CHAPITRE 17
15.05.28,
Campus du MIT | CAMBRIDGE – 12:54 PM.
Nous sommes assis dans l'herbe, nos déjeuners posés à l'arrache sur une feuille de papier aluminium. Il a choisi un sandwich au thon tout à l'heure à la boulangerie du coin tandis que j'ai plutôt opté pour un sandwich au poulet. Les restes du gâteau que j'ai préparé hier après-midi sont éparpillés en des parts inégales sur le papier alu. Un paquet de chips presque vide menace de s'envoler à cause du petit vent qui se lève.
En soit c'est une bonne pause déjeuner. Je n'avais pas passé un moment aussi simple avec lui depuis longtemps. J'ai été surpris lorsqu'il m'a envoyé un SMS, aux environs des onze heures, pour me proposer de prendre un sandwich avec lui. Je n'étais jamais venu ici, au MIT, pour autre chose que la paperasse avant qu'il ne sorte de prison. Je suis heureux qu'il partage une petite partie de son univers avec moi, ici, sous les yeux des autres étudiants qui, par chance, nous calculent à peine.
Aujourd'hui cela fait une semaine que je suis rentré de New-York et, donc, une semaine qu'il s'est radoucit. Je n'arrive pas à oublier le petit repas romantique que nous avions partagé, en tête à tête à l'appartement, et à la façon dont il m'a serré dans ses bras pour dormir. Depuis, il est agréable. Je ne l'entends plus grogner ou marmonner, bien que je remarque parfois sa lassitude pour certaines choses du quotidien : ses yeux parlent toujours, eux.
Je dois avouer que ça fait du bien. Je sens mon cœur un peu plus léger qu'avant, après cette semaine passée. Nous n'avons pas dormi dans les bras l'un de l'autre comme dimanche soir, mais nous nous couchions tous les soirs sans avoir eu affaire à une engueulade dans la journée. En fait, je me sens comme sur un petit nuage. Serait-il en train de changer, de s'ouvrir ? Je n'en sais trop rien, mais je suis heureux qu'il fasse des efforts.
- À quelle heure tu commences, déjà ?
- À 1:30.
Autant dire tout de suite que je n'ai aucune envie d'aller bosser. Pas alors que je suis là, avec lui, et qu'on se bouffe des yeux comme deux adolescents amoureux. Je suis dans mon monde, dans ma bulle, et l'idée d'aller bosser me donne envie de pleurer. J'aimerais rester ici indéfiniment, pour toujours. C'est le genre de moment qu'on partageait à l'époque, dans Central Park, le soir.
- Et tu finis tard ?
- Dix heures. Normalement.
Je le regarde. Je remarque une petite moue triste et contrariée qu'il s'efforce de cacher, tête baissée sur la fin de son sandwich. Il en croque le dernier morceau avant de venir boire une gorgée d'eau pétillante. Ensuite, je le vois picorer dans le papier alu quelques miettes de gâteau au chocolat.
- Tu as cours tout l'après-midi ?
- Oui, jusqu'à six heures.
Je termine mon sandwich à mon tour et me frotte les mains dans une serviette en papier de la boulangerie. Je lui pique sa grande bouteille de San Pellegrino afin d'en boire une gorgée aussi. Je me sers une part de gâteau, tandis que des petits oiseaux viennent picorer les miettes de pain que Diego a éparpillées non loin de nous. L'endroit est agréable et vert, bien que les bâtiments soient d'immense blocs de béton. J'imagine qu'il fait bon vivre d'étudier ici : il ne m'en parle pas beaucoup, alors je ne fais que deviner.
- Je t'ai jamais demandé... ça te plaît d'être ici ? , je tente.
Il lève un regard surpris vers moi, tout en mettant dans sa bouche un énorme morceau de gâteau. Il fait circuler son regard un peu partout autour de lui et hoche la tête, bouche pleine, avant de me répondre :
- Oui. C'est génial. J'adore leur programme.
- Tu travailles sur des projets ?
- Oui. Heu, d'ailleurs, en parlant de ça...
Je le vois craquer nerveusement ses doigts sur ses cuisses : il est gêné. Je le connais par cœur. Je sais qu'il cherche ses mots pour m'annoncer quelque chose, mais qu'il a peur de ma réaction. Surpris, j'attends patiemment qu'il reprenne, en soutenant tendrement son regard quand j'arrive à le capter :
- ... ce week-end il y a le salon de l'Astronomie. Mon professeur... tuteur, référent, enfin bref, m'a proposé de l'accompagner. Il y aura des conférences, et tout ça.
- C'est super cool. Tu veux pas y aller ?
- Si, justement. Mais... t'es d'accord ?
Je lève un sourcil, surpris. Pourquoi me demande-t-il mon autorisation ? Je ne suis pas son père. De plus, il a trente ans. Il fait ce qu'il veut. Je ne lui en voudrai jamais de partir pour ses études, pour quelque chose qui lui plaît. Je souris, attendri.
- Bien sûr, pourquoi tu demandes ? C'est pour tes études, c'est génial. Vous êtes beaucoup à partir ?
- Hem... non. Que moi.
- Comment ça que toi ?
Je fronce les sourcils : ça, par contre, c'est assez louche.
- Ouais heu... j'sais pas. Je suis le meilleur élève de ma promo alors je suppose qu'il veut me récompenser.
- Il est comment ce prof ?
Je dois avouer que je ne suis pas particulièrement enchanté. Laisser partir mon petit-ami avec son professeur, seul, ça ne me rassure pas des masses. J'imagine que Diego n'en a rien à faire de lui, bien sûr, mais dieu sait à quel point les gens peuvent être tarés. J'ai vu assez de films pour le savoir. Je m'efforce malgré tout de cacher mon malaise : Diego est assez grand pour savoir ce qu'il fait.
- Bah... cool. Intelligent dans ce qu'il fait, quoi. C'est un passionné.
- Il est vieux... ?
- J'sais pas, la quarantaine.
Je hoche la tête, entendu. Cela ne me plaît pas, mais je ne peux pas le lui interdire. Je n'ai tout simplement pas envie non plus de le retenir ici. Je pense à ses études, et c'est une super opportunité.
- Tu dois payer quelque chose pour ce week-end ? , je demande.
- Non. Apparemment c'est financé avec ma bourse.
- OK.
Je lui souris, mais je ne sais pas s'il remarque que c'est un sourire crispé et forcé.
- Viens là.
Je souris à nouveau, réellement cette fois-ci, quand il se penche vers moi. Il passe sa main forte sur ma nuque afin de m'attirer à lui et dépose un petit baiser léger sur mes lèvres. Il ne s'attarde pas, loin de là, mais c'est un baiser agréable : il veut dire merci.
Je fonds comme de la glace au soleil quand je vois le regard brillant qu'il pose sur moi, son front collé contre le mien.
X X X
Massachusetts General Hospital | BOSTON – 3:29 PM.
C'est l'heure de la pause café-clope. Je ne suis pas particulièrement ravi de me retrouver avec James sur le toit de l'hôpital, à boire un café tout en prenant le soleil, une clope au bec. Je n'apprécie pas des masses ce gars, mais l'instant est malgré tout agréable.
- J'peux te demander un truc ? , me demande-t-il.
- Ouais.
Je marmonne, tout en tirant une taffe de ma cigarette. Je n'avais pas fumé depuis des mois mais, en passant devant de le tabac en venant au boulot, je n'ai pas su résister. Je dois malheureusement avouer que le tabac dans ma bouche, dans mes poumons, me fait me sentir bien. Quand je tire à nouveau une nouvelle taffe, je me sens apaisé.
- Ta copine Molly... elle a un mec ?
Je manque de m'étouffer avec ma gorgée de café. Je suis assis sur un bloc de béton pas loin de la rambarde, les yeux rivés sur le paysage de Boston. Des buildings, des parcs, des bâtiments historiques. J'aime cette ville, mais la vue sur l'Empire State Building ou les hauts gratte-ciels de Manhattan me manque.
- Hem... non. Pourquoi ?
- Non, comme ça.
Je souris en coin, amusé : il n'est pas crédible. Veut-il seulement me faire croire que c'est une question quelconque ? Je ricane.
- Pourquoi tu ris ? , pouffe-t-il de rire.
- J'vois très bien à quoi vous jouez tous les deux. Et tu l'aimes bien je crois. Tente le coup.
- Elle me fait peur.
Je m'esclaffe de rire tout en levant les yeux vers lui qui, debout, balaie l'horizon du regard.
- Quoi ?! , je m'exclame.
- Ouais... elle... j'sais pas. Elle a du caractère. J'ai peur de prendre un râteau.
- Crois-moi, Molly ne te mettra pas un râteau.
- T'es sûr ?
Je ris, tout doucement, tout en hochant la tête. Je ne veux pas être le meilleur-ami qui cafte : je ne dirai pas à James que Molly en pince pour lui. J'essaie simplement de lui envoyer quelques signaux, de façon implicite. Je sais à quel point Molly craque pour lui depuis le début et, bien que je n'affectionne pas particulièrement James, je suppose que c'est un gars réglo bien qu'il s'amuse à flirter avec toutes les filles de l'hôpital : adolescentes comme petites vieilles hospitalisées y compris. Je pensais au début que c'était un connard, un tombeur, mais j'ai très vite compris que c'est sa façon d'être.
- OK. Merci, Wright.
- Pas de quoi.
L'air de rien, je sors mon téléphone portable de ma poche. Je tapote sur l'écran quelques secondes afin d'ouvrir l'application de messagerie. Je cherche Molly dans mes récentes conversations et lui rédige un petit message :
✉ À : MOLLY ✉
3:32 PM – James vient de me demander si t'as un copain. Tu peux me remercier, d'ici la fin de la semaine il y a moyen que ce soit ton mec. Bisous bb.
Je souris comme un idiot, à imaginer sa réaction. Je sais qu'elle est de repos aujourd'hui, et je ne suis donc pas surpris de voir son prénom s'afficher à l'écran quand elle m'appelle. Heureusement pour moi, James quitte le toit avant moi afin de retourner s'occuper de ses patients.
Je me retrouve alors à expliquer en détails à Molly la conversation que James et moi venons d'avoir, le sourire aux lèvres.
X X X
Anna et moi sommes assis derrière deux grandes vitres, les yeux rivés sur des écrans d'ordinateur. Malgré les portes fermées de notre zone anti-rayons, nous entendons le bruit de la machine à IRM. La jeune femme allongée dans l'appareil s'est enfin détendue, et nous commençons à recevoir les premières images.
- Bordel de merde.
- Ouais, confirme Anna.
Elle est aussi sous le choc que moi. C'est... terrifiant.
- Regarde, me dit Anna. Son cerveau... elle est énorme.
Je confirme. À l'écran et grâce aux avancées technologiques de ces dix dernières années, nous parvenons à voir clairement la tumeur qui comprime son cerveau. Le problème, c'est qu'il y en a une autre sur son poumon droit : la raison pour laquelle nous sommes ici, nous chirurgiens cardio-thoraciques, à demander une IRM. Nous nous en doutions, mais nous n'avions en aucun cas pensé qu'elle puisse avoir une tumeur au cerveau. Nous sommes sous le choc.
- On fait quoi ? , me demande Anna.
- On...
Je sursaute quand j'entends la sonnerie stridente de mon bipper. Je le sors de ma poche et constate que je suis appelé à la Mine par le standard de celle-ci. Je soupire et me lève après avoir arrêté la sonnerie.
-... quand l'examen est terminé tu la ramènes. Vois avec Manfredi comment gérer ça.
- Ouais, d'accord.
Je quitte la pièce discrètement et me presse dans les couloirs afin de rallier la mine. Je croise Manfredi qui signe des dossiers à l'accueil du service de cardiologie, ainsi que James qui pousse le lit médicalisé d'un jeune adolescent. J'arrive à la mine après avoir pris deux ascenseurs différents et traversé deux ailes de l'hôpital.
- On m'a bipé ? , je demande à la standardiste.
- Oui, elle regarde son ordinateur avant de me confirmer : Un patient vous attend dans le box numéro 4. L'infirmière n'a pas réussi à l'approcher, il a insisté pour que ce soit vous.
Je fronce les sourcils, curieux, avant de récupérer le dossier qu'elle me tend : Jayden. L'infirmière aura au moins réussi à obtenir de lui son identité. Quand je tire le rideau du box numéro quatre, agacé, je ne peux m'empêcher d'être hautain.
- Quoi encore ? , dis-je lassé.
- C'est pas trop t-tôt.
Je me sens ridicule quand je vois son visage. Je pensais encore à l'un de ses coups montés insolents pour m'approcher, mais j'avais tort. Je le vois se tortiller, allongé sur le lit d'examen. Il porte encore ses vêtements, comme s'il attendait là depuis une éternité. Je ne peux que remarquer sa peau pâle et les gouttes de sueur sur son front : ça m'a tout l'air d'une infection.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? , je demande sur un ton plus professionnel.
- Je... j'crois qu'il y a un problème.
Il me montre son ventre du bout du doigt, à l'endroit où nous avons recousu ses chairs après l'opération. Il ferme les yeux quand je pose son dossier sur la tablette près du lit, et je tire le rideau afin de ne pas être observé par les autres patients qui circulent autour de nous. Je me désinfecte les mains grâce à un gel antibactérien accroché au mur avant de m'asseoir sur un tabouret sur roulettes. J'abaisse la hauteur du lit à l'aise de la pompe à mes pieds.
- Depuis combien de temps vous êtes dans cet état ?
- Depuis... trois jours.
- Seigneur.
Je ne m'abstiens pas de lui lancer un regard noir et désapprobateur : irresponsable, voilà ce qu'il est. Je m'affaire à déboutonner prudemment les boutons de sa chemise en soie, noire et marron. Je sens son regard sur moi, mais je remarque aussi les tremblements dans ses mains. Quand j'ouvre sa chemise en grand, je remarque la compresse collée à l'arrache avec de l'adhésif sur la plaie. Quand je la retire, une sueur froide me remonte dans le dos. Je déglutis.
- C'est pas joli, n'est-ce-pas ?
Je ne réponds pas. Je me contente simplement de le regarder, sévère, les dents serrées. S'il y a quelque chose que je ne supporte pas, c'est bien celle-ci : les patients qui ne prennent pas soin d'eux. Je ne supporte pas le fait que l'on opère des gens afin de leur sauver la vie, qu'on s'applique à faire notre boulot correctement, pour qu'ils finissent par revenir ici parce qu'ils ne suivent pas les consignes. Je n'ai pas besoin de lui poser la question pour savoir qu'il n'a pas fait appel à des infirmiers libéraux afin de lui changer son pansement deux fois par jours, comme convenu. J'ai la haine.
- Comment on fait, maintenant ?
- Comment on fait ? , je grogne. Je vais arranger ça, comme toujours. Mais vous allez devoir serrer les dents, ça ne va pas être agréable.
Il hoche la tête, résolu. Je le vois fermer les yeux, la tête posée sur l'appuie-tête, le front en sueur. Avant de m'attaquer à la plaie, au plus sérieux, je me lève afin de prendre sa température. 40,1° : ce n'est carrément pas bon signe.
- Et vu ta température, tu vas passer la nuit ici.
- Quoi ?!
- Il est hors de question que je te renvoie chez toi dans cet état-là. Attends-moi ici.
Je me maudis, en partant vers le standard, quand je réalise que je viens de le tutoyer. J'ai même envie de me donner une claque : ça ne se fait pas. Peu importe qu'il me drague et qu'on soit allés boire un verre. Je me dois de rester professionnel. Quand j'arrive au comptoir de l'accueil, je m'adresse à la standardiste :
- Vous pouvez regarder s'il y a une chambre de libre au service de cardio ?
- Pour quelle raison ? , lance-t-elle avec aplomb.
- Pour la raison que mon patient à 40° de fièvre à cause d'une infection liée à son opération datant d'il y a deux semaines. Monsieur Shaw.
- Oh, très bien.
Je me retiens pour ne pas faire une remarque désobligeante : je sais à quel point les places sont chères ici et à quel point la politique de l'hôpital vise à renvoyer les patients chez eux le plus rapidement possible. Mais c'est nécessaire et ma demande est légitime : on ne renvoie pas quelqu'un qui doit se faire perfuser et surveiller. Après avoir raccroché le téléphone et tapoté sur son ordinateur, la standardiste me dit :
- Je suis tombée sur votre supérieur. Il dit que votre patient peut sortir dans la soirée, même tard. D'après lui il sera très bien ici.
- Très bien.
Je m'en vais, agacé : Manfredi est un connard. Je le soupçonne même parfois de ne pas avoir de cœur. Il ne veut pas faire de nouvelle admission ? Très bien, je vais encore une fois devoir me débrouiller avec les moyens que l'on me donne. Je reviens auprès de Jayden après voir chargé un chariot d'une perfusion d'antibiotiques, de compresses stériles et de solutions antibactériennes. Je me suis également équipé d'un kit de sutures stérile.
- Bonne nouvelle, vous ne passerez pas la nuit ici.
- Vous pouvez me tutoyer.
- Non, je suis votre médecin.
- Vous avez gaffé tout à l'heure. J'aime bien.
Je roule des yeux et, agacé, j'installe la perfusion sur le portant prévu à cet effet. Je ne m'occupe pas vraiment de son regard sur moi, tandis que je prépare le cathéter que je m'apprête à lui rentrer dans la peau. Je désinfecte cette dernière au niveau de son poignet.
- C'est quoi ? , demande-t-il.
- Des antibiotiques. Avec 40,1° de fièvre, il vaut mieux. Non ?
- Oh. Ouais. Je crains pas les aiguilles, vous pouvez y aller.
- Je m'en doutais.
Je lui souris, amusé. Je me serais douté qu'il n'est pas du genre à être phobique des aiguilles, comme certains, étant donné tous les tatouages sur sa peau dorée. Je pique prudemment et délicatement sa peau afin de lui poser le cathéter. Je connecte ensuite le petit tuyau qui lui administrera l'antibiotique.
- Là, par contre, ça va être moins cool, je préviens en m'installant près de lui sur le tabouret.
- Allez-y, qu'on en finisse.
Je lui souris tristement. En réalité, c'est plutôt une petite moue désolée. Je me munis d'une compresse de gaze stérile. Quand mes yeux se posent sur la plaie, j'avoue retenir une nausée : c'est horrible. C'est boursouflé, coloré de nuances de mauve et de noir, et je suis parfaitement conscient qu'il y a du pus là-dessous.
- Pourquoi je passe pas la nuit ici ? , demande-t-il.
- Parce que mon supérieur est un con. Mais je vais vous garder quand même un peu, jusqu'en début de soirée minimum.
- OK. Ça me paraît bien.
Il me sourit tendrement, finalement radouci. Il repose à nouveau son crâne contre l'appuie-tête et s'efforce de se détendre. Malgré tout, sa peau se recouvre de chair de poule et je vois son corps trembler. Ce sont des sueurs froides, conséquence de la fièvre. Je prends une serviette stérile et propre dans le troisième tiroir du chariot. Je pars l'humidifier au robinet dans un coin des urgences et, à nouveau près de lui, la lui tends.
- Tenez, mettez-là sur votre front.
- Merci.
Je le regarde tandis qu'il la place sur son front de sa main fine et tatouée. Je vois les veines sur le dos de sa main, ses phalanges. Ses mains sont sexy et attirantes. Je ne saurais mettre de vrais mots dessus, mais je les trouve étonnamment artistiques.
- Je vais devoir appuyer pour faire sortir tout ça, ça va aller ?
- Ouais.
Il hoche la tête, entendu, avant de fermer les yeux. Mes mains désormais fourrées dans des gants chirurgicaux, je m'attaque au carnage. Mon estomac se contracte dans mon abdomen quand une importante quantité de pu vient sortir de la plaie. Je la récupère avec une compresse stérile que je suis aussitôt obligé de jeter dans la poubelle.
L'opération dure bien deux interminables minutes, autant pour Jayden que pour moi : je vois parfaitement qu'il a mal, même s'il s'efforce de rester stoïque, et je déteste faire mal à mes patients. Malheureusement, c'est un mal pour un bien et nous sommes obligés d'en passer par là.
- Bordel, comment vous en êtes arrivés là ? , je râle en essuyant la plaie avec une compresse.
- J'sais pas.
- Vous n'avez pas fait refaire votre pansement par un professionnel, je me trompe ?
- Non, c'est vrai... désolé. Je pensais pas que ça puisse... putain.
Je m'arrête net quand il agrippe mon poignet avec ses doigts fins. Il se crispe sur le lit et ferme fort les yeux. Je le vois, tandis qu'il se mord la lèvre pour ne pas à nouveau crier ou jurer de douleur. Je cesse alors tout mouvement, afin de le laisser récupérer un peu.
- Désolé... je sais que c'est pas agréable.
- C'est votre façon de me faire payer, docteur Wright ?
Je déglutis quand ses beaux yeux bleus trouvent les miens. J'y vois une lueur de malice derrière la douleur et la fièvre, et je ne peux pas m'empêcher de trouver ça drôle. Payer quoi ? Le fait qu'il soit lourd à me draguer, le fait qu'il ait été trop indiscret lorsque nous sommes allés boire un verre ? En aucun cas il ne s'agit de ça.
- Peut-être bien.
Je hausse les épaules et un petit sourire en coin étire mes lèvres tandis que je détourne le regard. Je reviens regarder sa plaie avant de me munir d'une pince.
- Allez, on y retourne.
Je le préviens avant de venir à présent retirer les points qu'il lui restait. J'ai conscience que je vais devoir passer encore beaucoup de temps ici, à le soigner, et mon ventre se tord : je suis terriblement mal à l'aise, et je lutte de toutes mes forces pour ne pas qu'il s'en rende compte.
X X X
Je libère Jayden Shaw à 8:47 PM exactement. Après avoir contrôlé sa fièvre quatre fois et vérifié la propreté de sa toute nouvelle suture, je me suis finalement fait violence et suivi les consignes de Manfredi. Accoudé au comptoir du standard, il me regarde tandis que je rédige une ordonnance sur le bloc de papier prévu à cet effet. Je la lui tends ensuite.
- Ce sont des antibiotiques. Et, cette feuille-là, dis-je en tendant une seconde page, c'est une ordonnance pour des soins à domicile. Un professionnel. Et non pas votre copain Stan.
Oui, parce qu'il s'agissait de Stan. D'après Jayden, c'était plus simple de se faire soigner par son pote – que je qualifierai plutôt de plan-cul à en juger par leur relation étrange – que par un infirmier. D'un côté je peux le comprendre : c'est un gars rebelle et intrépide. Il n'a pas réfléchi un seul instant aux conséquences de ses actes. Beaucoup de patients sont dans l'ignorance, pensant qu'une simple solution désinfectante et une compresse neuve suffisent à éviter les dommages. Sauf que ce n'est pas le cas.
Nous avons beaucoup discuté tandis que je lui administrais ses soins : nous avons parlé de cinéma, de mon boulot ici et de la difficulté des études, mais nous avons beaucoup parlé musique. Nous avons beaucoup de points communs concernant les groupes que nous écoutons tous les deux et nous pensons de la même façon concernant l'évolution de certains groupes qui sont, au fil des années, devenus de plus en plus expérimentaux. Je dois avouer que j'ai passé un bon moment en sa compagnie et, dieu merci, nous n'avons à aucun moment abordé le sujet de notre vie privée.
- Ouais... j'ai compris la leçon, je crois. , ricane-t-il nerveusement. Merci, Evan.
Je lève les yeux vers lui, surpris. Il ne m'a jamais appelé Evan, il me semble. En général, c'est toujours un « docteur Wright » lâché avec sensualité sur un air aguicheur. Là, c'est plus sincère. Je lui rends son sourire.
- Je n'ai fait que mon boulot.
- Je peux vous inviter à boire un verre ? Pour vous remercier ?
Je ne saurais l'expliquer, mais il a l'air triste. Un peu déstabilisé aussi. Je le vois froncer les sourcils lorsqu'il parle, comme s'il ne comprenait pas lui-même ce qu'il me dit. Je m'efforce de rester poli lorsque je réponds :
- C'est gentil, mais non. Si je bois un verre avec tous les patients que je soigne, je vais finir alcoolique.
- Même pas un coca ... ?
Ses yeux sont posés sur moi, légers. Il a dit ça sur un ton détaché et mielleux, mais pas séducteur. Je jurerais entendre un enfant quémander un bonbon à ses parents. Il est bizarre. J'ouvre la bouche pour répondre, mais je cherche mes mots.
C'est un terrible combat intérieur. Mon cerveau me hurle un « NON ! », plus précisément la petite conscience qui loge à l'intérieur. Mon cœur me dit « non ! » aussi, car je pense à Diego.
Mais une force inconnue, qui vient du plus profond de moi et dont j'ignore tout, incontrôlable, me fait lâcher ces mots :
- Demain pour le déjeuner ? Au Red Hat ? Si tu vas bien, bien sûr.
- OK. Super, j'y serai. À demain.
Il me sourit tendrement et cela contraste étrangement avec ses sourires aguicheurs habituels. Il fourre précieusement ses ordonnances dans les poches de sa veste en cuir et tourne les talons pour s'en aller.
Je le regarde s'éloigner en me répétant que je ne suis qu'un parfait abruti.
. . . #gbsBigBangFIC
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