CHAPITRE 19
17.05.28,
Massachusetts General Hospital | BOSTON – 9:26 AM.
Je quitte l'hôpital après y être passé en coup de vent, afin de déposer au service des ressources humaines ma feuille de congé pour aujourd'hui. Cette dernière m'a été délivrée la veille par Manfredi, après notre opération commune, et je ne peux m'empêcher de penser encore une fois qu'il s'agit en quelque sorte de favoritisme.
Pour mon plus grand bonheur, j'ai appris aujourd'hui qu'il serait en congé jusqu'à la fin de la semaine : je ne me sens pas capable de le croiser à nouveau après cet étrange pressentiment que j'ai ressenti au bloc opératoire. Depuis que je me suis levé, je n'arrête pas de me dire que j'ai peut-être halluciné : peut-être était-il simplement près de moi pour me guider, et non par comportement déplacé ? Il est fort probable que je sois tellement en manque d'attentions tactiles au point de fabuler.
Tout en roulant dans les rues de Boston, je me demande ce que je pourrais faire : Diego est à l'école et je n'ai aucune envie de passer ma journée seul à l'appartement. J'ai refusé l'invitation de Jayden Shaw, prétextant d'avoir besoin de rester au lit toute la journée, mais je suis incapable de rester en place. J'ai besoin de prendre l'air, en fait.
Finalement, je prends la direction de l'appartement afin d'enfiler un jogging et des baskets de sport.
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Boston Common Park | BOSTON – 10:37 AM.
Un petit moment de bonheur suspendu dans le temps : je me sens bien. Le soleil caresse la peau de mes bras, car je ne porte qu'un t-shirt, et la petite brise de la matinée me rafraîchit un peu. Je sais que mes joues sont rougies et que quelques gouttes de sueur ruissellent sur mon front, mais je suis surpris de voir que les filles que je croise me lancent un magnifique sourire.
C'est gênant, en réalité. J'ai longtemps douté de moi-même, même à l'époque du lycée où Diego me répétait sans cesse que j'étais beau et parfait. J'ai mis du temps à comprendre que je suis attirant et, en plus, charmant d'après Molly. Je suppose que c'est à cause de mes yeux et de mon sourire, ou de mes lèvres pulpeuses. C'est parfois compliqué à gérer. À la fac, je n'étais pas à plaindre. Je me sens toujours aussi mal d'avoir brisé quelques espoirs, malgré moi, parce que je n'étais pas intéressé par les filles et que je refusais de sortir avec des mecs parce qu'il y avait Diego.
J'ai l'impression d'être un aimant à filles et à garçons gays. J'ai compris et j'ai pris confiance en moi le jour où une fille à la fac, qui m'était totalement inconnue, m'a attrapé sur le parking. Photographe amatrice, elle cherchait des modèles afin de se créer un book dans le but de présenter son travail à des écoles de photographie. Bien évidemment j'ai refusé, car cela ne me ressemblait pas, mais j'ai été touché que cette fille m'ait repéré au milieu de tous ces gars que je trouvais beaucoup plus beaux que moi.
- Pas dans les arbres, cabròn !
- Allez, Diego !
Je m'arrête net, planté sur le chemin de terre, de l'autre côté de la pelouse. Des arbustes et des arbres me permettent d'être légèrement caché, et j'en suis ravi. Je fronce les sourcils, surpris, quand je vois Diego. Je ne saurais décrire pourquoi, mais mon cœur se serre douloureusement, tout comme mon ventre.
Il était censé être à l'école. Il est parti ce matin, son sac de cours sur l'épaule. Sauf qu'il est là, dans un parc, accompagné d'une jolie blonde. Cette dernière est assise dans l'herbe, au soleil, en train de lire une revue de mode. Le pire dans tout ça ce n'est pas la fille en soit, mais le gamin qui est avec eux. À en juger par sa taille et la façon dont il court avec le ballon de foot, habile, je dirais qu'il a 12 ans. Peut-être un peu plus.
Mon cœur se serre mais je souris quand je vois que Diego le porte dans ses bras, la tête en bas, en lui chatouillant le ventre. Le gamin rit aux éclats et, morts de rire tous les deux, ils tombent à la renverse dans l'herbe. La jeune femme, blonde, rit aux éclats elle aussi en les regardant se chamailler. Je regarde Diego, mort de rire, qui essaie d'esquiver les petits coups que lui assène le gamin, assis à califourchon sur son ventre.
C'est beau, mais c'est douloureux : je ne l'avais pas vu rire ainsi depuis des années. Je le vois heureux, là, et il a l'air aussi totalement innocent et léger. C'est comme s'il avait oublié tous ses soucis, qu'il avait enfin baissé sa garde, et ça me blesse : je n'ai aucune idée de qui sont ses personnes et, malgré moi, je commence à me faire tout un tas de films. Mes pieds me poussent à m'approcher, à débarquer comme une fleur en lâchant un simple « salut » mais je me l'interdis.
À la place, je les regarde jouer au foot quelques minutes supplémentaires avant de reprendre ma route, perturbé et totalement perdu.
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Appartement 12, Etage 4 | BOSTON – 6:19 PM.
J'ai passé l'après-midi au cinéma, seul, devant Avatar 3. J'avais proposé à Diego d'aller le voir, la semaine dernière, mais j'avais eu droit à un simple « bof, ça m'plait pas » en guise de réponse, alors j'en avais déduit que cela voulait dire non.
Désormais je suis là, assis sur un tabouret et accoudé au comptoir de la cuisine, une bouteille de bière à la main. Je regarde l'écran plat sans grand intérêt, tout en attendant patiemment qu'il sorte de la salle d'eau.
Pendant les publicités au cinéma, juste avant que le film ne commence, j'ai réfléchi. Le voir ce matin au parc, heureux et souriant avec des personnes dont j'ignore tout et dont il ne m'a jamais parlé, c'est un peu la goutte de trop. J'ai décidé de parler, enfin, parce que j'ai conscience que ça ne peut plus continuer ainsi. Je n'ai aucune idée de la façon dont je peux aborder le sujet, alors je suppose que je vais juste être honnête et me laisser guider par mon cœur : je n'ai pas la force de prendre des pincettes.
Quand il sort enfin de la salle d'eau, mon cœur loupe un battement. Ses cheveux mouillés sont en pétard sur sa tête, quelques mèches devant ses yeux, et il ne porte qu'un jogging polaire et ample. Son torse, entièrement tatoué, est brillant de propreté. Il est beau. Il me sourit, un peu, tout en s'approchant du comptoir. Je suis surpris quand il se penche pour me voler un petit baiser.
- Ça va ? , me demande-t-il.
Je suppose que l'expression de mon visage est différente de d'habitude. J'ai peur, au fond de moi. J'ai peur de ce qui va se dire, là, dans quelques minutes. J'ai peur que ça se passe mal, que cela ne fasse que briser un peu plus ce que nous avons, mais je sais que nous devons en passer par là.
- Ouais... t'as passé une bonne journée ? , je demande.
- Oui, super. C'était hyper intéressant, aujourd'hui. On a bossé comme des dingues.
- Oh... t'as bossé toute la journée ?
- Ouais, j'ai pas quitté le campus, même pour manger.
Super. Le voilà déjà en train de mentir. J'ai honte de jouer au con ainsi afin de le tester, mais je me sens obligé. Quand il s'éloigne afin de se servir une bouteille de bière dans le frigo, je lance :
- Bizarre. Je t'ai croisé dans le parc t'avais pas vraiment l'air de bosser.
Silence. La porte du frigo claque dans mon dos et je sens sa présence près de moi. C'est peut-être difficile à comprendre, mais je sens sa tension autour de moi. Il pose sa bière sur le comptoir et pose ses mains à plat sur le bois, droit comme un i, les yeux rivés sur moi.
- Tu m'espionnes ? , lâche-t-il.
- Non. J'étais de repos et je suis allé courir. Simple coïncidence.
Je baisse les yeux sur mes mains, qui tiennent nerveusement ma bouteille de bière. J'attends qu'il réponde mais rien ne vient. Je décide alors de prendre les devants, la gorge nouée par le stress et l'émotion :
- J'ai fait quelque chose de mal, Diego ?
- Quoi ?
- Oui, est-ce que j'ai fait quelque chose de mal ?
J'ai mal au cœur : tous les doutes que j'accumule depuis des mois, ceux que je garde enfouis au plus profond de moi, sont en train de refaire surface.
- Pourquoi tu dis ça ? , dit-il surpris.
Je cherche mes mots, je ne sais pas quoi dire. Je m'en veux d'avoir abordé la situation ainsi, car maintenant je ne sais pas comment balancer tout ce que j'ai sur le cœur. Finalement, même si je ne réponds pas à sa question, je commence alors :
- J'avais pensé à te proposer... une thérapie de couple.
- C'est mort, Evan.
Je le vois tourner les talons, sa bouteille de bière à la main, afin de s'éloigner de moi. Je sais que c'est sa façon de couper court à la discussion. Ignorant son comportement déplacé, alors que j'essaie de communiquer, je continue :
- Je me doutais que t'allais refuser, je te connais. Mais je... il faut que tu me parles, putain ! Je... je comprends plus, Diego. Vraiment. Tu sais très bien que tu peux me faire confiance.
- Evan, c'est pas une question de confiance.
- Bien sûr que si. Si t'es pas heureux ici, avec moi, tu peux me le dire.
Je claque ma bouteille vide sur le comptoir, colère, afin de le faire réagir. Planté au beau milieu du salon, il se tourne afin de me regarder. Son regard est triste et il fronce les sourcils.
- Quoi ?
- Est-ce que tu es heureux avec moi, Diego ?
- Evan, je...
Je ne sais pas ce que je dois penser de ce silence. Je ne sais pas s'il n'a pas les mots car il est surpris, ou si c'est parce qu'il ne sait pas quoi répondre. Je sens les larmes me monter : c'est horrible de se sentir aussi impuissant. Je soupire, avant de dire :
- J'arrête pas de me dire que c'est de ma faute, Diego. J'arrête pas de me dire que si t'es comme ça, c'est à cause de moi.
- Evan...
- Non, laisse-moi parler. Au début je me disais que ton comportement... c'était uniquement de ta faute. Mais après j'ai... peut-être que j'ai merdé. Je suis venu te chercher aux Tombs, je t'ai amené ici et j'arrête pas de me dire que j'ai peut-être merdé ce jour-là. T'avais peut-être pas envie d'être avec moi, mais t'étais trop poli pour me le dire alors maintenant tu fais tout pour me faire payer. Je vois que t'es pas heureux avec moi, la preuve. Ce matin dans le parc, tu souriais, tu riais... t'es plus comme ça avec moi. Et j'ai l'impression que c'est de ma faute et je m'en veux.
Les larmes roulent sur mes joues, en silence. Je renifle pour rattraper les gouttes qui coulent de mon nez, et me frotte ce dernier avec le dos de la main ensuite. Je fixe le comptoir d'un air absent, incapable de le regarder. Je sursaute quand je le vois s'approcher, de l'autre côté du bar. Il pose sa grande main calleuse sur ma joue et m'oblige à le regarder.
- Evan... crois-moi, ce n'est pas de ta faute. Je suis heureux d'être ici, avec toi. Ne doutes jamais de ça, s'il-te-plaît.
- Alors quoi, Diego ? Hein ? Explique-moi ! Tu me mens, tu ne me parles plus, un coup t'es tendre et le lendemain tu te comportes comme... un con. Je supporte plus, Diego. J'essaie de te proposer quelque chose, une thérapie pour nous deux, mais tu refuses !
Il me sourit tristement et je ne peux que remarquer l'air désolé sur son visage. Je me crispe, agacé. Je suppose qu'il va encore me dire qu'il n'est pas prêt à parler et que ce n'est pas le moment. Je soupire avant de retirer ma joue de sa main. Finalement, il lâche :
- Je... je vois quelqu'un, Evan. Une psychologue. Crois-moi, j'essaie d'aller mieux, de me soigner, mais c'est difficile. J'ai vu un psychiatre, aussi. J'ai... j'ai un traitement.
Je me fige moi aussi, tandis que j'étais en train de tenter de prendre la fuite. Je me tourne pour le regarder et, surpris par cette annonce, je lui demande tout bas :
- Un traitement... pour ?
- Dépression.
Il m'annonce ça avec un air désolé mais de façon très froide, comme s'il m'en voulait de l'avoir brusqué, de l'avoir indirectement poussé à parler. Je tends la main pour la poser sur sa joue, ému, mais il évite le contact en se dérobant. Je regarde son torse, ses tatouages, en silence. Je fixe ses pectoraux avec insistance, pour la première fois depuis longtemps, et j'ai honte de distinguer des marques que je n'avais jamais remarquées jusqu'alors, sous l'encre noire de ses tatouages. En y prêtant un peu plus l'œil, je remarque qu'il ne s'agit pas uniquement de ses pectoraux : tout son torse semble avoir été malmené. J'ai la nausée.
- Diego...
- Quoi ?!
Il croise ses bras sur son torse, comme s'il essayait de se cacher pour ne pas que je le regarde. Il commence à taper du pied par terre, nerveux, tandis que mes yeux s'embuent de larmes à nouveau : je vois la peur dans son regard. Et, d'une façon inexplicable, je sais que j'ai compris. J'ai honte de poser la question, mais j'ai besoin de savoir :
- ... est-ce que quelqu'un a abusé de toi, là-bas ?
Il serre les dents et baisse les yeux sur ses pieds. Je vois ses muscles se crisper sous sa peau, et je sais que j'ai raison. Il ne me répond pas de vive voix mais la seule réaction de son corps suffit à me confirmer mes pires craintes : le viol. J'ai envie de vomir. L'idée que quelqu'un ait pu abuser de lui me retourne l'estomac.
- Pourquoi... pourquoi tu... t'as pas pu te défendre ?
Je ne comprends pas. Je sais qu'il est fort, qu'il sait se battre. Je ne comprends pas comment il a pu en arriver à ça, là-bas ? J'ai la nausée quand je pense soudain que son agresseur n'était peut-être pas seul. J'ai le cœur en miettes.
- Tu crois que c'était aussi simple ?! Redescends de ton putain de nuage, Evan ! T'es... vas te faire foutre !
Je le vois partir en furie dans la chambre : il réagit toujours ainsi lorsque quelque chose le touche en plein cœur. Quand il en ressort quelques secondes plus tard, vêtu d'un pull et de ses chaussures, un sac de fringues à la main, je me sens seul. Il est en train de se barrer, de me laisser planté là.
- Où tu vas ? , je demande d'une voix penaude.
- J'me casse. J'reste pas là avec toi.
J'essaie de le rattraper par le poignet, avec délicatesse, parce que je ne veux pas qu'il parte. Je suis en larmes, comme un gosse, parce que j'ai mal et que j'ai le cœur brisé. Je ne veux pas qu'il me laisse.
- NE ME TOUCHES PAS ! T'es qu'un putain de... fais-chier !
Je le lâche, terrorisé, quand il hurle de colère. Il lève le poing et mon ventre se tord douloureusement quand je le regarde, tandis qu'il cogne dans le mur pour ne pas me frapper moi. Je reste sous le choc, brisé, tandis que la porte claque derrière lui quand il quitte l'appartement.
J'éclate en sanglots et me laisse glisser contre la porte. Quand je me retrouve assis par terre, en larmes à m'étouffer, je réalise : il s'est fait violer. Je me lève en quatrième vitesse afin de rejoindre les toilettes : je vomis.
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Paradise Rock Club | BOSTON – 9:12 PM.
Je ne sais pas ce que je fiche ici. J'ai le cerveau embrumé, comme après une mauvaise cuite, et les sanglots n'ont pas quitté ma gorge depuis que Diego est parti en claquant la porte. À chaque fois que je pense à lui, les larmes se mettent à pousser derrière mes yeux. Je suppose que je suis ici pour penser à autre chose, afin d'arrêter enfin de pleurer.
Je me demande ce qu'il fait. Je l'imagine chez cette femme blonde avec qui il était au parc, en train de rire aux éclats avec un gamin qui aurait l'âge d'être le sien, et j'ai mal au cœur. J'ai peur de la relation qu'il entretien avec elle : je ne suis pas prêt à apprendre que c'est une ex petit-amie ou je ne sais quoi d'autre.
Je n'ai pas de me frayer un passage au milieu de la foule. Je suis resté au fond de la salle, en retrait, le dos appuyé contre un mur. Je n'ai pas pris mon téléphone portable, pour la simple et bonne raison que j'ai éprouvé le besoin d'être déconnecté pour ce soir.
Mon cœur loupe malheureusement un battement quand je vois Jayden se lever, derrière sa batterie. Il lance ses baguettes dans la foule et, aussitôt, leurs fidèles fans du premier rang lèvent les bras pour les attraper. Il salue la foule d'un signe de main, tout comme les autres musiciens de son groupe, et ils s'en vont tous en backstage. La salle commence alors à se vider, mais je ne bouge pas.
Quand je commence à y voir un peu plus clair dans la pièce, le corps toujours vibrant de la musique punk jouée quelques minutes plus tôt, je m'approche des petites barrières du bord de scène. Un type à l'allure de gorille, vêtu de noir, me regarde en levant un sourcil.
- Vous voulez quelque chose ? , me demande-t-il.
- Hem... je suis un ami de Jayden. Est-ce que je peux passer ?
- Un instant.
Il sort son téléphone de sa poche et passe un coup de fil que je ne distingue pas, car le bruit des fans près du comptoir de bar est assourdissant. Quelques secondes plus tard, le gorille me fait un signe de tête afin de m'inviter à entrer. Il tire la barrière afin de me laisser accès aux backstage.
Dans les couloirs c'est la cohue. Je croise les collègues de groupe de Jayden, qui ne me calculent pas : ils sont trop occupés à flirter avec des filles habillées bien trop léger à mon goût.
- Eh, docteur Wright !
Je me maudis quand j'entends qu'on m'appelle, et je sais sans me retourner qu'il s'agit de ce fichu Stan. Une main sur mon épaule me fait sursauter et, soudain, j'ai envie de m'enfuir : je n'ai rien à faire ici. C'est une erreur terrible, et je le sais.
- Vous cherchez Jayden ? Il est là !
Il ouvre une porte et me jette presque à l'intérieur d'une loge. Je me retrouve planté au beau milieu d'une pièce qui pue le tabac, en bordel à cause de fringues et de sacs de sport.
- Evan ?
Je me fige quand je vois Jayden, à peine vêtu, assis sur un canapé défoncé. Il se lève lorsqu'il me voit et je ne peux empêcher mes yeux de loucher sur son torse dénudé. Il se précipite sur moi, sans pour autant me toucher. Je lui souris, tristement et mal à l'aise, sans vraiment savoir quoi faire. En réalité, je ne sais même pas pourquoi je suis ici. Je ne sais pas non plus ce que je veux.
- Tout va bien ?
Je baisse les yeux lorsqu'il me pose la question, inquiet, tout en fronçant les sourcils. Dans un premier temps je suis tenté de nier, de dire que ça va, mais c'est faux. Alors, même si je n'ai pas envie de m'expliquer, je hoche négativement la tête. Il pose une main sur ma taille, prudent, et ce geste m'arrache un frisson.
- On fait l'after chez Stan. Tu veux venir ? Ça pourrait te changer les idées.
J'accepte avec un hochement de tête. Pendant qu'il se rhabille avec une jolie chemise, sa peau brillante grâce à la douche rapide qu'il a prise après-concert. Ses cheveux sont mouillés, sombres et fins sur son crâne, et c'est joli autour de son visage fin. Il passe sa veste en cuir sur sa chemise et pend une besace en cuir sur son épaule. Il passe un bras protecteur autour de mes épaules afin de m'attirer à l'extérieur de la loge.
Tandis que nous traversons le couloir vers la sortie arrière de la petite salle de concert, je ne peux que remarquer le regard des filles sur lui : elles bavent presque. D'une façon plus vulgaire, je pourrais même dire qu'elles mouillent carrément sur son passage. Il leur fait son numéro de charme, un grand sourire aux lèvres et clins d'œil répétitifs en lâchant un « salut les filles » surjoué mais peu sincère.
Je me sens mal à l'aise quand il s'arrête près de ses collègues de groupes qui, adossés à un mini-van noir et gris, fument un joint qu'ils se font passer de mains en mains. Ils me regardent comme si j'étais un OVNI, et j'ai conscience de faire tâche dans le décor : je porte un jean bleu destroy, des sneakers et un hoodie de marque. Eux ne portent que des slims noir, du cuir, des clous et des bottines à bouts pointus.
- Tu nous présente, Jay ? , demande un gars aux cheveux blonds noués en chignon.
- Les gars, c'est Evan. Un ami.
- Un ami ? C'est son chir', les mecs.
- Quoi ?!
Ils s'esclaffent tous d'un même rire et je me tends, mal à l'aise. Le bras de Jayden se resserre dans mon dos et je sens sa main qui se pose alors sur ma taille. Il presse cette dernière entre ses doigts afin de me rassurer.
- Fermez-la bande de cons. After chez toi, Stan ? , demande Jayden.
- Ouais. D'ailleurs, on bouge ? Les filles s'impatientent.
Aussitôt, les gars grimpent dans le van. À l'intérieur je distingue leurs étuis à guitare et basse, ainsi que la batterie de Jayden. Quelques groupies s'installent sur les genoux des garçons tandis que le grand blond passe derrière le volant. Je me sens stupide, planté là avec Jayden, désormais seuls.
- Tu es venu en voiture ? , me demande-t-il doucement.
- Oui. Pourquoi ?
- Je viens avec toi. Comme ça, si tu veux rentrer, tu auras ta voiture là-bas.
Je hoche la tête. Je suis mal à l'aise, je sais que je devrais rentrer chez moi, mais j'ai envie d'oublier. J'ai envie de m'occuper l'esprit ailleurs. Pourquoi pas boire un peu ? Je ne vais qu'à une beuverie avec un ami. Rien de plus. D'autant plus qu'imaginer Diego avec sa blonde me fout la haine.
X X X
Loft de Stan | CAMBRIDGE – 10:29 PM.
Je suis assis sur un canapé en velours noir, au beau milieu d'un loft au style ancien mais meublé très moderne. Les couleurs sont sombres mais chaleureuses, et je suis surpris de me sentir bien.
Je ne supporte pas les gonzesses qui piaillent en roulant des fesses devant Jayden, mais j'essaie de faire comme si cela ne m'atteignait pas : je déteste le fait que cela me mette en colère. Je ne devrais pas l'être, mais je suis tout simplement jaloux.
- Jay, un rail ?
Je sors de mes pensées lorsque j'entends ça, sous le choc. Tandis que mon cerveau semble un court instant court-circuité, et que je cherche mes mots, je sens Jayden se tendre contre moi. Il baisse honteusement ses yeux sur ses pieds quand je le regarde, du coin de l'œil, et son bras resserre son étreinte dans mon dos. Je manque de faire tomber ma bière tant je suis surpris, et en colère aussi.
- Non.
Son ami Lee s'apprête à rétorquer, mais le regard noir que lui lance Jayden lui fait fermer son clapet. Tandis que ce dernier se lève afin de se diriger vers la cuisine, dans le but de se servir une autre bière je suppose, je quitte le canapé à mon tour.
La musique est forte et la foule est beaucoup trop nombreuse pour la taille de cet appartement. Je me fraie un passage au milieu des groupies, mais un petit mouvement de foule rythmé par la musique fait que je me retrouve dans un couloir que je n'avais pas encore aperçu. Un escalier descend au sous-sol derrière une porte entrouverte et, curieux, j'en descends les marches.
C'est une salle de musique. Je trouve l'endroit très beau et très apaisant. Les murs sont noirs, capitonnés, et les spots lumineux diffusent une lumière tamisée et chaleureuse. Au sol, des tapis aux motifs ethniques et pastels amènent un peu de couleur. Sans vraiment savoir pourquoi, je viens m'asseoir sur le tabouret derrière la batterie après avoir fait glisser mes doigts sur le manche d'une guitare Gibson.
Je sors mon téléphone portable de ma poche et l'allume. Je ne suis pas surpris de constater que je n'ai reçu aucun appel ni même aucun SMS. Le fond d'écran, cette vieille photo de moi et Diego devant le Fenway Park, me fait l'effet d'un coup de poignard dans le ventre. Je déglutis, luttant pour ne pas pleurer.
- Hey, je te cherchais.
J'enferme mon portable lorsque Jayden se pointe, un verre de whisky à la main rempli de deux glaçons. Ses jambes sont fines et élancées lorsqu'il s'approche de moi, pieds nus, parce qu'il s'est mis à l'aise. Il s'approche de moi et se plante à quelques centimètres, ses doigts pianotant sur la caisse claire de sa batterie. Un petit rythme doux et entraînant nait de ses doigts.
- Tu tournes à la coke, alors ?, dis-je avec une froideur non-contrôlée.
- Ouais... parfois.
- C'est n'importe quoi.
Je n'aime pas ça. La cocaïne, c'est de la merde. Pour la santé, pour le cerveau, pour les neurones. C'est un poison mortel, au fil du temps, et je ne supporte pas l'idée qu'il puisse être ce genre de gars qui sniffe des rails, penché sur une table basse.
- Tu penses ? , me teste-t-il.
- Oui. Tu devrais pas faire ça, c'est de la merde Jayden.
- Tu t'inquiètes pour moi, Evan Wright ?
Je lève les yeux vers lui, colère. Le ton de sa voix fait naître sur ma peau la chair de poule, et un frisson me remonte la nuque. Il me sourit en coin, mais son regard est extrêmement sérieux. Alors que la panique et la gêne font que mes joues se colorent de rouge, je le vois tandis qu'il agite une baguette de batterie sous mes yeux. Je souris, et pouffe de rire.
- Quoi ? , dis-je.
- Tu sais jouer ?
- Non.
- Tiens.
Je me saisis des deux baguettes qu'il me tend. Je me fige quand il passe dans mon dos, debout, et qu'il se penche légèrement sur moi afin de prendre mes mains entre les siennes. Doucement, il guide mes gestes afin de m'aider à jouer un petit rythme. Son pied, lui, appuie sur la pédale afin de faire résonner la grosse caisse. Mes mains frappent les cymbales et la caisse claire. Je me laisse faire, car c'est plaisant.
- Où est-ce que tu as appris à jouer ? , dis-je tout bas.
- Dans ma chambre.
- En autodidacte ?
- Mhmh.
- Quel âge ?
- 12 ans.
Je le laisse faire tandis qu'il accélère le rythme. Je le laisse guider mes mains sans lutter, emporté par la musique, et je trouve ça incroyable. Quand il cesse finalement de jouer, je dis :
- J'ai jamais compris comment vous arrivez à jouer. Pour coordonner tous vos gestes, les mains, les pieds... c'est un mystère pour moi.
- C'est de l'entraînement. Tu y arriverais, tu as le rythme.
Je lève la tête pour le regarder, tandis qu'il stabilise avec ses doigts la cymbale sur laquelle il vient de taper avec une baguette en bois. Quand il baisse les yeux vers moi, son regard me coupe le souffle. Ses yeux sont bleus, clairs et intenses, très grands. Ils brillent et je m'y perds malgré moi. Lui aussi semble totalement déconnecté, ses yeux ancrés dans les miens.
Je ferme les yeux. La position est gênante, car il est debout et que je suis assis, mais j'apprécie. Sa main fine se pose sur mon cou, son pouce sous mon menton afin de relever mon visage vers lui. Mes mains, elles, parlent se poser sur sa nuque et mes doigts se glissent dans ses cheveux. Ses lèvres, au goût amer de whisky, sont chaudes et douces. Quand il m'embrasse, avec tendresse et sauvagerie, mon cœur explose.
Ça me plait. C'est bon d'embrasser et de toucher quelqu'un sans avoir peur que tout se brise en un quart de seconde. C'est bon de ne sentir aucune retenue de la part du garçon en face de moi. Il m'embrasse de tout son corps et de tout son cœur, et je déconnecte. Je ne pense plus à rien d'autre qu'à cette bouche chaude et tendre, et j'ai des papillons dans le ventre.
Je gémis contre sa bouche quand il mordille ma lèvre inférieure entre ses dents tout en la tirant vers lui. Je souris ensuite, comme un idiot, quand il titille du bout de sa langue ma lèvre supérieure. J'entrouvre la bouche, yeux fermés, et je sens quelques secondes plus tard sa langue se glisser dans ma bouche. Sa main libre, elle, vient papouiller mes cheveux sur ma nuque.
- Jaydeeeeen, tu... oh, merde.
Nous nous éloignons en un sursaut, et je me sens honteux lorsque je vois une fille aux cheveux noirs sur la dernière marche des escaliers. Elle nous regarde la bouche ouverte, choquée et carrément déçue de voir que son beau Jayden est en train de rouler une pelle à un mec.
- Casse-toi, Nora !
Elle remonte les escaliers en trottinant tandis que j'entends Jayden marmonner quelque chose d'incompréhensible entre ses dents. Tout à coup, je prends conscience de ce que je viens de faire : je l'ai embrassé. Je l'ai embrassé et j'ai aimé ça. Je me lève en sursaut de mon tabouret et me recule de quelques pas.
- Je... j'dois y aller.
- Evan, attends.
- J'suis désolé. J'peux pas faire ça.
Diego, Diego, Diego. Je me répète son prénom en boucle dans la tête quand je remonte à l'étage à la vitesse de l'éclair. Je n'ai jamais monté des escaliers aussi vite de toute ma vie. J'entends Jayden qui m'appelle, qui me course, à travers l'appartement mais je l'ignore.
J'ai honte de moi lorsque je saute dans ma voiture avant de démarrer en quatrième vitesse. Je fuis. Je fuis mais, à mon plus grand malheur, mon cœur bat la chamade : j'ai aimé qu'il m'embrasse.
. . . #gbsBigBangFIC
Je viens de rentrer du boulot et voilà donc le chapitre 19, qui était écrit depuis un petit moment et prévu pour demain soir. Vous vouliez de l'action, je suppose que ça vous convient ? Désolée si l'évolution de l'histoire ne vous plaît plus. Des bisous, et à bientôt. xx
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