne suis pas surpris de constater que Diego est affalé dans le canapé, en train de lire un livre. Je ne suis pas non plus surpris de le voir esquisser un sourire lorsqu'Abby entre dans la pièce.

- Salut Diego.

- Salut ma beauté.

Je roule des yeux, agacé. Ma beauté ? Je sais qu'il l'adore, parce qu'elle amène un peu de fraicheur dans notre vie, mais j'aimerais qu'il réagisse de la même façon lorsqu'il me voit moi.

Rapidement, il la serre dans ses bras. Il reste malgré tout distant et ne s'attarde pas, et je vois alors à quel point cela le met mal à l'aise. Moi, mon cœur se serre : j'aurais aimé qu'il m'étreigne de la même façon, seulement pour quelques secondes. Or, ce n'est pas le cas, et ça me fait mal.

Quand je m'enfuis dans la cuisine, légèrement dissimulé par le comptoir qui donne sur le salon, je sens à nouveau les larmes monter.

Encore une fois, il n'a même pas posé les yeux sur moi.

X X X

Appartement 12, Etage 4 | BOSTON – 6:59 PM.

Je suis énervé, désormais. C'est terrible de se sentir si impuissant au point de perdre tous ses moyens et de s'énerver. Je coupe les blancs de poulet en morceaux avec hargne, mes doigts serrés comme pas possible autour du manche d'un couteau de cuisine. Près de moi, Abby est en train de hacher deux gousses d'ail.

- On va manger super tard, dis-je. Il est déjà sept heures et on n'a même pas commencé.

- En même temps, s'il bougeait son cul...

Je la vois elle aussi, agacée. Elle n'est pas stupide et est bien consciente de la situation. La table de la salle à manger est encore recouverte de cours et de bouquins et, tandis que nous nous efforçons de préparer le dîner, Diego lézarde sur le canapé devant un film d'action, la clope au bec.

- Laisse, on est bien là tous les deux.

Je lui souris, sincère. J'aime les petits moments comme celui-ci, rien qu'avec elle, à faire quelque chose de normal. Quand j'étais plus jeune et qu'elle était enfant, je n'ai jamais vraiment eu l'occasion de partager ça avec elle : jamais je ne l'ai aidée à faire ses premiers cookies ou ses premières crêpes, comme le font les frères et sœurs normaux, alors d'un côté ça m'arrange que Diego n'en branle pas une.

- Non.

J'ouvre la bouche pour parler, mais c'est déjà trop tard. Sous le choc, la bouche toujours ouverte, je la regarde tandis qu'elle se dirige vers le salon d'un pas décidé. Brusquement, elle éteint la télévision avec la télécommande avant de la jeter sur le torse de Diego. Moi, j'assiste à tout ça en silence, totalement surpris.

- Hé, tu fous quoi là ?! , s'énerve-t-il.

- Déjà la clope dans l'appart c'est non, Evan te l'a déjà dit.

Je m'apprête à parler, à lui dire que ce n'est pas grave et que je m'y suis fait depuis six mois, mais je n'y arrive pas. Elle lui prend la clope des mains et l'écrase dans le cendrier, avant de donner un coup de pied dans le canapé.

- Mon frère c'est pas ton larbin. Tu te prends pour qui, à branler dans le canapé pendant qu'on fait la bouffe ? Lève-toi et vas l'aider, ou range au moins tes putains de cours, histoire qu'on puisse bouffer ailleurs que par terre !

C'est honteux, hein ? Ma sœur a plus de couilles que moi. Je baisse les yeux sur mon blanc de poulet, l'écho de sa voix encore dans mes oreilles. Elle a haussé le ton et je suis aussi surpris que Diego, en fait. Je m'attends à ce qu'il lui dise d'aller se faire voir, mais je suis surpris de le voir se lever. Il lui lance un regard noir mais ne dit rien malgré tout.

Je me sens mal, quand je le vois entrer dans la cuisine. Abby, elle, réunit ses cours sur la table pour les balancer sur le bord de la fenêtre, sur des coussins poussiéreux. Elle met la table en quatrième vitesse ensuite, s'emparant des couverts dans le buffet moderne de la pièce à vivre.

- J'vais prendre une douche.

Je la regarde s'en aller dans la salle d'eau, toujours en colère. Quand j'entends le verrou tourner et que l'eau coule enfin, je me sens mal à l'aise. L'appartement est silencieux et, dans mon dos, je vois que Diego s'affaire à sortir une gamelle du placard pour la mettre sur le feu.

Je le vois du coin de l'œil, tandis qu'il commence la préparation du bouillon pour notre one-pot au poulet préféré. À chaque fois qu'Abby vient ici, c'est ce plat que nous cuisinons. Il convient à tout le monde et cela nous évite de faire trop de vaisselle ensuite.

- Elles sont où les pâtes ? , demande-t-il d'une voix penaude.

- Si tu m'aidais à ranger les courses, tu le saurais.

Ma voix est froide et agressive, mais c'est plus fort que moi. Je ne peux pas m'empêcher de lui envoyer ce pic, là à cet instant précis, parce que c'est trop pour moi. Je le vois cesser de bouger du coin de l'œil, dans mon dos, mais je l'ignore. À la place, je donne un coup de couteau dans un blanc de poulet afin de le couper en trois petits morceaux.

Quand je sens deux mains sur mes hanches, je cesse de respirer. Elles remontent sensuellement sur ma taille, qu'il presse délicatement entre ses doigts. Je sens sa présence dans mon dos mais, malgré tout, son torse ne touche pas mon dos comme il l'aurait fait à l'époque. Encore une fois, c'est cette putain de distance qui me rend dingue.

- J'suis désolé.

Mon cœur explose. Son murmure à mon oreille me met dans tous mes états. Je perds mes moyens lorsque sa bouche dépose un baiser sur sa joue, avant de passer sur ma nuque pour finir sur mon épaule. D'un coup, guidé par le cerveau qui se trouve entre mes jambes, je lâche le couteau pour agripper ses poignets. J'enroule mes doigts autour d'eux, les presse fort pour l'inciter à me toucher. Puis, en manque, je bascule ma tête en arrière pour qu'il embrasse mon cou. Sauf qu'il ne le fait pas, que ses mains sur ma taille ne bougent pas, et qu'il a l'air tétanisé. Je me recule pour faire rencontrer nos corps, mon dos contre son torse. Je me presse contre lui en un mouvement maladroit, ondulant des reins contre son bas ventre.

- Touche-moi...

- Arrête, Evan.

J'attire sa main droite à mon corps, sur ma cuisse. Je veux qu'il me touche, comme avant. Je veux qu'il me presse contre lui, qu'il stimule ma virilité. Je veux lui montrer que je suis là, pour lui et à lui, et qu'il peut faire de moi ce qu'il veut. Mon esprit est embrumé et en fait, dans le fond, je ne sais même pas ce que je veux.

- Diego...

- Arrête, putain !

J'ouvre les yeux, quand je bascule en avant sur le plan de travail parce qu'il m'y a poussé avec violence. Je ne sens plus sa présence dans mon dos et je comprends qu'il s'est barré quand j'entends la porte d'entrée claquer.

Je me sens idiot planté là, le souffle court et le corps brûlant de désir et d'amour pour lui. Et je fonds en larmes quand je remarque Abby, qui a assisté à toute la scène, là, dans l'ombre.

. . . #gbsBigBangFIC

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